La vie d'un musicien poly-instrumentiste.
Par José Daniel TOUROUDE.
Interview de Bernard DUPLAIX.
La carrière de musicien de Bernard DUPLAIX est intéressante pour plusieurs raisons : c’est un poly-instrumentiste de talent (un
des musiciens que tout le monde a entendu dans les orchestres de vedettes
connues), c’est aussi un musicien de studio (disques, musique de film et de
TV), enfin c’est aussi un grand collectionneur de flutes anciennes. Nous allons
voir ces 3 points.
Bernie avant d’aborder ta
carrière, comment es tu venu à la musique ? La voie royale : école de musique,
conservatoire régional puis national ou par un chemin plus autodidacte comme la
plupart des jazzmen et artistes de variétés ?
En fait les
deux. Il y a eu plusieurs composantes imbriquées : Je suis issu d’une famille
de musiciens amateurs. J’ai commencé dès 8 ans des études au conservatoire de
Montluçon, une très bonne école. J‘ai débuté par la clarinette, puis le basson
(je ne l’avais pas vraiment choisi…). Étant le seul élève, j’avais un bon professeur
uniquement pour moi. J’ai eu la chance qu’on me laisse continuer en même temps l’étude
des 2 instruments. J’ai fait des progrès rapides et je suis rentré à l’Harmonie
municipale qui avait un bon niveau. Tous les instruments à vent y étaient
représentés. On sous-estime souvent le rôle fondamental et ô combien formateur de
ces harmonies où souvent bénévolement, la musique et l’amour de la musique sont
transmises aux jeunes. J’y
jouais du basson, ce qui m’a obligé très tôt à jongler avec les transpositions
car il y avait rarement des parties adaptées ! J’y ai joué, ainsi qu’à
l’orchestre symphonique municipal jusqu’à mon bac. On se produisait souvent,
avec l’une ou l’autre formule, et je faisais partie également de la petite
équipe qui accompagnait les opérettes de passage (mes premiers cachets !).
1963 - Avec le bel uniforme
de
l’Harmonie Municipale de Montluçon.
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Mais dans
le même temps, comme ma tante tenait un dancing, j’ai passé des heures au
pied de la scène, fasciné par les
saxophonistes. Très tôt, j’ai découvert le Jazz, à travers la radio et le
disque. Je dévorais les revues spécialisées. Parallèlement, pour notre
génération, nous avions un autre pôle, à savoir les formations de Jazz des
bases militaires américaines. J’allais très souvent à la base de Châteauroux et comme tous les jeunes
de l’époque, j’étais fasciné par cette culture américaine. Une ambiance
qu’Alain Corneau a particulièrement bien décrite dans son film « Le nouveau monde ». Mon père
avait un copain américain qui jouait du sax. C’est lui qui m’a surnommé Bernie.
Il me jouait « Bernie’s Tune »
et prétendait qu’il l’avait composé pour moi. Je l’ai cru longtemps !
A CHAB
(Châteauroux Air Base) comme disaient les américains, il y avait un très bon
Big Band dirigé par le ténor Billy Harper. J’y ai croisé aussi des grands
musiciens qui venaient se produire en petite formation comme Art Farmer,
Benny Golson, Johnny Griffin, Bud Powell, Dexter Gordon, Chet Baker… J’écoutais
des disques en boucle : d’abord du dixieland puis des orchestres middle
jazz, mais bien vite Parker, Miles Davis, Cannonball Adderley, Phil Woods, Coltrane, Bill
Evans, Eric Dolphy…Très
éclectique, j’écoutais avec la même passion de la Musique classique, des
groupes de Rock, du Blues, de la Soul, mais aussi
des chanteurs de variété comme tous les adolescents. Je tâtonnais également du
sax et de la flûte et je profitais de toutes les occasions pour essayer ces
instruments. Avec un copain pianiste, on a commencé à jouer nos premiers
standards qu’on repiquait laborieusement (pas de Real Book à l’époque).
1963 - les débuts à l’alto.
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J’ai eu
mon Prix de basson au Conservatoire de Montluçon, puis à l’École Nationale de
Clermont Ferrand. Je consacrais tellement de temps à la musique que j’ai bien
évidemment raté mon bac. J’ai donc redoublé en internat dans la Creuse. Mais
j’avais déjà envisagé de devenir musicien et de pratiquer plusieurs musiques et
plusieurs instruments proches. Rien que ça ! J’ai donc continué le basson
et la clarinette à l’École Nationale de Limoges et j’ai appris en autodidacte et
parallèlement sax et flûte. J’avais monté un petit groupe. J’y jouais surtout
de la clarinette (j’étais fan de Buddy de Franco) mais aussi un peu de ténor
et de flûte. En fait, je passais d’une musique à une autre, des conseils d’un
musicien qui me transmettait son savoir- faire à un autre et d’un instrument à
un autre. Mais je savais ce que voulais faire, et surtout, je savais ce que
je ne voulais pas faire.
La même
année, j’ai rencontré le trompettiste Ivan Jullien, formidable musicien et
arrangeur qui par la suite a eu une grande importance
dans ma vie. J’ai eu mon bac et l’été suivant j’ai vu et entendu à la fois Pablo
Casals au Festival de Prades mais aussi et surtout John Coltrane au Festival d’Antibes :
un choc incroyable lorsqu’il joua A Love
Supreme. Plus aucune hésitation, je serais musicien. Lors du même
été, on s’est produit avec un petit ensemble qu’on avait nommé Middle Jazz
Quartet dans un festival creusois où étaient venus s’égarer le trompettiste Donald
Byrd et le saxophoniste Nathan Davis. Nathan a été formidable avec moi et m’a
proposé de venir étudier avec lui à la rentrée à la « Paris American
Academy ». J’ai saisi l’occasion…
2006 - Retrouvailles avec Nathan
Davis
au Palais de l’UNESCO
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On rencontre cette constante dans
la vie d’artiste : Elle est vraiment orientée par les personnes
rencontrées, par les opportunités mais aussi par sa motivation, son projet
professionnel personnel et le travail. Donc tu es monté à Paris ?
