par José-Daniel Touroude
"Lully, d'un
tempérament explosif, s'emporta et se frappa violemment un orteil avec son «
bâton de direction », longue et lourde canne ......"
Tous
les métiers ont leurs pénibilités surtout quand les postures, gestes, exercices… sont répétitifs. Le musicien n' échappe pas à cette difficulté, bien au contraire. Le
musicien est une personne qui avec un instrument fait de la musique et pour
être bon, voire excellent, doit faire des milliers d’heures d’entrainement et
être en super forme le jour de sa prestation. Ainsi
le moindre problème anodin touchant son instrument de musique ou sa santé peut être lourd de conséquences . Le musicien a donc besoin de deux personnes dans son
entourage personnel : le luthier, médecin de son instrument et son médecin pour soulager ses diverses douleurs (physiques
et/ou psychologiques) et l’aider à demeurer au top.
Pour
des articles de médecins soignant les musiciens voir cet excellent site.
Notre démarche elle, est inductive, partant des témoignages des musiciens. Nous avons déjà utilisé cette démarche avec les collectionneurs .
Souvent
entre musiciens, on évoque des souvenirs où il a fallu jouer avec des maux douloureux et handicapants, chacun y allant de ses anecdotes (du style
« tamalou » mais j’y arrive quand même car je suis un
pro !)… En interrogeant les uns et les autres, j’ai été submergé de
souvenirs à croire que la vie de musicien est pleine de pièges et
d’obstacles qu’il faut surmonter avant de se faire applaudir et que tous ont
des médicaments, voire une véritable boite à pharmacie avec même des
substances limites ou des recettes et pratiques miracles.
Je ne
parle pas ici des problèmes liés à l’instrument qui nous lâche au mauvais
moment ! De nombreux réparateurs et luthiers doivent rassurer le musicien
stressé avec une ultime révision avant le concert ! Cela fait partie de la
relation parfois anxiogène que nous avons avec nos instruments, ou des
problèmes survenus comme un vêtement qui
craque lors du concert, de trébucher sur scène, de faire tomber sa partition ou
son pupitre, sans compter le ressort d’une clé qui casse ou un tampon qui
colle… certaines situations sont cocasses (quand cela arrivent aux
autres !).
Ainsi
il y a longtemps à l’Opéra, Méphistophélès (dans Faust de Gounod) devait surgir
brutalement d’une trappe, avec tremplin sous la scène, mais le jour de la
Générale la trappe s’est mal ouverte et le pauvre diable a été coincé à moitié
par les côtes et a produit un couinement affreux et non son grand air ! (2
cotes cassées) entraînant évidemment les rires du public !
En effet
être musicien, et plus généralement être sur scène au vu du public et des
caméras (sportifs, politiciens, acteurs de théâtres…), demande de n’avoir
aucune gêne de santé. Or la vie en procure beaucoup ! Tous les musiciens
ont des souvenirs de problèmes qui ont perturbés des concerts ou des
concours. Nous avons bien sûr des pathologies graves qui empêchent de jouer
parfois définitivement, mais nous allons nous concentrer sur des prestations
limites où les musiciens ont frôlé la catastrophe à cause de douleurs ou
d’incapacités temporaires. Pour les
musiciens, la pratique intensive des instruments entraîne des pathologies
(comme le sport). Jouer un instrument à vent avec une côte fêlée douloureuse à
chaque respiration ou jouer assis avec une sciatique ou la fièvre devient vite
l’enfer.
La
douleur est le symptôme le plus communément rencontré chez le musicien.
Aiguë ou chronique, cette douleur est fréquente chez les musiciens qui passent des
milliers d’heures répétitives dans la même position. Des enquêtes montrent un
pourcentage élevé chez les
professionnels comme les étudiants, à cause des postures peu naturelles
et la pratique intensive. Les zones douloureuses ne sont pas les mêmes selon
les instruments, mais les douleurs au dos et aux doigts sont très fréquentes et
entraînent parfois une incapacité ponctuelle de jouer. La
professionnalisation à outrance dès le plus jeune âge (comme dans le sport) débouche sur une situation alarmante surtout si les mauvaises positions ne sont pas
corrigées de suite. Combien d’instrumentistes à vent se sont éclatés les
lèvres !
Dizzy Gillespie |
Jouer
des instruments à cordes par exemple le violon entraîne rapidement, vu la
position peu naturelle, des problèmes de nuque, d’épaule, de coude, de dos, de
bras droit, de poignet… pour la flûte traversière nous rencontrons les mêmes
problèmes ; Pour les autres instrumentistes à vent, le poids des cuivres donne souvent des douleurs. Les tendinites sont fréquentes car sur le plan
ergonomique certains instruments demandent des positions bizarres! De nombreux
musiciens se sont tellement abîmés avec des exercices voire des appareils de
torture qu’ils ont arrêté leur carrière. Rappelons nous l’exemple fameux de
Schumann.
