par Touroude
José-Daniel
L’objectif est de partager ce que certains
grands clarinettistes m’ont enseigné…
Écouter un
morceau de clarinette paraît simple mais subjectif car elle est la résultante
de nombreuses interventions. Voici quelques conseils nés de la pratique et
transmis par de grands clarinettistes aux cours de master-class qui m’ont été
fort utiles. Premièrement vous
avez bien travaillé et vous êtes prêt à jouer devant un public qui va vous
écouter. Mais vous devez vous poser quelques questions préalables autour du
thème : Le musicien
amateur, et a fortiori professionnel, devra analyser chaque composante car en
effet plusieurs facteurs et acteurs interagissent.
Eddie DANIELS |
1° D'abord le
compositeur qui écrit une partition pour exprimer quelque chose, pour rechercher
des couleurs, des nuances, un son parfois très particulier (exemples glissandos
notamment pour Gershwin et Artie Shaw, les ¼ de tons de la musique
contemporaine, les growls…) Le musicien doit être l’interprète de ses
intentions.
Ecouter les deux versions du Concerto d'Artie Schaw.
Concerto d'Artie Schaw par Philippe Cuper
Le même concerto par Artie Schaw.
D’accord certaines
oeuvres sont insipides même avec le meilleur clarinettiste ! D'autres
chantent toutes seules, certaines sont écrites n'importe comment, d'autres
coulent facilement grâce à la connaissance de la clarinette par le compositeur.
Ainsi Mozart,
Weber, Brahms... connaissaient parfaitement, grâce à leurs amis clarinettistes,
les possibilités et les limites de l'instrument.
Se replacer
dans le contexte, dans la personnalité du compositeur, dans l’écriture et
l’analyse de l’œuvre sont essentiels. Je me rappelle
que dans certaines master-class, on analysait et on écoutait plus d’explications
qu’on jouait de notes ! notamment lors de stages de musique contemporaine
où chaque son parfois étonnant crée souvent des analyses longues et parfois
très intellectuelles et acoustiques… Mais le pire
est d’avoir le compositeur au 1er rang ! et qui vous écoute
avec sa partition. Là il faut
regarder l’horizon ou se scotcher sur sa partition…
Clarinette "Spirit" de Leblanc. |
2° La
qualité de l’instrument : il y a des clarinettes à tous les prix, dans
tous les matériaux et avec des qualités très diverses. Il y a beaucoup de subjectivité
sur les marques car n’oublions pas que le son de la clarinette provient plus de
la perce (polycylindrique actuellement) que du matériau utilisé… mais ce
principe rappelé, certains préfèrent le bois d’autres des matériaux composites (green
line) voulant remplacer le bois à forte densité… Le débat reste ouvert, quand
aux marques, c’est vraiment subjectif et toujours l’objet d’âpres discussions.
Cela dépend de votre morphologie et du style de musique (les jazzmen préfèrent
Selmer, les classiques Buffet Crampon, ou Leblanc…pour rester que dans la
facture française). L'état et le
fonctionnement de l'instrument est aussi fondamental (exemple : des petites
choses insignifiantes mais qui en concert peuvent s'avérer fatales : un ressort
qui ne répond pas assez bien, un liège décollé qui entraîne un cliquetis de
castagnettes à chaque mouvement de la clé, un tampon usé qui garde l'eau et
fait trembler la note etc...)
Le clarinettiste doit être un peu maniaque avec son instrument. (je ne remercierai
jamais assez René Barras clarinettiste solo des concerts Lamoureux et de
l’armée de l’air d’avoir été si tatillon pour m’intérioriser cette notion). Mais le son
n’est pas principalement lié à la qualité de la clarinette mais au
clarinettiste. Il faut
toujours nettoyer son instrument avec un écouvillon (entre les mouvements) même
devant le public car pour des raisons visuelles c’est préférable que de faire
goûter des gouttes de salive/condensation de l’air humide de sa clarinette
devant tous mais aussi pour des raisons techniques afin que le son ne soit pas
altéré.
