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mercredi 3 décembre 2014

BUFFET-CRAMPON : La clarinette au cœur. Première partie. Entretiens avec quatre acteurs principaux de l'histoire de la clarinette chez Buffet Crampon : Michel ARRIGNON (MA), Eric BARET (EB), Daniel GAUTIER (DG), Maurice VALLET (MV).

 par José-Daniel TOUROUDE (JDT)

Notre objectif est un devoir de mémoire afin de faire connaître les acteurs principaux de l'histoire des instruments à vent.
(cf.  Article Gérard BADINI sur les saxos Selmer sur ce blog)
Cliquer sur ce lien pour voir l'article : Gérard BADINI et les saxes Selmer.

De gauche à droite : E. BARET, D. GAUTIER, M. ARRIGNON, M. VALLET.
Photo RP mars 2015.
Le fil rouge de nos entretiens se concentrent uniquement sur les clarinettes sopranos professionnelles afin  de voir leurs évolutions pendant 70 ans. L'article est composé de deux parties :
La première relatant l'expérience des acteurs qui ont façonnés ces clarinettes, notamment les clarinettes de légendes :R13, BC20, RC.
La deuxième partie, toujours avec nos spécialistes, nous analyserons les clarinettes actuelles : FESTIVAL,PRESTIGE, TOSCA, DIVINE.
Pour accéder à la deuxième partie de cet article cliquez sur ce lien :

Nous verrons aussi le rôle des essayeurs de clarinettes qui sont aussi des conseillers techniques impulsant et participant aux évolutions avec l’apparition des nouveaux matériaux et l’évolution de la société dans un marché mondialisé.
En introduction, un petit rappel historique :
Le fondateur Denis BUFFET-AUGER est issu d’une des familles de facteurs d’instruments à vent qui se sont rassemblés depuis un siècle à la Couture-Boussey.
Son fils Jean Louis BUFFET en se mariant avec Zoé CRAMPON, va accoler les deux patronymes afin de se distinguer de son oncle, le facteur et innovateur Louis Auguste BUFFET. Celui-ci avec le clarinettiste KLOSE va adapter les anneaux mobiles de Boehm sur la flûte (d’où le nom de système Boehm) et inventer la clarinette moderne vers 1840 (sauf en Allemagne ou OEHLER perfectionnera la clarinette de MÜLLER).



Après quelques années à Paris, Jean Louis BUFFET va installer ses ateliers à Mantes - la- ville et fera des clarinettes, hautbois, bassons. Après la fin des brevets d’Adolphe SAX, en 1866, l’usine fera aussi des saxophones excellents. EVETTE et SCHAEFFER en 1885 puis bien d’autres depuis rachèteront cette société mais garderont toujours la marque «Buffet Crampon» véritable label de qualité reconnu dans le monde entier et honoré de nombreux prix nationaux et internationaux.
Atelier de BUFFET-CRAMPON vers 1890. Section montage
de clarinettes. (Source Maurice VALLET-BC)

Après ce rappel introductif succinct de l’histoire de cette marque, Maurice VALLET, toi qui es lié étroitement à l’usine Buffet Crampon à Mantes, peux-tu nous raconter ton parcours professionnel et les réalités du travail chez Buffet Crampon au XXème siècle ?
MV : " L’usine BC, comme les autres entreprises en France, a subi le choc des deux guerres mondiales : la première guerre mondiale priva BC de nombreux compagnons qualifiés. Puis des usines américaines concurrencèrent BC avec les clarinettes en métal et les saxophones. BC lutta contre ces nouveaux concurrents et grâce à son exigence de qualité, BC avait repris des parts de marché notamment les clarinettes, lorsque arriva la deuxième guerre mondiale. La 2ème guerre mondiale avait rendu le pays exsangue, certains ouvriers revenaient de STO en Allemagne (certains métiers sont proches de ceux d’usines d’armements) ou des camps, d’autres avaient disparus. BC n’avait pas été détruite et gardait son
image prestigieuse. Beaucoup voulaient travailler dans cet établissement même si l’usine BC n’était plus que l’ombre d’elle même… mais il fallait tout reconstruire, retrouver des compagnons, recomposer les savoir-faire avec des outils et des matériaux de fortune. Quelques anciens dont Robert Carrée (RC) vont remettre en route l’usine Buffet Crampon (BC) et rechercher des apprentis. Né d’une famille modeste, mon père était décédé, il fallait travailler. Je n’étais pas musicien, ni issu d’une famille de musiciens, mais mon beau-frère travaillait chez BC. Aussi en 1946 à 14 ans, j’ai commencé mon apprentissage, en faisant les tâches ingrates dans un cadre qui n’était pas agréable et propre comme l’usine actuelle ! En 1946: l’usine avait seulement 30 compagnons (ouvriers) et 20 arpettes (apprentis). On travaillait au moins 50 h par semaine car les ouvriers étaient payés à la pièce et on avait tous besoin d’argent dans cette société en pleine reconstruction et de consommation naissante".  
BC vers 1935 : Section montage de clarinettes.
Chef d'atelier Mr MARIGAUX  à gauche en blouse blanche,
au tour à pédale. (Source Maurice VALLET-BC)
JDT : La facture d’instruments de musique à vent se compose de nombreux métiers très différents liés au bois et au métal, lequel as-tu fait ?
MV : "J’ai appris le métier de fabrication, l’ajustage, la soudure mais aussi le montage des clés et après 3 ans d’apprentissage, je suis devenu ouvrier dans les métiers de clétier et de monteur-assembleur. R. Carrée qui était au départ lui-même dans ce métier m’a formé et soutenu. A l’époque, nous faisions tout, notamment les outils mais nous bricolions aussi les machines, nous récupérions des matériaux et nous faisions une clarinette de A à Z !  Nous avions l’impression de revenir chez les facteurs de clarinettes au début du siècle à la Couture-Boussey ! Epuisant mais tellement formateur et puis l'enthousiasme de la jeunesse et l’époque de la reconstruction de la France nous poussaient tous".

