JDT
: «Jouer d’un instrument à vent ou
chanter quotidiennement équivaut à méditer tous les jours», j’ai fait mien cet adage, car pour moi il y a une proximité
évidente pour ceux qui pratiquent régulièrement.
MPB
: Absolument mais arrêtons-nous un peu sur cet aphorisme d’abord : qu’est-ce
que méditer tous les jours, jour après jour...? Selon Christophe André
«Méditer, c’est s’arrêter de faire, de remuer, de s’agiter, se mettre un peu en
retrait, se tenir à l’écart du monde, c’est calmer l’agitation, rester immobile
et silencieux assez longtemps pour qu’une sorte de calme vienne envelopper le
bavardage de notre esprit, suffisamment pour commencer à y voir plus clair…»
Dans
notre monde agité de zapping permanent, il devient de plus en plus impérieux
d’avoir des instants pour décompresser, de se calmer pour mieux vivre. D’ailleurs
cela fait des années que certains utilisent la musicothérapie pour améliorer
l’état des malades psychiques et nerveux voire même réduire le stress des
animaux.
JDT : Oui mon chat adore Mozart dans le grave et pianissimo
quand je joue de la clarinette. Il ronronne à 40 Hz ! Mais en effet pour
jouer certaines musiques, avoir cet état est fondamental (par exemple le 2ème
mouvement du concerto pour piano n°21 de Mozart), mais pour moi il faut aussi
débuter par un préalable. Pour bien jouer d’un instrument à vent ou pour
chanter et en particulier pour pouvoir se produire en public, il faut d’abord
relaxer son corps et acquérir de la souplesse. On ne peut pas méditer, jouer ou
chanter correctement si on est tendu. Il faut savoir se relaxer et détendre
toutes les parties de son corps. Plusieurs master Class de haut niveau
pour les chanteurs et instrumentistes à vent commencent par une séance de
gymnastique ou de relaxation pour détendre toutes les parties du corps
notamment celles qui sont fortement sollicitées : cavité buccale, mâchoires,
mains et doigts, bassin et jambes pour ne pas être statique sur scène (mais
attention à ne pas trop bouger et disperser le son) ou a contrario pour se
préparer souplement à être statique pendant longtemps (méditation, position
assise pour la musique de chambre ou orchestre symphonique). Les
techniques abondent pour contrer la nervosité, voire le stress (yoga, chi gong,
tai chi, do in ou encore gym douce…) et c’est un préalable à tous ceux qui vont
se préparer à la méditation ou à une séance de travail de son instrument ou de
sa voix en vue d’une entrée sur scène.
MPB
: Absolument, chaque matin dans mes stages je propose d’ouvrir les «portes de
la voix» avec le Qi Qong et le Do In qui sont des mouvements doux, énergétiques
qui assouplissent le corps et la voix sans forcer. Pour déployer sa voix, il
faut se mettre dans un état de laisser faire, de lâcher prise, de laisser venir
de l’intérieur... et comme pour la méditation, cela prend du temps de savoir
être là présent (e) au présent sans forcer, sans vouloir… sinon cela rajoute
des tensions parasites. Méditer c’est exister en pleine conscience ; ce
n’est donc pas faire le vide, ni produire de la pensée. C’est s’arrêter pour
prendre contact avec l’expérience, toujours en mouvement, que nous sommes en
train de vivre et pour observer alors la nature de notre rapport à cette
expérience, la nature de notre présence à cet instant. C’est la même chose dans
le chant, comme pour toute autre pratique liée à l’intériorité. Et la pleine
conscience c’est créer par moments, un tout petit espace pour «se voir faire»
et cela va s’avérer très utile pour affiner son art, comme pour bien des
moments de la vie.
JDT
: Une fois cette première étape de réveil et de relaxation du corps franchie,
ce qui importe c’est de réussir la concentration. Il faut se dégager des
pensées parasites qui encombrent l’esprit pour être attentif, selon-moi d'abord à la sonorité, puis à une idée, à sa
partition, à la musique, à la beauté du chant, à l’histoire que l’on va
exprimer ou interpréter.
Au
départ le musicien a travaillé avec
volonté et exigence, mais jouer est un autre challenge, c'est une récompense du
travail fourni ; car si même le morceau est difficile techniquement, il doit paraître
facile, souple, fluide. Pour moi le meilleur compliment qu'un musicien puisse
entendre, est : «cela paraît tellement facile quand vous jouez ! »
Un
chant religieux, une méditation, une musique ou même une prière requièrent pour
certains la même expérience d’exister en pleine conscience par la concentration.
