par José-Daniel
Touroude
Souffler
dans quelque chose pour produire un son a toujours été quasiment naturel pour
l’homme. Puisque notre blog est surtout axé sur les instruments à vent, on ne
pouvait faire l’impasse sur un des plus anciens et partagés de toutes les
civilisations du monde : la trompe.
Dès la préhistoire, les hommes pour communiquer entre eux et faire des sons ont utilisé des instruments, notamment à vent sommaires en utilisant des végétaux (roseaux, bambous, calebasses…), des os d’animaux évidés comme la célèbre flûte en os de 40 000 ans, l’instrument le plus vieux trouvé, des sifflets en os voire en terre cuite, des cornes et des coquillages notamment les conques, percées sur la pointe pour produire un ou plusieurs sons.
Morceau de flute préhistorique de Divje Babe en slovénie (wikimédia commons) |
Hibou précolombien en
poterie pouvant faire avec les trous des yeux et trous latéraux, plusieurs sons. (coll particulière) |
Conque de Marsoulas du Magdalénien (musée de Toulouse ) 18000 ans |
Flute en mammouth (Musée d’archéologie nationale château de Saint Germain en Laye) |
Description des différents types de trompes
Le terme générique est trompe mais on trouve en fait plusieurs dénominations : Trompes ou cornes ou cors caractérisées par une embouchure située dans le bout étroit et dans des matériaux variés mais pas en ivoire. C’est souvent une petite corne d’animal souvent d’ovin ou de bovin appelée petite trompe. Par exemple les hébreux l’ont intégré dans leurs cultes religieux (le shofar est une corne de bélier)
Shofar Trompe (Corne de bélier) |
· Le nom d’olifant est utilisé seulement si la petite trompe est en ivoire souvent d’éléphant (d’où son nom et ancienne écriture oliphant).
Olifant du 11ème siècle dit de Roland (Musée Paul Dupuy à Toulouse) |
L’olifant a une forme d’entonnoir naturel avec une perce conique qui permet de souffler par le bout étroit formant une embouchure en contact avec les lèvres qui vibrent et qui permet au musicien d’obtenir un seul son mais fort voire assourdissant. Par contre ce son peut varier dans la durée avec un son bref ou répété, court ou long selon la qualité du musicien. Cela permettait de transmettre une information ou un ordre par un signal sonore particuliers, une sorte de code. (Exemple l’hallali pour la chasse)
Parfois on introduisait dans l’embouchure une pièce en biseau, (comme pour des flûtes à bec) ou on fixait un roseau insérant une paille sorte de double anche (comme pour les chalémies…), ce qui permettait de produire des sons différents, avec moins de souffle, réduisant la colonne d’air donc plus aisé à jouer.
Le nom de Trompe - olifant lui est réservé si la trompe est grande et si le matériau est en ivoire. Elle est la plupart du temps traversière avec une embouchure décalée voire latérale. La Trompe - olifant traversière a existé surtout en Afrique.
Trompe – olifant traversière en ivoire de 91 cm
à embouchure latérale, ornée de gravures (musée de la musique de Paris)°
La
colonne d’air de la trompe traversière à embouchure latérale est très
différente puisque le souffle produit est décalé et possède ses spécificités
pour toutes les caractéristiques du son (force en Décibels, hauteur en Hertz et
harmoniques du timbre sont particuliers). En attendant ce n’est pas aisé à
jouer avec car jouer de l’olifant ou de la trompe nécessite du souffle,
d’être un musicien sportif !
Embouchure de la trompe-olifant traversière. Sculpture :
Guerrier à olifant de Lucien Gibert (antiquaire grenier d’Augustine) |
Cliquer pour lire l'article sur le son et la musique
Cornet (de corne) à bouquins (de boca =bouche)
italien du 17ème siècle Musée de la musique Paris. |
Serpent de Baudouin collection Charbit |
La trompe était aussi en Bronze comme chez les étrusques (le Lur) et donnera naissance plus tard à la famille des cors que Lully, Mozart et bien d’autres utiliseront. La trompe sera souvent l’ancêtre d’autres instruments en cuivre. Le cornet-basse donnera le Serpent.
Cliquer pour lire l'article sur le serpent
Ces cornes utilisées depuis toujours ont beaucoup évoluées surtout en utilisant d’autres matériaux comme le métal en Asie (par exemple les fameuses trompes en métal d’Angkor), ou en Bronze (exemple au Bénin), voire en terre cuite (exemple les ocarinas globulaires d’Amérique Latine), et en bois évidemment… Les diverses trompes sont communes a beaucoup de civilisations.