En
effet, j’ai été admis en basson au Conservatoire de Versailles, considéré à
cette époque là comme l’antichambre du
Conservatoire de Paris. Toutes les classes étaient animées par des grandes pointures parisiennes. Le
professeur de basson, était Jean Louchez de l’Opéra Comique. Il avait un son
magnifique, très personnel. Sa conception du son et de sa projection, m’a
paradoxalement influencé pour tous
mes instruments. J’ai continué en même temps à jouer du sax, surtout dans
des groupes de Soul Music comme le King Set dont le chanteur était Michel
Jonasz, qui était déjà adorable et talentueux. C’était un style qui me plaisait vraiment, et puis le Jazz « moderne » que j’aimais était
moribond. Les clubs fermaient les uns après les autres ; le Free Jazz triomphait et ce n’était pas
du tout mon style. J’ai donc travaillé sérieusement sax et improvisation avec
Nathan Davis et Dominique Chanson (super saxophoniste et flûtiste) mais aussi
le travail spécifique en Big Band avec le trompettiste Roger Guérin ; un
homme et un artiste magnifique à qui toute ma génération doit beaucoup. Parallèlement,
j’ai réussi le concours d‘entrée au CNSM dans la classe de Maurice Allard,
basson solo de l’Opéra, un très grand ! Son assistant était Paul Hongne que nous adorions. Cet artiste, de
l’Opéra lui aussi, était un habitué des studios d’enregistrement dont il était le
bassoniste vedette. C’est lui qui m’a permis d’assister pour la première fois, en
auditeur, à une séance d’enregistrement et cela a été pour moi une révélation !
Les différents professeurs des classes de « bois » étaient aussi très
accueillants et j’ai pu assister notamment à plusieurs cours de sax du mythique
Marcel Mule.
Après ma
sortie du Conservatoire de Paris, j’ai fait des remplacements au basson dans différentes
formations symphoniques ainsi qu’à l’Opéra Comique. Mais
parallèlement je continuais à pratiquer d’autres instruments un peu dans
le Jazz, mais surtout dans la Soul et les variétés en cherchant à me
perfectionner sur chacun d’eux pour atteindre le but que je m’étais fixé, à
savoir être un poly-instrumentiste professionnel.
Mais tu jouais en fait de quel
instrument ? Et avec qui ? Tu ne vas pas me faire le coup du musicien
autodidacte qui apprend tout seul dans sa chambre mansardée ?
Oui et
non. Arrivé à maitriser le basson, je l’ai rapidement abandonné et je n’en
ai rejoué que ponctuellement. Cela était incompréhensible pour beaucoup ! Mais
j’étais passionné par le Sax qui est devenu par la suite mon instrument
principal. J’étais pratiquement autodidacte, avec plein de défauts alors que
j’en vivais déjà. Je suis allé voir Michel
Nouaux au Conservatoire de Montreuil qui m’a accepté dans sa classe avec
patience et générosité. J’ai progressé rapidement car j’avais un bon niveau de
clarinette et j’étais très motivé. Quant à
la flûte, j’étais également autodidacte. J’écoutais et me
débrouillais tout en prenant des défauts. Mes différents employeurs n’étaient
pas trop exigeants puisque j’étais un « sax
qui joue de la flûte ». Mais j’étais lucide sur mon niveau et j’ai toujours
voulu progresser. J’ai donc travaillé d’abord avec Roger Bourdin, puis avec
Robert Hériché à qui je dois tant ! Il venait à ce moment là de quitter
l’Opéra et était l’assistant de Jean-Pierre Rampal au CNSM. J’ai
vraiment une grande reconnaissance pour tous ces professeurs et artistes, pour
leur générosité, leur compréhension, leur tolérance à mon égard. Je ne les
remercierai jamais assez !
Mais tu jouais où ?
Au début, partout où on me demandait – à quelques exceptions près – mais j’ai toujours refusé de faire des bals. Je n’avais pas voulu devenir musicien pour faire ça. J’ai quand même eu ma dose de galères : les cabarets de Pigalle ou des Champs Élysées où on passait des nuits entières pour des salaires minables. Les clubs où on allait jouer à l’autre bout de la France et qui étaient fermés quand on arrivait, les petites séances d’enregistrement « à l’amiable » dont le chèque n’arrivait jamais et j’en passe. J’ai fait partie d’un groupe de Soul qui était assez populaire à l’époque : le Mayfair Group. Nous faisions les beaux soirs des clubs parisiens à la mode : le Bus Palladium, le Golf Drouot, le Club Saint Hilaire. Nous étions 3 cuivres et cette musique a été une très bonne école pour le jeu en section, le phrasé, l’articulation.
Au début, partout où on me demandait – à quelques exceptions près – mais j’ai toujours refusé de faire des bals. Je n’avais pas voulu devenir musicien pour faire ça. J’ai quand même eu ma dose de galères : les cabarets de Pigalle ou des Champs Élysées où on passait des nuits entières pour des salaires minables. Les clubs où on allait jouer à l’autre bout de la France et qui étaient fermés quand on arrivait, les petites séances d’enregistrement « à l’amiable » dont le chèque n’arrivait jamais et j’en passe. J’ai fait partie d’un groupe de Soul qui était assez populaire à l’époque : le Mayfair Group. Nous faisions les beaux soirs des clubs parisiens à la mode : le Bus Palladium, le Golf Drouot, le Club Saint Hilaire. Nous étions 3 cuivres et cette musique a été une très bonne école pour le jeu en section, le phrasé, l’articulation.