JDT : Donc l’usine a pu redémarrer rapidement ?
DG : "Oui mais pas si facilement car BC a eu affaire à un concurrent redoutable : l'usine automobile de Poissy alors en pleine renaissance, avait aussi besoin également d’ouvriers qualifiés et débaucha en donnant de meilleurs salaires. Pour contrer cette hémorragie, RC a motivé les jeunes ouvriers et les apprentis car la demande d’instruments revenait".
 
Personnel Buffet-Crampon en 1930.
Robert CARRÉE est au deuxième rang troisième en
partant de la droite avec un pull- over sans manche.
JDT : Avec des outils de fortune, cela ne devait pas être facile, mais les facteurs anciens faisaient tous leurs outils et cela donnait des caractéristiques spécifiques et même certaines qualités acoustiques.
 MA : "C’est encore le cas pour le son si spécifique et inimitable de BC car si on peut copier et reproduire une clarinette à l’identique, et certains ne s’en sont pas privés, il est complexe de reproduire le son BC à cause des outils, des savoir-faire secrets nés à cette époque et jalousement gardés".

MV : "C’est là aussi l'apport de Robert Carrée car les conditions du travail n’étaient pas faciles avec peu de matériel, il fallait être créatif et utiliser les moyens du bord (ainsi par exemple on faisait des charnières avec les baleines de parapluie…). On créait des outils ou on en récupérait (c’est ainsi que les outils du grand facteur lyonnais SIMIOT se sont retrouvés chez BC). Par exemple on ne pouvait pas trouver des limes si importantes dans mon métier, alors on récupérait des vieilles limes qui étaient de vraies savonnettes, usées et sans cesse arrangées et on allongeait leur durée de vie…. Procédé peu performant mais on n'avait pas le choix".
BUFFET-CRAMPON vers 1965 : section clétage et montage de clarinettes.
(Source Maurice VALLET-BC)
JDT : Le travail était essentiellement manuel mais paraissait assez classique  d’ailleurs en voyant les photos de 1885, 1935 et 1965 du même atelier de montage de clarinettes, on perçoit peu de différences. Mais est-ce qu’il y avait des méthodes différentes ?
MV : "Oh oui ! Par exemple tu as vu le perçage des trous des clarinettes avec les machines à commande numériques mais à mon époque, le travail était différent, par exemple on faisait les trous qu’à la fin (maintenant c’est l’inverse). On montait donc les clés avant sur des trous virtuels puis si tout s’agençait bien, on démontait les clefs, on creusait les trous, on remontait l’ensemble et les finisseurs rendaient les instruments jouables. Puis Pierre LEFEBVRE, (clarinette solo de la Garde républicaine et des concerts Lamoureux) les essayaient chez BC (de 1934 à 1953), et elles pouvaient partir à la vente". 


