Pages

samedi 14 juillet 2018

Plage et Musique : Préparons nos vacances. "Aller à la plage : de la peur au plaisir".

J.D. Touroude 
(d’après la conférence de J. D.  Urbain professeur à la Sorbonne à Royan Mai 2018).

Aller à la plage est un phénomène récent et il faut l’analyser comme un fait d’évolution de la société. En effet pour nous actuellement aller à la plage, se baigner, est devenu un acte banal mais qui n’était pas naturel auparavant. Mais comme toutes les habitudes acquises, on ne réfléchit plus sur ce fait. Analyser ce phénomène nous change le regard quand nous irons désormais à la plage ! Comment est-on passé d’une conception négative de la mer et de la plage à son opposé en un siècle ! La plage et la mer pour l’homme sont assez ambivalentes. D’abord, la mer était une source de danger, menaçante (pirates , naufrages, noyades, tempêtes, aux limites peu connues, opaque donc stressante et à la profondeur parfois abyssale où devaient se loger des monstres (le film les dents de la mer va réactiver cette peur originelle et son succès va montrer qu’elle reste présente) la mer étant l’endroit où on ne maîtrise plus sa vie (exemple Ulysse et l’Odyssée…)
Malgré ces phobies, la mer va fasciner justement à cause du besoin, propre à l’homme, d’aventures, de braver les dangers, de repousser les limites et de vivre des émotions diverses. Les navigateurs, les marins de commerce et militaires et les pêcheurs, malgré les risques mortels, vont essayer de vivre avec cet élément aux dangers multiples. 
Et puis la mer a aussi ses bienfaits : les pêches (à pied, côtière, hauturière, les marais…) qui permettent de se nourrir, l’eau salée d’où on extrait le sel pour conserver les aliments, la mer qui aussi permet de s’enrichir (pillage d’autres contrées, naufrageurs…). Le littoral et la mer ont aussi leur beauté avec les luminosités changeantes louées par les peintres (par exemple Monet) la musique (Debussy), les poèmes, la mer bleue des affiches, l’exotisme des îles (de la Corse, la Grèce ou Tahiti vantées aussi bien par Gauguin que le Club Med…). La mer comme le reste de la nature est domestiquée par l’homme (enfin il le croit) d’où l’aquaculture, la sérénité de la mer calme et de la marée régulière et toujours recommencée (nous sommes loin des peurs ancestrales !), même la tempête est génératrice de photos, de promenades etc…Il existait auparavant une atmosphère au bord des rivières (les guinguettes du bord de Seine, de la Marne où les dimanches on venait s’amuser, se promener en bateau, se baigner en eau douce, illustrées par les impressionnistes, les baigneuses nues, l’atmosphère bucolique et décontractée, les amis buvant, jouant .... Mais la mer, à l’époque, on la regarde, on se méfie, on se trempe avec réticences.
Puis nous sommes passés de la culture de l’eau douce à l’eau salée Avant on se baignait dans l’eau douce des rivières et des étangs qui étaient proches et non pollués voire on vantait les bienfaits des sources thermales, désormais nous sommes friands de la culture de l’eau salée et des bords de mer si possible lointains ! Le littoral est le bout du monde (par exemple le Finistère : fin de la terre) où se cachent des populations pauvres et/ou pourchassées (les protestants dans le pays royannais). D’ailleurs les populations sont surtout tournées vers l’agriculture et l’élevage et sont souvent dos à la mer se protégeant des furies de la mer.(exemple la Corse). Face à l’évolution des villes, le littoral reste en retard dans une autarcie loin de tout (sauf les grands ports qui au contraire sont ouverts au monde et à ses influences diverses). Actuellement nous voyons l’inverse : les gens veulent vivre sur le littoral, le plus près du bord de mer, les plages sont envahies de maisons pieds dans l’eau et il a fallu la loi protégeant le littoral, (paillotes sur la plage….). La vue sur mer est coûteuse, des villages sur pilotis dans la mer se créent de plus en plus (Maldives…). Cette idée de bout de la terre ou d’île reposante en marge de la grande ville stressante devient essentielle. 
En France, 35 millions de personnes se concentrent sur 4% du territoire national l’été. Ce tropisme balnéaire qui était de 1 personne sur 400 passant ses vacances à la mer en 1900, est passé à 1/40 en 1936 et ½ actuellement. Pour fidéliser les différents publics, les stations balnéaires sont créatives : Des sports nautiques chaque année sont inventés pour les jeunes (les sports de glisse ont le vent en poupe !) le climat doux et agréable des bords de mer attire les retraités (Nice, Royan….) avec nombre d’expositions, conférences et sorties culturelles vantant la région,  les colonies de vacances et maintenant les clubs d’enfants sont légions et puis les stations balnéaires offrent des loisirs en permanence aux touristes badauds pour animer les villes. Face à cette manne financière il existe des rivalités pour capter les clientèles notamment entre le sud de la mer la Méditerranée où le soleil cuit et entraîne une lascivité (Espagne, Grèce, Côte d’azur, Riviera et les plages du nord plus stimulantes et froides de l’océan atlantique avec des vagues qui cinglent… mais aussi entre la France et les autres pays…Comment est-on arriver à ce changement de paradigme ! Plusieurs révolutions vont modifier les choses et les opinions sur la mer et la plage et changer ce monde stable : un événement majeur c’est l’apparition du train, puis des routes (la célèbre Nationale 7), les bateaux (qui reliaient Bordeaux et Royan etc…). Ces moyens de transport vont désenclaver le littoral, (mais aussi la montagne et les campagnes isolées).