1967-Habillés par Renoma, s’il
vous plait…
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1968-Le Pacha Club à Louveciennes
avec
le chanteur américain Dave Lee Bynum
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1970-En club avec Guy Pons à la
batterie et Joël Fajerman
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Pratiquant
plusieurs musiques et plusieurs instruments, j’ai pu me permettre de choisir parmi les propositions. Je te
parle d’une époque où il y avait beaucoup de travail pour les musiciens, et
encore, bien moins qu’avant, selon les anciens.
Je voulais absolument découvrir des univers différents. C’est ainsi que
j’ai commencé à accompagner des jeunes chanteurs : Noël Deschamps, Vince
Taylor, Herbert Léonard, Monty, Dani, Christian Delagrange, Michel Delpech,
Sylvie Vartan (mon 1er Olympia), Alain Chamfort, Dick Rivers et des
vieilles gloires du Music hall (j’adorais ça) : Tino Rossi, Jean Sablon,
Marlène Dietrich, Gaston Ouvrard, Georgette Plana, Joséphine Baker…
1967-Salle Pleyel avec le
chanteur Noël Deschamps
en compagnie du saxophoniste Mam Houari
et du
guitariste Slim Pezin
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J’y ai pris goût, et par la suite j’ai
toujours adoré accompagner des chanteurs sur scène. J’ai joué avec des
chanteurs plus classiques mais très
populaires tels Annie Cordy, Georges Ulmer, Mireille Mathieu, Carlos, Gilbert
Bécaud, Jean-Jacques Debout, Charles Aznavour…Et puis surtout Johnny
Hallyday et Claude François, très différents l’un de l’autre, mais grands
artistes proposant de véritables Shows.
J’ai travaillé avec Thierry le Luron
et Coluche pendant plusieurs années et aussi avec Demis Roussos qui était
adorable avec les musiciens. Je l’ai accompagné à la flûte dans les endroits du
monde les plus insolites comme au pied des Pyramides d’Égypte, ou au Moulin Rouge de Bagdad devant Saddam
Hussein !
1978 Au théâtre du Gymnase. Un duo
improbable.
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1974. A
l’Olympia avec Thierry le Luron.
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Et
le Jazz dans tout cela ?
En fait
j’ai fait très peu de petites formations mais j’ai joué dans beaucoup de Big
Bands: Sonny Grey, Roger Guérin, Antoine Hervé, Ivan Jullien, Claude Cagnasso,
Martial Solal, Jean-Pierre Aupert, Jacques Bolognesi, l’Orchestre du Splendid, Bob
Dickson, Michel Legrand, Tito Puentes, François Jeannneau. Quel plaisir
incroyable de jouer en pupitre de saxophones ! Ça j’aime.
1994-Le Big Band de Roger Guérin,
notre « papa à tous »
avec Philippe Portejoie et Philippe Chagne.
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J’étais plus un accompagnateur ou un
musicien de pupitre qu’un pur jazzman
improvisateur et soliste de petite formation. Mais j’ai ainsi pu jouer avec
quelques unes de ces stars américaines de
passage à Paris pour un soir, qui vous permettent de vivre des moments où
l’on se demande, quel que soit son âge, si l’on ne rêve pas : Ray Charles,
Franck Sinatra, Donna Summer et même Raquel Welch !
1979. En petite formation au festival
d’Antibes. |
C’était
une vie de patchwork artistique dans les contextes les plus divers, du café-théâtre
des débuts avec Coluche, aux spectacles du Grand Magic Circus de Jérôme Savary,
en passant par l’Elysée avec Thierry le Luron, l’école du Mime Marceau, le
palais du Shah d’Iran avec la Comédie Française, le Parc des Princes avec Johnny
Hallyday, ou cet
immense club à Tokyo avec Sylvie Vartan, où on jouait en alternance avec Ella
Fitzgerald et le Big Band de Buddy Rich, etc… De vrais grands moments dans une
vie !
1990.Dixieland sur la scène du Théâtre
de Chaillot
pour la comédie Musicale « Zazou » de Jérôme Savary.
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1989. Ambiance de coulisses pendant le
Bourgeois Gentilhomme
de Savary à Chaillot. Je rejoue du Basson pour la
première fois depuis bien longtemps !
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1987. Aubade pour Monsieur Jourdain
(Michel Galabru)
toujours dans le « Bourgeois ».
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Chacune
de ces expériences m’a enrichi artistiquement et m’a toujours apporté quelque
chose. Ça m’a été infiniment utile lorsque j’ai participé à quelques unes de
ces grandes Comédies Musicales américaines jazzy (Hello Dolly, Cabaret, Kiss me
Kate, Singing in the Rain, etc…) où justement, il fallait savoir jouer
plusieurs instruments et plusieurs styles, du « para-classique au Jazzy ».
1983-« Super Dupont »
au Casino de Paris avec Savary.
Le sax, ça plait toujours…
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1997-Le
« Passe Murailles », comédie musicale de Michel Legrand
et Didier Van
Cauwelaert. Je joue : Sax ténor, piccolo, flûte, flûte en sol, clarinette,
clarinette basse. Nous remportons 3 Molières…
|
« Zazou » de Savary-
Molières 1990 au Châtelet
« Singing in The Rain »
à la Porte Saint Martin,
avec Pierre Schirrer et Jean-Louis Chautemps.