Page d'un catalogue de BC des années 1950
Avec la photo de Pierre LEFEBVRE.
Merci à Jacques DIDIER pour ce
document.
JDT : Comme le travail était manuel, chaque clarinette passait par différents ateliers où différents métiers permettaient d’élaborer l’instrument mais peut–on parler de travail à la chaîne ?
DG : "Pendant longtemps, le travail était proche des facteurs anciens, nous étions peu nombreux et cela nous permettait de connaître plus ou moins les autres métiers du processus de fabrication et les collègues. Parfois on donnait un coup de main quand cela s’engorgeait dans un atelier. Cette polyvalence à l’ancienne n’existe plus. Car c’est en 1960 que l’organisation du travail changea, avec des machines, des fournisseurs de matériaux et des petites pièces, et une fabrication en séries (nous ne disions pas à la chaîne) où c’est vrai le travail est plus parcellisé, plus spécialisé et plus performant car la demande mondiale de clarinettes était importante surtout avec le succès de la R13 aux USA, mais nous y reviendrons".
JDT : Quels types de clarinettes faisiez-vous alors ?   
MV : "Les modèles des clarinettes qui ne sont connus désormais que des collectionneurs comme la N1 (la Boehm classique), la 1D (avec un do#/sol# articulé), la 2N (anneau ré/la), puis la 2DN, (full Boehm avec la clé supplémentaire descendant au Mib)…A chaque innovation de mécanisme, une clarinette différente existait. Mais à l’époque c’était normal. Si vous prenez le catalogue Evette et Schaeffer de1922, il y a je crois 47 clarinettes BC différentes en vente ! Et puis au fur et à mesure de la progression de mon savoir-faire, RC m’a mis à la fabrication des clés des clarinettes altos et clarinettes basses qui sont plus difficiles à réaliser car la demande mondiale augmentait".
JDT : Que penses-tu de ta vie d’ouvrier puis de chef d’équipe chez BC à cette époque ? 
MV : "Le compagnon chez BC était considéré comme facteur d’instruments, comme un technicien dirons-nous aujourd’hui, mais le travail était dur, physique et précis à la fois. Nous étions fiers de notre métier, de notre appartenance à cette usine et du souci permanent d’excellence même si on se salissait, même si on n’était pas très bien payé. Notre travail était sublimé par les virtuoses du monde entier qui jouaient sur nos instruments et qui étaient très respectueux avec nous, voire admiratifs. L’admiration était partagée en les écoutant. Quand on travaillait tous sur un nouveau modèle, reprenant les acquis passés, cherchant des innovations pour répondre aux demandes, c’était exaltant mais exigeant. On ne comptait plus notre temps, seul le projet comptait mais quelle récompense quand on entendait les plus grands musiciens sur nos réalisations !
L’ambiance était studieuse, passionnée car on cherchait sans cesse à progresser dans nos métiers pour perfectionner l’instrument, régler les problèmes et tout concrétiser dans un nouveau modèle. La hiérarchie était toujours exigeante, pas forcément sur les cadences mais il ne fallait pas lambiner car on était payé à la pièce, mais sur la qualité et nous n’avions pas beaucoup le droit à l’erreur. A cette époque les rebuts de bois ou de métal dus à des erreurs n’étaient pas recyclés et coûtaient très cher.  Chez BC cette mentalité a bien sûr évolué avec le temps mais néanmoins perdure pour l’essentiel et les conditions de travail qui étaient assez éprouvantes se sont bien améliorées".
Catalogue BC de 1975.
JDT : Faire un nouveau modèle de clarinette est une œuvre collective mais qui impulse un nouveau 
modèle ? Le directeur, les ingénieurs, les essayeurs ?
MV : "A mon époque (1946-1992), il n’y avait pas d’ingénieurs, il y avait un patron compétent et reconnu par tous (Robert Carrée), des compagnons qualifiés, des apprentis et des musiciens".
DG : Mon parcours est pratiquement identique et je souscris totalement à ce qu'à dit mon ami et collégue.
MA : "Les musiciens vivent avec leurs instruments tous les jours et repèrent les défauts minimes mais réels en jouant dans l'orchestre. Cette analyse des besoins est souvent discutée entre les musiciens professionnels et aboutit à une demande plus ou moins formalisée auprès du fabricant. Un marché existe alors et il faut y répondre. Là s’ébauche la nécessité d’un nouveau modèle qui prend en compte la demande des musiciens avec des objectifs précis : telle note un peu basse, telle autre sourde ou voilée avec peu d’harmoniques, telle clé difficile à jouer pour certains traits".
MV : "Le musicien est un perfectionniste obligatoirement et il demande toujours plus à son instrument pour jouer mieux. Dès la sortie d'un modèle l’information va à la vitesse du son ! Et des milliers de clarinettistes à travers le monde l’essaient, la commentent, la comparent et souvent la commandent puis avec l'utilisation, des idées nouvelles pour la suivante émergent ! Alors le rythme de travail de fabrication devient soutenu avec toujours l’exigence de la qualité".  
JDT : La France avait les meilleurs fabricants de clarinettes du monde (BC, Selmer, Leblanc etc.) et vous étiez concurrents. Quelles étaient les relations entre vous ?
MV : "Les facteurs de clarinettes, même concurrents, ont toujours été très liés et par exemple à la Couture Boussey, ils se mariaient entre eux. Les collectionneurs sont très pointus sur les différentes estampilles de ces familles imbriquées. A mon époque, les relations étaient plutôt cordiales et il y avait peu de débauchage de compagnons qualifiés. La concurrence existait mais sur les marchés internationaux, qui étaient essentiels pour tous, on renforçait le «made in France».
DG : La diffusion des innovations créait un climat d’émulation permanente et c’est pour cela qu’on ne se rappelle mal avec le temps qui fut le premier à créer telle innovation. Ce qui est amusant, c’est que les musiciens sont moins tolérants et défendent leurs instruments, leurs modèles, leurs marques avec plus de passion que nous".

JDT : Si je comprends bien « la Divine » vient de sortir mais EB, MA et P. Meyer sont déjà en train de réfléchir à un autre modèle ? 
Rires des intéressés mais silence !
JDT : Malgré l’industrialisation voire la robotisation, la clarinette a une partie importante de sa fabrication encore humaine. Quand BC est –il passé vraiment à l’ère industrielle pour suivre la demande croissante ?
MV : "En 1985, BC a connu une nouvelle direction avec une nouvelle mentalité, des investissements dans des machines modernes, une évolution des métiers, une gestion de production et un marketing différents et aussi des licenciements douloureux d’anciens compagnons suite à cette modernisation. La nouvelle politique remplace aussi en 1992 le paiement à la pièce, qui était la norme, par le salaire mensuel, ce qui a fait chuter de suite la productivité et il a fallu des années pour la retrouver. La formation sur les postes de travail était essentielle mais maintenant l’apprentissage a été remplacé par les diplômés de l’ITEM du Mans et les diplômes techniques. Les jeunes sortis des écoles techniques ont souvent une bonne base, mais pour dominer ces métiers si spécifiques, ils travaillent avec des tuteurs c’est à dire des anciens pour acquérir le savoir-faire requis pour travailler sur le haut de gamme. Ils sont utilisés surtout au stade de la finition des clarinettes. Le savoir-faire et les secrets ainsi se transmettent et se perpétuent car on reste souvent longtemps dans cette entreprise. 
DG :Une fabrication de qualité ne suffit plus actuellement, la concurrence est mondiale avec de nouveaux acteurs. De plus en plus, la stratégie, le management, le marketing, le bureau d’études deviennent importants. L’ancienne mobilité interne dans l'entreprise demeure. La plupart d'entre nous avons commencé comme apprenti ou ouvrier et gravi les échelons en prouvant notre compétence".

