Denis COFFRANT.
Nous avons le plaisir d’accueillir un nouveau rédacteur, qui comme nous est passionné de musique et travaille sur les facteurs, luthiers et marchands de musique. Bienvenue à Denis et merci pour ton article.
Le catalogue de 1907 et un flageolet Margueritat à 5
clés de la même époque
(Coll. DC)
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Margueritat est pour tous les musiciens et collectionneurs d’instruments
un nom connu qui au fil du temps commence peu à peu à s’estomper. Par devoir de
mémoire, ce qui est un des buts de ce blog musical, l’histoire de cette famille
d’éditeurs et de marchands de musique méritait un article.
Première époque de cette histoire : René Margueritat (1816-1868), le créateur de l’entreprise et
fondateur d’une dynastie.
René est né le 18 avril 1816 à Bourges ; son père, Jean Julie, y était cordonnier et sa famille venait du village de Saint-Caprais, à 15 km de là . Rien dans ses origines modestes ne
le prédestine vers la musique, à part une attirance personnelle et peut-être
une vocation de musicien amateur. Mais il vit une époque favorable. En effet après
la chute du Premier Empire et avec l'avènement de Louis Philippe, la musique
militaire envahit les harmonies et les orchestres locaux, et la facture
d’instruments de musique innove sans cesse. La musique est partout et cela
suscite des vocations. Le jeune René monte donc à Paris en 1839, s'y marie avec Alexandrine Painvert, originaire d'Amboise et, en 1843, il
fonde son entreprise "Margueritat, éditeur de musique et marchand d’instruments"
au 39-43 boulevard du Temple en face du théâtre de la Gaîté, puis en 1856 alors
que Paris se bouleverse et se rénove sous l'action de Haussmann, il s’installe
au 21 boulevard Bonne Nouvelle. Dans les annuaires commerciaux et musicaux de
cette époque, le nom de Margueritat figure aux rubriques "marchand et
éditeur de musique" et "luthier ou facteur d’instruments à cordes et
à archet".
Le boulevard du Temple en 1862 juste avant sa
démolition
Le théâtre de la Gaîté est le bâtiment au fond à
droite
(Source gallica.bnf.fr / BnF)
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Le 39-43 boulevard du Temple, la maison basse au sommet des marches en 1900. (coll. DC)
L’éditeur de musique
facile, populaire adaptée aux événements de son temps :
Avant 1858 les partitions sont imprimées chez Guillet rue
Croix-des-Petits-Champs. La cible est populaire : un répertoire très
varié, avec chansons à la mode, danses diverses, airs d’opéras comiques,
messes, musique militaire et d’orchestres de village. Il s'intitule lui-même un
spécialiste de musique facile en 1852. Pour faire ces arrangements destinés à un large public, il s’entoure de
musiciens tous chefs de musique militaire (notamment les chefs Blancheteau,
Ziegler, Marie, Bléger, Mulot) pour adapter les partitions à différents niveaux
de difficultés et pour la plupart des instruments. Il vend également neuf ou
d’occasion des instruments pour sa clientèle. Mais il édite aussi des musiques
plus difficiles et élaborées pour des orchestres professionnels.
Annuaire général du Commerce 1852
(Source gallica.bnf.fr / BnF)
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Pages de titre de partitions musicales de 1848 et 1854
(Source gallica.bnf.fr / BnF)
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Avec beaucoup d’entregent, en
1853, René forme une société avec cinq directeurs de bal pour acquérir des
droits d'auteurs de musique de danse. Il achète entre autres les droits de
publication de Narcisse Bousquet, professeur de flûte et flageolet, ce qui lui
vaut deux ans plus tard de perdre un procès contre la jeune SACEM (créée en
1851).
Le chef d’entreprise : «il vaut mieux être le premier dans son
village qu’un parmi d’autres dans la capitale».
Mais René n'a pas envie de vivre complètement à Paris. Il a appris à aimer le pays de sa femme, la Touraine, le Val de Loire, Amboise. Et c'est vers 1848, que René et Alexandrine s'installent au bourg de Saint-Règle, à 6 km à l'est d'Amboise, un petit village de 260 habitants, peuplé surtout de fagotiers (bûcherons) et de vignerons. C'est à Amboise que naît leur seul fils Eugène, le 9 mars 1849.
