Par José-Daniel
Touroude et Magali Touroude Pereira
(Conseil en
Propriété Industrielle, mandataire en brevet européen, Fondatrice
de Touroude et Associates et de Yes My Patent.com
Le collectionneur adore commenter
et analyser les estampilles. Parfois il regarde même plus souvent l’estampille
que l’instrument ! Nous avons consacré des articles sur certains aspects
de cette question dans ce blog depuis la démystification des estampilles jusqu’à la description et l’analyse des inscriptions gravées sur les clarinettes.
Notre objectif est de cerner la
multiplicité des inscriptions liées aux brevets aux modèles et aux marques
inscrites notamment sur nos clarinettes (mais tous les instruments à vent ont
peu ou prou les mêmes mentions).
Tout d’abord il faut bien différencier
3 types de titres de propriété industrielle : le brevet, la marque, le dessin
et modèle.
La propriété industrielle concrétisée
par un brevet doit respecter les idées et la procédure suivantes :
1. Le
brevet protège une invention technique (produit, nouvelle utilisation ou
procédé) : exemple : la clarinette Elite où taille, modification de la perce,
ergonomie, utilisation du carbone étaient différents des autres clarinettes
existantes.
2 Identification
claire du ou des inventeurs et du ou des déposants quand ce n’est pas
l’inventeur (par exemple déposant Buffet Crampon, inventeur Robert Carrée
travaillant pour Buffet Crampon pour la clarinette BC 20).
3. La
propriété de l’invention appartient au déposant, pas à l’inventeur. (BC vient
de reprendre sa BC 20 en l’améliorant).
Clarinette BC20 |
4. Recherche
d’antériorités prouvant que cette innovation n’est pas déjà divulguée ou
protégée par un autre inventeur ailleurs. (Selmer, les japonais, les
américains, les allemands…).
5. Reconnaissance
par un Office national (INPI en France) de la nouveauté et l’activité inventive
de l’invention (qu’il ne s’agit pas en fait d’une petite modification ou
adaptation) sur la base de cette recherche d’antériorités.
6. L’intégralité
de l’invention doit être décrite dans le brevet, sans omettre d’éléments
essentiels pour pouvoir être reproduite même en cas de disparition de
l’inventeur. (dessins, plans, coupes, maquettes…)
Schéma du brevet de Buffet Jeune de 1843. (Source INPI) |
7. Propriété de l’invention mais
limitée dans le temps (20 ans) d’où un droit exclusif, c’est à dire un monopole
d’exploitation avant qu’elle tombe dans le domaine public et la liberté
d’exploitation pour tout le monde.
8. Propriété de l’invention limitée
dans l’espace : un brevet français ne donne un monopole qu’en France.
L’invention peut être exploitée gratuitement et licitement ailleurs. (imitation
des clarinettes chinoises !)
9. Sanctions (amendes, destructions
des contrefaçons) pour ceux qui ne respectent pas les règles et copient sans
autorisation, ni paient de redevances au breveté (associé comme un vol déjà
dans la Rome antique)
Une autre précision conceptuelle pour
éviter la confusion est la différence entre brevet, dessins et modèles et marque :
La marque consacre une identité
précise à un fabricant et nul ne peut utiliser le nom déposé. La marque est
délivrée pour un temps indéterminé sous réserve d’être renouvelée et utilisée,
contrairement au brevet qui dure au maximum 20 ans. Exemple : la marque Buffet
Crampon existe depuis l’origine et le logo a peu bougé même s’il n’y a plus de
descendant de Buffet dans l’usine ou comme actionnaire depuis longtemps !
Le nom du modèle de l’instrument est
également déposé sous forme de marque à l’INPI et souvent mentionné afin de se
différencier des autres produits de la maison mère. Parfois le modèle est
tellement réputé que la maison mère est implicite et n’est même plus mentionné
oralement (Saxophones Mark VI ou clarinette Récital, (Selmer) Monopole
(Couesnon) parfois seul le modèle est gravé sur l’instrument : Elite (Buffet
Crampon) etc…
Le modèle, en tant que dessin à la
forme particulière, peut également être déposé à l’INPI et recevoir un titre
appelé «dessin et modèle» qui protège spécifiquement sa forme. A ne pas
confondre avec le nom du modèle, qui lui est déposé à titre de marque.
Le collectionneur aime préciser ses
instruments de différentes époques et de pays variés et bute souvent sur des
inscriptions : les poinçons d’argent sur les clés, des mentions gravées sur le
bois et tout cela devient vite compliqué car ces notions ont évoluées dans le
temps et selon les pays avant d’établir une législation internationale commune
et reconnue. Nos instruments retracent ces flous, ces aléas et ces
spécificités.