Jacques Lancelot. |
3° La valeur
du clarinettiste, notamment de son embouchure (l’essentiel pour Jacques
Lancelot), c'est à dire l'adéquation du bec et de l'anche avec le clarinettiste
qui va produire l'émission de la colonne d'air. Selon
l’hygrométrie et votre tonus, l’anche impeccable de la veille ne sonne plus de
la même façon… certains ont des véritables rituels en la passant sous l’eau
chaude du robinet avant de jouer, d’autres l’humectant dans la bouche x temps… d’autres en ayant leur boite d’anches
régulièrement jouées, mouillées et annotées selon leurs qualités…. et faisant 1/4heure
de sons filés avant de jouer les gammes en tierces et les arpèges
brisés ! (merci à
l’autrichien A. Prinz clarinette solo de l’orchestre de Vienne qui tant qu’on
avait pas le son adéquat avec l’œuvre présentée, ne permettait pas que l’on
joue !)
Benny Goodman
passait toujours des heures avant de trouver la bonne anche et le son qu’il
voulait mais d’avoir été perfectionniste lui a permis de jouer n’importe où, même
dehors à Central Park ! ah quel souvenir ! Écoutez le
début du concerto de Copland par Benny, c’est une référence d’un beau son de
clarinette.
Le
clarinettiste doit maîtriser son trac, respirer, faire de la gymnastique
faciale pour détendre sa cavité buccale pour avoir un beau son, voire faire des
vocalises comme un chanteur. Évidemment des petites maladies comme les
rhumes, mal aux dents, sinusite, otite etc….vont perturber le son et peuvent
avoir de conséquences importantes. Être
clarinettiste c’est aussi maîtriser la technique de l’instrument, posséder des
capacités respiratoires (le travail de respiration abdominale et le taux
d’oxygénation sont essentiels) et auditives pour corriger, en temps réel, les
sons produits. Pour cela il
faut travailler, s’enregistrer sans cesse et s’écouter ! mais en
sachant que le public va entendre autre chose ….
Nouvelle salle de concert de 2400 places à La Villette pour la Société Philharmonique de Paris. |
4°
Les qualités acoustiques du lieu où l'on joue (plein air, bonne ou
mauvaise salle, trop grande avec un retour du son plus ou moins bien perçu par
l'instrumentiste qui ne peut adapter son jeu...). Les sons sont filtrés par la distance et
le pouvoir directionnel de la clarinette. Jouer
en bougeant ne donne pas les mêmes sons pour l’auditoire et il faut éviter de
tourner l’instrument à gauche et à droite. En effet le
spectre sonore subit des déformations et en changeant de position en cours de
jeu, les angles de réflexion des sons changent, le rayonnement est différent,
la réverbération rajoute du flou et enveloppe les sons. Par exemple le
jazzman Eddie Daniels va fixer un micro sur sa clarinette, ce qui lui permet
de bouger. Mais jouer raide comme un piquet n’est pas très visuel pour le
public, ni de faire des contorsions de charmeur de serpent comme
certains !
La
réverbération de la salle est aussi importante, certaines salles ont une
acoustique formidable et d’autres couvertes de moquettes, de fauteuils moelleux
et de tapis au contraire sont des véritables éteignoirs de son et on a alors l'impression
de jouer sous des couvertures ! Toujours frustrant. Je sais chez
vous c’est différent ! et dans une salle de bains, tout le monde a un son
clair et lumineux valorisant mais tellement trompeur sur sa sonorité réelle. Répéter en
salle vide puis jouer en salle pleine est toujours source de désillusion, le
son n'est plus le même ! et vos pianissimi délicats en salle vide deviennent un
petit son étouffé que l’on entend plus au 10ème rang lors du concert
une fois la salle pleine.
Selon
la place aussi que l'on occupe dans la salle, le retour du son sera différent
et le clarinettiste
n'aura pas le même son. (Nous
avions beaucoup travaillé avec l’anglais G. De Peyer cette notion dans l’église
de
Saint François
d’Assise à Assisi en Italie… où on a joué dans tous les endroits même les
plus incongrus pour écouter les différences ! très révélateur…)
Gervas de PEYER. |
Août 1986, festival Assisi :Gervas de Peyer et José Daniel Touroude. |
5° La
température est aussi importante pour la variation du son. La clarinette froide est fausse et il faut
5 minutes pour la chauffer (au départ entre l'air chaud expulsé et la
clarinette froide, il peut y avoir 10° de différence !). La clarinette
peut jouer dehors dans le froid mais elle baisse facilement d'un quart de ton
et surtout cela déséquilibre la justesse des notes entre elles. La célérité du jeu augmente avec la
température ce qui entraîne une augmentation de la fréquence donc de la hauteur
des notes. Ceci est problématique quand on change
l’instrument au cours du concert voire du morceau !
