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lundi 18 janvier 2016

"Organisation des métiers du bois notamment des facteurs d’instruments de musique au XVIII et XIXème siècle". "Organization of the wood crafts, in particular the woodwind musical instruments makers in the 18th and 19th centuries".


par José-Daniel TOUROUDE

Q : quand on admire votre collection, vous faites souvent référence à des facteurs compagnons et maîtres, à une certaine noblesse de la facture des métiers du bois et avec votre ami René Pierre dans votre blog, vous recherchez et redonnez vie à ces illustres inconnus qui ont été oubliés, à part le monde des collectionneurs. De quand date l’organisation de ces métiers ? c’est très ancien.

JDT : Oui et la première preuve écrite existe déjà en 1268 dans « le livre des métiers » d’Etienne Boileau qui recensait 121 métiers organisés en corporations dont celui des tourneurs sur bois.  Souvent encore au XVIIIème siècle on identifiait le facteur comme tourneur sur bois car il faisait aussi bien des pieds de chaises, des bondes de tonneaux de vin que des flûtes ! Puis vint la corporation des joueurs de musique en 1321, reconnaissance du statut de musicien professionnel. Plus tard en 1599 naissait la corporation des faiseurs d’instruments de musique ou luthiers. En effet les musiciens fabriquaient le plus souvent leurs instruments à l’époque. L’école allemande prônait encore il y a peu de temps que le clarinettiste devait savoir fabriquer ses anches, changer les tampons et lièges, démonter son instrument. Les instruments devenant plus complexes et artistiques, seuls des professionnels pourront les fabriquer. 
Atelier du tourneur sur bois. (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
Pouvez  vous me  préciser le cadre historique et organisationnel de ces métiers à l’origine ?

Beaucoup de métiers dont celui du bois étaient organisés en corps ou corporations permettant le regroupement de tous les membres d’un même métier avec 3 niveaux  et des mots - clés attachés à ces dénominations : l’apprenti apprenait (pendant plusieurs années durement son métier et faisait les tâches rebutantes) puis le compagnon fabriquait (ouvrier qualifié voire hautement qualifié lié à l’image souvent du tour de France) puis le maître dirigeait (patron de l’atelier souvent respecté, ayant fait un chef d’œuvre, détenteur de l’estampille, organisateur de la profession). Ces corporations, personnes morales, avaient un grand pouvoir et étaient soient des jurandes reconnues par le pouvoir royal (exemple à  Paris), soient  des corporations réglées par les municipalités (exemple à Lyon). Les guildes corporatives en Allemagne et dans l’Est étaient aussi des corporations ou des jurandes (dont les représentants se nommaient jurés). 

Mais quels étaient leurs objectifs ?

Leurs objectifs étaient de s’entraider, former des professionnels mais aussi défendre leurs intérêts (tendant parfois vers un monopole), de contrôler le marché du travail de fixer les prix, et exercer un contrôle de la qualité voire du marché, organiser et discipliner la profession avec des usages codifiés, des rituels, des règlements, des contraintes toujours plus complexes. Elles étaient dirigées collégialement par les maîtres et patrons d’ateliers qui élisaient leurs chefs et représentants. Ils fixaient les formes, les styles et les modes, les techniques et devenaient de plus en plus conservateurs mais reproduisaient parfaitement ce qu’ils avaient fixés. Il était fondamental pour travailler d’être accepté par ses pairs donc suivre les usages codifiés et la hiérarchie de la communauté, être un professionnel reconnu, avoir une éthique adéquate de l’amour du travail bien fait, des capitaux nécessaires pour payer les taxes importantes (source importante pour le pouvoir) et pour monter un atelier et régaler ses pairs. Depuis Henri IV s’installer dans les ateliers royaux du Louvre ou à l’Arsenal, était la consécration des meilleurs maîtres. Or les migrations européennes continues attirées par la France, pays riche et important, aspirateur de talents vont entraîner de nouvelles techniques et idées, de nouveaux savoir-faire (après la renaissance italienne, notamment les tourneurs sur bois flamands et allemands). Ceux qui n’étaient pas acceptés par leurs pairs organisés (souvent des étrangers ou des provinciaux (ex : les lorrains meurtris par les guerres) devenaient ouvriers libres, protégés par d’autres puissances mais à la périphérie des villes . Ainsi à Paris, ils s’installèrent dans les villages avoisinants c’est à dire les faubourgs (exemple les métiers du bois regroupés au Faubourg Saint Antoine par l’abbaye) ou la cour du temple ou l’enclos de St Germain des près, les faubourgs St Marcel et St Jacques… Et ces ouvriers en marge dans ces lieux privilégiés n’avaient pas toujours bonne réputation, étant sans cesse critiqués par les jurandes et corporations officielles auprès des autorités, garant de la réputation et du contrôle des métiers.
 