Rappel historique
Depuis toujours les innovateurs ont
essayé de garder leurs secrets les transmettant qu’à leurs proches (on trouve
les premières traces dans la Grèce antique, la culture chinoise sur la poudre
ou sur la soie, les corporations jalouses de leur savoirs au moyen âge, Venise
et le verre de Murano, Gutenberg et l’imprimerie, les privilèges royaux de
Colbert etc… tous ont eu une culture du secret de l’innovation et de la
fabrication. En 1474, Venise protège pendant10 ans
l’innovateur, ce qui permet d’attirer nombre d’artisans, inventeurs et
créateurs d’entreprises dans leur ville. Ainsi une législation adéquate possède
un moyen essentiel d’une politique économique stratégique attractive, ce qui
perdure toujours actuellement.
Vue de Venise |
Ainsi la royauté en France dès le
16ème siècle pour attirer les créateurs italiens et les autres innovateurs
d’Europe va faire une véritable politique de privilèges (qui sont les ancêtres
des brevets). La durée de protection était longue, 20 ans, mais devait être
utile, bénéfique et être appliquée en France. De plus elle pouvait se
transmettre à ses ayants droit et Colbert donnait en plus des exemptions
fiscales mais sous conditions : le contrôle royal et étatique, (quitte à faire
évoluer la législation selon son bon vouloir) l’organisation des dépôts, de la
publicité, des commissions d’expertise par le Bureau du Commerce, et des arrêts
royaux discrétionnaires.
Avant le XIXème siècle et la
législation sur les brevets, les innovations étaient transmises de maîtres à
compagnons dans le secret et ces innovations se diffusaient notamment par le
tour de France et les copies des instruments fabriqués par d’autres. Ainsi lors
de immigration des tourneurs et facteurs allemands en France, très rapidement les facteurs français ont pu s’accaparer leurs savoir-faire.
Les corporations privées perdirent
leur puissance. La révolution de 1789 abrogera les corporations (et leurs
blocages routiniers) ainsi que les privilèges royaux (et leurs dérives) tout en
gardant la domination étatique qui deviendra républicaine au nom de la liberté
d’entreprendre encadrée par l’Etat.
D’autres pays ont choisi une voie
plus libérale et moins étatique comme l’Angleterre et les jeunes USA. L’aspect
protecteur juridique est important mais le marché est considéré comme également
un régulateur efficace et pragmatique qui consacre ou non la pertinence d’une
invention. Le souci de faire connaître l’innovation devient donc primordial par
la publicité, le marketing, la recherche d’investisseurs et le brevet devient
une composante essentielle dans l’entreprise capitaliste. (Portefeuille de brevets
à exploiter : actif principal d’une entreprise).
La République française avec son
idéologie libérale mesurée consacre la propriété individuelle du citoyen
innovateur en fixant des limites (la déclaration des droits de l’homme et du
citoyen) afin d’arrêter l’hémorragie des talents et des créateurs vers
l’étranger notamment anglo-saxon plus libéral. La propriété intellectuelle en
1791 est calquée sur la propriété foncière, réduit les dates d’exclusivité de
l’invention, encourage la création industrielle et cet état d’esprit traduit
par des lois sera imité par les pays occupés par le premier empire jusqu’à la législation de 1844. Le foisonnement créatif qu’ont connu tous les
instruments à vent dans la première moitié du XIXème siècle est lié à
cette liberté de créer, à cette protection législative et à un marché porteur
notamment militaire. C’est au XIXème siècle que les mentions fleurissent sur
les instruments, avec une surenchère qui peut atteindre parfois le ridicule.
L’imbrication de deux notions intimement liées :
Il existe deux approches très
différentes qui se côtoient, s’imbriquent et s’opposent en permanence : le
juridique et le commercial :
1°) le droit
qui protège le détenteur du brevet et /ou la marque par une législation
(mouvante et variée selon l’époque et le pays) mais qui demande en échange le
respect d’une procédure particulière et des contributions financières
régulières. Le postulat de base est que le brevet légitime une innovation faite
par un inventeur et le protège de l’utilisation de son invention par d’autres,
et cette protection devient aussi un monopole pour un temps déterminé qui
exclut les autres, sauf si ceux-ci paient à l’inventeur le droit à une licence.
Le brevet est délivré pour un temps précis variant selon les époques et les
pays entre 5 et 20 ans.
2°) Le
commercial est intimement lié à l’innovation où l’important est de conquérir un
marché contre des concurrents afin d’attirer des consommateurs qu’il faut
fidéliser et satisfaire pour gagner de l’argent, parfois même au prix de
mentions suspectes mais qui entraîne une réussite commerciale. Ainsi le brevet,
la marque et les différentes mentions associées sont souvent sources de
publicité et de notoriété ce qui améliorent les ventes.