Trompes
en métal. cf lien sur le beau site : Sound Angkor |
Les principaux
usages des olifants et trompes sont très divers mais communs :
D’abord elles ont eu une fonction utilitaire pour communiquer et/ou signaler sa présence
Les trompes par leur sonorité puissante servaient à communiquer un ordre ou une information importante. Elles pouvaient montrer par exemple l’arrivée d’un chef, le signal pour la chasse (les futures trompes de chasse), pour donner des ordres comme l’entrée en guerre ou la retraite, pour prévenir d’un danger (guetteur) et se réfugier (déclenchant le tocsin). Mais elles servaient aussi pendant la chasse ou la guerre pour prévenir du lieu où on se situait, procéder à un appel pour rallier les troupes dispersées (la célèbre chanson de geste concernant l’olifant de Roland à Roncevaux).
Ce fut (par exemple les Vikings) et c’est encore un instrument maritime incontournable de signalisation sonore, utile par temps de brouillard mais aussi utilisé par tous les marins actuels pour signaler sa présence ou un obstacle dangereux. Dorénavant il est obligatoire d’avoir une corne de brume pour toute embarcation. (Elles ne sont plus en corne mais en métal mais le nom est resté.)
Pour montrer son pouvoir par un symbole d’autorité
Les
différentes trompes ont été utilisées partout comme un instrument de pouvoir,
rare surtout s’il est finement travaillé, symbole de commandement et de
dignité, utilisée dans les moments importants et faisant partie des attributs
des chefs. Par exemple
l’ouverture officielle d’une audience est utilisée encore ponctuellement en
Afrique noire par les chefs traditionnels.
Ils ont fait partie aussi des trésors des églises, en signe de piété et de remords, donné par des chevaliers et utilisé parfois comme reliquaire. Par exemple cet Olifant du 11ème siècle de l’église de saint Arnoul à Metz dit « olifant de Charlemagne »
Pour faire de la musique pour danser
Si le son émis est particulièrement fort et strident, il ouvrait souvent les cérémonies mais pouvait aussi être utilisé comme instrument de musique. Ainsi la trompe, faisant office de bourdon, était une composante dans un orchestre, accompagnée de tambours et percussions diverses, voire des instruments à cordes pendant des festivités. Les sons essayaient de reproduire le langage parlé, parfois même pouvant faire varier les sons avec la main ou en utilisant la flexibilité de l’embouchure du musicien (comme pour les cors naturels).
Plus rarement, il a même existé des orchestres de plusieurs trompes de longueurs différentes calibrées pour réaliser plusieurs sons ou des inflexions de notes qui permettaient d’accompagner les chants de femmes et les danses lors des fêtes dans une certaine polyphonie en Afrique. Pendant les fêtes, en bouchant l’orifice, elle a servi aussi de corne à boire ! Un avatar moderne : la Vuvuzela de la coupe du monde de football en 2010 jouée par les supporters, est une trompe au bruit assourdissant et perturbant interdite désormais.
Pour des cérémonies profanes ou
religieuses pour souligner des événements et des rituels importants.
Ainsi les juifs ont la corne de bélier appelé shofar, qui peut produire plusieurs sons selon les fêtes et rituels religieux. La plupart des religions et des armées, dans leurs processions et parades, l’ont aussi utilisé, notamment en France avec le Serpent.
Pour faire une œuvre d’art esthétique
Mais plusieurs musées ont des olifants finement sculptés d’origine italienne avec des belles décorations diverses.
Les
longues trompes-olifants africaines en ivoire
1 |
2 Détails d’une trompe-olifant traversière africaine sculptée (collection particulière). |
Ces trompes reprenant des défenses d’éléphants sont parfois imposantes et commencèrent à être connues lorsque les portugais, descendirent au 15ème siècle les côtes africaines en faisant du troc. Rapidement ces objets étranges étaient rapportés comme curiosités. Ainsi par exemple le trésor des Médicis à Florence possédait 2 trompes- olifants en ivoire vers 1550.
Vu
le succès et la demande européenne, d’autres objets en ivoire furent produits
par des ivoiriers locaux sur les côtes africaines notamment au Bénin, en Sierra
Leone avec des commandes spécifiques pour intégrer une iconographie plus
européenne. Les portugais firent exécuter aux ivoiriers africains dès le 16ème
siècle des trompes - olifants en ivoire sculptés pour les cabinets de
curiosités car l’exotisme était en vogue en Europe (cf les Sapis en Sierra
Léone ou les Binis au Bénin). Les grandes trompes-olifants devenaient alors des
œuvres d’art finement sculptées en ivoire comme les olifants du moyen âge en
utilisant l’art africain avec souvent un mélange culturel avec l’Europe (objets
métis qui eurent beaucoup de succès).