Le clarinettiste borgne par José Claude Frappa (1854-1904). |
6° Les
autres musiciens avec qui il faut toujours s'accorder dans tous les sens du
terme. D’abord dans le
sens du même diapason à 440 Hz, ce qui est dorénavant plus facile sauf si
certains ont des instruments anciens ! mais aussi s’accorder dans
l'interprétation musicale ce qui est plus difficile surtout si on a peu de
répétitions et enfin surtout s’accorder psychologiquement dans la confrontation
des personnalités ce qui est encore beaucoup plus ardu, les egos des musiciens
étant parfois assez importants ! C’est vrai qu’on
ne peut s’exposer sur scène et prendre des risques sans cesse et avoir une personnalité introvertie et avoir envie de
passer inaperçu. Jouer les quintettes de Mozart, Weber, Brahms, Reger, Hindemith…
avec un quatuor à cordes constitué qui a son mode de régulation est toujours
source de discussions parfois véhémentes ! De toutes
façons, les autres musiciens jouent toujours trop fort ! et couvrent la qualité
de vos nuances et de votre sonorité.
(Merci à Jean
Pasquier du trio Pasquier de nous avoir martelé ces notions essentielles de la
musique de chambre sur le fait de s’accorder sans cesse dans tous les sens du
terme). Il faut aussi
s’accorder avec le public. Jouez vous pour lui ou pour vous ou pour suivre un
programme établi par d’autres ? De toutes façons, une pièce mettant en
valeur un beau son emportera tous les suffrages...
7° L'auditeur
en concert qui a des capacités auditives et / ou musicales très variées,
parfois limitées et qui peut en plus émettre des bruits gênants (toux,
raclements de fauteuils, voire bavardages...). L’auditeur est-il
intéressé ou non par la musique et par la clarinette, au moment où vous jouez ?
Parfois c’est dur de convaincre pour le musicien, certaines musiques sont
ardues. (« Mais c’est ton job de séduire et de convaincre ! » indiquait
le clarinettiste suisse Thomas Friedli). L’auditeur est-il
perturbé par la vue, un détail vestimentaire des musiciens ou écoute t-il
vraiment la musique ? Jouer avec une chanteuse jeune et jolie qui a une
jupe fendue et un décolleté vertige est une épreuve pour le clarinettiste
qui joue le trio de Schubert !
Par contre si
on joue du Benny Goodman, cela stimule le swing…Les qualités de
perception auditives sont différentes pour chaque mélomane et ses conditions
d'écoute varient selon les moments.
8° L’auditeur
solitaire:
D’autres
facteurs sont à prendre en compte si on écoute la musique indirectement. Les qualités
des micros ou de l'enregistrement sont alors fondamentales. Les
manipulations de l'ingénieur du son vont encore modifier le timbre émis et
bonifier la sonorité, réduire les fréquences et les imperfections voire les
erreurs de l'instrumentiste. La qualité des
supports deviennent essentiels (chaine hi fi, poste de radio, disques,
enregistrements numériques...) et les bruits qui entourent la réception de la
musique. Chaque maillon
de la chaine peut modifier, voire déformer le son attendu et/ ou produit.
Écouter de la
musique est vraiment subjective. Le plaisir que l'on en retire encore plus !
La vie ne peut
s’accompagner qu’avec de la bonne musique et comme disait le poète Verlaine « de
la musique avant toute chose ». Maintenant il
faut arriver à l’avance, connaître la salle et régler tous les problèmes
pratiques… et il y en a ! Ne comptez pas
sur les autres et vérifiez tout sans cesse (la chaise, le pupitre, les
partitions, les lumières etc…) car sinon vous aurez des surprises et le son
produit malgré tous vos efforts sera parasité et ne sera plus le son que le
public doit écouter.
Maintenant à
vous de jouer…. et beau son !
Ensemble de clarinettes de Paris. |
Ensemble de Clarinettes Jacques Lancelot
dirigé par Pierre Yves LEBON.
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