Quelques instruments de tortures pour pianistes : Cliquez !
L’embouchure,
qui est fondamentale dans les instruments à vent, sollicite énormément les
muscles, tendons, ligaments et l’articulation de la mâchoire et souvent après
des heures de pratique journalière elle peut être douloureuse avec des bruits
de craquements (mâcher du chewing-gum, grincer des dents ou recevoir des chocs
sont déconseillés et deviennent vite, en plus de la prise de bec journalière
avec l’instrument, un facteur déclenchant la douleur).
Il y
a une corrélation entre le temps passé à jouer et les troubles et douleurs de
la mâchoire pour les instrumentistes à vent et les chanteurs qui sont
particulièrement exposés : serrer les lèvres autour du bec, ouvrir la cavité
buccale, lâcher les lèvres, répéter, détacher avec vitesse et précision,
staccato puissant, etc…La posture
et le maintien d’un instrument à cordes tels le violon et l’alto provoquent
aussi des troubles de la mâchoire en calant l’instrument. Il faut souvent
faire des pauses. Et
puis le « bobo » qui semble initialement anodin mais qui devient vite
alarmant pour le musicien (piqûre d’insectes, coupures légère d’un doigt qui
vous fait souffrir à chaque pression, épine de rosier sous un ongle,
malheureuse ampoule, brûlure etc…). Chaque musicien a sa liste de petits
accidents perturbants (c’est pour cela que jardinage et bricolage sont peu
recommandés pour un musicien). Pour
les musiciens à vent, puisque ce blog leur est destiné en priorité, le moindre
problème sur les lèvres ou la langue (bouton, coupure…) et surtout les dents
(combien de concerts ont été annulés pour le plaisir de la roulette !)
sont redoutables. Les
rhumes, angines, trachéite, etc… même sans complications deviennent
épouvantables et nuisent aux cordes vocales des chanteurs ou à la gorge des
instrumentistes à vent. En effet un rhume banal change complètement les
respirations prévues d’une partition travaillée des centaines de fois, le
volume de la colonne d’air, voire la sonorité.
Les
oreilles douloureuses rendent difficilement supportables certains sons surtout
si les cuivres derrière vous y vont gaiement ! ou quand on doit jouer avec
des acouphènes ! Les
yeux fatiguent vite avec ces notes écrites, (les fameuses « chiures de
mouche» et je ne parle pas des
partitions manuscrites contemporaines ! ) sous des éclairages divers et
parfois éblouissants, sans parler des affections oculaires (Certains musiciens
me racontent la poussière malencontreuse qui sur scène pénètre dans votre œil
juste avant un passage difficile évidemment !) La
colonne d’air et les problèmes pulmonaires, la toux bénigne voire même l’envie
de tousser lors d’une prestation est une horreur, car nous sommes alors
focalisés sur la maîtrise de l’évitement de la toux plus que sur la musique. La
coupe de champagne et ses bulles traîtresses sont à proscrire avant de jouer.
Après le concert c’est une autre histoire … Les
problèmes intestinaux et les douleurs au ventre ne sont pas rares, avec bruits
inconvenants (du gargouillis aux flatulences). Certains mangent pour éviter la
fringale et le coup de fatigue au milieu du concert, d’autres ne peuvent rien
avaler des heures avant ; j’ai connu un excellent musicien qui avec le
stress avait l’envie permanente et pressante d’uriner. C’était nerveux … il a arrêté et est devenu prof.
Pour
se donner du tonus, certains prennent de l’alcool, des médicaments voire de la
drogue (et il n’y a pas que les jazzmen ou les rockers !), d’autres
pratiquent la médecine douce (alimentation stricte, discipline de son corps et
de son esprit,…). Les
musiciens ont des psychologies très différentes : certains ne peuvent pas
passer des concours malgré leur niveau élevé et ne peuvent jouer qu’en studio
ou en grand orchestre. (Glen Gould a fait peu de concert mais combien de
disques admirables. En studio on a le droit à l’erreur et l’ingénieur du son
gomme beaucoup d’imperfections. C’est la même chose avec le cinéma comparé au
théâtre). Le
chambriste est sur scène en vedette, mais au sein d’une équipe et cela dépeint
une autre mentalité. Quand à la psychologie du soliste « star », elle
n’a rien à voir avec celle des deux précédents : il n’a pas droit à la
baisse de forme et toute erreur est impardonnable. La
psychologie de l’artiste et la maîtrise de son corps sont aussi importantes
pour faire carrière que la maîtrise technique de l’instrument et de la
musicalité. Nous avons le même phénomène avec les politiciens et acteurs…Mais
les troubles liés au stress sont les plus redoutables : mains moites,
gorge sèche, anxiété, insomnie, difficulté de concentration en pleine lecture
de la partition, coup de fatigue….Pour y
remédier, certains prennent des bêtabloquants, « le dopage des musiciens».
