Entretien
José Daniel Touroude.
José Daniel TOUROUDE. |
Si tous les bois se tournent, certains se fendent, se coupent mieux, se polissent mieux, certains éclatent… il faut donc choisir un bois dur, c’est à dire qui a une forte densité.
Et puis certains bois sonnent mieux que d’autres : les flûtes, chalumeaux, hautbois, bassons avaient ouvert la voie…
Dans tous les cas il fallait un bois dur.
Le bois dur a une densité de 0,80 en moyenne et le bois très dur autour de 1.
Cela veut dire que si on utilise par exemple de l’ébène bois très dur de densité 1,1 il sera lourd et pèsera 1100 kg pour 1 m3 et coulera dans l’eau (rappelons que 1m3 d’eau = 1000 kg)
Le troisième postulat est le grain, la grosseur des pores du bois et l’espace entre les fibres d’automne et du printemps.
Ebéne. |
L’ébène
est un bois très dur de 1,1 ou 1,2 à texture fine, au grain serré tellement
siliceux qui ne fera pas des copeaux comme les bois plus tendres mais de la
sciure.
Cette qualité lui
donnera la possibilité d’un excellent poli et d’une couleur homogène, et comme
tous les bois très durs, il est facile à travailler, se fend surtout difficilement.
Toutes ces qualités en feront le bois de prédilection du tourneur de clarinette depuis un siècle et demi.
Palissandre. |
Les palissandres d’Amérique (Dalbergia)
: bois de rose, bois de violette, Cocobolo d’Amérique centrale, palissandre de
Rio seront utilisés ponctuellement pour des clarinettes car ces bois vont avoir
aussi de nombreuses qualités avec des veines très appréciées face à
l’uniformité de couleur du buis ou de l’ébène.
Mais avant
l’arrivée des bois exotiques, les tourneurs allemands, français ou anglais du
18ème siècle et de la première moitié du 19ème siècle avaient à leur
disposition quelques bois indigènes durs : Ces bois malgré leurs qualités ne seront pas utilisés par les tourneurs et facteurs :
Ainsi l’olivier, bois très dur de 1 à 1,2 de densité mais qui se fend, a trop de tanin huileux.
Le citronnier et l’oranger bois dur de 0,80 à grain serré mais qui se trouvaient en Espagne et Italie, pays où les tourneurs de clarinettes étaient rares.
Le houx
de densité de 0,80 à grain fin mais pas utilisé malgré sa facilité de tournage
peut être à cause des diamètres insuffisants dans les forêts.
Le charme
avec une densité de 0,85 et avec un veinage tourmenté se travaille bien et est utilisé
pour les jouets mais pas pour les instruments.L’acacia ou robinier de densité 0,80 siliceux, facile à travailler mais difficile à creuser.
Le chêne le roi des bois pour les ébénistes, est peu utilisé par les tourneurs malgré sa densité dure de 0,80 car peut être il a tendance à éclater.
Poirier. |
Le poirier
parmi les fruitiers est le bois le plus dur à 0,75 de densité avec de
belles veines et facile à travailler avec un grain très serré et une couleur
brun - rosé qui se polit très bien.
Certaines
clarinettes seront en poirier. Buis |
Mais le bois qui
sera choisi pour ses qualités sera le buis.
En effet il a
une densité très dure de 0,9 à 1,1. Il est facile à tourner et à creuser, se coupe bien, a un grain serré, ne se fend pas facilement, a un beau poli.
Il a une couleur homogène quoique parfois il peut être ondé avec des veines en vague très appréciées et ce bois est réservé pour les clarinettes de haute gamme.
Le buis n’a pas d’odeur et a la possibilité de se colorer avec des cires, acides et vernis…
Il sera pendant un siècle (avant que les bois exotiques notamment l’ébène et accessoirement les palissandres le supplantent) pratiquement le seul bois employé pour les clarinettes.
Carrelets ébène, palissandre pour fabriquer des clarinettes. |
Le
règne de la clarinette en buis
Clarinette
en Buis de Gardet à Besançon. |
Au départ, les clarinettes
étaient faites par des tourneurs sur bois et menuisiers qui faisaient le même
gabarit que pour des pieds de chaise ou de table avec le même «tour en l'air» à
pédale
Tour en
l’air. |
Ils devaient préparer le bois :
d'abord trouver un bon buis
assez gros puis le faire sécher 5 ans minimum ! puis le scier en évitant les nœuds
pour en faire des carrelets.
Enfin réaliser
un perçage d'ébauche et une immersion dans l'huile de lin chaude pendant 24
heures minimum. Il faut laisser sécher un an ! Alors on peut tourner une
clarinette.
Le facteur de
clarinette :
Le facteur
intervenait au finissage et ne devait pas tourner ! Il y a eu des conflits
importants avec les corporations des tourneurs pour la répartition des rôles !