Le livre de François Icher sur les compagnons.
Il est vrai que le travail était assez aléatoire, sensibles aux périodes d’inactivité et aux troubles politiques, ou aux euphories après guerres avec des commandes importantes. Il était difficile de réguler le marché du travail. D’où les combats parfois meurtriers et les villes réservées entre compagnons faisant leur tour de France entre dévorants catholiques et gavots protestants, entre compagnons fixes et compagnons itinérants, entre les corporations officielles et les ouvriers libres des lieux privilégiés mais aussi entre les métiers et les chantiers à réaliser… les libertés d’exercer et de circuler n’existaient pas beaucoup sous l’ancien régime et il fallait trouver une protection (corporation, maître réputé, noble ou religieux puissants, entraide compagnonnique, recommandations diverses...)
Scène de rixe sur le diplôme de Languedoc le victorieux,
compagnon charron du S
t Devoir de Dieu et de Ste Catherine
 reçu à Nantes le 6 avril 1828. Collection privée.
La promotion était-elle fondée exclusivement sur le talent ?

Oui au début et c’est l’image véhiculée mais en fait des stratégies complémentaires à la méritocratie vont apparaître rapidement. D’abord chaque métier vivait dans un monde assez fermé avec ses valeurs, son langage, ses quartiers, ses outils, sa solidarité : on se côtoyait, on vivait ensemble, on se copiait, s’aimait, se jalousait dans une communauté étroite et on se mariait entre soi. (exemple des mariages croisés entre les familles de facteurs à la Couture-Boussey). Les apprentis et compagnons couchaient souvent chez le maître ou à côté et cette promiscuité resserrait les liens. Ainsi la plupart du temps le compagnon talentueux, devenant chef d’atelier épousait la fille du maître pour prendre la suite ou souvent la veuve du maître afin de continuer l’atelier et devenir maître à son tour et quand la veuve mourrait, il reprenait une autre femme jeune qui vivait entouré de jeunes compagnons qui remplaceraient le maître etc….  donc méritocratie assurément mais pas seulement . Ce qui importait c’était de continuer l’atelier (comme les paysans leur exploitation). Cette promotion sociale et l’accès à la maîtrise était courant car s’installer était vraiment difficile. Alors les compagnons en faisant leur tour de France multipliaient les chances de trouver maître, atelier et femme qui convenaient à leurs ambitions…Bien sûr quand le maître avait un fils talentueux, il reprenait l’atelier (et certains en adoptait un pour éviter les taxes). Mais la maîtrise qui est l’apogée d’un savoir-faire devint aussi un statut de patron de plus en plus héréditaire bloquant l’ascenseur social du compagnon qui, faute d’argent, ne pouvait pas s’installer. La concurrence et la liberté de s’installer étaient alors entravées. Les jurandes vont empêcher ainsi certains de prospérer fixant le nombre d’apprentis et de compagnons par atelier. Quand le maître était reconnu, il devenait bourgeois et ses enfants scolarisés pouvaient changer de classes sociales. Beaucoup d’inventaires après décès montrent que certains compagnons pauvres avaient fini dans l’aisance et la reconnaissance.
Roth successeur de Dobner à Strasbourg
vers 1844