Carte de la Touraine, ca 1750 (extrait)
(Source gallica.bnf.fr / BnF)
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A partir de 1858, sans doute pour diminuer les frais d'impression et pouvoir contrôler toute la chaîne de fabrication, René décide de créer sa propre imprimerie à Saint-Règle. Dorénavant c'est dans ce petit village de Touraine que seront imprimées les partitions musicales vendues ensuite boulevard Bonne-Nouvelle à Paris. Ce système perdurera bien après sa mort jusqu'au début du XXème siècle. Sous son impulsion, le bourg de Saint-Règle va ainsi se développer de manière originale, une partie grandissante de la population travaillant pour les éditions Margueritat. Au recensement de 1861, on trouve René entouré de quatre apprentis, âgés de 15 à 19 ans, à qui il apprend les techniques de l'imprimerie. Et en 1866, cinq ans plus tard, il y a déjà dans le village 7 imprimeurs, 6 graveuses et une brocheuse. A cette époque, au début des années 1860, René diversifie ses publications et, en plus des partitions musicales, il édite des méthodes théoriques de solfège, des petites méthodes de violon, de contrebasse, de clairon, des méthodes de danse… René Margueritat devient ainsi un personnage important à Saint-Règle. Il en est élu maire de 1860 à 1867. Malheureusement, il ne profite pas longtemps de son entreprise. Le 20 janvier 1868, alors qu'il se promenait sur la chaussée du boulevard Bonne-Nouvelle, accompagné de sa femme et de son fils Eugène âgé de 18 ans, il tombe brutalement sur le sol, terrassé par une attaque d'apoplexie. On le ramène chez lui, mais malgré les soins prodigués, il meurt vers minuit. Il n'avait que 52 ans.
Le Progrès Musical, 1er février 1868. (Source
gallica.bnf.fr / BnF)
La signature de René Margueritat en 1849. (AD Indre-et-Loire)
Deuxième époque : Survivre dans une époque difficile. La transition grâce à Alexandrine son épouse.
Eugène est trop jeune pour prendre la suite, c'est donc Alexandrine qui assurera la transition : "Veuve Margueritat, Éditeur". Dans cette période difficile (1870-1871), elle continue l’adaptation
que réalisait son mari en publiant de la musique patriotique et revancharde
contre l’ennemi prussien.Image transmise par Daniel Faguer membre de la famille. Merci pour cette contribution |
Page de titre d'une partition musicale de 1872. (Source gallica.bnf.fr / BNF)
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Après les troubles, la troisième République permet une certaine stabilité. Les
divertissements et donc la musique reviennent en force et la vente des
partitions musicales aussi. On danse toutes sortes de danses (polkas, mazurkas,
galops, valses et menuets. On chante des chansons souvent assez grivoises des
théâtres des boulevards (Alcazar, Alhambra, Bouffes …), et des airs d’opérettes
d’Offenbach et autres avec des réductions pour piano accompagné d'un ou
plusieurs instruments. Margueritat décline tout cela en de multiples éditions
en les dédiant à des personnalités importantes et diverses. Le 20 juin 1877 Alexandrine, qui fatiguée, s'était retirée dans sa maison de Saint-Règle, meurt à 61 ans. Ce fut son domestique et un des contremaîtres imprimeurs qui déclarèrent le décès à la mairie.
Troisième époque : Développer l’entreprise familiale : Eugène Margueritat (1849-1912).
En 1877, Eugène prend la direction de «Margueritat éditeur» et développe
l’œuvre de son père en gardant le siège parisien et l’entreprise d’imprimerie à
Saint-Règle. C’est un notable, un patron fournisseur d’emplois et lui aussi est
élu comme Maire. Il est devenu riche et vit comme un hobereau avec sa femme, ses
trois enfants (deux fils et une fille cadette Gabrielle) et ses chiens de
chasse, dont certains sont primés, tout en restant un chef d’entreprise
efficace.
Saint-Règle en 1900 (coll. DC)
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La signature d'Eugène Margueritat en 1869. (AD Indre-et-Loire)
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Pourtant, à Paris, la concurrence dans l’édition musicale est
rude ! Une centaine d’éditeurs et marchands de musique existent, notamment
les grands comme Leduc, Choudens, Lemoine. Eugène parvient à se faire un nom dans
la vente d’instruments alors que la facture française d’instruments est une des
premières du monde et qu'elle exporte dans le monde entier. Il devient membre de la SACEM, et en 1887 il
gagne un concours d'orchestration de la Marseillaise organisé par le ministère
de la guerre. Il en retire l'exclusivité de la vente de la partition aux corps
de troupe. Ce bénéfice est réitéré en 1901 par circulaire ministérielle.