Quant
aux émissions de TV, la liste est longue: du Luron du Dimanche au Grand Échiquier
de Jacques Chancel en passant par les Champs
Elysées de Michel Drucker et bien d’autres. On y côtoyait et accompagnait
les artistes les plus divers, du débutant impressionné au grand professionnel
chevronné. Et on devait être prêt à jouer des choses extrêmes : quelques notes
d’accompagnement ou une partition sophistiquée. Dans ce métier, il faut s’attendre
à tout. C’était cette variété, sans jeux de mots, qui me plaisait.
1972. Émission TV avec Dalida
|
Émission TV avec Claude François
|
Coluche « je ne sais
plus » 1977
Émission Jacques Martin-Théâtre de l’Empire.
(Pour voir en grand cliquez en bas à droite de l'écran, dès qu'une main apparaît).
Mais comment intégrait-on ce
réseau assez fermé de musiciens talentueux ?
On rencontrait d’autres musiciens avec des niveaux et des cursus très différents. Certains musiciens en place étaient des seigneurs…Il fallait faire ses preuves sur le tas. On ne te demandait pas tes diplômes comme dans le classique mais il fallait montrer sa technique, son style, sa souplesse, son sens artistique. On commençait modestement à se faire intégrer à travers un remplacement, un concert, une tournée, un enregistrement. On se faisait repérer si on était bon, sympa, et disponible. Peu à peu on était admis et le réseau s’étoffait. Souvent, au début, on faisait appel à toi en catastrophe pour un remplacement situation très délicate mais si tu assurais, tu étais ainsi reconnu dans le circuit. Les autres musiciens, les arrangeurs, les chefs d’orchestre, les vedettes ou leurs producteurs te demandaient. Ceci dit, même s’il y avait beaucoup de travail, les places étaient chères. C’était un milieu fermé, pas forcément solidaire, où les affinités jouaient un grand rôle, un milieu plutôt joyeux, mais très professionnel au moment de jouer.
On rencontrait d’autres musiciens avec des niveaux et des cursus très différents. Certains musiciens en place étaient des seigneurs…Il fallait faire ses preuves sur le tas. On ne te demandait pas tes diplômes comme dans le classique mais il fallait montrer sa technique, son style, sa souplesse, son sens artistique. On commençait modestement à se faire intégrer à travers un remplacement, un concert, une tournée, un enregistrement. On se faisait repérer si on était bon, sympa, et disponible. Peu à peu on était admis et le réseau s’étoffait. Souvent, au début, on faisait appel à toi en catastrophe pour un remplacement situation très délicate mais si tu assurais, tu étais ainsi reconnu dans le circuit. Les autres musiciens, les arrangeurs, les chefs d’orchestre, les vedettes ou leurs producteurs te demandaient. Ceci dit, même s’il y avait beaucoup de travail, les places étaient chères. C’était un milieu fermé, pas forcément solidaire, où les affinités jouaient un grand rôle, un milieu plutôt joyeux, mais très professionnel au moment de jouer.
Et c’est là qu’intervient la vie
de musicien de studio si particulière. Peux tu me dire ce qu’était la vie
de musicien de studio ?
Ah,
les musiciens de studio ! Ils ne sont pas forcément connus du grand public
mais tout le monde, un jour ou l’autre, a eu leur son dans l’oreille. Ils ont
contribué au triomphe des plus grands chanteurs et ont souvent aidé à la
réussite des moins bons ! En tous cas, ils ont grandement contribué à la
vente de millions d’albums.Travailler
en studio. C’était un de mes rêves ! Je suis arrivé à la fin de cette
époque dorée qui avait coïncidée avec l’arrivée du « microsillon » et
pendant laquelle les « requins » de studio faisaient trois séances
d’enregistrement par jour et jouaient le soir dans les théâtres nationaux ou
dans les music hall. C’était
déjà une race en voie de disparition (c’est bien pire aujourd’hui). Sympathiques
ou non, la quasi totalité d’entre eux était d’une rare compétence qui forçait
le respect. Par
contre c’était un milieu « chasse
gardée » et arriver à s’y glisser n’était pas si simple. Les
arrangeurs attendaient de nous qu’on soit totalement professionnels, c’est à
dire déchiffrer sans problème, être très intuitif, comprendre le plus vite
possible ce qu’ils voulaient et bien sûr jouer juste et avec une mise en place
précise. Les musiciens à qui l'on faisait le plus appel dans les studios,
surtout pour les cordes et les bois étaient pour la plupart membres des grands
orchestres de la capitale, que ce soit l'Opéra, le National, l'Orchestre de
Paris ou la Garde Républicaine. Pour les saxes c’était un peu différent, mais
il y avait une notion de pupitre, avec
des musiciens très compétents, la plupart ayant suivi des études classiques de haut niveau, mais ayant également
beaucoup pratiqué le Jazz en Big Band et dans ces grands orchestres de Music
hall (Jacques Hélian, Ray Ventura, etc..) et constituaient une véritable caste
aristocratique. C’est là qu’ils avaient appris à mettre en place et à phraser.
Studio
« Plus 30 » pour Johnny Halliday. Je ne m’apprête pas à lancer au
loin mon précieux Mark VI, je me relaxe…
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1969-Studio
Davout, séance au Piccolo
(casque d’époque)
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Enregistrement
en « section » de saxes.
De g à dr : Vincent Chavagnac, Alain
Hatot, B.D et Gilles Miton.