Dès le XVème siècle pour limiter l’accession à la maîtrise, afin que leurs compagnons ne deviennent des Maîtres donc des concurrents, les corporations augmentèrent le nombre d’années de travail de compagnons chez un patron, demandèrent la réalisation d’un chef d’œuvre accepté par les pairs, de payer des banquets coûteux ... A la mort du Maître, il y avait donc : un atelier connu, des compagnons et apprentis, des commandes à réaliser, des outils (les outils pratiquement sacrés souvent gravés étaient donnés aux successeurs méritants) et surtout une réputation à continuer et pour cela la marque était essentielle pour la veuve. La loi permettait aux veuves de Maîtres d’exploiter la marque de feu leur mari et certaines estampilles étaient réputées. Mais comme toute entreprise familiale basée sur la technicité, il fallait à la fois un nouveau patron reconnu pour son expertise dans le métier mais aussi pour son esprit d’entreprise et accepté par la veuve !  et c’était quand même rare. C’est ainsi que parfois, bien après le décès d’un facteur, la veuve et ses compagnons continuaient à fabriquer des instruments sous l’estampille du Maître décédé depuis longtemps ! (ce fait donne des discussions passionnées sur les datations possibles entre collectionneurs d’instruments).
La veuve de Sautermeister épouse son neveu  Louis Müller.
et

Si un compagnon devenait le nouveau maître, il avait vite envie et l’ambition de marquer sa trace avec sa propre estampille en accolant son nom à celui de son maître ou en mettant successeur de …, voire en mettant seulement le sien s’il était déjà connu dans un marché régional. Souvent aussi faute de successeur, l’atelier fermait, le métier demandant des dons certains et n’étant pas si lucratif (sauf pour quelques uns réputés). Il y aussi a contrario de véritables dynasties (ex : Thibouville, Noblet …) où on faisait le même métier pendant plusieurs générations .
Marque de Martin Thibouville père et
 Martin Thibouville fils.
Mais certains pouvaient s’échapper des contraintes et autorités des corporations ? Ce protectionnisme était de garantir le travail et les privilèges aux français  air connu  non ?

En effet, être exclu de votre corporation ne rendait pas la vie facile, ni l’accession aux chantiers et aux commandes. Dès 1471 une ordonnance de louis XI permet aux métiers du bois de vivre libres par exemple sur le territoire de l’abbaye St Antoine sans s’affilier aux jurandes et corporations régissant les métiers du bois, ce qui permit de suite la naissance d’un noyau d’ouvriers talentueux mais aussi une lutte permanente entre corporations ou jurandes conservatrices et ouvriers libres créatifs pendant 3 siècles, l’abbaye attirant les meilleurs des métiers du bois étrangers et français (cf le livre de J. Diwo « les dames du faubourg »). Les corporations luttaient sans cesse pour maintenir leurs privilèges voire leurs monopoles d’une part contre d’autres corporations pour protéger les limites de leurs compétences souvent empiétées. Mais elles luttaient d’autre part contre les ouvriers libres étrangers et talentueux pour les métiers du bois qui par vagues venaient bouleverser le métier par d’autres techniques et prendre les marchés. Les maîtres des corporations luttaient aussi à l’interne contre les compagnons qui voulaient accéder à la maîtrise donc s’installer en concurrents et qui étaient freinés par des usages tatillons et des barrières d’entrées financières les excluant. Beaucoup d’ouvriers libres des métiers du bois étaient allemands ou de l’Est de la France et étaient luthériens. Être à la fois concurrents et hérétiques créent toujours un mélange explosif. Malgré cela il y eut pendant des siècles une arrivée permanente d’étrangers (hollandais, mais surtout allemands après la guerre de 30 ans…émigration de qualité vivifiant l’artisanat du bois, donnant à la France des grands ébénistes et menuisiers du roi et des puissants (Habermann, Oppenhoort, Oeben, Riesener…) et des grands facteurs d’instruments (pour la clarinette : Amlingue, Geist, Winnen, Baumann, Mousseter, Keller….)

Estampille de Jean Henri Riesener (1734-1806)
Commode Riesener
L’aventure des instruments à vent va alors se développer, la clarinette est née en Allemagne vers 1700 et l’estampille va devenir fondamentale mais de quand date cette idée de marquer au fer un objet en bois ?

