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lundi 11 mars 2024

Deux flageolets anglais de Bainbridge

 par José-Daniel Touroude


Comme la plupart des collectionneurs d’instruments à vent, j’ai des flageolets anglais et français et à chaque visite on me questionne sur ces instruments particuliers. Notre blog n’ayant pas d’articles consacrés à ces instruments, je devais amorcer la connaissance sur ces instruments oubliés et insolites. Il existe une variété incroyable de flageolets car il y a eu une mode pendant plusieurs siècles et je renvoie, à ceux qui veulent tout savoir sur cet instrument, aux nombreux sites et photos consacrés à cet instrument. Je vais me centrer sur mes deux flageolets anglais.

Edmé Collinet (1765-1851) spécialiste du flageolet.

D’abord un petit rappel sur l’histoire du flageolet :

Le flageolet est une flute ancienne pastorale déjà indiquée par Clément Marot sous François 1er et qu’on appelait aussi Larigot (qui est le nom de notre revue de collectionneurs de l’ACIM). Il y avait déjà des virtuoses de cet instrument qui jouaient à la cour de France au XVème siècle. Mersenne indique en 1636 que le flageolet pouvait faire deux octaves.



Le grand facteur Mahillon en 1874, dans son traité d’acoustique, le classe comme une variété de flûte à bec malgré son embout en ivoire. Au XVIIème siècle la mode du flageolet français se répand, il y a même des méthodes publiées à Londres avec des airs imprimés de divers auteurs et une méthode en 1700 à Paris. Il permet des petites mélodies simples et bien sûr il y a eu des virtuoses de cet instrument pourtant assez limité. Ainsi la méthode du spécialiste du flageolet Eugène Roy.











Dans la multiplicité des flageolets, certains servaient aussi à imiter les oiseaux et à leur apprendre à chanter. Ci-joint un bel exemple en ivoire au musée de la musique de Paris par un des premiers facteurs du XVIIIème siècle Charles Bizey.









Au XVIIIème le flageolet fait des apparitions à l’opéra chez Vivaldi, Haendel, Gluck… mais c’est au XIXème siècle qu’il connait son apogée avec le flageolet pour jouer des airs de danse notamment le quadrille pour les bals et se dote de clefs avec 3 puis 5 clés en maillechort, le buis remplaçant l’ébène. Ainsi la demande est importante sous Napoléon III pendant « la belle époque » où tous les orchestres de casinos dans les stations balnéaires avaient cet instrument.   

La mode de la flûte à bec pendant la période baroque a été remplacée par la flûte traversière mais le flageolet est resté populaire pendant tout le XIXème siècle. Par contre au début du XXème, il tombe dans l’oubli. Certains actuellement essaient de faire revivre ponctuellement le répertoire ancien.

Et puis quand même Berlioz enfant s’initia à cet instrument et découvrit la beauté des instruments à vent…



La plupart des facteurs (comme J. Thibouville Lamy) vont fabriquer des flageolets qui deviennent incontournables pour les fêtes populaires. Ces instruments sont fréquents dans tous les musées et des collections particulières.

Mais outre-manche le flageolet est aussi très prisé et va connaître celui qui va les magnifier : W. Brainbridge

Les flageolets anglais : inventés à la fin du XVIIIème siècle,  sont aussi à la mode. Ils sont plus simples à jouer et diffèrent du flageolet français. Ils possèdent 7 trous pour faire la gamme diatonique qui sont indiqués à chaque trou et on peut comme la flute à bec passer à l’octave supérieure avec les mêmes notes avec les mêmes doigtés (contrairement au flageolet français plus difficile). Cette simplicité va généraliser ce type de flageolet facile pour les amateurs. Le son est aigu et résonne bien.

William Brainbridge est né en 1768 décédé en 1831, est à la fois un musicien un hautboïste et flûtiste anglais mais aussi un tourneur sur bois et facteur d’instruments à vent qui a passé sa vie à perfectionner le flageolet. C’était aussi un inventeur créant de nombreux brevets (le 1er date de 1803) donnant au flageolet ses lettres de noblesse et l’améliorant sans cesse. Il créa des flageolets simples mais aussi doubles (création en 1805), triples (création en 1820) et fit de nombreux procès pour se protéger de ceux qui copiaient ses instruments car vu l’engouement pour cet instrument, de nombreux facteurs vont en fabriquer. Après les guerres napoléoniennes, il fit même breveter ses instruments en 1816 en France.  

Nous avons deux flageolets de Brainbridge : un simple et un double.







Sur le flageolet simple daté entre 1803 et 1807, il y a les mentions Patent, inventor, teacher et la licorne label des instruments anglais avec son adresse à Londres au 35 Holborn Hill. Une des particularités de ces flageolets et de mettre les noms des notes (A, B, C …) et des picots en ivoire pour séparer les notes sur tous ces instruments. On peut faire toutes les notes et même quelques altérations # et b.














Sur le double flageolet, daté lors de son association avec le facteur John Wood de 1808 à 1812, il y a la couronne royale et les mêmes mentions d’inventeur. Outre la beauté de ces instruments en buis et ivoire, le double flageolet permettait de jouer d’une part la mélodie mais aussi d’autre part le bourdon ou un contrepoint. Bainbridge enseigna aussi le flageolet et joua de cet instrument en concert. A sa mort, sa femme continua l’atelier qui fut repris par son ancien ouvrier Henry Hastrick jusqu’en 1854. 















Analysons les diverses pièces constitutives de cet instrument :

Au sommet il y a un embout en ivoire ou en os aplati appelé bec qui permet de souffler un filet d’air par un petit trou et qui a l’aspect d’une anche double rigide.  
