JDT : Pouvez vous nous décrire les différentes étapes de la fabrication d'une clarinette ? Commençons notre analyse technique de la clarinette par le bois. 
MV : "Là aussi les choses ont bien changé. Par exemple dans les années 50 le bois qui arrivait de Tanzanie et du Mozambique (le seul ébène de qualité) arrivait à l'usine en grumes et on avait des scieurs dans l'usine puis des personnes qui faisaient des carrelets, d'autres qui dégrossissaient et perçaient. Tout le grenier de l'usine servait à stocker le bois pour le séchage naturel pendant au moins 7 ans. 
DG : On trouvait même des scorpions dans l'ébène africain à Mantes! Il fallait faire attention.
EB :Maintenant BC a deux fournisseurs de bois qui préparent les carrelets aux normes indiquées.
MV : Dans les années 60, avec la modernisation de la production (le travail en séries) et la nouvelle économie de l’entreprise (réduction du coût de production), on augmenta la productivité. Ainsi par exemple le stockage du bois qui immobilisait une trésorerie importante et où BC devait en plus payer des impôts sur les stocks à l’époque ont modifié le procédé de séchage naturel trop coûteux. Le séchage naturel a été remplacé par des autoclaves qui sous pression réalisent le séchage du bois puis le huilage (huile de lin) puis plus tard vint les fours. Après ce sont les étapes connues de tournage et le perçage". 
JDT : Après le travail du bois continuons notre analyse technique de la clarinette par l’usinage des clefs en métal puisque c’était ta spécialité. Le maillechort est le matériau de base mais est-ce que Buffet n’a pas sa formule secrète ? 
MV : "Le maillechort est acheté à un fournisseur français qui a un laminoir et coule les lingots en plaques de différentes épaisseurs et calibrées. Le maillechort  que nous achetons est composé de zinc, cuivre, nickel  et c’est vrai que BC met en plus 1% de plomb ce qui lui donne certaines qualités pour la mise en forme des clefs + 1 secret d’un autre produit ! Une fois que nous avons découpé le maillechort avec une machine électrofil, on fait le perçage, le biseautage, le fraisage puis on fait l’estampage avec une matrice de forme faite à l’usine puis on presse. La clé est donc faite mais elle est grossière. Alors à l’atelier clétage, on l’affine avec les limes, on réalise ensuite les soudures à l’argent avec un décapant liant. Puis on met ces clefs dans des bains à électrolyse de cuivre puis les bains au choix de chromage, nickel ou argent voire en plaqué or sur demande. On suit les demandes d’ergonomie des clés souvent modifiées selon les modèles et parfois nous sommes obligés de refaire des matrices de formes.
Par exemple Buffet se singularise avec les 4 clefs actionnées par le petit doigt de la main droite corps du bas qui sont penchées alors que la plupart des autres marques ces clés sont droites. A mon époque on faisait à l’usine la plupart des éléments comme les boules (il y en a  de différentes tailles et hauteurs sur une clarinette et elles sont en maillechort sauf sur le modèle Elite où elles étaient en or !) mais aussi les charnières, les patins, les vis. Désormais ces éléments ne sont plus fabriqués à l’usine mais commandés à des fournisseurs. Les ressorts en acier bleuté et les ressorts aiguilles (Brevet A. Buffet) sont toujours les mêmes depuis des décennies ainsi que les bagues en maillechort qui sont sous- traitées également".
EB : Nous avons des milliers de pièces détachées différentes que nous sommes obligés de gérer. Rendez vous compte ce qu'il y a sur un seul modéle de clarinette..et si on analyse tous les modèles de clarinettes différents, plus les autres instruments et leurs modéles différents d'une part et d'autre part alimenter les demandes du monde entier, il nous faut un bureau spécial de haut niveau. C'est sûr qu'il faut encore rationaliser mais ce n'est pas évident sur des instruments haut de gamme".
JDT : Et le fameux logo ? Il paraît qu’il n’a pas qu’une fonction esthétique. Mes professeurs René Barras ou De Peyer nous obligeaient à les mettre bien alignés avant de jouer !
EB : "Le logo existe depuis 1844 pour BC et depuis 1860 pour BC et Cie il est doré (estampille qui est pressé à chaud sur un ruban doré.) Et vos professeurs avaient raison, pour l’acoustique il faut aligner les logos qui ne sont pas mis au hasard. En effet, on tourne le barillet et le pavillon et on pointe la place où le son est meilleur et alors là seulement on met le logo dans l’atelier spécialisé. C’est vrai car en tournant le pavillon le son est différent du logo aligné".
Tampons de clarinettes.
JPD : Et les tampons des clés : quelles évolutions avez-vous connu ?
MV :" A mon époque, on utilisait surtout des tampons en feutre et baudruche, puis en liège, en cuir.
Puis les tampons troués avec résonateurs (Elite, clarinettes basses, saxos). Maintenant BC utilise de plus en plus les tampons en Gore Tex, nous en reparlerons".

