Pages

lundi 16 décembre 2013

La composition de musique de film : Croissy 30 novembre 2013.

Compte rendu de la journée sur la musique de film
          à Croissy le 30 novembre 2013. 
 
José-Daniel Touroude


Pourquoi dans notre blog consacré aux collectionneurs d’instruments à vent, relater les propos que différents spécialistes ont échangé sur la composition de la musique de film ? D’abord par la nouveauté de ce séminaire, ensuite par la qualité exceptionnelle des intervenants, pour les idées émises et enfin pour les similitudes que j’ai trouvées entre un collectionneur (qui stocke des objets, qui les met en scène dans des vitrines, qui crée une œuvre : exposition et catalogue, avec un fil rouge donnant du sens à sa collection (cf. article sur ce blog sur la psychologie du collectionneur) et un compositeur de musique de film. En effet nous retrouvons ces éléments chez un compositeur de musique de film qui collectionne les sons (musiques diversifiées, effets sonores, bruits…) afin de constituer et stocker des matériaux dans une base de données.

La création des musiques, des sons et leur mise en scène par un mixage souvent savant doit répondre à la commande visée, à savoir la création d’une œuvre originale (n’oublions pas les droits d’auteur composante du revenu du compositeur) et aura une fonction précise par exemple : suggérer une atmosphère. Cette musique a une vie avec le film et reste indissociable de l’image, liée à une séquence, à un fil rouge qui est l’histoire du film et dont la musique doit appuyer les émotions. Mais certains composent une musique de film avec un autre objectif à savoir que la musique ait une deuxième vie indépendante par le disque.    
 Brigitte Fossey et Bruno Coulais.
 
Table ronde avec les intervenants suivants :

Brigitte Fossey, actrice, Bruno Montovani : directeur du CNSM et compositeur de musique contemporaine, Bruno Coulais : compositeur  de musique de film (les choristes, le grand bleu, microcosmos etc ...),Yves Henry : pianiste , professeur au CNSM et organisateur-animateur de ce séminaire, Mathieu Lamboley : professeur d’orchestration au CNSM et compositeur de musique de film.

Bruno Coulais et Mathieu Lamboley ont été les principaux intervenants et ont expliqué la conception d’une musique de film en puisant dans leurs expériences. Les autres participants ont nourri le débat en posant des questions, complétant les propos, montrant des exemples vécus de leurs vies professionnelles. Journée passionnante mais difficile de traduire des sons, des images et des propos informels en un résumé sans trahir les idées vécues !  essayons quand même. Rappelons que le film « le chanteur de jazz » en 1927 d'Alan Crosland impose le son, des dialogues, des bruits et de la musique dans un film. Certains compositeurs classiques ont composé pour le film dès le début comme Saint Saëns mais d’autres méprisaient la musique de film comme Stravinsky qui disait qu’elle ne servait qu’à doubler inutilement le sens de l’image et qu’elle avait comme seule fonction de nourrir le compositeur ! 

La musique de film est – elle spécifique ?

Soit la musique est seule, autonome et on l’écoute en concert. Elle est identifiée à un style particulier (classique, jazz, ethnique, atonale, concrète, contemporaine…. ) avec des rythmes, des harmonies reconnaissables, des instruments spécifiques cataloguant rapidement le type de musique. C’est une musique qu’on écoute et seule l’oreille est sollicitée. Soit la musique est liée à un support quelle doit valoriser : l’image (film), la danse (ballet), une histoire (opéra) un discours (accompagnement d’un texte, d’un poème). La musique de film doit donc illustrer des images, donner un climat, suggérer des émotions, renforcer l’histoire racontée énonce Yves Henry.

Quels objectifs poursuit la musique de film ?

Le plus souvent, et c’est souvent la commande du réalisateur, la musique du film doit créer une atmosphère, renforcer, illustrer les images et le jeu des acteurs ou l’histoire du film. Mme Fossey nous a rappelé le pouvoir suggestif de la musique avec le fameux sifflement d’un air de Grieg  (qui en lui même n’est pas anxiogène) mais qui annonçait un climat, une situation terrible à savoir l’arrivée de l’étrangleur dans un film de Fritz Lang qui fait encore frissonner. Ainsi John Williams dans les dents de la mer de Spielberg en créant un leitmotiv obsédant génère l’angoisse. Des accords dissonants vont de suite créer un climat d’angoisse… dira B. Montovani, les pleurs souvent associés au violon, le swing à la joie…Autre exemple suggestif : filmer une rue déserte au petit matin est neutre. Avec une musique douce, planante, avec des accords classiques simples, des bruits harmonieux, on remarque le lever de soleil, et on regarde ces images d’une façon sereine. Avec une autre musique aux accords dissonants, avec des bruits étranges, inquiétants et forts, le climat devient angoissant et on s’attend à rencontrer un serial killer au coin de la rue avec exactement les mêmes images dit B. Coulais (qui a fait beaucoup de musique pour thrillers !)