En 1467 une lettre patente demandait qu’une estampille soit marquée au fer chaud sur les meubles pour authentifier l’origine et leur qualité sous l’égide des corporations mais elle fut peu appliquée. En 1751 un Édit royal rend obligatoire l’estampille de maîtrise. C’est une offensive des jurandes : l’Estampille est réservée aux maîtres donc soumis aux règles des jurandes et corporations. Ce marqueur social et de prestige permet aux Maîtres qui ont ce sésame d’avoir recours à la sous-traitance des compagnons d’autres ateliers et surtout de se différencier des ateliers considérés comme inférieurs en qualité car anonymes. Entravant la créativité et la liberté et figeant les métiers, les corporations seront supprimées avec la loi le chapelier en 1791. Pendant tout le XIXème siècle, les corporations étant abolies, les compagnons auront la liberté de s’installer et les estampilles si convoitées et qui étaient un privilège visible interdit à la majorité vont se généraliser. Il y aura alors une véritable éclosion d’estampilles de toutes sortes et comme ce sera l’époque des instruments à vent, beaucoup d’instruments auront des marques variées et pas toujours évidentes à décrypter. 
Loi le Chapelier de 1791 supprimant les corporations.

Mais pour les meubles comme pour les instruments de musique, il y a bien de différences entre celui qui signe et celui qui fait ! mais la recherche de l’estampille demeure quand même le moteur de tout collectionneur…  La révolution industrielle en France en ce début du XIXème siècle va bouleverser tous les métiers du bois et les artisans vont utiliser d’autres outils, faire d’autres instruments et pour certains devenir de véritables entrepreneurs industriels (Gautrot, Thibouville.. Graves aux USA, les facteurs de Markneukirchen en Allemagne  …). Puis la grande époque des instruments à vent et notamment de la clarinette est liée aux armées napoléoniennes, et à la révolution industrielle qui modifie le travail de l’artisan par des outils mécaniques, donc à une augmentation considérable de productivité réalisant ainsi des flûtes et clarinettes par milliers et à prix réduit donc rendant ces instruments accessibles et donc populaires.
Bien sûr il y a toujours même actuellement une part de travail à la main mais de plus en plus réduite.

Après cette mise en perspective historique approfondissons maintenant la vie d’un apprenti et d’un compagnon faisant son tour de France au XIXème siècle puisque l’essentiel s’est déroulé dans ce siècle pour les instruments à vent. Nous avons des mémoires entre autres de celui d’un facteur Jean Daniel HOLTZAPFFEL. Ce sera l’objet d’un autre article.

A suivre......



mercredi 6 janvier 2016

"Saxophones BUFFET CRAMPON, PIERRET, DOLNET. Quelques infos pour les amateurs de saxophones vintages". "Saxophones BUFFET CRAMPON, PIERRET, DOLNET. Some info for fans of vintage saxophones".

En rangeant quelques vieux papiers j'ai retrouvé quelques brochures anciennes de saxophones. Comme je vois que ce type de document est très apprécié des collectionneurs et qu'il existe de nombreux spécialistes particulièrement compétents dans ce domaine, je vous "livre" ces documents, en espérant pouvoir lire...un jour, un livre sur le saxophone français dans lequel on traitera dans le détails l'histoire de tous ces fabricants.
Tout d'abord une brochure de 1968 sur le modèle "Artist" et "Royal Jazz" de Dolnet.
Première page de la brochure Dolnet.


Si voulez voir ces documents dans le détail : cliquez sur la photo. (Pour ceux qui auraient des projets d'articles....Je peux vous fournir des photos de meilleure qualité)
Pour entendre ce modèle "Royal Jazz", sur youtube écoutez cette version "exubérante d'All Blues".
Cliquez pour voir d'autres articles du blog sur Dolnet.
Article saxpics.com sur le Royal Jazz de Dolnet.

Une documentation de Pierret en 1970 : et sur le Modèle 67 et 77.



Cliquez pour lire nos articles sur Pierret :



Le dernier document sur le modèle S 1 de Buffet Crampon : Vers 1975.





Bonne lecture.....et bon travail pour les articles.







vendredi 1 janvier 2016