Par José Daniel Touroude.
Pendant
des milliers d'années, les hommes se
sont guidés avec leur diapason naturel à
savoir leur chant. Certains chantaient juste et avaient l'oreille absolue.
Qu'est-ce que l'oreille absolue ?
L'oreille
absolue reconnaît et nomme instantanément une note de musique dans une échelle
sonore donnée sans aucune comparaison avec une note de référence.
« J'entends un bruit et
je sais que c'est un sol# 3 ».
Bien
entendu, les oreilles d'un africain, d'un chanteur de ragas indou, d'une
chanteuse japonaise traditionnelle, d'un chanteur de blues ou d'opéra ne sont
pas superposables du point de vue du "diapason".
Leurs
repères ne sont pas identiques car l'oreille est codée par la culture dont elle
est issue.
L'oreille
absolue ne peut se développer que pour un diapason donné, quelle que soit sa
valeur, pourvu qu'il reste toujours le même.
Il
y aurait donc autant de diapasons et d'oreilles absolues qu'il y a de cultures musicales.
La
musique traditionnelle du globe a donc elle aussi ses diapasons.
Les Grecs anciens auraient
peut-être eu, à l'égal des chinois une échelle de référence tonale donnant les
tons de la gamme ou modes.
La musique occidentale a fait
du diapason
un outil incontournable extérieur à l'oreille, avec la branche de métal que
nous connaissons si bien, comme élément fondateur d'accords.
Diapason à deux branches. La 440. |
C'est un outil musical, qui donne
une note de référence, un "la", pour que les
musiciens et leurs instruments puissent s'accorder ensemble en parfaite
intelligence.
En Chine ancienne aussi, cet
immense empire était organisé par un ensemble de règles rituelles et bien sûr,
la musique était elle aussi soumise à des codes stricts.
Les chinois inventèrent leur
diapason : le "Liu", ensemble de cloches ou de bambous sonores
servant d'étalons pour accorder les instruments destinés à accompagner les
innombrables rites de cette civilisation.
Pour n'importe quel musicien, de
tous temps, une simple oreille relative douée d'une bonne
mémoire des intervalles et des airs, permet de jouer toutes les musiques
possibles. Une première note est émise par la voix, un instrument, un diapason
et le reste suit…
Le chant grégorien.
Tous
les musiciens ne pratiquent pas l'écriture des sons, loin s'en faut.
C'est
pourtant par l'instauration progressive d'une écriture de la musique que la
nécessité impérieuse d'une sorte de diapason primitif va peu à peu se faire
sentir.
L'écriture musicale, au
Moyen-Âge est restreinte à quelques neumes (petits signes graphiques)
notés sur les manuscrits à chanter, qui servaient de guide pour les inflexions
de la voix.
Copie d'un chant Grégorien noté en neumes |
Le clavier primitif, celui de
l'orgue - le seul instrument plus ou moins toléré par l'église d'alors -
servait d'appui tonal.
C'est sans doute au départ de
cet instrument que furent mise en correspondance les lettres de l'alphabet et
les sons.Chaque touche de l'orgue portait le nom d'une lettre : A, B, C etc.
On adjoignait une syllabe à chaque lettre, selon les intervalles mélodiques, et ainsi pouvait s'établir un solfège - tout à fait provisoire - à l'aide de ces syllabes.
La lettre C du clavier
servait de point de départ. Peu importait qu'il correspondît à un do actuel, ou
à un mi. C restait la clé tonale de référence.
(On a gardé trace de cette
influence des lettres, le" C " en armure de la mesure à 4 temps)Considérons " C " comme un premier diapason, mais sans hauteur précise.
Un diapason flottant, en somme...
L’invention de l’écriture musicale en occident.
Gravure représentant Guido d'Arezzo. |
Guy d'Arezzo, l'inventeur de notre ut, ré, mi, fa, sol, la, si se basa sur un hymne à Saint Jean-Baptiste pour nommer les notes :
Ut queant laxis / Resonare fibris /Mira gestorum / Famuli tuorum / Solve polluti / Labii reatum / Sancte Johannes.
Traduction : " Pour que puissent résonner sur les cordes détendues de nos lèvres les merveilles de tes actions, enlève le péché de ton impur serviteur, ô Saint Jean."
Si vous voulez écouter l'hymne dédié à Saint Jean Baptiste.
Plaque sur la maison natale de Guido d'Arezzo. |
Au dix-huitième siècle, Les anglo-saxons
s'attribuaient le système des lettres : A, B, C, D... et les latins, les
syllabes : ut, ré, mi...