Partition de la Marseillaise pour baryton en sib (coll. DC)
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Reproduction en carte postale d'une toile de René : "Un loup de mer honfleurais" (1909) |
Gabrielle Margueritat (1874-1906). (Coll. Louis
Emmanuel Lehoux)
Le couple part d'abord s'installer à Alger, dans le quartier chic et européen de Mustapha, rue Michelet. Joseph Félix est alors courtier en vins. Et c'est là que naît le premier enfant, un fils prénommé Marcel René le 27 mars 1897. Puis Gabrielle et Joseph Félix décident de rentrer en France et ils s'établissent à Paris, rue La Fayette, non loin du boulevard Bonne-Nouvelle. Ils sont ainsi à proximité du jeune frère de Gabrielle, Daniel Charles, représentant de commerce, qui habite rue de Paradis. Naissent alors deux autres enfants, Robert Eugène en 1900 et Henri Gilbert en 1903. Mais au début de l'été 1906, alors que toute la famille est en villégiature à Saint-Règle chez les grands-parents des enfants, Gabrielle meurt brusquement le 3 juillet. Elle aurait eu 32 ans trois mois plus tard.
Signatures de Joseph Gaillard-Tallon et de son épouse Gabrielle
en 1896 (Archives de Paris)
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Ce décès brutal a des répercussions sur le fonctionnement de l'entreprise Margueritat. C'est à ce moment que Joseph Félix Gaillard dit Tallon s'associe avec son beau-père Eugène pour gérer les éditions Margueritat qui prennent alors le nom de "Margueritat Père, Fils et Gendre". Le siège social quitte le boulevard Bonne Nouvelle où il était fixé depuis 50 ans et s'installe dans des nouveaux locaux au 7ter Cour des Petites-Ecuries. La Maison Margueritat se modernise, elle a maintenant le téléphone, le numéro 258-26, donc rattaché au central Gutenberg. Et sur le catalogue des instruments de musique de 1906, on peut même acheter une étrange Machine Parlante à disques double face "Odéon". Or ces disques ne sont commercialisés en France que depuis deux ans, ce qui montre la volonté d'innovation de l'entreprise. Notons que cette machine coûte approximativement le prix d'une bonne clarinette à cette époque.
Catalogue Margueritat de 1906 (coll. DC)
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Page de titre d'une partition musicale de 1907
(Source gallica.bnf.fr / BnF)
Et depuis quelques années déjà, la Maison Margueritat a pris l'habitude d'envoyer son courrier sur de petites cartes postales publicitaires avec au recto quelques lignes de portées musicales.
Carte postale publicitaire de 1913
(Coll DC)
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En 1914, est publiée une partition prémonitoire, une chanson patriotique avec accompagnement de piano intitulée "Salut ! Petit soldat de France !". Au deuxième couplet on peut lire : "Petits soldats préparant l'Avenir, vous donnerez, sans peur, votre existence pour la Patrie, vous serez forts pour chasser l'étranger"…
Page de titre d'une partition musicale de 1914
Joseph Gaillard-Tallon
fait son devoir avec zèle dans la Première Guerre mondiale, il sera fait chevalier de la légion d'honneur.
Extrait base Léonor. |
Après les massacres de la Première Guerre mondiale, les années
folles relancent toutes sortes de musiques, du tango au fox trot et au début du
jazz, et les éditions Margueritat sont toujours au diapason. Elles se
diversifient encore en publiant "Petite biographie des grands compositeurs"
de Paul Rougnon et du même en 1925 "Souvenirs de 60 années de vie musicale
et de 50 années de professorat au conservatoire de Paris" ou de Maurice
Galerne en 1928 "L’école Niedermayer : sa création, son but, son
développement".