La musique suggère et on se laisse prendre à chaque fois. C’est le pouvoir du son, qui va de l’oreille au cerveau qui va générer des émotions. D’ailleurs les neurosciences étudient beaucoup cela. (cf. le livre incontournable d’Oliver Sacks « Musicophilia »)  D’autres exemples différents d’illustration et d’accompagnement de l’image lors de cette journée seront fait lorsque 2 élèves de Monsieur Zygel  professeur au CNSM ont improvisé au piano des musiques devant des films muets et des dessins animés comme il y a un siècle. Cet exemple a prouvé qu’avec du talent, la musique illustrait et servait à renforcer le sens des images.
La musique peut servir à anticiper l’action future, la musique change, les modulations font pressentir l’arrivée d’un nouveau climat ou d’un personnage (si celui ci à un thème l’identifiant) avant la vue des images. Mais la musique illustre souvent la scène présente. Parfois la musique peut être liée aussi au passé et sert à rappeler, à se souvenir d’un personnage, d’une situation et ces réminiscences peuvent continuer le climat du film en décalage avec l’image : musique rappelant un moment heureux et générant la nostalgie ou une autre émotion par exemple indique Y. Henry .

Quelles sont les conceptions de composition de musique de film ?


Deux conceptions s’opposent : La composition de musique de film peut être une bande originale (BO) réalisée spécialement pour le film.  Mais souvent on fait l’économie d’une composition et on prend des musiques existantes qu’on arrange et qu’on formate selon les contraintes du film et il existe tellement de musiques différentes utilisables surtout que beaucoup n’ont plus de droits d’auteurs ! Des centaines de «compositeurs» ont repris des morceaux de musique classique ou arrangés ces morceaux pour les besoins du film. Parfois les auteurs de musique de film répètent et déclinent un thème de différentes manières tout au long du film, souvent avec des instruments différents et des styles de musique différents et des variations. Le thème des tontons flingueurs décliné au banjo, puis en classique , en twist etc… en est un exemple. La musique peut, apporter un plus essentiel, voire devenir centrale (la comédie musicale, les films indiens de Bollywood par exemples). Il est facile de créer une musique de film pseudo-classique, comme à la classe d’écriture (fausse musique baroque, de musique romantique, mélodie leitmotiv répétée tout le long du film et facile à retenir...). Cette musique normée proche de la variété s’appuie sur des réminiscences musicales connues, une harmonie sans surprise et des rythmes habituels pour un large public comme le demandent certains réalisateurs à Hollywood ou pour des films de télévision. Mme Fossey a été critique pour ce genre de musique standardisée, facile pour des films et téléfilms mondialisés.

Le producteur et les financeurs imposent parfois au réalisateur et au compositeur la création de succès populaires la commercialisation des musiques du film qui seront vendus, déclinés, compilés…Mais un film peut être aussi l’occasion de créer une œuvre originale : B. Coulais nous l’a montré, lui qui a su si bien intégré des bruits divers, des sons faits par des instruments non musicaux, pour servir sa composition musicale et le film.  Ainsi l’éventail des possibilités est beaucoup plus large (en fait toutes combinaisons de sons divers sont possibles) et la créativité doit être maximisée, mais pour servir une commande car le film surdétermine la musique. Il ne faut pas avoir peur de mélanger les styles de
musique pour atteindre son but et tous sont d’accord sur cette idée. C’est à cause de cette première pratique que pendant longtemps, comme nous l’a indiqué B. Montovani, que la musique de film a été méprisée par les professionnels de la musique (musique alimentaire, primaire, plagiée comparée à la musique dite savante avec toutefois des exceptions notables comme Michel Legrand par exemple).
Pour modifier cette situation, ce jeune directeur dynamique vient de créer une classe au CNSM de composition de musique de film (professeur Laurent Petitgirard, le compositeur connu des téléfilms de Maigret mais aussi qui dirige les concerts colonne et ex-président de la SACEM).

  
Le compositeur peut ainsi par quelques notes faire des « tubes » qui seront joués et qui vont s’intégrer dans la culture populaire (les premières notes de Morricone dans le Professionnel et c’est Belmondo, Lautner qui surgissent),  Certaines stars de la musique de film font des succès qui seront parfois plus connus que les films qui doivent les accompagner. D’autres font des musiques qui envahissent les ondes sans le vouloir expressément comme la musique des choristes de B. Coulais.

 

Composer la musique avant les images ou l’inverse ?

Les deux sont possibles et dépend du réalisateur. La plupart du temps, le musicien visionne le film avant de composer mais parfois la musique peut être en contraste avec l’image et c’est un choix voulu et réfléchi. Ainsi M. Lamboley nous a montré qu’une commande lui avait été faite de créer une musique joyeuse jouée par une fanfare-harmonie, ce qu’il a fait sans aucune idée du film mais selon les indications du réalisateur. Une fois la musique validée, elle a été collée sur un film montrant un orchestre de déportés devant réjouir les tortionnaires d’un camp nazi ! C’est le contraste alors qui illustre le propos et c’est saisissant car la musique seule crée un climat, et nous avons eu tous des images conscientes ou inconscientes agréables en écoutant cette musique seule. Mais avec les images, la musique ne donne plus du tout le même sens et accentue la monstruosité, le cynisme, la barbarie. (cf article sur la clarinette Zalud à Terezin dans ce blog) . Toutefois il y a des exceptions ou l’image est créée et calée sur un morceau de musique. La musique est alors prégnante (B. Fossey a connu cela avec Altman où les acteurs doivent s’imprégner et se caler sur la musique avant la conception des images et le jeu des acteurs, ou autre exemple avec le film villa Amalia. (musique de B. Coulais avec I. Huppert.)  La musique ne sert plus à illustrer l’image mais la commande. La musique est alors plus qu’un moyen de renforcer l’image mais devient déterminante et comme un personnage principal et invisible du film indique Y. Henry. Pour certains réalisateurs la musique doit être en direct, être jouée en même temps que le tournage pour le rythme des images (après elle est affinée).