Il y a aussi un barillet qui est large et qui sert de résonateur et conduit l’air vers le biseau.Ici il y a deux fentes sur les côtés car le flageolet est double. Le sifflet en biseau proche de la flute à bec qui permet le son.















Deux fentes pour le double, une pour le simple !   
Puis il y a un porte vent avec des bagues en ivoire pour mettre une éponge afin d’absorber la condensation et la vapeur de la salive. Le porte vent est conique. Le porte vent à un orifice d’insufflation identique à la flute à bec et on peut remarquer deux traits parallèles qui indiquent où se place à l’intérieur l’éponge. On peut remarquer que la fenêtre est identique à la flute à bec mais le flageolet double dispose d’une longue clé en argent dans les deux fenêtres afin de bloquer l’une des deux flûtes au choix ce qui permettait de faire à la fois des mélodies seules puis à deux voix.


















Pour le flageolet double, il y a deux tubes de perce conique se fixant sur le porte-vent, ici des flutes de mêmes hauteurs (mais certaines sont de tailles différentes) et finissant par une virole ou bague en ivoire. Il y a 7 trous pour faire les 7 notes de la gamme diatonique avec une tierce de différence. Les trous derrière l’instrument permettent de jouer à l’octave comme pour la flute à bec. Il y a 5 clés en argent dont une clé derrière.


Il est souvent accordé en La ou en Ré. Ses instruments sont en buis et ivoire et les clefs sont en argent car ce sont des instruments haut de gamme. Vu la popularité de cet instrument de nombreux facteurs vont réaliser des instruments en palissandre ou en ébène avec des clés en maillechort. 

Un excellent site d’un facteur de flageolets Philippe Bolton facteur de flageolets et être vigilant aux enchères à Vichy pour la vente d’instruments anciens.

Philippe Bolton

mardi 5 mars 2024

Emanuele MARCONI : Félicitations au nouveau Docteur en Musicologie


Emanuele MARCONI

Toutes nos félicitations au nouveau docteur en musicologie Emanuele Marconi, directeur du musée des instruments à vent de la Couture Boussey (en Normandie), après la soutenance de sa thèse le 4 mars 2024 à la Sorbonne devant un jury international.

Beaucoup de collectionneurs connaissent ce musée, où sont rassemblés de nombreux instruments à vent, surtout des bois, musée qui a pris une nouvelle dimension depuis 5 ans grâce à E. Marconi, qui est à la fois chercheur et responsable de ce musée.

Pour moi ce qui est intéressant, c’est sa vision transdisciplinaire qui a permis d’analyser sous plusieurs angles avec une recherche systématique de tous documents, parfois banals et souvent inédits, pour construire une monographie locale autour de la Couture Boussey avec toutes les évolutions de différentes natures depuis plus d’un siècle.

Ainsi la Couture- Boussey est l’exemple d’une proto-industrialisation, qu’ont connue d’autres régions rurales, faite par des paysans et paysannes pluriactifs dans des activités de travail à domicile. L’originalité de ce village est la spécialité de la facture d’instruments à vents.

 

C’est aussi, avec la demande militaire et populaire des instruments à vent et surtout avec l’exportation vers les USA, une organisation régionale autour de facteurs artisanaux, la plupart liés entre eux, afin de mobiliser toutes les forces de travail locales disponibles avant l’élaboration des manufactures d’instruments normés et industriels.

Cette activité a connu ses périodes d’expansion et de déclin avec les bouleversements de l’histoire comme la crise de 1929, les mouvements sociaux et la 2ème guerre mondiale.

C’est par devoir de mémoire et de conscience patrimoniale que la création d’un musée original a rendu hommage aux savoir-faire anciens de la population rurale encadrée par des facteurs compétents qui font désormais le bonheur des collectionneurs.

Nous espérons que le docteur Emanuele Marconi nous fera prochainement l’amitié de produire un article issu de sa thèse dans notre blog… en attendant voici le résumé officiel distribué. 

José-Daniel Touroude


Résumé́ de la thèse d’Emanuele Marconi :

Le Musée des instruments à vent de La Couture-Boussey (département de l’Eure, Normandie) a été fondé en 1888 par les membres de la « Chambre Syndicale des Ouvriers en Instruments de Musique (Finisseurs) ». Seul exemple de son époque de musée français dédié à la facture instrumentale, il fut fondé à la fois dans le mouvement d’un intérêt croissant vers les collections publiques d’instruments de musique qui prend forme au début de ce siècle, et dans le contexte des luttes ouvrières des années 1880.

Son objet est de valoriser et perpétuer le savoir-faire des facteurs du bassin couturiot, un ensemble d’une dizaine de villages aux alentours de La Couture-Boussey, épicentre de la manufacture d’instruments à vent en bois depuis le début du XVIIe siècle.

Son histoire, caractérisée par une alternance de périodes d’activités et d'abandon, reflet des dynamiques socio-économiques du village, peut être lue au travers des principaux événements du XXe siècle : les deux guerres mondiales, la crise des années 1930, le boom économique des années 1950 et 1960 et, enfin, la globalisation du marché et la fermeture des entreprises.

Atelier de facteurs d'instruments de musique


Élaborée à partir de nombreuses sources d’archives rassemblées et pour la plupart inconnues à ce jour, cette thèse aborde successivement, avec une approche et des résultats inédits, l’histoire de la facture d’instruments à vent à La Couture-Boussey, la déconstruction des mythes de ses origines, les grèves à l’origine de la création du Syndicat, l’histoire du Musée, et celle de ses collections d’instruments et d’outils, de sa bibliothèque, tout en soulignant son rôle de premier plan au niveau européen, en cette fin du XIXe siècle, dans la réalisation de copies d’instruments de musique anciens (facsimilés) qui constituent une partie fondatrice de sa collection.