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J’ai
beaucoup appris sur le plan instrumental au contact des musiciens de studio. C’est
dans les studios que j’ai pleinement réalisé ce que devait être un véritable
musicien professionnel. Les arrangeurs et les producteurs attendaient qu’on
travaille vite et bien ! L’heure de studio coûtait une fortune et il
fallait réussir de suite car on ne travaillait pas encore au forfait !
Malheur à celui qui arrivait en retard au studio ! ( je me rappelle encore
de ma peur, à cause d’un retard, pour l’enregistrement de l’Été Indien de Joe Dassin ! Heureusement,
l’équipe de production était plus en retard que moi !)
Faire de la scène,
être un improvisateur de jazz en petit formation, jouer en Big Band en lisant
des partitions, enregistrer en studio sont des facettes bien différentes et peu
sont par exemple jazzmen et musiciens de studio non ?
Contrairement
à ce que je croyais quand j’étais ado, il y avait très peu d’authentiques jazzmen
dans les studios, excepté bien sûr des musiciens comme Roger Guérin, Ivan
Jullien, Benny Vasseur récemment disparu, Pierre Gossez, Georges Grenu,
Dominique Chanson ou Jean-Louis Chautemps. Il y avait surtout des musiciens adaptables et excellents comme Michel
Portal, connaissant admirablement des styles diamétralement opposés. On
gagnait très bien sa vie dans les studios, à condition de faire partie du
réseau de ceux qu’on appelait les « Requins », avec plus de jalousie
que de moquerie. Des musiciens aiguisés
qui étaient capables de jouer dans n’importe quel style avec une technique
confirmée leur permettant dans une même journée, de passer d’un studio à
l’autre. Une
séance d’enregistrement durait trois heures avec un quart d’heure de
pause. Tout ça était très codifié : il y avait trois horaires de séances
par jour : 9h-12h, 14h-17h, 17h-20h avec tout un système de pourcentages, de
suppléments en partant d’un tarif de base. Par
exemple celui qui faisait un chorus ou bien celui qui jouait dans une même
séance 2 instruments était mieux payé. Celui qui jouait de la flûte en sol
aussi !… Il y avait aussi, très apprécié des musiciens mais bien évidemment redouté des
producteurs, le quart d’heure
supplémentaire ! Sujet de grandes controverses… qui intervenait dès
midi pile, dix sept heures ou vingt heures. Sans oublier les tarifs des séances
de nuit, bien mieux payées.
Mais vous composiez
quand même un orchestre informel à géométrie variable avec globalement les
mêmes musiciens qui se retrouvaient en fin de compte ?
J’ai
connu très rarement l’enregistrement d’un orchestre en entier qui permettait
une grande notion d’ensemble. Le
studio, je l’ai pratiqué au départ à travers les miettes que nous laissaient
les aînés et un remplacement de temps en temps dans une équipe déjà constituée.
Puis de nouveaux arrangeurs ont fait leur apparition. Ils ont constitué leurs
propres équipes après avoir dans un premier temps fait appel, par sécurité, aux
musiciens déjà en place. J’ai
été admis car je savais bien lire, je comprenais assez vite et j’aimais
travailler et jouer des styles très différents. Également,
j’avais au sax un son un peu nouveau, proche d’une conception différente des modèles de l’époque. J’étais
copain avec plusieurs arrangeurs qui faisaient régulièrement appel à moi. Je
n’étais pas un pilier dans les
équipes de base des grands arrangeurs, mais j’avais une souplesse d’adaptation
et un métier qui me permettaient de m’y intégrer facilement s’il le fallait.
Puis le Play Back est arrivé, et avec cette
méthode une toute autre façon de travailler. Comment as tu vécu cette
mutation ? et les nouvelles
technologies n’ont – elles pas modifié le métier ? Nous l’avons vu pour la
musique de film.
Le
Play Back existait déjà quand j’ai
commencé à faire du studio. Soit tu travaillais dans un ensemble de soufflants, soit tu étais tout seul
devant le micro. Dans ce cas, il ne s’agissait pas d’être un grand virtuose
mais d’être malléable et de savoir se positionner dans un Play-Back derrière un chanteur pour le magnifier, le faire
rayonner. Il fallait bien sûr faire preuve de goût, mais être aussi capable
d’humilité pour servir un projet commun. Tu
devais parfois enregistrer des sons bizarres
(pour une musique de film ou une pub par exemple), faire un contrechant,
trouver un gimmick. Je venais quelquefois avec un grand sac d’instruments ethniques
différents et je m’adaptais à la demande. Dans ce
métier, il faut être flexible avant
tout et prêt à répondre à toutes demandes aussi bien au service de musiques
parfois simples, que d’autres fois avec des arrangements sophistiqués. Depuis
longtemps déjà, c’est vrai, l’ingénieur du son et le numérique ont acquis un
rôle très important. On peut réparer
ou modifier bien des choses et le copier-coller
est devenu un outil précieux. Comme je jouais de plusieurs instruments et que
j’avais fait beaucoup de studio tout au long de ma vie, j’ai pu m’adapter
facilement. Certains sons et certains effets
sonores sont venus enrichir la
musique et parfois celle ci se fabrique plus avec l’ordinateur et le Home
Studio qu’avec des instruments !
En plus de ta vie de musicien
atypique, tu as été aussi professeur ?