 

 
Le compositeur de musique n’est qu’un membre d’une équipe
Tous les intervenants ont insisté sur cette notion de travail collectif et qu’il faut bien savoir que le commanditaire et chef du projet est le réalisateur. Le compositeur n’est qu’un technicien, un collaborateur au service d’un client (le réalisateur) et d’un projet (le film). Il a la liberté que lui donne son chef. Un film est un travail d’équipe et le compositeur n’est qu’un membre de cette équipe dirigée par un chef qui est le réalisateur, qui commande à nombre de personnes (acteurs, ingénieurs du son, décorateurs, spécialiste des effets spéciaux… et le compositeur de musique).
Donc le compositeur du film a d’autres partenaires à prendre en compte : les acteurs qui veulent que leurs dialogues soient mis en valeur par une musique de fond et non être parasités par la musique, le bruiteur qui veut absolument faire entendre aussi son travail, les ingénieurs du son, les monteurs qui coupent et modifient les scènes donc la durée voire la musique qu’il faut aménager etc…  chacun veut défendre son métier et a souvent une conception sur l’utilisation de la musique dans cette dynamique collective… Le dialogue entre partenaires est omniprésent, mais chacun défend la mise en valeur de son travail pour qu’il soit intégré dans le film ! Le compositeur, indiquent B. Coulais mais aussi M. Lamboley, a donc une commande précise à honorer, une mission : soutenir l’image, répondre aux souhaits de son client. Le problème est parfois que le client qui ne sait pas tellement ce qu’il veut et change souvent d’avis ce qui occasionne de faire du travail inutile (mais cela on le rencontre dans tous les métiers !). Cette situation subordonnée, de proposer, de faire et refaire malgré le talent des compositeurs, rend modeste énonce Y. Henry.

La musique de film est-elle une œuvre originale ?

Si on excepte les mélodies sirupeuses et normées pour certains films comme nous l’avons vu, d’autres compositeurs veulent devenir des créateurs d’œuvres à part entière et les représentants de cette conception sont présents dans cette table ronde. La musique de film devient un prétexte à une composition créative, complexe et originale comme l’a prouvé B. Coulais nécessitant une connaissance de la musique sous toutes ses formes, les autres musiques du monde, les nouvelles technologies du son… afin d’élaborer une musique pensée, écrite sur partitions, orchestrée savamment, avant un mixage de plusieurs strates et sources sonores. Même si cela paraît de prime abord facile et spontané comme une improvisation de jazz, cela est en fait assez complexe et très construit comme toute improvisation de qualité !



 

Cela demande une culture musicale de mélomane très importante, une capacité de stocker beaucoup de musiques et de sons, mais aussi une technique de musicien apprise au conservatoire, une technique d’écriture de haut niveau et d’orchestration, une technique d’ingénieur du son et de maitrise des technologies nouvelles, tout en gardant malgré ces qualités exceptionnelles une modestie de collaborateur servant un film et obéissant à un réalisateur. Ce mélange de qualités et de savoir-faire n’est pas aisé à concilier. Mais la notion de mélange sons-images, le mixage de sons est bien le fondement même du métier de compositeur de film. B. Coulais nous a montré pour « micro cosmos » (film animalier) la grande culture musicale diversifiée qu’il a fallu mobiliser, musique de toutes natures, du monde, écouter des milliers de sons et bruits pour adopter celui qui va coller à telle séquence ou personnage … une véritable mondialisation des musiques qui se sert de tout (bruits de la vie, jouets, fragments de musiques, rapprocher un ensemble vocal tibétain et un ensemble vocal corse et les faire chanter ensemble n’est pas évident…. ) Chocs des cultures, chocs des musiques, chocs des sons et des bruits, des atmosphères…   pour finir en osmose, en ensemble construit que l’on peut figer dans une partition et jouer.

Comment se fait une musique de film ?

M. Lamboley nous ont montré le parcours avec ses différentes étapes que le compositeur doit suivre.
La première phase est d’abord de comprendre ce que veut globalement le réalisateur ou le metteur en scène et cela demande parfois beaucoup de discussions. Puis connaître quelle liberté est donnée au compositeur et cela est très variable pouvant aller de la carte blanche pour la musique avec une confiance absolue mais aussi souvent à des suggestions afin de souligner des émotions, un dialogue, créer un climat, créer un fil rouge pour la cohérence de l’histoire… et c’est un véritable dialogue qui s’instaure entre réalisateur et compositeur. Enfin cela peut aussi devenir très directif où le réalisateur a déjà tout choisi, séquence par séquence avec des idées préconçues et il donne ses injonctions selon sa culture musicale (qui parfois est limitée) la durée que doit durer la musique , le style… et le dialogue est parfois délicat voire difficile. Le compositeur doit suivre les directives, discuter, faire préciser les attentes, les objectifs recherchés, faut-il mettre une musique de fond en sourdine sous les dialogues des acteurs ou non et quand ? etc… En fait traduire les idées et les mots du réalisateur en musique !
Faut-il un thème central que le compositeur décline, des thèmes imbriqués de personnages, un climat seulement, pasticher une musique existante ou en créer une novatrice, faire des allusions de musique ethnique pour certaines scènes…La musique est au service d’un discours, un écrin pour les dialogues et les jeux d’acteurs, un accompagnement d’une histoire, d’un film. Cette phase préalable est essentielle pour être en adéquation avec les attentes du réalisateur. La deuxième phase est que le compositeur doit visionner le film des dizaines de fois et pour chaque séquence s’en imprégner, chercher le climat, les différentes émotions, les couleurs qu’ont voulues ceux qui ont écrit le scénario, les acteurs qui ont joué et le réalisateur qui a filmé. La troisième phase est qu’il doit chercher quels types de musiques à créer, chercher des idées puis partir seul composer au piano, puis sur ordinateur, caler les durées, faire sa maquette (orchestration sur ordinateur). L’ordinateur devient l’outil fondamental : bibliothèque de musiques, de sons, de climats, d’imitation des instruments, la distorsion des musiques .. on peut tout faire…. mais il n’en demeure pas moins qu’il faut une pensée musicale, une mise en musique des sons pour faire la maquette sur ordinateur. La quatrième phase est de réaliser des enregistrements par strates (souvent dans des studios différents) puis combiner les strates, couper / copier /coller les bonnes cellules, mixage  et superposition des sons pour créer la musique recherchée. La cinquième phase est avec l’ordinateur et des logiciels séquenceurs (comme Audi pro 9) d’améliorer et de faire correspondre image et tous les instruments rapidement avec un minutage très précis. Cela paraît souvent improvisé alors que cela est très construit, orchestré.