JDT : Abordons maintenant les nouvelles perces les clarinettes de légende : R13, BC20, RC de Robert Carrée, car Buffet Crampon a eu la chance d’avoir un innovateur talentueux qui a contribué à la réputation de l’excellence de cette marque. Vous qui avez eu la chance de travailler avec lui, pouvez vous nous parler de cet homme et nous dire quelles sont ses contributions ?
MV : "En effet j’ai travaillé pendant 46 ans sous les ordres de Robert Carrée et c’était un passionné, rentrant comme apprenti en 1921, contremaître en 1947 et directeur technique en 1953, habitant pratiquement dans l’entreprise, pensant aux instruments jours et nuits (et il n’était pas rare selon les dires de son épouse qu’il se lève la nuit) mais contrairement à ce que beaucoup pensent, il n’était pas clarinettiste !
Je pense que cette faiblesse a priori a été une force en définitive (face à Leblanc ou aux frères Selmer clarinettistes professionnels…) car il ne faisait pas une clarinette selon ses caractéristiques personnelles ou son jeu mais il s’ouvrait sur le champ des possibles et sur les spécificités des uns et des autres. Ainsi il faisait sans cesse «le coup du plateau» où il mélangeait une quinzaine de clarinettes dont certains prototypes".
JDT : Qu’est-ce que c’est le coup du plateau ?
Robert CARRÉE en 1930. (Source BC) 
DG : "Comme les plus grands clarinettistes du monde passaient sans cesse à l'usine, il leur faisait essayer un plateau de divers exemplaires très différents en aveugle. Cela permettait à RC d’affiner, de progresser, de noter les demandes d’innovations, les problèmes rencontrés, les critiques et les points forts à garder sur son petit carnet et en plus il y avait les essayeurs «maison» pris parmi les meilleurs clarinettistes de la place".
R.CARREE essayant une clarinette
avec J.C MICHEL. 
JDT : Un des principes acoustiques qui donne le son caractéristique de la clarinette est sa perce cylindrique depuis Denner de 1700 jusqu’à 1950.
R. Carrée qui peu à peu était devenu acousticien a révolutionné ce principe en créant deux types de perces (la R13 en 1950 au début de sa carrière de responsable et la RC en 1985 à la fin de sa carrière). Ces deux clarinettes sont pourtant très différentes et vont créer en fait les deux familles de clarinettes postérieures chez Buffet Crampon. On voit bien que la perce est essentielle. Commençons par la R13.
MV : "En effet en 1950, Robert Carrée va créer la R13, une perce spécifique particulière, étroite de 14,63 mm qui va connaitre un immense succès, et j'ai participé à cette aventure avec D. GAUTIER et J.LANCELOT. La R13 a été créé notamment pour les USA.
DG : Les objectifs poursuivis étaient de faire selon la blague un instrument « clair et net »
*Créer une nouvelle clarinette avec une perce poly-cylindrique (c’est à dire composée de plusieurs diamètres à l'intérieur de la perce) avec des innovations qui la différenciaient des précédentes.
*Rechercher aussi un son plus fin, léger et brillant d’où une perce plus petite et donc une clarinette un peu plus longue et fine.
* Améliorer aussi les qualités d’intonation, une plus grande justesse et des harmoniques plus riches.
*Donner également une facilité d’émission, une perce plus étroite demandant moins d’air tout en donnant une bonne projection du son. 
*Créer une clarinette pour la musique classique pour répondre notamment aux demandes des USA, marché essentiel.
*Modifier le clétage traditionnel vers plus de confort (RC était au départ clétier, ne l’oublions pas)
*Améliorer les tampons qui ont une influence importante pour l’intonation et la sonorité avec des tampons en baudruche.
*Modifier la boite et le conditionnement afin que la clarinette ne soit pas compressée dans la boite mais protégée.  
Cette perce dite «à la française» est idéale pour jouer la musique classique (sauf peut-être pour certaines musiques romantiques allemandes ou pour le jazz diront certains). 
MA : "Bien sûr, elle n’était pas parfaite, malgré un saut qualitatif essentiel. Certains paramètres comme la justesse dans tous les registres restaient encore à améliorer, ce qui était un problème récurrent. En effet en quintoyant, la clarinette donne fondamentalement les notes graves trop basses et les notes hautes trop hautes simplement en mettant la clé de douzième. La facture de la clarinette (de BC et de ses concurrents) aura pendant des décennies pour objectif de rechercher une plus grande justesse des notes et des harmoniques riches dans tous les registres. Ce problème constitutif de la clarinette a été gommé peu à peu à chaque nouveau modèle et va être résolu vraiment avec la Tosca, après des décennies d’essais et l’utilisation de machines de plus en plus élaborées".
MV : "Cette clarinette novatrice R13 est devenue ainsi une référence dans le monde des clarinettistes et va engendrer une famille de modèles de plus en plus sophistiqués issus de cette clarinette. Et puis son succès technique et commercial a renforcé l’image de BC à travers le monde".

JDT : C’est une date importante dans l’histoire de la facture de la clarinette car à  partir de la R13 toutes les perces des clarinettes postérieures vont être poly-cylindriques, ce qui fait une entorse au principe sacro-saint de la perce cylindrique de la clarinette. Ceci montre aussi que l’acoustique de la clarinette est très complexe et ne peut progresser que par tâtonnements. DANGAIN indique qu’avec les acousticiens de Selmer, ils ont mis 2 ans avant d’équilibrer la perce «à l’allemande» de la Récital. Vous les concepteurs de clarinettes, vous devez résoudre un système d’équations à plusieurs inconnues et jongler sans cesse avec une quantité de paramètres avec le danger qu’en accentuant trop un paramètre, il entraîne souvent une faiblesse pour un autre.
EB : " oui c’est la difficulté et le challenge permanent de ce métier. Le problème récurrent actuel est de peaufiner, pas par de grands bouleversements, nous ne sommes plus à l’époque de Müller ou d‘Auguste Buffet mais d’améliorer une multitude de réglages, de corrections, de détails, d’utilisation de nouveaux matériaux afin de faire de la clarinette un instrument presque parfait".
Eric BARET.
MV : "Un autre objectif est de faire une clarinette polyvalente pour pouvoir jouer toutes sortes de musiques et c’est vrai qu’une clarinette jouant de la musique de chambre, un concerto avec un orchestre symphonique, du jazz, une musique militaire en plein air ou de la musique contemporaine ne doivent pas avoir les mêmes qualités et pourtant il faut répondre à la demande de tous les musiciens. 
DG : On ne peut pas faire des séries trop spécialisées et limitées, sur mesure selon les différents besoins de chacun, cela ne serait pas rentable. Il faut donc trouver là encore un savant équilibre qui contente tout le monde avec des besoins différents et vu l’exigence accrue des professionnels et de la concurrence internationale, ce n’est pas un mince défi ! 
MA : On ne peut pas agir sur toutes les composantes à la fois, certaines sont antagonistes, il faut y aller doucement et chaque modèle apporte sa pierre à l’édifice dans l’évolution de la clarinette". 
JDT : Pouvez vous nous donner des exemples de ces objectifs contradictoires?
MV : "Par exemple si la demande des musiciens est d’avoir un instrument plus léger, cela devient un objectif d’amélioration, mais réduire l’épaisseur du bois et des clés ne doit pas entraîner la fragilité de l’instrument. Voici un exemple de composantes antagonistes. Il faut trouver des innovations et rechercher l’équilibre sans cesse. Cela paraît simple en le disant mais c’est très complexe pour le réaliser et cela passe maintenant par l’utilisation de nouveaux matériaux car avec les matériaux traditionnels, on a pratiquement tout essayé".