Pour d’autres, rentrer dans l’esprit de Debussy ou dans le monde de Coltrane,
permet de se concentrer sur le sujet de ce que nous allons jouer ou réfléchir. La
concentration est essentielle sur des notes, une grille harmonique, une
mélodie, une sonorité, une émotion à faire passer et rien ne doit perturber
cette focalisation. «C’est décider d’habiter l’instant présent» (Christophe
André).
Si
on pense à d’autres choses, on ne médite plus vraiment, on joue les notes mais
on ne vit plus la musique et donc on peut difficilement la transmettre à
d’autres.
Mais
la concentration sur soi, en pleine conscience dans la méditation et la
concentration sur la musique, la partition, ou sur une grille d’accords doivent
aussi s’effectuer en fonction de la réaction de son instrument par rapport à
plusieurs variables environnementales (éclairage, chaleur etc..). Certains
ferment les yeux pour s’isoler mais dans le même temps, et c’est ce qui est
difficile, il faut rester concentré avec
l’environnement, les autres musiciens, la scène, le public…
MPB Oui «c’est l’exercice de la double attention»
que m’a enseigné Lanza del Vasto (in Approches de la vie intérieure). On ne
peut pas se laisser distraire par l’environnement, et ceci est valable tant
pour les musiciens ou chanteurs que pour les spectateurs. «Alors l’esprit ne
regarde ni en avant, ni en arrière. Le présent seul est notre bonheur» (Goethe,
Faust, Acte II).
Un
exemple de concentration du nouveau jeune virtuose français de la clarinette
qui collectionne les récompenses internationales. Cette pièce est vraiment
difficile à cette vitesse et les modulations permanentes demandent une
concentration maximale surtout par cœur !
JDT
: Abordons maintenant un nouveau point
essentiel. Pour obtenir la précision, la
justesse d’émission et la distance avec l’environnement, tout en restant
détendu et concentré, il faut savoir maîtriser sa respiration. Tous les
musiciens et surtout les chanteurs et instrumentistes à vent, mais aussi les
sportifs ou les acteurs comme tous ceux qui méditent le savent : il faut savoir
respirer non seulement pour s’oxygéner mais aussi pour maîtriser son souffle,
sa colonne d’air en vue d’émettre avec son instrument ou par sa voix les plus beaux sons, afin d'entrer dans le
calme, le bonheur d’être présent au présent. Mais Marie Pierre, c’est ce que tu
enseignes : la maîtrise du souffle.
MPB
: Oui, jour après jour, apprendre à maîtriser différents types de respiration
dont la respiration abdominale : debout ou assis, les pieds bien campés sur le
sol, aspirer l’air par les narines dilatées, la langue relâchée dans une
mâchoire bien détendue, les pommettes relevées, laisser monter le souffle comme
venant du sol en le conduisant dans l’abdomen vers le centre Hara : le ventre
par la pression du diaphragme qui descend repoussé par les poumons, se gonfle,
puis l’air par la dilatation des poumons ouvre toute la cage thoracique comme
un parapluie jusqu’au haut de la poitrine, et vient emplir la gorge et le
palais qui lui-même se lève en voûte jusqu’à la sensation d’emplir la tête et
au-delà dans ce qu’on appelle la Couronne ... Mais pour ce faire, il faut avoir
le dos et la nuque bien redressés et si on est assis, le bassin en appui sur
les ischions et puis seulement alors, tout doucement conduire consciemment par
la pression des pieds sur le sol, le souffle comme descendant du haut de la
tête le long de la colonne vertébrale à l’arrière, soit vers l’embouche de
l’instrument, soit vers l’émission de sons les plus harmonieux possible mais
sortant d’une bouche très ouverte et détendue et tout en gardant la pression
dans la cage thoracique sur les basses côtes et le carré des lombes, et en
laissant s’allonger la colonne lombaire par une légère bascule du bassin sans
serrer le périnée...
Alors
seulement à la fin de l’émission de l’air, le ventre rentre dans sa cavité
avant d’accueillir une nouvelle inspiration…C’est ainsi que s’accomplit la
respiration. A l’inspiration on accueille le souffle comme montant de la terre
vers le ciel en partant des pieds et passant par tout l’abdomen à l’avant
jusqu’au haut de
la tête par ce qu’on appelle un respire cérébral….puis à l’expire, le laisser
repartir doucement comme descendant du ciel vers la terre le long de la colonne
vertébrale du haut de la tête jusqu’aux pieds.