Ainsi dans le film « micro cosmos » la musique seule de B. Coulais parait chaotique mais avec les images des insectes en mouvement, cela prend tout son sens. Le son et le bruit sont intimement liés ici à l’image et la bonifient. B. Montovani, compositeur de musique actuelle, a fait le parallèle avec la musique contemporaine.  La sixième phase est de présenter la composition musicale au réalisateur pour validation et peut être très rapide et simple ou très compliquée…La septième phase est, si la musique est acceptée, d’affiner l’orchestration et les partitions, faire jouer ou diriger l’orchestre, travailler avec le réalisateur et le monteur pour que sa musique colle au film et ne soit pas trop dénaturée. Il faut adapter, corriger, accourcir, rallonger, refaire au dernier moment….

Le travail avec le monteur du son est important car il permet que la musique composée ne soit pas trop martyrisée par les dialogues, le bruitage… Il faut rechercher toujours l’osmose. La confiance et le dialogue sont absolument essentiels. Avant tout, il est fondamental d’être créatif aux changements permanents (le montage, les coupures de scènes…) et d’être réactif pour savoir rebondir à chaque changements car un film en construction n’est jamais figé. De plus il est impossible  de perdre de temps car cela coûte cher, le budget consacré à la musique étant toujours réduit. Réalisateur et compositeur doivent être en synergie et des couples célèbres se sont trouvés et sont devenus indissociables : S. Léone et Morricone, S. Spielberg et J. Williams, G.Delerue et B Truffaut, C. Sautet et P. Sarde, F. lai et C. Lelouch, N. Rota et F. Fellini, J. Demy et M. Legrand etc…


Le compositeur de musique a t-il un pouvoir ?

On peut manipuler tous les films avec des musiques différentes et M. Lamboley nous a fait la démonstration en changeant simplement la synchronisation images / sons : décaler la musique de quelques secondes et les points de synchronisation ne sont plus respectés… alors on tombe sur des images qui ne sont plus en adéquation avec la musique donnant parfois des effets ridicules ou surprenants… ou géniaux ! Le timing est essentiel d’ailleurs le montage est au dixième de seconde pour cadrer et faire coïncider musiques et images. Les points de synchronisation sont essentiels si l’image change, si le personnage visible change, si le climat change, la musique doit aussi accompagner ces changements.

Le métier de compositeur de musique de film est-il complexe ?

Sans aucun doute car il doit maitriser plusieurs compétences et réaliser une combinaison de plusieurs métiers et qualités : curiosité musicale, créativité et réactivité, savoir-faire de musicien et d’orchestrateur tout cela dans un champ de contraintes (les autres partenaires de l’équipe, le film, le réalisateur commanditaire et les faiblesses de budget et de temps) . Mais les contraintes obligent à être créatif énonce B. Coulais. La difficulté majeure, c’est comme pour un consultant qui change de situation et de client à chaque projet. Ainsi chaque film est une nouvelle aventure, chaque réalisateur et son équipe sont différents, chaque film doit provoquer une souplesse d’adaptation. Cela peut être passionnant si l’alchimie s’effectue, ou frustrant si la musique n’est qu’un complément secondaire dans le projet ou si la musique n’est pas validée par le réalisateur et qu’il faut la refaire plusieurs fois.
Les compositeurs de musique recherchent aussi des consécrations (oscar, césar, golden globe et différents prix..) afin que leurs talents soient reconnus par tous. La musique est vraiment l’art de combiner des sons mais dans la musique de film elle est en plus au service d’un autre support.

 
Et maintenant on contrôle si vous êtes dans le coup :
BLIND TEST.
 
Testez vous.
 

 
 Facile ?


 
 

 
 
 
 
 


 

samedi 30 novembre 2013

Guerre de 1914-1918 : Deux clarinettes face à face.


Conte de Noël pour clarinettistes pacifistes.


Par José Daniel TOUROUDE.
  
Il y a presque 100 ans, 2 régiments sont face à face depuis des jours (1) : le RIR 133 de Zwickau (89ème brigade, 40ème division , 19ème corps d’armée de Saxe) et un régiment français  d’infanterie (peut être le 125ème de Poitiers).