A un certain moment de ma vie, j’ai éprouvé le besoin de transmettre, d’essayer de redonner un peu de ce que mes différents professeurs m’avaient si généreusement fait découvrir, de partager ! J’ai enseigné dans plusieurs écoles de Jazz parisiennes (IACP, ARPEJ, CIM) aux Conservatoires de l’Haÿ les Roses et de Palaiseau où j’étais responsable du département « Jazz et Musiques actuelles » . J’ai eu la grande chance d’avoir comme élèves Xavier Richardeau, le grand flûtiste italien Michele Gori et Pierrick Pedron qui est pour moi un des meilleurs sax alto européens. J’ai même été le prof de sax et d’ensemble Jazz de René Pierre ! c’est dire….("Moquerie injuste à l'encontre d'un jazzman amateur")
A un certain moment de ma vie, j’ai éprouvé le besoin de transmettre, d’essayer de redonner un peu de ce que mes différents professeurs m’avaient si généreusement fait découvrir, de partager ! J’ai enseigné dans plusieurs écoles de Jazz parisiennes (IACP, ARPEJ, CIM) aux Conservatoires de l’Haÿ les Roses et de Palaiseau où j’étais responsable du département « Jazz et Musiques actuelles » . J’ai eu la grande chance d’avoir comme élèves Xavier Richardeau, le grand flûtiste italien Michele Gori et Pierrick Pedron qui est pour moi un des meilleurs sax alto européens. J’ai même été le prof de sax et d’ensemble Jazz de René Pierre ! c’est dire….("Moquerie injuste à l'encontre d'un jazzman amateur")
2008- Au « Duc des Lombards » où mon idole
Phil Woods et mon élève et ami Pierrick Pedron viennent de se produire
ensemble. Je me sens comme un « passeur »…
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Quels conseils donnerais tu à un
jeune musicien désireux de jouer comme toi plusieurs instruments ou de
faire ce métier?
Même
s’il n’est pas très fréquent en France de pratiquer mon métier, je connais
plusieurs excellents musiciens qui jouent ou ont joué Sax, flûte et
clarinette. Et puis il y a eu de grands
aînés. Jo Hrasko par exemple, un des plus grands lead-alto que j’ai rencontré (un
habitué des studios !) qui jouait ces 3 instruments et qui lui aussi avait
son Prix de Basson du CNSM. Le seul conseil que je me permettrais de donner est d’avoir « un instrument
principal » sur lequel on tâche d’acquérir le meilleur niveau possible. Ensuite
on aborde les autres instruments secondaires avec des professeurs qui vous
aident, qui contrôlent, qui voient si on ne s’est pas décalé en quoi que ce soit. Il est tellement facile de prendre des
défauts dont on a beaucoup de mal à se défaire. Quant
on est un « doubleur » comme disent les américains, on mène une vie
d’équilibriste. On doit garder le même niveau de qualité sur chaque famille
d’instrument ! Se tenir au courant de l’évolution, écouter les grands
représentants de chaque instrument, pratiquer inlassablement et privilégier tel
ou tel instrument en fonction de ce qu’on doit faire dans un avenir proche. Quant
au matériel choisi, c’est très délicat, il s’agit de trouver les instruments
les plus compatibles possible, afin
de pouvoir les enchaîner facilement.
On passe donc un certain nombre d’années à rechercher cet équilibre d’un
ensemble d’instruments idoine ! Et puis on n’en bouge plus ou très peu. C’est ainsi que mes instruments
ont été, en ce qui concerne la clarinette : la Centered Tone de Selmer, puis la Série 9, La 10 S et la Récital. Pour le basson : Buffet
Crampon bien évidemment. Et pour les flutes : Muramatsu, Haynes et Louis Lot…Pour les saxes : J’ai toujours également joué Selmer (
Mark VI ou Super Action 48). Mon saxophone préféré reste mon vieil alto Mark VI que m’avait procuré Dominique
Chanson quand j’avais 18 ans. Il le tenait lui même… d’Eric Dolphy !
Et puis
il faut savoir lire, transposer, connaître l’harmonie et… savoir jouer ensemble
c’est à dire les bases de la musique !
Ce qui m’étonne, c’est que toi,
le touche à tout de talent, le poly-instrumentiste, capable de jouer toutes
sortes de musique et de bon niveau, on te connaît aussi dans le milieu musical
comme un des plus grands collectionneurs de flutes Lot ?
Coluche
m’appelait « le collectionneur ». Il avait dû flairer quelque
chose ! (Rires) Oui, j’avoue,
je suis un collectionneur de flûtes de marques françaises et surtout d’un
facteur nommé Louis Lot. Ce personnage incontournable pour qui s’intéresse à
l’histoire de la flûte « moderne » a traversé tout le 19° siècle,
période bouillonnante de recherches et de transformations importantes dans tous
les domaines.
Flûte
de Louis Lot n°456 fabriquée en 1860.
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Je suis
« entré en collection » d’une drôle de façon. Au début où je prenais des cours avec Robert
Hériché, j’ai rapporté d’une de mes tournées au Japon, une des premières flûtes
Muramatsu. Elle me plaisait bien. Puis j’ai racheté à un copain une vieille
Louis Lot qui n’était plus jouable. Je ne connaissais pas du tout cette marque.
Hériché m’a immédiatement conseillé de la faire remettre en état ! Et ce
fut le coup de foudre ! Cet instrument qui portait le n°6696 datait de
1900, d’une marque que presque plus personne n’utilisait mais qui me convenait parfaitement.
Je l’ai jouée pendant des années aussi bien sur scène qu’en studio. En 1983, on
me l’a volée dans le métro.