Le littoral hostile et méprisé va devenir à la mode : c’est l’apparition des stations balnéaires : (Royan ou Arcachon pour les bordelais, Deauville pour les parisiens, Brighton pour les londoniens, Miami pour les américains…. et la Méditerranée va devenir la côte d’azur avec son climat doux pendant l’hiver (on plante des palmiers, des plantes grasses exotiques pour orner et renforcer l’aspect sudiste, la côte basque (Biarritz , Hossegor…) où les puissants de ce monde du XIXème siècle vont établir des villas superbes, des casinos, des promenades, des loisirs chics, créant une économie du tourisme pour les natifs malgré les chocs culturels entre urbains et peuples du littoral et entre classes sociales aisées et classes populaires pauvres. La mer va devenir aussi une envie puis un besoin de la bourgeoisie petite ou grande (avec la maison de vacances où se retrouve la famille élargie pendant les mois d’été) pour imiter la mode. La station balnéaire est aussi un espace de loisir, de farniente, de modification des habitudes de vie et pour certains c’est un lieu de vacances pour les privilégiés qui se retrouvent. Les voyages, la publicité par les affiches vont fleurir avec le train bleu pour la Méditerranée, le train rouge pour Léo Lagrange voulant démocratiser les plages et la mer pour les classes populaires, le train jaune « appelé train des cocus » aussi pour les maris qui ne viennent que les weekend et laissent leurs femmes pendant la semaine dans ce lieu de perdition qu’est devenue la plage où les corps se montrent de plus en plus… et dont les dragueurs (dragueuses)  ont fait leur terrain de prédilection. En fait ce sont tous des trains du loisir, du voyage, du désir d’ailleurs, de liberté, de changement des habitudes, de changement d’air, de climat et d’environnement, mais aussi de fréquentations