133 régiment de Zwickau en 1914.
125 iéme régiment d'infanterie de Poitiers : la Musique. (Canal blog : l'histoire du 125è).
Après les coups de canons et autres cris, c’est le repos et dans le silence oppressant s’élève un air de clarinette aigu, mais fort joli, joué par un musicien français ; c’est le début du 1er concerto de Molter (2) et après quelques minutes, il s’arrête … le musicien a un trou de mémoire car sans sa partition, il est perdu.
 

Alors en face un autre clarinettiste allemand reprend la suite du concerto….
Stupéfaction et engagement d’un dialogue par dessus la musique, des invectives sont lancées dans les deux camps :
- « oh le prussien, la chasse aux canards est fermée »  crie un français !
- « tu joues faux avec ton pipeau, retourne au conservatoire ! » rétorque un allemand !
mais laissant les violences verbales,  les deux clarinettistes continuent à jouer des passages d’orchestres Wagner contre Berlioz, (3) et bien sûr Mozart ensemble.
La troupe française alors entonne la Madelon, puis les allemands leur répondent et chantent  « il faut aussi quitter la petite ville »  (4)

Et dans les rires qui accompagnent la fin de cette joute musicale, les deux clarinettistes  s’apostrophent : - Tu es d’où ? et avec qui tu as travaillé ?
- Leipzig la ville où est né WagnerBach a été Kantor, où Schumann a enseigné au conservatoire de Leipzig  et j’ai travaillé dans ce conservatoire avec Reinecke.
- Leipzig c’est très bien et cela peut rivaliser avec le conservatoire à Paris où j’ai étudié avec Mimart. (5)  
- Tu joues où ?  - moi je joue dans l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig  crée par Mendelssohn  
- Moi je joue à la société des concerts du conservatoire dirigé par Messager (6) mais je préfère notre Debussy à ton Wagner  mais tu joues sur quoi ?

 
"- à l’armée je joue sur une Mib 13 clés Schuster et toi ?  - Moi sur une Margueritat 13 clés (7)… mais d’habitude je joue de la Sib sur ma Buffet Crampon, Système Boehm … la meilleure du monde. - ah ah ! tu ne connais donc pas alors la nouvelle Sib de Oehler de Berlin. (8) 
Clarinette Si b de Buffet Crampon.

Clarinette système Oehler.

C’est fini les artistes ! préparez vous au combat assène une voix de stentor…. Mais la discussion continue….- Les clarinettes françaises sont les meilleures lance le français. -Tu parles c’est un allemand Denner qui a inventé la clarinette sinon vous joueriez toujours du chalumeau ! - Ta 13 clés c’est Iwan Müller qui l’a inventé à Paris … - D’accord mais Müller c’est un nom gaulois peut être ? (9)- Quand nous serons à Paris comme en 70 ! tu m’écouteras jouer Mozart à l’Opéra….
- Quand nous serons à  Leipzig, je jouerai du Beethoven pour te montrer que je connais vos musiciens….
Clarinette Mi B : en haut Allemagne Schuster en bas Français Margueritat. (Col José Touroude)
 
Feu ! baïonnette au canon…  Feuer !
Dans le vacarme et la fureur des ruées des uns contre les autres, les deux clarinettistes s’effondrèrent et leurs clarinettes tombèrent dans la boue presque côte à côte….  Comment des musiciens sensibles pouvant jouer Mozart peuvent s’éventrer à coups de baïonnette ? (10)



Marque Margueritat sur clarinette Mi B. (Collection José Touroude)
Marque Schuster et Cie clarinette Mi B allemande. (Collection de José Touroude).
 
Plus tard après la boucherie, un poilu crotté va trouver ces deux clarinettes et les ramener chez lui et raconter que le pont musical tenté par deux musiciens s’est effondré par la folie meurtrière des hommes.
Marque du 133 iéme régiment d'infanterie de Zwickau sur la clarinette allemande.
Ces deux clarinettes sont tellement proches et pourtant si différentes, comme un français et un allemand !

Détails des deux clarinettes: en haut Française en bas Allemande.
 
Le temps a passé, le film de Christian Carion  (11) a montré que le dialogue pouvait se nouer malgré les nationalismes exacerbés. Depuis, les deux pays antagonistes sont devenus amis pour construire l’Europe.


 
Ces deux clarinettes sont côte à côte dans ma collection montrant leurs similitudes et leurs différences et jouent de temps en temps, la musique étant le meilleur pont entre les peuples.


Bonnes fêtes de Noël et de fin d'années.

(1) Peut être la 1ère bataille de la marne en 1914
(2) Molter a écrit les premiers concertos pour clarinette en Ré en 1745 transposé souvent pour la clarinette en Mib.
(3) deux compositeurs talentueux qui ont composé pour la clarinette Mib des passages incontournables (la symphonie fantastique pour Berlioz, la chevauchée des Walkyries pour Wagner)
(4) ces deux chansons étaient populaires en 1914 et « chantées » dans les armées.
(5) le conservatoire de Leipzig dirigé par Reinecke est un des haut lieux de l’éducation musicale notamment pour les clarinettistes en Allemagne.
Le conservatoire de Paris avec comme professeur de clarinette P. Mimart est aussi un des meilleurs du monde et Debussy en 1910 avait crée la rapsodie pour clarinette  pour le prix.
(6) la société des concerts du conservatoire était un des endroits les plus réputés pour ses concerts de qualité à cette époque au même niveau que le Gewandhaus de Leipzig célèbre pour la qualité de ses interprétations.
(7) Pour les clarinettistes : Les différences entre les clarinettes 13 clés allemandes et françaises existent et paraissent importantes à première vue  mais en fait ne sont pas essentielles pour ces deux cousines !  En effet elle partent toutes les deux du système Müller.
(8) par contre les différences vont s’accentuer entre une clarinette système Boehm et une clarinette Oehler. 
(9) Iwan Müller n’était ni allemand , ni français (même s’il avait un nom allemand et s’il vivait en France) mais était russe (estonien).
Il a complètement révolutionné la clarinette avant que Boehm avec A. Buffet fasse une nouvelle avancée créant la clarinette actuelle.  Les allemands eux, avec Oehler,  vont continuer à perfectionner le système Müller.
(10) les œuvres de Mozart sont incontournables pour tous les clarinettistes quelles que soient leurs origines !
(11) il s’agit du film de Christian Carion « Joyeux Noël » qui a montré qu’une trêve et une fraternisation de courte durée avait existé à Frelinghien près de Lille.