Ce qui est
délicat, c'est la qualité de la perce et des trous et c'était le travail du
facteur.
Les trous
ralentissent les vibrations et les sons sortent plus bas que prévus.
En conséquence,
le facteur a dû remonter les trous vers la tête de l'instrument pour avoir les
sons justes et de diamètres plus petits car les trous étaient gros et les
doigts les bouchaient mal avec des fuites d'air.
Le morceau de
bois était transpercé en un cylindre sur toute sa longueur pour en faire une
clarinette par le maître ouvrier qui perçait aussi les trous dans ce tuyau de
bois.
Au départ on
creusait les trous en fonction de l'écartement des doigts du futur
instrumentiste ou du maître ouvrier !
Avec Iwan Muller
et sa 13 clés, ces trous furent normalisés pour faire des clarinettes plus
justes afin que toute la colonne d'air s'échappe.
Les trous seront
préparés pour améliorer l'adhérence des tampons.
On créa plus
tard les tampons qui reproduisait la texture de la pulpe du doigt avec du feutre
et de la baudruche, du cuir de chevreau.
Chaque facteur
avait son gabarit, ses secrets de fabrication pour positionner ses trous, qui
était un compromis entre la justesse et la possibilité de boucher les trous
sans faire des contorsions pour jouer. Ce compromis a été fait pas
tâtonnements.
Pour augmenter
la solidité de l'instrument et son esthétisme, on garnissait de viroles
·
d'ivoire
(éléphant, phacochère, hippopotame, os..) pour les instruments de prestige,
·
de
corne d'animaux africains (buffle, antilope, zébu...) pour les instruments de
qualité,
·
de
laiton pour les instruments populaires.
Puis le facteur
devint tourneur de ses clarinettes et utilisa le tour à perche ou tour en
l'air.
Les clarinettes
pendant un siècle et demi seront en buis, voire en bois fruitier, en cèdre.
La couleur miel des clarinettes anciennes
en buis (qui est blanc) vient simplement par le vieillissement et la cire. Pour
des teintes plus foncées dans les rouges ou les bruns, les teintes se faisaient
à l'acide, comme actuellement pour les copies d'instruments.
Le buis sera supplanté par l'ébène, bois
tropical dense et résistant dès 1828.
En effet le buis se fendait souvent,
sensible aux écarts de températures et à l'hygrométrie.
La dimension de la perce, qui est
essentielle, était aussi difficile à maintenir.
Et puis la mode était à la clarinette en
ébène, symbole de l'instrument moderne et abouti, contrairement à celles en
buis qui montraient l'évolution historique de cet instrument.
Le règne de la clarinette en ébène
L'ébène
(dalbergia melanoxylon) d'Afrique tropicale ou grenadille est un bois dur, qui
dispose de qualités qui entraînera rapidement le remplacement du buis voire du palissandre (qui est un bois
d'Amérique) voire les arbres fruitiers.
L'ébène dispose
de certaines qualités supérieures aux autres bois :
* il est dur,
dense, peu poreux et pourtant facile à travailler ne se fendant pas facilement.
* Il est
résistant aux variations de température et hygrométriques et à l'acidité de la
salive.
* il est peu
sujet aux fissures
* c'est est un
bois précieux doté d'une esthétique appréciée une fois cirée et d'une sonorité
douce et chaude.
Vernir le bois
est uniquement esthétique et ne joue pas sur la sonorité comme on le pense
souvent, ce qui compte c'est la qualité de la perce avant tout et avec l'ébène
la perce ne varie pas et ne se creuse pas avec les nettoyages.
Les
inconvénients de l'ébène sont :
* un prix plus
élevé. En conséquence, la clarinette en buis sera réservée pendant longtemps
encore aux musiciens populaires jusqu’en 1914.
L'ébène avec les
clarinettes Muller puis Boehm seront réservées aux militaires et aux bons
musiciens amateurs et professionnels.
La marque du
facteur permettra de positionner la richesse de l'instrumentiste voire sa
valeur.
* un poids plus
lourd que le buis.
La clarinette en
bois dense et dur comme l'ébène avec l'adjonction en plus des clés et des
anneaux en maillechort avec Boehm est plus lourde (1/3 de plus soit de 400 à
600 g) et va entraîner obligatoirement la fixation d'un support pour le pouce
droit que l'on avait déjà inventé auparavant déjà pour quelques clarinettes en
buis de luxe.
L'ébène commun
ou ébony en anglais (diospyros spp.) provient de Madagascar, de Tanzanie, du
Gabon. Il produit des instruments très moyens à cause de la porosité du bois
qui est assez importante et à sa sensibilité à l'acidité de la salive.