JDT : Ouah ! Je n’avais pas
pensé à tout cela, mon professeur de musique de chambre arrêtait le morceau si
un de nous relevait les pieds ! L’appui ferme des pieds au sol qu’on
appelle l’ancrage et la présence à soi-même en inspirant et expirant sont le
plus sûr moyen d’émettre par son instrument ou sa voix les plus beaux sons,
indiquait-il, et pour l’auditoire de recevoir l’essence de la musique pour
qu’il n’y ait plus d’interférence entre soi et la musique. Et mon professeur de
clarinette lui commençait toujours pas une séance de sons filés du plus grave
au suraigu … ce qui nous « gonflait !», impétueux que nous
étions ! à vouloir faire bouger nos doigts à toute vitesse … (mais il avait raison)
En fait méditer tous les jours ou jouer
de son instrument demeure un travail sur soi, une hygiène de vie pour aller
vers une progression de sa vie par le moyen d’une réflexion ou par la pratique
d’une musique ou par le dépassement de soi par l’effort sportif…. (un ami
marathonien médite en courant me dit-il et il est « ailleurs », un
autre musicien sportif court avec une foulée régulière servant de métronome et
prépare son concert dans sa tête avec concentration et respiration (Glen Gould
travaillait bien son interprétation de Bach en promenant son chien !)
Les neurosciences démontrent (cf
Lemarquis sur le cerveau du musicien ou le moine bouddhiste Matthieu Ricard sur
la méditation) l’impact de ces techniques sur la plasticité du cerveau et sur
la diffusion des neurotransmetteurs qui permettent l’orientation de la
méditation et de la musique vers des régions spécifiques du circuit de la
récompense pour atteindre la plénitude, la sérénité, la paix de l’esprit.
JDT :
Enfin il faut savoir maîtriser
son énergie et ses émotions pour tenir la distance entre soi et
l’environnement. En
effet cette présence à soi-même, à sa respiration est une présence à son corps,
une manière de canaliser son énergie vers le corps car on risque de
s’essouffler rapidement : La Callas par exemple, hyper-concentrée sur sa
voix et son implication dans ses rôles, brûlait son énergie vitale et s’épuisait
dans l’expression de toute une palette d’émotions, ce qui n’empêchait pas son
immense talent, au contraire, mais cela la mettait dans le « rouge» en
permanence ! (contrairement à sa rivale Rénata Tébaldi !) Certains artistes qui en font trop, régulent
mal leur énergie et pourtant, paradoxalement, c’est aussi ce qui crée souvent
leur talent ! Chacun doit bien se connaître et savoir jusqu’où il/elle
peut aller sans s’épuiser au risque de tout perdre. Certains textes et musiques
sont exténuantes à jouer et pas seulement pour les jazzmen ou les
rockers ! Il faut alors savoir vite revenir au calme méditatif (rôle des
mouvements lents) pour contraster avec l’explosion d’énergie. Et certains pour
être en forme en permanence utilisent des substances plus ou moins licites nous
l’avons vu. Là aussi ce n’est pas sans risques.
MPB :
En conséquence, il faut apprendre à «vivre l’instant présent, respirer, habiter
son corps, fermer les yeux et écouter, observer ses pensées, donner un espace à
ses émotions, déployer son attention pour accroître sa conscience, pour enfin
n’être qu’une présence» (Ch. André)
Cela
demande beaucoup de discipline, de répétition, d’entraînement quotidien, toutes choses qui sont à la base de la
progression de toute activité mentale, artistique ou simplement humaine.
Prendre conscience de tout cela est une attitude mentale. Un choix de vie
aussi. Il y faut aussi beaucoup d’humilité, de patience et le choix de
positiver sans cesse car on ne monte pas sur scène pour une prestation avec un
mental négatif ou une fatigue nerveuse !
JDT :
J’ai fait mienne cette idée de nombreux musiciens : Tous les matins je joue. C’est ma prière, ma méditation, l’expression
de ma salutation au soleil à ce jour nouveau qui s’annonce et cela me donne la
force de continuer à vivre malgré les problèmes à gérer…
MPB :
Et pour ma part pour conclure je citerai volontiers cette phrase, fruit d’une
longue expérience de Christophe André : «On peut se pacifier par le
souffle, pas en le contrôlant, mais en se connectant humblement à lui et en
l’accompagnant doucement »
Une illustration musicale qui pour moi a du sens par rapport à notre discussion est ce morceau de chant grégorien « Alléluia de St Joseph »
Alléluia du 19 mars dit de St Joseph, chanté par Chanterelle Lanza del Vasto
JDT : Pour moi, tu t’en rappelles puisque nous avons commencé la musique ensemble il y a plus de 60 ans, le morceau qui m’a fait découvrir enfant la clarinette est Mozart et depuis mon amie la clarinette est devenue incontournable dans ma vie.
Sérénade
pour instruments à vent n°10 « gran partita » K 361 3ème mouvement de W.A.
Mozart
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