 















 

mercredi 13 novembre 2013

Psychologie des collectionneurs d'instruments de musique à vent. Dernier épisode.

 Cet article est publié en 4 épisodes.
 
Si vous voulez lire les épisodes précédents : cliquez sur ces liens.

 
 
Troisième partie 

Quatrième partie
 
Par José-Daniel TOUROUDE, docteur en sciences sociales

Collection (partie) petite clarinette de José Daniel Touroude.
 
Question n°9  Quel est le rapport du collectionneur avec le temps car il en parle souvent ? 

Le collectionneur est un restaurateur défenseur du patrimoine d’objets anciens qui transcende le temps .
En choisissant un objet ancien symbole qui a du sens pour soi, le collectionneur souhaite se rattacher à une valeur sûre, stable, viable qui traverse le temps. Par la collection, on se plonge dans le passé (généalogie, analyse des techniques passées…) mais aussi dans le présent (réseau de collectionneurs, achat-vente, rédaction de son catalogue…).
Collectionner, c’est être un passeur de témoin, par l’intermédiaire d’objets entre des personnes disparues et d’autres à venir. On défie la mort car l’objet continuera à fasciner d’autres personnes.
Dans nos catalogues on indique la traçabilité de l’objet et la continuité  (ex-collection de Monsieur X).
Collectionner est un « passe-temps » qui génère des habitudes qui servent à gérer et à maitriser le temps, en créant aussi une source de plaisirs. Le collectionneur attribue aussi un pouvoir et une valeur aux objets parce que leur présence et leur possession les protègent de l’anxiété et du temps qui passe. Collectionner des objets anciens renvoie à la notion de temps, au contrôle du temps, au patrimoine à transmettre mais aussi à l’esthétique de l’objet d’art, témoin de la position sociale, du goût et de la qualité du collectionneur.
Transcender le temps est un des non-dits essentiels du collectionneur et on peut adapter un postulat de la philosophie chinoise. «Si je collectionne, ce n’est pas pour passer le temps mais pour que le temps ne me tue pas ! »
Une interrogation pour tous les collectionneurs est la transmission du patrimoine, la continuité de la collection, ce qui confirme leur utilité personnelle et leur valorisation narcissique. Collectionner certains objets anciens est une valeur essentielle qui contribue à protéger le patrimoine culturel dans un monde où tout se jette après consommation. Le collectionneur a comme fonction de protéger aussi le patrimoine et est proche des bénévoles qui leur vie durant restaurent un vieille bâtisse digne d’intérêt mais malmenée par le temps et les hommes.
Vendre une partie d’une collection qui a demandé des décennies d’efforts est souvent difficile et mal vécu par le collectionneur qui ressent souvent qu’on lui enlève une partie de son identité, de sa personnalité ou de son œuvre (certaines collections sont agencées et perçues comme de véritables œuvres d’art) tant il a investi de lui-même dans sa collection.
On n’aime pas voir une collection maltraitée, des instruments sales et rouillés, en vrac dans une malle. Leurs propriétaires ne sont pas des collectionneurs et pourtant certains et beaucoup de musées laissent leurs instruments «dans leur jus» pourrir et rouiller. C’est un mépris pour le facteur qui a réalisé cet instrument et pour le musicien qui l’a souvent choyé.
Une question demeure : que faire de votre collection à votre mort ?
Là les avis sont partagés et difficiles à exprimer. Beaucoup parlent de la continuité de leur collection après leur mort : musée, trouver un successeur, vente … et la plupart refuse en première analyse la dispersion de leur collection à leur mort. Pourtant après l’énoncé du principe de non dispersion, certains pensent quand même la remettre sur le marché pour des motifs économiques pour que la famille profite des bienfaits de la passion, ce qui transforme et justifie alors post mortem que la lubie passée et critiquée était en fait un placement avisé !
Mais le souhait de la plupart est une vente groupée de sa collection avec un catalogue qui montre. l’homogénéité des achats, la communication des notes pour les éventuels acheteurs afin qu’ils continuent les recherches. Mais à qui ? Le mieux est évidemment l’achat de la collection entière homogène par un autre collectionneur, qui est exposée et reste dans le circuit, et qui continue sa vie comme objets de collection, regardés par un collectionneur passionné qui va continuer à les « chouchouter » mais c’est rarissime car chacun ne cherche que quelques objets bien spécifiques. L’idéal pour tous serait un musée qui expose et fait vivre le travail réalisé, en gardant l’aspect homogène avec une salle à son nom et les connaissances, le savoir, le travail (pour ceux qui écrivent) servirait de matériau à une étude, voire une thèse. Le pire pour tous est  aussi le musée ! que leur collection finisse dans une malle dans la cave d’un musée ! car nous savons tous que les musées d’instruments sont malheureusement souvent que des cimetières qui stockent et sont souvent peu intéressés par vos trésors. 