L'ébène des clarinettes des grands
facteurs provient exclusivement du Mozambique (dalbergia melanoxylon) et ce
sont des ébènes de grande qualité, très denses et serrés qui entraînent une
absence de porosité.
Maintenant le Mopane (colophospermum) est
une autre espèce d'ébène de qualité utilisé.
Les billes de
bois sont dégrossies, séchées à l'étuve, puis tournées pour fixer la place des
cheminées, les tenons et les emboîtures puis les trous sont percés.
Une fois poncée,
on dispose des viroles, on vernit le bois, on met les clés....
Le facteur de
clarinette utilisa le tour à perche ou tour en l'air, lui même remplacé par le
tour de précision avec l'ère industrielle avec des machines mû par
l'électricité ou la vapeur, ce qui permettait un travail plus rapide et plus précis.
Désormais le règne de la clarinette
moulée.
Au lieu de tourner des bois, l’ère
industrielle permettra de faire des moules et de couler différentes matières
pour faire des becs puis des clarinettes entières ce qui abaissera les coûts et
fera des instruments d’étude ou de bas gamme permettant une démocratisation de
cet instrument dans le monde entier.
A part quelques
matériaux expérimentaux, les clarinettes en plastique de couleur variée
actuellement ou pour mémoire la clarinette au musée de Markneukirchen en
plexiglas ! des clarinettes en
métal vont être utilisées.
Mais les
réussites seront les becs en verre-cristal notamment de Pomarico, les
clarinettes métal notamment américaines entre les deux guerres mondiales et le
règne de l’ébonite.
Bec cristal. |
Certains becs en ébonite avaient fait leur
apparition dans les années 1850 et avaient montré leurs qualités jamais
démenties puisque la plupart des becs sont encore en ébonite (sonorité,
facilité de fabrication, coût peu élevé) Mais d’où vient l’ébonite ?
Charles
Goodyear (1800-1860) inventeur génial et malheureux ayant
dédié sa vie au caoutchouc va inventer après bien des déboires la vulcanisation
du caoutchouc pour en faire un matériau essentiel au monde moderne.
Il mélange le latex de l’hévéa connu depuis des
siècles par les indiens d’Amérique et essaie de donner de la cohésion à ce
liquide en ajoutant du soufre (20 à 40%)
Mais selon la température, le caoutchouc se
ramollit ou devient dur et pour cela il est pratiquement abandonné.
En 1842, Goodyear va le stabiliser en le mettant
sous un jet de vapeur à 270° Fahrenheit et ce procédé s’appellera la
vulcanisation (de Vulcain dieu du feu) et comme le caoutchouc vulcanisé sera
noir comme l’ébène, il sera appelé ébonite.
Avec peu de soufre, le caoutchouc est souple pour les pneumatiques mais avec beaucoup de soufre, il sera dur comme l’ébonite.
Avec peu de soufre, le caoutchouc est souple pour les pneumatiques mais avec beaucoup de soufre, il sera dur comme l’ébonite.
Les applications
sont nombreuses : vêtements imperméables, isolants électriques, canots de
sauvetage et combinaison de plongée…
Rapidement
Goodyear fera des applications (1844 à 1860) sur des instruments de musique et
tuyaux de pipe montrant que l’ébonite est un magnifique substitut du bois.
A l’exposition
universelle de Paris dans les années 1850, Goodyear érigea un pavillon où tout
était en caoutchouc, habillé de la cravate à ses chaussures avec tous ses
vêtements utilisant du caoutchouc, il fut décoré de la légion d’honneur par
Napoléon III puis ira en prison pour dettes ! Grandeur et misère de
l’inventeur génial mais peu pragmatique.
Mais, inventeur
avant tout, Goodyear n’est pas vigilant pour déposer ses brevets et se fera
piller toutes ses inventions et mourra dans la misère et les dettes.
En 1870 des
usines de caoutchouc vulcanisé s’implantent en Europe.
En 1888 Dunlop
lance ses fameux pneumatiques et Macintosh ses vêtements imperméables….et les
becs en clarinette puis les clarinettes vont se fabriquer.
Le caoutchouc
vulcanisé sera l’ancêtre des résines artificielles qui entourent notre vie.
Aujourd’hui il y
a 1 hévéa pour 2 personnes sur terre même si le caoutchouc artificiel
synthétique est aussi utilisé. Il est partout autour de nous.
A noter que la
multinationale qui a pris le nom prestigieux de Goodyear n’a rien à voir avec
lui. Même son nom lui a été piqué ! ou est-ce un hommage ?
Toute collection
possède les différents matériaux montrant l’évolution aussi de la clarinette à
travers le temps.
Pourriez vous m'indiquer comment trouver de l'ébène et du palissandre pour travailler au tour à bois
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