Interview de José Daniel Touroude par R.P.
Q :
Lors de ton article sur les petites clarinettes dans ce blog, tu avais peu
parlé de tes clarinettes en Fa. Denis Watel
avait amené chez toi sa superbe clarinette en Fa de Baumann, (qu’il te vendra
bien un jour !). Elles sont peu courantes et ont vite disparues.
Pourquoi ? (Articles sur les petites clarinettes.)
JDT : Pour la première fois l’existence de la clarinette en Fa apparaît dans le royal
bavarian infantery guards en 1830. Berlioz parle aussi de la clarinette en Fa
dans son traité pour la musique
militaire. La petite clarinette en Fa dite piccolo (selon Lavignac) est
spécialisée pour les traits aigus, elle est plus courte que la clarinette Mib
et a eu son heure de gloire dans les musiques militaires quand les clarinettes
sopranos étaient en Ut au 19ème siècle. De grands compositeurs
l’utilisèrent pour son aigu ou pour sa tonalité pratique dans certains cas notamment
Beethoven, Mendelssohn, Strauss…La
petite clarinette en Fa était associée également à d’autres instruments graves
en Fa (cors en Fa surtout, cors de basset alto en Fa, musette en Fa, tuba en Fa).
Quand la tonalité ou les traits de la partition étaient difficiles, le
clarinettiste au lieu d’utiliser la petite clarinette en Mib prenait
ponctuellement d’autres petites clarinettes en Ré, ou en Fa. Quand la
clarinette soprano passa de Ut à Sib, la petite clarinette passa de Fa à Mib
pour maintenir la quarte. C’est pourquoi la petite clarinette en Fa fut
remplacée par celle en Mib au milieu du XIXème siècle et vite abandonnée,
devenant rare et donc recherchée par les collectionneurs.
Clarinette en Fa de Baumann. (Collection D. Watel) |
Q :
Dans ta collection, nous avons deux clarinettes autrichiennes en Fa de la
même région, de la même époque et pourtant elles sont différentes :
En
effet l’une est en ébène à 13 clés, l’autre en buis signée Eberl en buis à 14
clés. Elles sont toutes les deux basées
sur le système Mûller simple qui permet de faire enfin toutes les notes de la
gamme chromatique et des traits difficiles sans doigtés approximatifs et
compliqués. Leur
utilisation était différente : celle en ébène utilisée dans une harmonie en
plein air (kiosque, défilés…) de type militaire est robuste, le bois ébène
épais, assez lourde (plus du double 385 g contre 180 g pour l’Eberl) , les clés
sont épaisses et solides, le repose pouce important, longueur et perce un peu
plus importante, état prouvant qu’elle a vécue….l’autre est absolument
l’inverse en buis, fragile, aux clés très fines, peu utilisée vient d’un
orchestre symphonique ou opéra (pour quelques traits). Il
faut dire que dans l’empire autrichien à cette époque la musique est présente
partout (Schemmel facteurs de clarinettes à Vienne.)
A gauche clarinette en Fa et 14 clés en buis d'Eberl et à droite clarinette en ébéne en Fa 13 clés. (Collection J.D Touroude) |
Q : Apparemment elles viennent de Carlsbad ou de sa région ?
c’est une petite ville ?
Carlsbad a gardé même aujourd’hui son charme désuet,
et se nomme actuellement Karlovy Vary en Tchèquie. Elle était à cette époque
une ville d’eau chaude célèbre dans l’empire autrichien et comme toutes les
villes de cures, où il n’y a pas grand chose à faire, la musique était
omniprésente. D’ailleurs à cette époque de nombreuses personnalités notamment
des musiciens prestigieux comme Brahms, Chopin, Dvorak, Grieg, Liszt, Wagner… contemporains
de cette clarinette ont fait des séjours dans cette ville. L’une a été fabriquée à Carlsbad, l’autre y a joué
peut être et provient de la même région de Bohème (sans doute de Graslitz en Tchéquie
actuellement)
Vues de Carlsbad au XIX ième siècle. |
Q : Et qui dit musique dit musiciens
et donc facteurs et réparateurs…
Tu as raison, vu le nombre de concerts quotidiens, il
fallait des facteurs et réparateurs à Carsbad et quelques artisans réputés
comme Strobach et Jäger sont connus des collectionneurs. Eberl actif à Carlsbad est lié
forcément à ces facteurs précédents mais je ne connais pas les liens d’Eberl
avec eux (apprentissage, compagnonnage, concurrence, sous traitance…).
Cor de Basset de Strobach à Carlsbad. (Musée d'Edimbourg) |
Q : Eberl me dit quelque
chose ?
Oui au début j’ai eu la même impression en
l’achetant mais c’est un homonyme célèbre ou peut être un membre de la même famille
? (si certains ont la réponse ….) Anton Eberl était un pianiste et compositeur autrichien de Vienne
très connu, ami de Mozart et de Haydn, rival de Beethoven et qui a composé
plusieurs œuvres de musique de chambre avec clarinette ! et qui a été à
Carlsbad ! lui aussi. C’est celui qui est connu en histoire de la musique. Mais qui est W. Eberl ? pratiquement pas
référencé dans les musées et livres spécialisés et pourtant son travail est
magnifique ! encore un génie méconnu….Sa rareté est donc réelle car il existe sans doute très peu de
clarinettes de W. Eberl de Carlsbad dans les collections publiques ou privées et sans doute la seule en Fa. L’estampille est un aigle à
2 têtes des Habsbourg, surmonté d’une couronne , W.Eberl Carlsbad, F (fa) et
une fleur à 6 pétales.
Marque d'Eberl à Carlsbad. |
Q : C’est vrai qu’elle est
magnifique et éclipse beaucoup de petites clarinettes qui sont à côté !
Mais l’autre en ébène, est aussi typiquement autrichienne de la moitié du
XIXème siècle non ? on reconnaît les grands facteurs de Vienne du
milieu du XIXème siècle : Uhlmann, Schemmel, Koch, Stehle …Quelles sont les caractéristiques de
la facture autrichienne au milieu XIXème siècle ?
Oui . La facture autrichienne est reconnaissable de
suite :
· ° Aux pavillons évasés.
3 pavillons de clarinettes autrichiennes comparés à un pavillon de clarinette française. (de gauche à droite : Schemmel (A), Baumann (F), Eberl (A), Schemmel (A) |
° Forme
des clés très travaillées avec pont et cercle.
Longues clés de deux clarinettes viennoises. |
° Des blocs en bois dans la masse demandant une
adresse certaine des tourneurs. (Comme pour les hautbois ; on retrouve en Allemagne et en Angleterre
ces blocs taillés)
Comparaison des grandes clés d'une clarinette viennoise (G) et une clarinette française (D). |
° Des repose pouce taillés dans la masse.
Repose pouce taillés dans la masse. |
° Trous surélevés petit doigt droit.
Trous surélevés petit doigt droit. |
Evidemment
on retrouve des caractéristiques classiques germaniques : Les clés sont en laiton rondes
en pelles à sel et sont articulées par des tiges en laiton perçant des blocs en bois. (à
l’époque la facture française était très différente et utilisait les patin,
avec boules et charnières et des vis en acier) mais toutes les clés à l’est du
Rhin sont comme cela. Les ressorts sont en laiton rivetés sur les clés, les
tampons en feutre et cuir mais là ce n’est pas spécifique à la facture
autrichienne. Le diapason : très différent selon les villes et
les orchestres (cf article diapason Cliquer sur ce lien pour voir l'article.). Ce qui est
sûr c’est qu’elles sonnent encore très bien
….
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