Maître LAURENT à Vichy.

Les peurs du collectionneur : Outre la dispersion et l’enterrement de la collection, l’autre peur est sans nul doute la sécurité de ses objets, la perte et la disparition (vol, incendie…) de sa collection et tous sont angoissés à cette idée. Les objets disposent d’un poids affectif car il représente des décennies d’efforts, de découvertes, de recherches, d’études…. et leur disparition serait pris comme une catastrophe difficile à surmonter.  Les mesures de protection pour protéger sa collection sont omniprésentes et souvent avec des pratiques ingénieuses à défaut d’être inviolables. Quand on parle de disparition, tous les objets n’ont pas la même valeur et les peurs sont différentes. La peur est de disperser, abîmer, empêcher de continuer l’élaboration lente et minutieuse de la collection, perte du temps consacré à la collection, perte de l’argent investit, perte de certaines pièces rares ou préférées, destruction d’objets rares voire uniques. Déjà la décision de vendre un objet de sa collection est difficile et prends parfois des années pour s’en séparer et toujours après une réflexion approfondie mais la perte brutale est difficilement envisageable. En effet, collectionner est une entreprise personnelle et souvent solitaire car la possession est le lien le plus intime qu’un individu puisse avoir avec des objets sans en faire toutefois des objets fétiches ou sacrés comme le font les religieux ou les superstitieux.  
Le collectionneur prête difficilement sa collection et la séparation doit être courte. Il ne l’échange pas non plus contre une autre temporairement afin de contempler une autre collection. Si la motivation était seulement esthétique, les collectionneurs échangeraient ponctuellement leurs objets mais en fait le désir de possession et le lien personnel, intime est souvent le plus fort. Certains vont même plus loin et ils cachent la collection pour ne la montrer qu’à quelques privilégiés dignes de la contempler et cela renforce le sentiment d’être un initié, d’être digne et d’avoir été choisi pour admirer leurs trésors. D’ailleurs entre collectionneurs, le fait de dire que l’on ait vu des collections confidentielles ou à l’autre bout du monde que les autres n’ont pas vues, rehausse le prestige de la personne. Si prêter sa collection est délicat, l’exposer au contraire est souvent un réel plaisir et même la faire photographier par autrui pour constituer une base de données est souvent bien perçu.

Exposition 2011 à Lille
 
Question N° 10:  Avec les collectionneurs, ce qui me surprend toujours c’est l’organisation voire la mise en scène de leur collection.
Le collectionneur est un organisateur du rangement, qui classe et expose ses trésors. Le collectionneur aime que sa collection constitue une composante de son environnement et qu’elle soit visible. Mais il veut un univers pensé, ordonné, classé, contrôlé, harmonieux et mis en valeur dans une vitrine comme un trésor ou un objet précieux dans un musée.
Le collectionneur aime la précision. Le classement l’aide à élucider les énigmes posées par tel objet, telle estampille. Il n’aime pas casser ou jeter, car un objet a une valeur en soi, pour soi ou pour un autre qui peut les collectionner. Ces personnes sont toujours heureuses de découvrir un nouvel objet. Parallèlement, il a ses notes, ses écrits, son catalogue où il intellectualise sa collection d’objets comme si ce champ de recherche était crucial à connaître. Il aime se réfugier dans cet univers d’objets qui a du sens pour lui.
Le collectionneur éprouve pour les objets un attachement passionnel surtout quand il met quelque chose de lui dans ces objets : sacrifices financiers pour les acquisitions, recherches pour mieux les connaître, classement ordonné, expositions dans des vitrines, restauration pour leur redonner leur beauté originelle…  ainsi sa collection le rend souvent heureux : c’est son chef œuvre. Certains critiques y voient le fait que dans un monde incontrôlable, le collectionneur enfant puis adulte se crée un monde à lui qu’il maitrise et s’entoure d’objets qui soient contrôlables. Cet argument laisse les personnes interrogées assez dubitatives….Le fait de collectionner est une entreprise très personnelle et souvent solitaire exprimant la valeur de soi. La possession est le lien le plus intime qu’un individu puisse avoir avec les objets. Il arrive à vivre une partie de sa vie à travers ses objets et sa collection le valorise. La collection est bien un reflet de la personnalité, dans un paysage social donné, à un moment donné.
 Le collectionneur introverti enferme ses objets à l’intérieur d’un cercle magique, un sanctuaire, une pièce qi est un lieu de recueillement où la mise en valeur est réalisée pour la seule contemplation du propriétaire. Certains, très minoritaires vont encore plus loin et sont de véritables accumulateurs d’objets, solitaires, ayant un minimum de contact avec les autres, cachant leurs collections.
Mais pour le collectionneur extraverti, la collection est généralement exposée et mise en valeur dans des vitrines, protégées et disposées selon un ordre établi et montrée avec un véritable rituel.  Il est fier de sa collection, alors naturellement elle se trouve mise en valeur dans le salon, la salle à manger et les vitrines ont des places stratégiques.  La consommation de sa collection est apparemment une expérience visuelle mais en fait, le collectionneur admire son trésor et l’agencement rationnel de ses objets, leur bon état de conservation, la possibilité de les voir et de les prendre. Il y a un plaisir visuel évident mais aussi tactile de les prendre et un plaisir intellectuel de connaître sans cesse tant de choses sur ces objets.