JDT : Certaines clarinettes, au demeurant excellentes, sont lourdes. Est-ce que la légèreté est un objectif recherché ?
MA : "La légèreté est un objectif secondaire mais qui ne doit pas fragiliser l’instrument. Ce fut une des qualités et un défaut de l’Elite. Ce fut une clarinette magnifique mais néanmoins fragile, réservée pour les professionnels précautionneux. Maintenant c’est complètement différent car une clarinette peut être légère ET solide grâce à l'utilisation de nouveaux matériaux composites".
MV : "Certains vont demander un objectif d’amélioration sur les cheminées et les trous afin d’éviter les obturations par la salive et la condensation de l’air. Cette idée on la retrouve déjà dans les clarinettes du 19ème siècle avec des tubes de laiton, ivoire ou en os dans les cheminées.
EB : Ainsi nous avions cet objectif à réaliser pour la Divine. Nous avons donc fait aussi des inserts en Green Line dans les cheminées et bien sûr on a essayé toutes sortes de tampons (d’où actuellement le Gore Tex imperméable). L’objectif a été atteint".
Clé d'une clarinette Lefévre à Paris
vers 1850.
DG : "D’autres musiciens comme Paul Meyer vont demander une clarinette solide résistante aux chocs thermiques pour éviter les fentes, comme les musiciens militaires qui jouent en plein air (harmonies civiles et militaires etc…). C'est l'avantage de la Green Line par rapport au bois.
MV : Je me rappelle aussi que les musiciens ont critiqué le repose pouce par exemple qui était fixé selon une morphologie moyenne. Or tous les clarinettistes surtout avec la présence de femmes clarinettistes de plus en plus nombreuses, n’ont pas la même morphologie. Pour pallier ce problème, l’idée d’un repose pouce réglable est apparue avec la Festival mais appliqué surtout dans les clarinettes d'études. Cela paraît une innovation mineure mais fondamentale pour le ou la clarinettiste qui joue plusieurs heures par jour et qui en assez d’avoir mal au pouce !  Le confort et l’ergonomie sont des objectifs essentiels depuis toujours dans la facture d’instruments. Il y a ainsi des dizaines de petits problèmes à résoudre et de paramètres parfois incompatibles à concilier, obligeant des innovations et cela se fait peu à peu et souvent un modèle concrétise une évolution technique et acoustique".