Janvier
1983- Paris, « Théâtre de l’Odéon». Photo prise la veille du vol de ma Lot n° 6696. |
Ce fut
un véritable chagrin d’amour ! Mais, tout
en la recherchant (je ne l’ai jamais retrouvée) j’ai cherché à savoir qui était
ce fameux Louis Lot, puis les autres grands facteurs de son temps (Clair
Godfroy, Bonneville, Rives, Lebret…). Ensuite je me suis intéressé à l'histoire
de la grande École française de flûte fondée par Louis Dorus professeur au
Conservatoire de Paris en 1859 et à tous ses grands représentants ; tout
cela en commençant à collectionner les instruments et surtout à rechercher MA
Lot ou tout au moins une qui lui ressemblerait ! Ça a été
le début d’une grande passion. J'ai continué mes recherches sur les flûtes et les
flûtistes et j'ai écrit une série d'articles publiés dans différentes revues
internationales spécialisées. La quasi totalité des grands flutistes français, depuis
Dorus et Paul Taffanel, puis américains ont joué sur des Lot dès le XIXème
siècle. La Lot en or de J.P. Rampal, exemplaire unique fabriquée en 1869, a joué
un grand rôle dans son extraordinaire carrière.
Chez Jean-Pierre Rampal avec sa
Louis Lot,
la seule jamais
fabriquée en or !
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J’ai construit
ma collection, et j’ai
maintenant une collection de flutes Lot que bien des musées m’envient. Mais j’ai
dû faire pas mal d’enregistrements, de tournées et aussi beaucoup de recherches pour m’offrir ces flutes !
1995 : Dans le bureau de Jean Pierre Rampal. |
Maintenant tu es à la retraite,
fais tu encore de la musique ?
J’ai
arrêté mon activité au Conservatoire l’année dernière, mais oui bien sûr je
joue toujours. Comment un véritable musicien pourrait il s’en passer… J’ai bien
aimé ton article « vivre vieux et
mieux grâce à la musique » sur ce blog.
Maintenant
je joue surtout de la flute. Je fais partie d’un groupe de musique brésilienne et
je continue d’enseigner : saxophone, clarinette et flûte au CIM. Je ne
joue plus de basson depuis bien longtemps, mais j’adore en écouter (je parle du
basson français, pas du fagott).
Mais jouer Bach ou de la
musique latine pour le plaisir, faire encore une TV avec l’un ou l’autre, faire une séance de studio de temps en temps restent
valorisant, gratifiant et jouissif !
2011-Tournage
de la série TV « Une famille formidable ». Annie Dupérey et Patrick
Préjean ne semblent pas apprécier ma façon de jouer…
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Et puis
il y a désormais les conférences. Je suis vice président de l’association
Jean-Pierre Rampal. Avec mon
ami Denis Verroust, nous présentons une conférence sur le plus grand flûtiste
classique du XX° siècle. Je présente également une conférence sur Louis Lot et
tous les grands flûtistes qui ont joué ses instruments et fait rayonner à
travers le monde « l’École française de flûte ».
Je ne peux pas non plus ignorer l’importance des réseaux sociaux. Ils m’ont permis de retrouver plein de partenaires d’une vie de musicien bien remplie. Des gens avec qui on partage beaucoup pendant une période donnée, avec qui on ne reste pas forcément en rapport parce qu’on change « d’aventure musicale ». Il y a quand même un noyau d’amis musiciens qu’on a côtoyé et retrouvé tout au long de sa vie dans des contextes bien différents.
2014-Genève-Quelques
flûtes de ma collection Louis Lot.
Je ne peux pas non plus ignorer l’importance des réseaux sociaux. Ils m’ont permis de retrouver plein de partenaires d’une vie de musicien bien remplie. Des gens avec qui on partage beaucoup pendant une période donnée, avec qui on ne reste pas forcément en rapport parce qu’on change « d’aventure musicale ». Il y a quand même un noyau d’amis musiciens qu’on a côtoyé et retrouvé tout au long de sa vie dans des contextes bien différents.
Été 2015-Retrouvailles avec un
vieil ami :
le pianiste et arrangeur Guy Guermeur.
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Dans toutes ces retrouvailles, il y a très peu ou pas de nostalgie mais simplement le plaisir d’évoquer des moments plus intenses que d’autres : soit pour la qualité musicale et le souvenir de complicités particulières, soit pour des galères d’anthologie. Il y a aussi les retrouvailles spécifiques : entre ceux qui ont travaillé avec tel ou tel artiste. Parmi les plus sympas, il y a les rencontres régulières entre les membres de la troupe de Claude François. Il a vraiment réussi à fédérer beaucoup de monde-musiciens-choristes-Clodettes-techniciens et même plusieurs générations de fans.
Ceux qui ont vécu vraiment avec
ces artistes, ou partagé certains évènements directement ne parlent que
rarement. C’est pour cela que je fais actuellement des interviews pour
rencontrer les vrais acteurs (cf
article Badini, article buffet crampon…). Mais
quand tu racontes un peu ta vie, ton ami Coluche revient souvent.
Je sais
bien… (rires)… Mais c’était un personnage tellement hors du commun. Il était
mon boss mais surtout un véritable
ami. Je faisais partie de sa « bande », de ceux qui pouvaient se présenter
chez lui le soir, même sans prévenir, pour dîner. J’ai vécu là des soirées
mémorables où se côtoyaient aussi bien ses amis d’enfance que des stars de tous
horizons ou des personnages totalement allumés.
Photo prise par Coluche après un
dîner chez lui.