Bruno KAMPMANN président de l'ACIMV. 
Bien sûr elle est rangée, classée, briquée et les instruments sont placés dans des vitrines par thème. Un répertoire ou catalogue existe bien sûr. Hélas, certains en activité n’ont pas assez de temps pour  nettoyer leurs objets ce qui gâche un peu leur plaisir visuel mais ils ont l’objectif d’y parvenir quand ils seront plus disponibles (à la retraite) pour leur collection.

Question N°11 : certaines personnes pensent que les collectionneurs sont un peu bizarres voire malades ?

Ne confondons pas collection et collectionnisme !

Il est difficile d’expliquer la pulsion de la collection. Les psychologues et psychiatres cherchent une explication causale valable pour tous les collectionneurs en analysant une frange de collectionneurs obsessionnels névrosés (collectionnisme). Ils arrivent ainsi à étiqueter puis stigmatiser des personnes et peuvent généraliser les aspects névrotiques découverts à l’ensemble des collectionneurs moins atteints. C’est alors compris comme une différence de degré et non de nature. C’est un raccourci schématique montrant la méconnaissance du sujet.

Les petits soldats de Strasbourg.
D’ailleurs cela rend assez dubitatifs notre association de collectionneurs (y compris certains psychiatres collectionneurs interrogés !) On se moque facilement entre nous de nos petits travers liés à notre passion mais on ne se reconnaît pas dans l’exposé de la névrose du collectionnisme, pas plus que celui qui boit de temps à autre et qui apprécie une bonne bouteille de vin se sent alcoolique devant être soigné pour son addiction. Face à ces analyses psychologisantes, face aux jugements des médias rapides, déformés et simplifiés, les collectionneurs minimisent, se cachent ou trouvent des explications vraisemblables mais pas toujours véridiques. J’ai été surpris que certains d’entre nous n’ont pas voulus se dévoiler dans l’enquête, même avec un pseudo, de peur d’être démasqué et jugé «pour leurs travers», avec un sentiment honteux pour leur passion déviante et peu avouable ! subissant la pression sociale et ses clichés. Il ne faut pas confondre le collectionneur qui assouvit une passion qui demande d’ailleurs de nombreuses compétences et qui structure un individu et le collectionnisme qui est une maladie psychique qui dépasse les limites car le sujet est totalement fasciné par sa collection car plus rien n'existe à part sa collection.
Lorsque certains collectionneurs dérapent vers le collectionnisme, c’est qu’ils aiment plus leurs collections d’objets que les personnes de leur entourage. Lorsque la collection est la chose la plus importante de sa vie, plus importante que la relation avec les autres, que le travail, que la vie… le sujet devient malheureux, déséquilibré dévoré pas sa passion qui le pousse à des actes absurdes.

Tonton Sigmund.
Il est vrai que certains cas aberrants de malades collectionneurs ou de collectionneurs malades sont étudiés par les psychologues et psychiatres et leurs excès font sourire ou effraie. Evidemment quand la collection devient obsessionnelle et le désir d’accumuler toujours plus devient incontrôlable, l'environnement peut en souffrir. Cette passion comme toute passion est capable de dégénérer et d’emmener certains vers la dévastation de leur vie entière : profession, famille, obligations et responsabilités sociales …Tout est question d’équilibre. Notre petite réflexion vécus par l’intérieur des personnes concernées a pour but de laisser réfléchir les collectionneurs en personnes responsables et intelligentes et non d’être caricaturés par des personnes qui ne collectionnent pas et qui vous assimilent à des exemples réels de collectionneurs névrosés malades.
Mais en fait peu de collectionneurs passent les limites du raisonnable ..... ( OUF ), et le collectionneur est souvent un passionné bien sage à côté d’autres passions plus dévorantes.
La passion est contrebalancée par la raison même si ponctuellement sur des coups de cœur, la passion l’emporte sur la raison. Il suffit de voir les enchères où tous les collectionneurs ont fait leur choix avant, avec des prix inscrits et limités qu’ils ne dépasseront pas… C’est une déraison bien sage à côté de certaines addictions courantes.


Le collectionneur se sent souvent libre et heureux et pas comme on le croit souvent enfermé dans sa collection car il maitrise souvent sa passion et les comportements qui en découlent. On peut être passionné sans perdre pied ! Bien sûr, nous avons tous connu des coups de foudre passagers irrépressibles pour certains objets qu’il fallait absolument acquérir, pièce manquante du puzzle et qui font partie intégrante de la vie passionnée du collectionneur. Et parfois on se félicite pendant des années de son audace pour l’achat d’une merveille. La joie de  posséder cet objet si important est supérieure à la dépense occasionnée.
Parfois c’est le contraire, et on enrage de s’être laissé emporter pour un objet pas si essentiel que cela pour sa collection ou trop cher. Enfin tous sont contrariés, quand par maladresse, par exemple sur des enchères mal maitrisées, on loupe l’objet, qui évidemment revêt alors un intérêt encore plus grand !


Collectionneurs assumant leurs passions.
F. COURQUIN, José Daniel TOUROUDE, Bruno KAMPMANN, Denis WATEL.
 
 
La relation à votre collection si elle est omniprésente ne prédomine pas les autres relations de la vie. Certains collectionneurs se définissent comme originaux et s’en amusent. C’est juste un centre d’intérêt avant tout intellectuel et qui remplace avantageusement d’autres activités.