JDT : Mais si on regarde les catalogues des fabricants, les modèles, qui étaient au départ différenciés et qui constituaient des jalons dans le temps de la progression de l’instrument, se ressemblent désormais de plus en plus. Pour le néophyte, c’est difficile de s’y retrouver avec cette normalisation mondiale.(d'ailleurs les clarinettistes jouent de plus en plus de la même façon, répondant à une norme de la mondialisation et de l’excellence)
MA : "Bien sûr car ce qu'il faut savoir c’est que la progression n’est pas toujours linéaire mais souvent cyclique et lorsqu'une innovation est faite avec succès pour un modèle, on essaie de l’appliquer si possible aussitôt sur tous les anciens modèles vendus au catalogue. Ainsi certains modèles sont donc rajeunis et modernisés sans cesse et restent au meilleur niveau et ont donc une durée de vie prolongée. C’est ainsi que des modèles, qui ont quelques décennies, sont enrichis avec l’utilisation de nouveaux matériaux Et puis une innovation est de suite copiée par la concurrence et malgré les brevets cela ne suffit pas toujours à garder notre avantage concurrentiel. Ainsi la RC vendue en 2015 vient de bénéficier des améliorations d'autres modéles ".
Eric BARRET après l’essayage des clarinettes 
chez BC se défoule avec les bons becs
JDT : De la R13 à la RC, il y a eu une succession de clarinettes dans cette quête de la perfection en essayant de régler certains problèmes bien identifiés et d’améliorer certains paramètres. Peux-tu nous retracer les modèles de clarinettes anciennes ? Certaines clarinettes de légende sont attachées à nos histoires personnelles et discographiques et nous ont marqué mais aujourd’hui mon propos est de cerner et de suivre les jalons de l’avancée technique actuelle. Après la R13, R Carrée s’est orienté vers la recherche de quoi ?
DG : "Il ne faut pas croire que R.Carrée n’a fait que deux clarinettes fameuses R13 en 1950 et la RC en 1985. En 1963, il y a eu notamment la BC20, clarinette haut de gamme jouée par de grands clarinettistes. L’essayeur était encore J. Lancelot et  j'ai beaucoup travaillé sur ce modéle". 
Clarinette BC 20 de 1963.
"La  BC20 est une clarinette très différente de la R13 par sa perce qui est cylindrique et non poly-cylindrique comme la R13. Le barillet avait une perce conique inversée (ce qui était original) et le pavillon avait été aussi travaillé plus conique . En fait, les éléments fondamentaux de la modification d'une clarinette à une autre (à part le bec et l’anche) sont toujours les mêmes : perce, barillet, trous et cheminées, pavillon. Grâce aux  innovations l’émission du son, le timbre, la justesse, la puissance ont été modifiées. Une caractéristique secrète que je peux révéler maintenant avait été d’arrondir les bords des tenons du corps du bas, ce qui est imperceptible, mais qui a entrainé aussi un petit impact.
Ceci paraît un détail mais cela a parfois des conséquences surprenantes. Notre métier, fait de milliers d’essais et d’analyses, nous permettait au fil du temps d’acquérir, par un travail de fourmi créatif et rationnel, d’élaborer un savoir faire qui n’existait dans aucun livre de facteur ou d’acoustique. On cherchait en aveugle, on expérimentait et on ne savait pas sur quels résultats on allait tomber. Le musicien donnait son avis et ses critiques….On perçait de 14,83 à 14,93mm, on creusait un peu la perce pour voir…On est loin de la pensée scientifique de l’IRCAM et des bureaux recherche et développement qui cherchent à comprendre le pourquoi de tel son, à modéliser, à expérimenter des clarinettes virtuelles en 3D… nous c’était artisanal, un autre siècle !"
MV : "Nous avions aussi travaillé l’ergonomie du clétage sur la BC20".
MA : "C’était une excellente clarinette au son clair et brillant, (le son dit français comparé aux allemandes) mais l’inconvénient majeur était que le diapason était trop haut (La = 444 Hz  voir plus ) et posait des problèmes pour s'accorder à l’orchestre et à l’Opéra". 
DG : "Il y a eu aussi d'autres clarinettes comme la Continental qui s’est assez bien vendue se situant entre l’ancienne Evette et Schaeffer (qui était un bon modèle ancien) et la R13 Il y a eu aussi la S1 qui n’était qu’une variante de la BC20 et qui a eu qu’un succès d’estime car il n’y avait pas assez d’innovations par rapport à l’original : la BC20".
Catalogue BC de 1975.
EB : "On essaie toujours de concilier deux clientèles différentes : des amateurs, des étudiants qui constituent le plus gros de la clientèle et la plus rentable. Ces clarinettistes sont moins exigeants (sauf sur le prix) et plébiscitent un instrument fiable, solide, généraliste, ces musiciens jouant différentes musiques. Toutefois ils sont sensibles aux modes et ont des besoins spécifiques (facilité d’émission, robustesse, ergonomie…). Mais il y a aussi les professionnels qui sont exigeants, qui veulent le meilleur et en fait du sur mesure. Je pense qu’avec la tendance sociologique à la customisation et l’individualisation actuelles et les progrès actuels en recherche et développement, on arrivera à faire des clarinettes de plus en plus personnalisées et adaptées à chacun quand on pourra modéliser tous les paramètres. Mais à l’époque dont on parle, certaines clarinettes se déclinaient avec des variantes, relativement facile à réaliser à l'usine et qui permettait déjà une certaine adaptation et adéquation au clarinettiste".

Lancelot joue Brahms.
JDT : Votre voisin à Mantes et concurrent Selmer faisait alors aussi d'excellentes clarinettes. Benny GOODMAN avec sa Centered Tone dans les années 50 était un ambassadeur redoutable puis vint plus tard la Récital qui s’orientait vers un son plus large à l’allemande et apprécié aussi par les jazzman. Leblanc était aussi très prisé par les orchestres militaires comme la garde républicaine. BC avait même crée une clarinette jazz : « la super dynaction » avec comme essayeur Maxim Saury, non ?
DG : "La clarinette Jazz ! on était assez dubitatif. Le patron nous avait demandé de créer avec l’aide de M. Saury la clarinette Superdynaction. Elle devait bien sonner (il n’y avait pas encore de micros attachés à l’instrument) pour que dans un orchestre de Jazz on puisse entendre la clarinette avec trompette, trombone, saxos etc… ou dans un big band. Comme les jazzmen serrent moins les lèvres, il fallait remonter le diapason par un barillet plus court mais cela entrainait un problème de justesse relative entre les registres, ce qui était moins grave vu que le jazzman ne cherche pas la justesse mais plutôt des effets de lèvres (à l’époque le New Orleans et l’influence de Sidney Bechet était prépondérante). Mais cela a été un flop commercial parce que d'une part les clarinettistes l’ont boudé étant inférieure qualitativement aux autres modèles et surtout par le fait que les jazzmen ont remplacé la clarinette par les saxophones (mauvaise connaissance de l’évolution du jazz puis des musiques de danse modernes comme le Rock, le Rhythm and blues…)   

MV : Mais ces effets de mode étaient marginaux pour nous car nous devions lutter contre de solides concurrents nationaux et internationaux et à l’époque nous mobilisions toutes nos forces pour sortir une autre clarinette d’exception : la RC !