Retrouvez qui est qui… (Cabu, Gérard Lanvin, Philippe Bruneau,
Thierry Lhermitte, Aldo Martinez-ex bassiste
des Chaussettes Noires-, votre
serviteur…
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J’avais
commencé avec lui au café théâtre. Je suis resté jusqu’à la fin. Je dirigeais son
orchestre et c’est moi qui accordais chaque soir le petit violon avant qu’il en
joue avec ses gants de boxe ! Paradoxalement, il m’a aussi apporté quelque
chose sur le plan musical. Il nous faisait participer à quelques sketches (j’en
ai même enregistré un en duo avec
lui : Le qui perd-perd). Il m’a
appris comment placer une réplique dans un dialogue. C’était très intéressant et
ça pouvait tout à fait s’appliquer à la musique.
Photo prise lors de
l’enregistrement du sketch « Le qui perd perd »
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Coluche « Qui perd perd »
Mais des
chanteurs ou des artistes de tous bords, il y en a eu bien d’autres ! Et
là, si je commence à les passer en revue, j’écris un livre rien qu’avec
les anecdotes et il y en a eu des croustillantes ! En fait,
à part quelques solistes à l’égo
surdimensionné comme on en trouve dans toute société, les musiciens sont plutôt
des gens travailleurs et perfectionnistes, conscients de leur valeur, mais
relativement humbles et toujours désireux d’apprendre, de découvrir, de
partager. Et cela aussi bien en studio que pour la scène. Ceux qui m’ont le
plus impressionné sont ces autodidactes surdoués qui ont su atteindre le
meilleur niveau, grâce à leur passion et à leur travail. J’en en connu un
certain nombre, surtout dans les sections rythmiques, mais aussi parmi les soufflants
tel mes vieux amis Alain Hatot et Michel Gaucher, deux saxophonistes pour qui
j’ai toujours eu la plus grande admiration ! Les musiciens classiques jouent
souvent dans la fosse, nous bien souvent on nous devine car les projecteurs sont plutôt braqués sur la vedette (Bécaud par exemple habillait entièrement de
noir ses musiciens pour qu’ils se fondent
dans la pénombre). D’autres, par contre, tiennent à avoir les musiciens près
d’eux, se comportant comme des solistes à leurs cotés. Ceux là nous présentent
au public, nous mettent en valeur et nous laissent prendre des solos. Question
de style et d’esprit du chanteur, question de style musical et de mode
également. La première fois où je me suis retrouvé sur scène avec Johnny
Hallyday (Palais des Sports 1976…) j’étais
sidéré. Il nous a présenté à la fin du spectacle, un par un et il a ajouté « Et le chanteur du groupe ; Johnny Hallyday ». Je
n’en revenais pas ! Mais lui, c’est spécial, côté complicité sur scène
avec les musiciens, j’ai rarement connu mieux !
Johnny
Bercy 1987 « Toute la musique que j’aime »
En fait,
quand tu accompagnes des chanteurs, il y a de tout, comme dans n’importe quel domaine
professionnel : du débutant approximatif qui se prend déjà pour une star, à l’artiste fascinant qui t’emmène et te donne envie de lui donner
encore plus. Certains
méprisaient le monde du jazz et des variétés, surtout dans le milieu classique
à une certaine époque que je pense révolue. En fait, c’est parmi le travail de studio
pour les chanteurs que j’ai pu constater le plus de perfectionnisme, de
recherche inlassable du petit détail « qui tue », du souci de la plus
grande précision tant sur le plan rythmique que sur le son d'ensemble pour l'équilibre avec la voix. Plus la
musique est simple, plus le moindre défaut est visible.
Que retiens tu de toutes ces
décennies ?
Comme je te l’ai dit, je savais ce que je ne
voulais pas faire. J’ai passé une vie de saltimbanque et j’en ai bien vécu. J’ai eu la chance d’exercer une
activité que j’avais choisie et celle de ne jamais manquer de travail. En effet, j’ai toujours enchaîné les engagements les plus divers
et le plus souvent passionnants sans avoir à prospecter. Mon métier m’a permis de vivre des moments uniques sur
le plan des rencontres artistiques et des émotions les plus diverses. J’ai
effectué des tournées dans des pays lointains. J’ai rencontré des gens que je
n’aurais jamais rencontrés autrement et je me suis retrouvé dans des situations
que je n’aurais pas connues si je n’avais pas été « Artiste
Musicien ». Que demander de plus…
Printemps 1997-Théâtre des
Bouffes Parisiens avec Michael Jackson, Michel Legrand, Isabelle Georges et le grand metteur en scène Stanley Donen… |
As tu des regrets ?
Les regrets, qui n’en a pas ! Mais globalement
j’ai eu tellement de
chance. Une chose peut être, j’aurais adoré animer une classe réservée aux poly
instrumentistes comme cela existe aux USA. Un projet qui n’a malheureusement intéressé aucune des différentes structures où j’ai pu enseigner. Ah,
si ! Un regret. Quand je jouais avec mon groupe de Soul Music : le
Mayfair Group, nous avons fait la première partie du groupe anglais The Moody Blues pour leur tournée
française. Ils venaient de sortir leur
tube planétaire Nights in White Satin
dans lequel il y a un solo de flûte. J’étais devenu copain avec Ray Thomas le
flûtiste du groupe. A la fin de la tournée il m’a proposé d’échanger nos
flûtes. La mienne était quelconque mais je l’aimais bien. J’ai dit non… Ça, oui
je le regrette, mais ça doit être le collectionneur qui parle…
1968 - En première
partie de la tournée française des Moody Blues.
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Pour
terminer j’aimerais bien citer 2 phrases. Une que tu m’as rapportée, qui vient
de ta pianiste de mère : « Je
plains ceux qui n’aiment pas la musique, ils ont une vie bien triste. »
et une de mon cher grand père : « Hier,
aujourd’hui et demain : 3 belles journées ».