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dimanche 23 décembre 2018

Survivre dans des conditions extrêmes grâce à la musique. Survive in extreme conditions thanks to music.

José-Daniel Touroude
Le célèbre violoncelliste Maurice Maréchal (1892-1964) dans les tranchés
avec son célèbre violoncelle le "Poilu" fait en bois de caisse. 
Après le précédent article sur les problèmes de santé qui nuisent à la vie de musicien et le recours à la médecine et à la pharmacie pour rester en forme car comme toute personne sur scène (artistes divers, politiques…) il faut être constamment au top, voici un des nombreux exemples qui permet de constater que la musique peut sauver des vies dans des conditions peu supportables.  
Pour lire : La médecine au secours des musiciens.

Les conditions extrêmes sont des moments où l’homme est privé de liberté et est en souffrance à cause des autres (par exemples les dangers de la guerre, l’exil, la peur de la mort, la prison ou par un handicap physique ou psychique, l’hôpital avec des maladies et traumatisme divers.  La musique sert alors à s’échapper d’une vie insupportable, un soutien dans les épreuves, un moyen salvateur contre la dépression, la maladie psychique. Comment organiser sa survie dans un environnement malsain ou absurde ? Les exemples sont nombreux mais je choisirai puisque nous avons fêté le centenaire de l’armistice de 1918 un exemple riche d’enseignements peu connu. Jusqu’au moment de la célébration de l’armistice de 1918 et de l’enfer qu’ont vécu des millions d’hommes, la vie des musiciens a été également bouleversée. 
Militaires américains : Un moment de détente avant le prochain assaut.  
D’abord de nombreux artistes sont morts et d’autres furent mutilés mais certains ont réussi à survivre grâce à la musique. Ainsi quand le violoniste soliste international Lucien Durosoir, célèbre avant la guerre, fut obligé de quitter son Guarnérius pour la baïonnette dans les tranchées. Face à la mort qui l’attendait la musique le sauva car il fut reconnu par son colonel qui l’avait entendu à Pleyel 2 ans avant (comme nous l’indiqua son fils Luc Durosoir) et avec le célèbre Caplet (1er prix de Rome devant Ravel ! et ami de Debussy qui tenait l’alto), le jeune Marechal qui sauva sa vie aussi grâce à ses talents de musicien et qui fut plus tard un des plus grands violoncellistes et professeur au conservatoire de Paris (son violoncelle fabriqué sur le front avec une caisse de munitions ! «dénommé le poilu» trône actuellement au musée de la Villette) et  le pianiste Magne puis ponctuellement d’autres musiciens professionnels, ils montèrent un orchestre… Beaucoup de musiciens devinrent ainsi brancardiers (ce qui était une tradition depuis les armées royales pour les musiciens ) 


«Les musiciens du général« furent protégés par le général Mangin qui lors des moments de répit devaient organiser des concerts pour lui et son état major, parfois pour la troupe (quoique les quatuors de Beethoven ou la musique contemporaine française ne faisaient pas vibrer la troupe selon les lettres de Durosoir et de Marechal !). La musique de chambre «aristocratique et bourgeoise» pour les officiers, les chansons à boire pour le peuple. («en jouant les tziganes«  dira Caplet (il était loin du Boston Symphony ou du Covent Garden de Londres !). Mais la variété des styles de musique selon les classes sociales est un autre sujet. Une question dérangeante: les musiciens moins talentueux ne furent pas épargnés et les instruments à vents d’harmonies et de fanfare (même des prix de conservatoires) n’eurent pas le même traitement que les instruments «nobles» de la bourgeoisie…. A méditer.


Grâce à la musique ces musiciens d’exception en faisant la guerre étaient privilégiés car pas considérés comme de la chair à canon et purent sauver leurs vies . Et la musique transcendait la haine car près des tranchées il jouait de la musique allemande du 18 et 19ème siècle du grand répertoire. (malgré Caplet qui faisait découvrir à ses amis les harmonies révolutionnaires françaises de Debussy, Ravel, Chausson, Satie etc.. ).



En face dans le camp allemand le grand compositeur Hindemith (bien connu des clarinettistes chambristes) regroupera aussi des musiciens professionnels et fera la même chose, c’est à dire des répétitions et des concerts à chaque moment libre pour s’échapper de l’horreur et soutenir le moral des autres.Tous élargissent et diversifient leur répertoire, avec une rigueur de professionnels entre les bombardements,  «la musique nous a désabrutis, c’est notre protection pour ne pas revenir à l’état sauvage des autres combattants, la guerre détruit l’âme et pour échapper à ce danger et à tous les dangers aux découragements, à la promiscuité, à la faim, la soif, la boue, la violence …l’art peut sauver, c’est l’oxygène de survie écriront –ils.


















Les musiciens inversent aussi la hiérarchie militaire le temps d’un concert. Le simple soldat-musicien assez méprisé par la hiérarchie devient le musicien star–soldat que les gradés applaudissent ! La musique a permis de traverser les épreuves mais après la guerre Durosoir ne put rejouer et composa. D’autres musiciens comme des millions d’hommes furent handicapés : cf le concerto de Ravel pour la main gauche, certains facteurs modifièrent  les instruments.  
Orchestre de musiciens invalides.


















Lors de la seconde guerre mondiale, les musiciens ont pu s’échapper mentalement aussi des conditions atroces des camps de prisonniers (rappelons Clara Askil rejouant les concertos de Mozart sur une planche détournée en piano muet l en camps de concentration, ou Olivier Messiaen composant le quatuor pour la fin du temps qui a fait transpirer nombre de clarinettistes !) ou plus dramatiquement les musiciens du camp de Terezin. (il y a eu un concert récemment en Israël avec des instruments restaurés  à cordes tirés des camps de concentration).
Clarinette mi bémol de Zalud à Terezin


La musique permet aux musiciens de tenir, de s’échapper mentalement mais aussi de donner de l’espoir aux autres. Nous pouvons le voir dans les prisons (une expérience vraiment particulière) et en fait dans tous les lieux où l’homme est privé de liberté et souffre, la musico thérapie en hôpital…Le musicien (comme l’intellectuel qui a une pensée libre malgré les contraintes) peut s’échapper des contingences et s’ennuie rarement car il possède la musique en permanence dans sa tête, et s’il est enfermé ou vit dans des conditions extrêmes, il se remémore ou crée des concerts, improvise, compose et dès qu’il peut rejouer son instrument, l’objet aimé et une musique qu’il affectionne, l’environnement ne compte plus. Bien sûr la musique est fondamentale pour sortir momentanément de l’handicap , pensons à Ray Charles aveugle, à Beethoven sourd, mais aussi aux malades psychiques  (Glen Gould autiste) et à la musicothérapie désormais bien implantée dans la psychiatrie moderne.  





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