Clarinette Buffet Crampon RC.
JDT : Il faut se replacer dans le contexte car au début des années 70, la demande se modifiait. On cherchait tous à avoir un son plus rond comme Portal (ou Buddy De Franco pour les jazzmen), on jouait avec des becs ouverts et en cristal Pomarico…R. Carrée va relever le défi avec une innovation majeure en créant la RC. Pouvez vous nous raconter l'aventure de la RC, cette clarinette de légende toujours vendue (et relookée), puisque vous l'avez vécue ? 
MV : "Robert Carrée va être le concepteur de la RC en 1975 pour le 150ème anniversaire de la naissance de Buffet Crampon (1825), ce qui va doper l'entreprise et faire encore un saut qualitatif pour la clarinette professionnelle. Les objectifs poursuivis étaient d’élaborer une clarinette nouvelle, éloignée de la R13 et de ses variantes avec une nouvelle perce. Vu la demande du marché, Carrée et Lancelot vont rechercher la projection d’un son plus rond, d’où une perce poly-cylindrique plus large et plus courte que la R13 mais en gardant les qualités d’intonation de la R13 et les acquis des clarinettes précédentes. Ce défi a nécessité de changer la longueur de la clarinette qui est plus courte, de changer la place des trous, d’améliorer la justesse et l’homogénéité dans tous les registres, d’augmenter la richesse des harmoniques, mais aussi de revenir au diapason 440, tout en faisant un instrument solide pour éviter les fentes, avec un clétage robuste en repensant l'ergonomie des clés, changer les tampons …. en fait rechercher le graal de tous les facteurs de clarinettes".
MA : "La RC est une excellente clarinette, j'en essaie encore et j'en certifie réguliérement la qualité. Evidemment elle a les défauts de ses qualités : la solidité et la robustesse entrainent un instrument assez lourd mais elle a eu un grand succès chez les professionnels car tous ont compris le saut qualitatif effectué. Il y avait encore, malgré les améliorations, des petits problèmes de justesse entre les registres, mais il faut bien comprendre qu’avec BC et je suis essayeur depuis trente ans, on ne se repose jamais sur ses lauriers et malgré les progrès d'un modèle, aussitôt tout le monde recherche d'autres améliorations à faire, d'autres innovations chacun dans sa partie et nous les musiciens avons notre rôle"
DG : "Il faut comprendre notre travail et même le démystifier. Notre méthodologie est faite de tâtonnements/ d’essais/ d’erreurs/ d’évaluations/de corrections. Comme R. Carrée, puisque notre savoir-faire était fruit de l’expérience et de l’empirisme comme tu dis, on notait chaque geste avec son intensité et l’outil utilisé dans un carnet secret et on enregistrait les résultats positifs ou négatifs et sur quels paramètres on agissait : facilité d’émission du son, justesse, timbre….barillet, pavillon, trous et cheminées, et corps du bas que l’on creusait ou rehaussait… un coup de fraise, de papier de verre extra fin dans tel endroit et on analysait les résultats. Grace aux milliers d’essais enregistrés, cela ne se faisait pas au pif évidemment ! on savait qu’à tel endroit limer ou creuser entraineraient un impact…mais on a eu des surprises malheureuses ou heureuses. C’est comme cela que s’est crée la fameuse RC !"
Robert CARREE et Daniel GAUTIER.
EB : "Robert Carrée a été l’exemple de cette émulation et de cette insatisfaction  permanente et la RC (ses initiales !) fut, comme la R13, une étape décisive. A partir de là, deux grandes familles de perces différentes vont coexister chez Buffet Crampon jusqu’à maintenant où la Divine, la dernière-née, va essayer de faire la synthèse, mais nous en reparlerons".
 Benny pendant 1 heure.
JDT : Au départ les clarinettes BC en buis avec ses clés laiton et ses bagues en ivoire puis les premières systèmes Boehm en ébène et maillechort n’avaient pas de noms spécifiques. Qui a eu l’idée de nommer les modèles de clarinettes ? Qui choisit ces noms parfois étranges ?

MA : Chez nos concurrents comme chez BC, nous réunissons un groupe pluridisciplinaire pour un Brain Storming afin de proposer des noms. Qui le premier a commencé à accoler des noms, je ne sais pas, mais c’était dans l’air du temps comme on dit, car c’est plus vendeur et plus facile à retenir que de donner des numéros. Pour moi musicien, cette question est accessoire, mais je sais que cela n’est pas toujours aisé et que cela a un impact. Je vais te donner un exemple : Pour la Tosca, on s’est réuni et chacun a proposé des noms pour cette nouvelle clarinette exceptionnelle. Mais entre les noms déjà pris, les noms qui selon les langues et les pays ont des connotations pas toujours positives, ce n’était pas si facile.
Ainsi quelqu’un proposa la Tosca… mais après réflexion, on savait que le marché italien serait perdu car la clarinette a un nom masculin «il clarinetto» et on ne touche pas au nom sacré de l’opéra italien en Italie ! Donc BC a décidé de faire impasse sur le marché italien sur ce modèle car dans les autres pays, le nom était simple, porteur musicalement et qualitativement. Les italiens ont boudés comme prévu mais avec le succès mondial de la Tosca, ils se sont vite rattrapés.

Pour lire la deuxième partie de cet interview cliquez sur ce lien.

Le 15 12 2014 : Notre ami Jacques Didier de Metz nous fait parvenir des documents de sa collections.
Publicité des années 1950.
Personnel de l'usine Buffet Crampon en 1880.
Jacques Lancelot et Daniel Gautier devant le Strobo.
Maurice VALLET nous communique cette photo de Pierre Lefebvre :

15 12 2014 : De notre ami Jacques Didier :
Bonjour,
Parmi les nombreux articles écrits sur la Maison Buffet, celui de Jacques Lancelot nous éclaire sur la période d'après-guerre 1952-1953 et évoque la disparition de M. Robert Carrée en 1982 et la la succession de son fils Michel assisté de Daniel Gauthier qui avaient toutes les compétences pour poursuivre la fabrication et l'amélioration des instruments.
M. Lancelot avait parfaitement jugé la situation.
Cordialement.

J.Didier







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