L'Europe musicale avait deux
systèmes différents et "inaccordables", en apparence du moins ! Les latins donnèrent aux syllabes "do ré mi fa..." la valeur qu'avaient les lettres afin d'établir enfin une corrélation entre les deux systèmes.
Il leur fallait désigner une fois pour toutes les touches correspondant à l'ancien "heptacorde naturel": C=Ut, D=Ré, E=Mi, F=Fa, G=Sol, A=La, B=Si.
Différentes marques de clarinettes entre 1800 et 1850 dont la tonalité est indiquée soit par des lettres ou des notes. |
Notre "diapason fixe" en
métal est inventé par
l'anglais John Shore en 1711.
(Il
existe également le diapason à vent, un ou deux petits tuyaux de métal couplés,
très pratiques car audible immédiatement quand on souffle dedans.)Comme après 1859, la hauteur absolue des touches se vit normalisée par l'invention du "diapason" fixe, il en résulta que les syllabes (ut, ré, mi...) prirent à leur tour, aux yeux de la plupart des musiciens, un sens de hauteur absolue qu'elles n'avaient nullement auparavant, et qu'il ne resta plus aucun moyen distinct de solfier en hauteur relative.
Certains orgues et harmoniums ont même un registre portant ce nom.
La difficulté résidait
dans le fait que les instruments avaient tous des tons différents et devaient
par conséquent s'accorder à un instrument de référence au plus près de leurs
tonalités respectives. L'instrument témoin était le plus souvent le hautbois.
Caricature d'un hautboïste célébre : Marcel Tabuteau. |
Un
accord général finissait par fonctionner plus ou moins mais on serait certainement
étonnés du degré d'hétérogénéité des timbres dans les orchestres de ces
temps-là ... (Bach se plaignait déjà et souvent que ses musiciens jouaient
faux !)
Finalement, on convint de prendre A à savoir "La" comme référence.
Mais comme on ne disposait d'aucun moyen de le codifier objectivement, on se contenta d'une zone flottante dans la périphérie du La.
Dès l'invention de l'objet "diapason", on se trouvera avec des variables de hauteurs parfois impressionnantes d'un pays à l'autre et souvent au sein d'un même pays, d’un orchestre à un autre.
En somme avec le diapason flottant, chacun n'en faisait qu'à son oreille.
Pour les uns, c'était trop bas ! pour d'autres, c’était trop haut !
Les pauvres musiciens itinérants devaient changer d’instruments pour s’adapter aux différents diapasons ou transposer !
A Paris : Pour les baroques le diapason est à 415 Hz !
Le diapason en vigueur continuait de monter et s'établit en 1810 à 423 Hz puis en 1823 à 431,3 Hz puis en 1830 à 435,75 Hz avant de se stabiliser au début du 20ème siècle à 440 Hz.
A Londres : Le diapason en vigueur continue lui aussi de monter et s'établit en 1815 à 423 Hz (Royal Philharmonic Society) puis en 1826 à 433 Hz puis en 1874 à 455 Hz, avant de se stabiliser au début du 20ème siècle à 451 Hz
A New-York 1880 : 475 Hz (chez Steinway) puis les USA vont se stabiliser au début du 20ème siècle à 445 Hz.
En Autriche à 460,85 Hz etc…
Nous pourrions multiplier les exemples avec les hauteurs fluctuantes de diapasons à Moscou, Vienne, Prague etc... et c'étaient les diapasons officiels !
En fait souvent chaque
orchestre s'accordait selon son bon plaisir !
Il a composé son concerto
pour clarinette en La majeur en fonction de ce diapason.
Il pourrait difficilement entendre
ce même concerto jouer au diapason 440 voire 442 comme actuellement soit plus
d'un quart de ton au dessus !
La musique baroque essaie de
retrouver la sensibilité et le diapason
avec les instruments d'époque.
Ainsi les clavecins
s'accordent actuellement entre 415 et 435 Hz.
Certaines clarinettes anciennes
varient entre 420 et 460.
Face à cette anarchie
et cette cacophonie, une normalisation internationale s'est effectuée mais il a
fallu longtemps pour un consensus.
Ce n'est qu’avec la conférence internationale
de Londres de 1953, que sera fixée la hauteur du diapason à 440 Hz, à la
température de 20 degrés centigrades.
(La
chaleur modifie la hauteur des notes, détail bien connu des instrumentistes à
vent et il est important de mentionner ce paramètre)
Ainsi le diapason actuel officiellement
est de 440 mais parfois la tendance à monter continue et on entend de plus en
plus souvent des concerts accordés à 442 Hz !
Jouer plus vite, plus haut,
plus fort n’est-ce pas une tendance difficile à maitriser ?
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