L’ivoire
fragile et pas rare n’était pas si prisé par les africains sauf des défenses
monumentales. Les européens en développant le commerce d’objets sculptés
artistiques vont développer la préciosité de ces objets. Les chefs locaux vont
alors imiter les nouveaux puissants colonisateurs puisque ces objets étaient considérés
comme les symboles d’autorité et de pouvoir aussi dans d’autres civilisations. (J’ai
vu certains responsables africains qui en ont encore dans leurs lieux de
pouvoir actuellement).
Mais en Afrique, c’est l’utilisation de la trompe-olifant traversière plus grande qui est la plus emblématique et qui sera utilisée pendant des siècles surtout en Afrique de l’ouest et centrale.
Trompe -olifant en ivoire (Château d’Ecouen) |
Trompe Sapi (Sierra Léone -Portugal) en ivoire (Musée Branly) |
On peut noter que s’il existe des encoches pour accrocher
c’est surtout réserver à un être un objet de curiosité accroché exporté en
Europe alors qu’un intrument de musique n’a pas en principe de cordon, ni
d’encoches.
Toutes les trompes et olifants sculptés présentent une
iconographie qui montrent des symboles, des animaux réels ou fantastiques qui
peuvent indiquer en fait leurs origines, leurs influences, voire leur datation.
La trompe peut être en corne d’éléphant en ivoire, plus ou moins ouvragée, avec simplement un trou latéral d’où son nom de traversière, pour jouer. Mais elle est souvent faite avec d’autres matériaux, surtout en bois gainé de cuir cousu comme chez les Sénoufos voire en bronze comme au Bénin.
Corne de grand koudou ? |
Joueur de trompe en bronze du Benin (histoire de l’art n°14 Afrique (Figaro) |
Voir le film d’Aurelien Gaborit qui analyse cette belle Trompe du 16ème siècle sculptée à embouchure latérale provenant de Sierra Leone exposée au musée Chirac quai Branly à Paris. Et puis cet ivoire matériau rare et de prestige va être utilisé par des facteurs d’instruments de musique européens. Ainsi de nombreuses incrustations chez les luthiers (touches de piano, archets de cordes, guitares etc…).
Certains vont même faire des instruments
entièrement en ivoire : flûtes, flageolets, hautbois, clarinettes. Ce
matériau n’amène rien de sensationnel sur le plan musical (car les harmoniques
dépendent de la perce et des trous et clés) mais donne une singularité, une rareté
comme la flûte en or de Rampal, la trompette en or de G.Jouvin, comme les flûtes
en cristal de Laurent etc...
Albert Rice a écrit un article sur les clarinettes en ivoire et en a dénombré une vingtaine faites dans ce matériau la plupart en Europe. Les plus grands facteurs se sont essayés comme G.H.Scherer un des premiers facteurs en 1740, celle d’Isaac Keller de Strasbourg en 1800 avec corps de rechange en La, Louis Lefevre de Paris en 1825 , Charles Sax de Bruxelles en 1830 (le père d’Adolphe), J. Pfaff de Philadelphie en 1865, G.J.Bertold de Speyer de 1875, à T.Berteling de New York en 1880.
Clarinette en ivoire et clés en argent vermeillé de C. SAX ( Met NYC museum) |
Crédit photo : Jean-Marc Anglès / Musée de la musique. Hautbois en ivoire |
Baguette en ivoire de Klosé (collection particulière Thicam ) |
Dès
qu’on mentionne un objet ayant de l’ivoire il faut étudier la législation
internationale et européenne qui se durcit de plus en plus. Si l’intention est
louable de protéger éléphants, rhinocéros et autres espèces que recherchent des
braconniers et des trafiquants, chaque état, instance supranationale ou
instance internationale va en rajouter et enserrer dans des textes toujours
plus restrictifs le commerce des objets où il y a de l’ivoire et d’autres
espèces menacées. Ainsi les instruments de musique sont touchés et pour les
professionnels liés à la musique c’est une vraie galère et de plus assez
opaque.
J’ai
voulu finir cet article sur ce sujet mais vu la complexité bureaucratique, j’y
renonce.
Ce
qui est sûr c’est que vous devez être muni de plusieurs certificats différents
et que vous avez intérêt à choisir un bon professionnel pour vous conseiller,
si vous êtes, vendeurs, restaurateurs, collectionneurs ou musiciens car chacun
a des contraintes différentes et des documents administratifs variés et
nouveaux et si vous voulez sortir votre instrument de chez vous et hors
des frontières, vous êtes alors sans doute masochiste !
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