Carte postale publicitaire datée de 1920
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Joseph Gaillard-Tallon, veuf depuis si longtemps, fini par se remarier le 28 janvier 1925 avec Oliva Caloue qui n'est autre que la belle-mère (veuve) de son fils aîné Marcel René. Mais il ne profite pas longtemps de ce deuxième mariage, il meurt le 10 octobre 1928 en son domicile 10 rue de Valenciennes, âgé de 56 ans. Les héritiers, chacun pour un tiers, sont ses trois fils, tous mariés depuis 1922, Marcel René, employé de commerce, Robert Eugène, ingénieur de l'Ecole Centrale de Paris, et Henri Gilbert, imprimeur de musique et éditeur du "Monde Orphéonique".
Cinquième époque : Henri Gilbert Gaillard-Tallon, la quatrième génération (1903 – 1933).
Henri Gilbert est le seul des trois héritiers qui semble intéressé par la musique. C'est lui qui reprend la gestion de ce qui s'appelle maintenant, en 1928, les "Editions Margueritat", et en sous-titre, "Margueritat, Gaillard-Tallon et Cie". Par une curieuse coïncidence, la femme d'Henri Gilbert, Louise Blondiaux, se trouve être l'arrière petite fille d'un certain Jean-Baptiste Martin, l'aîné des trois frères Martin, célèbres facteurs d'instruments de musique.
Marque Martin Frères d'une clarinette en La. A gauche clarinette à 6 clés de Martin Frères. (Coll. DC) |
Malheureusement Henri Gilbert ne restera que cinq ans aux commandes de l'entreprise. Il meurt dans sa maison de Taverny le 21 janvier 1933. Il n'a que 30 ans. Et ses trois enfants, Gabrielle, Bernard et Lucie sont bien trop jeunes (respectivement 10, 8 et 6 ans) pour reprendre l'affaire. C'est alors que Marcel René et Robert Eugène, ses deux frères aînés, qui ne sont pas intéressés par l'entreprise, cèdent leurs parts de la Société Editions Margueritat à Raphaël Joseph Blondiaux, le beau-père d'Henri Gilbert. Il résulte qu'en 1933, Joseph Blondiaux, Louise Blondiaux veuve Henri Gaillard-Tallon, et ses trois enfants mineurs sont propriétaires indivis des quatre mille parts du capital de 400.000 francs de la Société à responsabilité limitée Editions Margueritat immatriculée au registre commercial de la Seine sous le numéro 216561B. En 1934 le siège des éditions est transféré au 20 boulevard Malesherbes à Paris. L'activité de graveur et d'éditeur de musique ainsi que de vente d'instruments se poursuit jusqu'à la Deuxième Guerre Mondiale.
Sixième époque : la fin de Margueritat : Lucie Gaillard Tallon, la cinquième génération (1927 - )
Le 9 mars 1965 les Editions Margueritat sont immatriculées au RCS à l'adresse de 175 rue Saint Honoré à Paris, sans doute sous l'impulsion de Lucie Gaillard-Tallon, la plus jeune des enfants d'Henry Gilbert et de Louise, qui reprend le flambeau de l'entreprise familiale. Dans la Bibliographie de la France des années 1973 et 1974, on remarque encore quelques publications Margueritat, des partitions qui semblent être des rééditions. En 1978, on relève le nom de Lucie Gaillard-Tallon à la tête des éditions Margueritat au 290 avenue Victor Hugo à Fontenay-sous-Bois dans la liste des éditeurs appartenant à la chambre syndicale des éditeurs de musique sérieuse. Dans les années 2000, Lucie, âgée, s'adjoint l'aide d'un cogérant, il s'agit de François Girard Leduc, né le 7 septembre 1939. François Girard Leduc était un grand monsieur de l'édition musicale, gérant des prestigieuses Editions Leduc, vice président de la SACEM, Président d'honneur de la Chambre syndicale des éditeurs de musique de France (CEMF), Président de la Société des éditeurs et auteurs de musique (SEAM) dont il a été fondateur… Il est décédé le 15 décembre 2016 à Boston (USA).
François Girard Leduc |
En 2007 et en 2008, le chiffre d'affaires des éditions Margueritat était de 5000 euros. Le deux décembre 2009, les Editions Margueritat sont radiées du RCS. C'est la fin d'une histoire qui aura duré 165 ans.....
Comment dater un instrument ou
une partition Margueritat…
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Quelques marques Margueritat. |
Pour en savoir un peu plus deux sites : Celui de Jean Luc Matte et Celui de Denis Watel
Voir aussi : Conte de Noël pour clarinettiste