Les confusions existent
souvent par méconnaissance des concepts, mais aussi par l’utilisation du droit
dans le temps et l’espace bien différents dépendant de la politique plus ou
moins libérale ou protectrice du moment où sont gravées les inscriptions. Ce qui est
complexe c’est souvent que la même innovation germe dans différents esprits en
même temps et sans brevet on ne sait pas qui est vraiment l’inventeur à
l’origine de l’innovation, qui l’a adaptée aussitôt, qui l’a déposée comme
brevet le premier, qui l’a vendue et en a fait une réussite commerciale, qui se
pare des plumes du paon etc…
Marque d'un instrument de Simiot et Brelet à Lyon. |
Partie d'étiquette sur un piano Pape. |
En effet
nous connaissons tous les procès à répétition qu’Adolphe Sax, génial créateur
de la clarinette basse et des saxophones mais jaloux, exclusif et procédurier,
qui ne supportait pas les rivalités. Etant proche de Napoléon III qu’il avait
investi de nombreuses responsabilités, Sax a intenté de nombreux procès aux
autres facteurs de son époque.
A contrario,
nous savons aussi que certains inventeurs crédules, peu attentifs au droit,
n’ont pas su se protéger et profiter de leurs créations. Ainsi le créateur de
l’ébonite de nos becs de clarinette (voire de clarinette entière à bas prix) de
Charles Goodyear, l’inventeur du caoutchouc vulcanisé qui a enrichi beaucoup de
monde alors que lui n’en a guère profité et a fini pauvre et endetté.
Un imbroglio
qui entraîne des confusions :
Autre
élément à connaitre pour la compréhension : la procédure peut être longue,
coûteuse, parfois complexe si l’innovation n’est guère probante. Ainsi certains
ont laissé entendre que cette procédure était en cours pratiquement faite ce
qui légitimait et anticipait l’inscription avant même le résultat afin de mieux
vendre. Il faut donc
comprendre la procédure des brevets, certains jouant sur la confusion des
étapes : respect du droit et ambition commerciale étant imbriqués. En effet
chaque collectionneur a croisé ces notions inscrites comme : Brevets :
Véritable
Brevet accepté par l’autorité, qui a respecté toute la procédure et qui reste
appliqué pendant la période de protection, étendu dans un ou plusieurs pays
nommés et ayant réglé les diverses taxes . l’inscription est «Patent» ou
«Breveté» accepté par
un privilège royal : Exemples : instruments anglais
Marque d'un flageolet Bainbridge. (Collection J. D. Touroude) |
Des mentions de privilèges royaux (exemple : Couronne montrant que le facteur est accrédité officiellement sous des régimes monarchiques.
Breveté qui
en fait ne désigne pas une innovation technique mais une forme différente
(design patent) de l’instrument, d’une clé, d’un accessoire etc…
Brevet
ancien qui a été accepté mais qui n’a plus cours par forclusion (temps du
brevet écoulé) ou non-paiement des taxes et qui peut donc être exploité par
d’autres car dans le domaine public. Certains
laissent la mention pour faire croire que le brevet court toujours ! Exemple : le
brevet Auguste Buffet concernant les ressorts à aiguilles et les tringles pour
les flûtes (et clarinettes système Boehm avec les anneaux mobiles et les clés
auriculaires de Klosé) date de 1838 . A. Buffet indique Breveté sur ses
instruments avec raison. Mais son brevet et donc son monopole n’a eu qu’une
durée de 5 ans (copié après par tous les facteurs). Par cet exemple on voit
bien l’atout commercial que Buffet en retire pendant plusieurs décennies avec
l’inscription «Breveté» gage d’inventivité, de qualité et de notoriété, les
clients n’étant pas au fait de la législation des brevets et de la durée de la
protection. C’est cette imbrication entre le droit et l’économie qui va
entraîner nombre de confusions.
Brevet en
cours de procédure qui nécessite le dépôt, et le paiement annuel des taxes
pendant toute la durée d’examen du brevet mais qui est toujours en attente de l’acceptation.
Il y a deux
possibilités :
1) un
dossier de dépôt de brevet en attente de délivrance, la procédure étant parfois
un peu longue, prenant au minimum 2 ans et demi et parfois plus de 10 ans. Mais rien n’indique que le brevet va être
accepté à la fin de l’examen et entre temps il n’est pas possible d’attaquer
pour contrefaçon ! Les produits estampillés «brevet déposé» ou «patent pending»
garderont l’estampille même si le brevet est rejeté par la suite…
Exemple : « Patent Pending » (exemple
américain: ligature Bonade : en attente
d’un brevet d’une ligature qui possède une petite innovation à l’intérieur
voire une forme originale déposé aux USA par un clarinettiste français expatrié).