La plage commence à devenir le lieu ou les corps se dénudent et cette érotisation est un facteur du succès rencontré, des vêtements plus légers et souples (fin des corsets, et bientôt de tous les vêtements contraignants!), une vie de loisirs, de plaisirs différents (glaces, chichis, cacahuètes et mascottes vendues sur la plage…  ). Le sport se développe aussi (sports nautiques : natation, voile et sports sur la plage : croquet, volley…). Le grand alibi pour aller dans les stations balnéaires c’est la santé ! et on inverse les notions antérieures car l’idéologie nouvelle est que la mer soigne tout ! Le bain de mer a désormais des bienfaits ! : l’eau salée iodée concurrence les stations thermales, la nourriture basée sur des poissons et produits de la mer sont recommandés… La mer est devenue thérapie. On rassure, on sécurise au maximum pour supprimer la notion de danger. La mer transparente est sans danger (mode des piscines d’eau de mer chauffée, lagons où on a pied, plage en pente douce avec maîtres-nageurs et surveillants secouristes, bouées de sauvetage, leçons de natation, délimitation des zones où on perd pied etc…Les bains de soleil : la peau blanche cachée et si prisée n’est plus à la mode. Le bronzage (solarium thérapeutique) fait son apparition mais il faut se démarquer du bicolore des ouvriers en « marcel » ! On va donc bronzer sur de plus en plus de parties du corps qu’on dévoile peu à peu. L’ évolution du maillot en est l’illustration : costume belle époque, des cabines roulantes puis les tentes de déshabillage, puis des maillots laissant les bras et mollets nus, puis commence l’évolution du corps à moitié montré, à moitié caché qui érotise et permet une certaine sensualité. On va se montrer en maillots d’une pièce moulant les formes pour les femmes, le slip de Tarzan pour les hommes ne cachant rien de leur virilité (« le moule bite »), puis le maillot raccourci en deux pièces de plus en plus petites jusqu’au bikini de Brigitte Bardot qui raccourcit encore avec le string et le monokini avec les seins nus voire la vogue du naturisme. Le soleil a donc aussi des bienfaits ! et c’est la mode de l’héliotropisme (cette notion devient de plus en plus prégnante et s’accentue : on organise ses vacances selon la météo dorénavant !). Le bronzage jusqu’alors méprisé car révélateur d’appartenance à des classes sociales inférieures (paysans et ouvriers du bâtiment) devient tendance avec Coco Chanel en 1930. Mais trop de soleil brûle la peau, l’ambre solaire protectrice est inventée par le fondateur de L’Oréal ! qui fait fortune.
La plage en libérant les corps permet le sport et le fait de se dénuder devant tous oblige à prendre soin de son esthétique et de son corps qui sera vu par beaucoup de monde. La plage s’humanise et la violence potentielle de la mer est plus ou moins domestiquée au moins au bord de mer, clubs d’enfants, sports nautiques, natation… Les hygiénistes et médecins recommandent les bienfaits du soleil, du sport en plein air, de se baigner et de nager !(ce qui était rare chez les natifs du bord de mer, même chez les pêcheurs !). Les Bains de mer : on va à la plage pour voir les autres (besoin de lien social, faire des rencontres, voyeurisme) et se montrer (exhibitionnisme), jouer à divers jeux, assister à des animations et spectacles (musique, vendeurs divers…). Pourquoi passait –on une journée de train plus ou moins confortable pour aller voir la mer et se baigner dans un accoutrement bizarre ? Une des raisons était de se montrer, se croiser avec ses toilettes sur la « croisette », jouer au casino, être entre soi ou côtoyer les puissants et célébrités pour appartenir à la société dirigeante et riche (d’où les extravagances des villas des stations balnéaires ! ). L’homme est un animal social qui a besoin des autres (le hérisson de Schopenhauer : trop près je me pique, trop loin j’ai froid !). La plage est très révélateur de ce phénomène : Dès qu’on arrive sur une plage, l’homme va là où d’autres sont mais on ne s’agglutine pas trop, chacun est jaloux de son territoire (parasol, tente, serviette…) qui doit être respecté par les autres, mais on ne veut pas être seul, avoir la possibilité de contacts, besoin de sociabilité… On y va aussi retrouver des amis ou la famille et on va souvent toujours aux mêmes endroits, on se crée des habitudes, des horaires de rencontres…La plage est néanmoins reflet de la société qui divise. La ségrégation est toujours présente, les plages pour riches puis privées contre les plages publiques, les plages réservées aux blancs et aux autres dans certains pays, les plages réservées aux hommes  ou aux femmes dans d’autres pays, les plages pour les personnes habillées ou nudistes, plages pour les sportifs ou les passifs, le port lui aussi est divisé entre les pêcheurs et les bateaux de plaisance…

La plage est un miroir de la société où on veut être ensemble mais entre soi, du même monde, entre connaissances acceptées de son réseau et pourtant isolées (les gens lisent beaucoup sur la plage….) une foule solitaire composée de solitudes agrégées. On voit parfois un partage de l’espace entre personnes, ceux du matin, ceux de l’après midi, pas les mêmes personnes avec des stratégies d’évitement …ainsi ceux du golf ne côtoient pas ceux du camping, pas les mêmes endroits, les mêmes plages, les mêmes horaires ….  allant vers une ghettoïsation des publics. Les congés payés nés en 1936 vont créer un engouement pour les voyages mais sur les 5 millions de salariés seulement 10% vont alors à la mer (la plupart vont à la campagne dans leurs familles ou restent chez eux) mais cette intrusion sur les plages des classes populaires a marqué voire choqué certaines stations balnéaires bourgeoises ….La plage s’est quand même démocratisée peu à peu à partir de 1950 car les usines ferment un mois entier (juillettistes, aoûtiens) et  les terrains de camping émaillent tout le littoral. Le bord de mer c’est aussi la promenade, sur la plage pour ceux qui veulent montrer leur corps, sur la croisette pour ceux qui montrent leurs toilettes à la mode. L’important c’est de se montrer, se rencontrer, voir la comédie sociale des autres sur un banc ou dans des terrasses de café et de glacier. On consomme et ce voyeurisme est essentiel pour faire passer le temps agréablement : les hommes plongent dans les flots (même pas froid, même pas peur !) se prenant pour Weissmuller en Tarzan alors que les femmes au maillot collant en lycra sortent des flots lentement comme Ursula Andrés dans James bond ou la Vénus de Botticelli en sortant de l’écume de la mer …. Pendant que les enfants font des châteaux et se battent contre l’avancée de la mer … tout un spectacle qui suscite nombre de commentaires….En conséquence, les natifs voient leur environnement se bouleverser : constructions sur les rivages, bétonisation plus tard, économie spécifique lié au tourisme, des nouveaux emplois, du travail, leurs valeurs bouleversées mais le progrès et le développement est indéniable et ils profitent de cette économie du tourisme qui booste leurs activités et leur permet de résister plus ou moins à l’exode rural . Bien sûr face aux hygiénistes et hydrophiles, il y avait les détracteurs moralistes et religieux qui voyaient les gens s’exhiber avec des tenues de plus en plus légères (en 2018 beaucoup de pays interdisent encore de se dénuder à la plage pour cause morale mais n’empêche pas le voyeurisme des mêmes pour les « étrangères dévoyées »).
Les détracteurs blancs refusent aussi la couleur du bronzage « qui font de nous des métis, de rester sur la plage gluants comme des moules sur le rocher, ressemblant à des poulets rôtis cuits en série, de personnes étalant leurs corps voire leur graisse avec indécence, sans pudeur, de nymphes en chaleur (les sirènes d’Ulysse sont réactivées, la femme tentatrice aussi et où les dragueurs et voyeurs ont des fantasmes face à cette érotisation des corps »… les propos injurieux ne manquent pas par de nombreux auteurs (Morand, les frères Goncourt…). Pour calmer cette polémique, on a contenté les hygiénistes adeptes du corps nu ou du maillot moulant et les moralistes adeptes de la nécessité de cacher les corps. C’est ainsi qu’est apparu le maillot rayé où les rayures blanches hygiénistes qui permettent d’entrevoir sont aussitôt contrées par les rayures bleu marine qui cachent et ce compromis sera accepté et devenir l’uniforme marin des touristes….La plage est devenue désir, passion mais symptôme d’une société qui rêve et qui critique et redoute ce désir de liberté et de changement. Le bain devient donc fondamental (société de bains de mer, stations balnéaires, clubs…). Ce tropisme balnéaire s’amplifie et la peur de faire trempette (qui a eu connu des crises de peur paniques même mortelles cardiaques) est devenue banale.

La référence à l’ailleurs va évoluer vers l’exotisme, des îles, Caraïbes, Tahiti (le paréo en 1950), vont créer un univers spécial, libéré, de mise en scène extra culturel déconnecté des réalités, un monde clos avec des inconnus mais sélectionnés (notamment par l’argent). Cette sociabilité entre soi permet de ne pas chercher à rencontrer ou subir les autochtones (qui travaillent en coulisses). Il faut se libérer de la société où on vit d’ordinaire, qui contraint, qui bloque…  et si on regarde la mer c’est pour tourner le dos au monde. En fait on recherche, une île (réelle ou psychologique), un havre de paix avec une vie satisfaisant néanmoins des besoins essentiels : une alimentation différente voire exotique, du sexe (les fameux amours de vacances), les loisirs variés liés au plaisir de la mer mais aussi la sécurité dans un monde protégé voire clos des clubs, un cocooning voire un huit clos (croisières, Center Park, campings, clubs…, où on peut s’enfermer dans une forteresse du bonheur, se protéger de l’environnement dans une sérénité et une tranquillité entre soi. Cette foule solitaire où chacun est isolé mais connecté avec le monde et les siens (smartphone, walkman…). Trigano avec le club Med reprendra l’idée belge de réinsertion des prisonniers de guerre pour recréer une atmosphère d’oubli du passé tout en créant un nouveau lien social de bonheur sans conflits, où on est libre, où on peut être seul ou ensemble récréant des couples, une tribu. Désormais la culture balnéaire est un besoin pour tout le monde et s’internationalise (le club Méditerranée possède des clubs dans le monde entier, et appartient aux financiers chinois ! par exemple) , les clubs de plage, pour enfants, adolescents, adultes avec animation, activités pour seniors …L’attrait de la plage et de la mer qui semblait incongru au XVIIIème siècle, la mode des puissants au XIXème (la belle époque), la mer pour tous avec sa démocratisation au XXème siècle deviennent au XXIème siècle un lieu incontournable pour les vacanciers du monde entier.