On ne sait pas si le brevet a été accepté ou s’il est toujours en attente
! En attendant c’est ma ligature préférée.
Certains
veulent montrer leur créativité faisant évoluer leur instrument : exemples « Innovée
par Simiot Brelet ), Brainbridge flageolet double : inventor et patent Braindbrige
flageolet : teacher & inventor et
patent
2) Beaucoup plus suspects certains dossiers
sont déposés mais ne seront jamais acceptés par les Offices voire même sont
consciemment proposés par l’inventeur en sachant qu’il y aura un refus
probable. L’inventeur qui commercialise laisse sous entendre au public que le
produit est breveté (donc que le brevet est délivré et lui octroie un monopole
d’exploitation ou va l’être un jour mais c’est un mensonge)….Tout le monde peut
déposer une demande de brevet bidon : stratégie marketing connue (brevets
potentiels déposés sous entendant une recherche développement de pointe).
« Breveté
SGDG » Sans Garantie Du Gouvernement est juridiquement l’ancêtre du brevet
moderne mais beaucoup moins qualitatif et protecteur mais qui commercialement a
eu un impact important pendant un siècle et demi. Inventé en 1800 par Napoléon
Bonaparte et supprimé en 1968 (mais pas en Belgique), il a pour objectif de
dégager l’Etat de toute responsabilité quant au fonctionnement ou à la qualité
de l’objet. Cette mention indique que l’achat est aux risques et périls de
l’acheteur.
Ligature de clarinette Penzel et Mueller. |
Actuellement
il existe aussi les certificats d’utilité qui sont des brevets réduits en
termes de procédure, de coût et de protection. Mais la
plupart des instruments de musique, et notamment la clarinette, n’ont plus eu
d’innovations importantes et permanentes. En conséquence le marketing sera plus
axé dorénavant sur les marques et les modèles. Cette approche commerciale, mais
qui possède néanmoins un aspect juridique de protection, peut faire croire à
une qualité officialisée et reconnue.
Décrivons
quelques inscriptions :
Marque
spécifique déposée : Ligature
A.P. déposé (il s’agit d’une forme de ligature et mais aussi probablement d’une
marque déposées.)
Marque de fabrique déposée : Exemple le dupinophone de Dupin.
La Varinette.
Modèle
Déposé : noms spécifiques des clarinettes :
Divine, Privilège, Tosca etc…
Des dessins
: certains brevets ont des dessins précis de clés déposés et novateurs.
Brevet Jardé pour Saxophone (Source saxophone). |
Les noms de
clients prestigieux professionnels (adoptée par les conservatoires , l’armée… ) voire par des instrumentistes
illustres.
Saxophone Pierret système breveté avec M. Poimboeuf soliste de la garde républicaine. |
Une lettre
(S pour la production collective du centre de Markneukirchen).
Mais tout cela est fait pour faire et écouter de la bonne musique.
Certaines mentions sont fantaisistes,
officieuses et n’engagent personne. (Geist voulant dire Colombe esprit saint en
allemand d’où une colombe gravée.
Des symboles plus ou moins ésotériques
(exemple : l’étoile 5 branches du compagnon)
des symboles musicaux (lyres, ange
trompettiste de la renommée, clé de sol, notes….) photo Bühner et Keller
D’autres mensongères pseudo
officielles faisant croire à une officialisation de qualité à des clients non
avertis, d’autres proches de la copie et de la contrefaçon.
Toutes ces inscriptions sont censées démontrer leurs
authenticité et qualité et montrer leurs spécificités voire leurs différences
et sous entendre implicitement beaucoup de choses ! notamment l’inventivité des
facteurs . Je conseille de relire mon article antérieur plus général et
complémentaire à celui ci sur le foisonnement des estampilles et inscriptions.
Une
jurisprudence vient de paraître montrant que notre propos est toujours
d’actualité.
En effet le
tribunal de grande instance le 5 juillet 2019 réitère de ne pas utiliser à la
légère le terme «breveté» ou «
patented" pour une technologie qui ne l’est pas ou pour une simple
demande de brevet "L'usage de la mention «breveté» appliquée indifféremment
pour désigner un brevet, une demande de brevet ou le résultat d'un savoir-faire
constitue un acte de concurrence déloyale, comme couverts par des droits de
propriété industrielle alors que ce n'est pas le cas, ce qui entretient une
confusion avec d'autres solutions réellement protégées et apparaît de nature à
procurer aux défenderesses un avantage concurrentiel".
Mais tout cela est fait pour faire et écouter de la bonne musique.
Bonjour, j'ai déposé un nouveau système de clétage pour la clarinette sous le n°FR3056811
RépondreSupprimerEst-il possible de faire figurer le dessin?
Cordialement, Hubert Thévenin