D’autres pratiquent la relaxation et il n’est pas rare dans les coulisses de
voir des musiciens faire du Yoga ou du Qi Gong, de la méditation ;
d’autres enfin s’entrainent à faire des arpèges brisés à toute vitesse ou faire
de la gym tonique ou boxer le vide avant d’entrer dans l’arène, le ring !
Et puis
nombreux sont les musiciens qui ne peuvent à cause de migraines, de céphalées,
jouer certains instruments bruyants et qui se sont mis à la
guitare classique ! (mais un guitariste me dit lui qu’il ne peut plus
jouer à cause de ses doigts !). Thomas
Friedli le grand clarinettiste me disait : « le musicien doit avant
tout gérer son stress, car bien jouer seul chez soi, des milliers peuvent le
faire. ». La
poursuite de l’excellence, le perfectionnement technique permanent aussi bien
en classique qu’en jazz, la compétition mondiale de plus en plus rude et le peu
d’élus choisis sélectionnent sans pitié. De plus
tout est désormais filmé, enregistré, envoyé sur internet en temps réel et la
moindre défaillance d’un artiste (ou d’un homme politique, ou «stars» diverses)
sont commentés des milliers de fois… la pression est intenable. Le
musicien ne peut être au top tous les jours et cette exigence de perfection entraîne le recours de plus en plus à la médicalisation pour pallier les
diverses faiblesses. L’hormone du stress, le cortisol, doit être sous
contrôle !
Auparavant
quand les grands solistes faisaient des fausses notes, le public acceptait et n’enregistrait pas tout en disséquant. Maintenant c’est impossible. Il faut
dépasser ses limites et celles des autres en permanence. Le musicien prend des médicaments
pour apaiser ses douleurs, mais souvent il se dope (euphorisants, excitants,
…). Les beta bloquants sont couramment absorbés pour gérer le stress, le trac
car il coupe les manifestations physiques de l’angoisse. Beaucoup n’en prennent
qu’épisodiquement ou plus régulièrement sans d’effets indésirables notables.
Dans l’idéologie actuelle de l’ «homme augmenté», il devient banal et
admis d’utiliser ces produits qui ne sont plus considérés comme une drogue, une
tromperie illicite. D’ailleurs nombre de médecins préconisent ces «bêtas» et
dans certains concours ou concerts les solistes sont bien «chargés» (ce sont
les mêmes pays qui dopent leurs sportifs !) Mais attention tout est
question de dosage et de durée d’utilisation, car si vous en prenez trop votre
performance s’effondre et/ou devenez
addict !). Les «bêtas» ralentissent le rythme
cardiaque, évitent les tremblements et les mains moites (qui transforment des pièces
techniques en patinage pas toujours artistique sur clés chromées !) Ils vous apportent
sérénité, confiance en votre valeur, vous aident à vous concentrer sur la
musique et non sur la gestion des troubles physiques ressentis, qui vous
obsèdent rapidement même en plein concert.
La maîtrise du son pour un chanteur
ou un instrumentiste à vent passe avant tout par la maîtrise de son corps et
certains privilégient d’autres techniques que la prise de médicaments, comme la
sophrologie, la PNL, l’hypnose, la psycho phonie, les techniques de méditation
et de respiration, la digitopression sur les points d’acupuncture et plus
généralement toute discipline améliorant la connaissance de soi. Un médecin soignant des
musiciens me disait : «quand je les vois en concert ils sont
formidables mais moi qui les vois en coulisses avant et après, ce n’est pas la
même chose» (un conseiller technique peut dire la même chose de son Ministre!). L’important est de bien jouer,
d’être reconnu comme un artiste et d’être applaudi ! Le travail et le
talent ne suffisent pas, la fin justifie les autres moyens.
L’insomnie
liée au stress est fréquente chez les musiciens : le concert on le rêve
plusieurs fois avant (parfois en cauchemar, parfois c’est magnifique) et
souvent nous avons la musique en boucle dans la tête ; cela devient même
insupportable. Après
le concert, on le refait, comme les sportifs refont le match, évaluant chaque
moment, parfois sans concession ! enfin si on écoute l’enregistrement ou
les commentaires des autres musiciens ou professeurs, cela peut devenir
traumatisant. (souvenirs de master-class). Les musiques sont fort différentes et créer une atmosphère planante, triste, énergique, joyeuse....sous entend de réguler ses propres émotions et de les transmettre à un public sans être soi même émotif !
Et puis
il y a le trou de mémoire toujours terrible ! L’anecdote d’Alfred Cortot
qui, après un trou de mémoire s’arrête en plein concert, et indique au public
« excusez moi, je pensais à ma mère ! » puis après
applaudissements reprend son concert n’est plus possible aujourd’hui. Un des problèmes du musicien est donc le manque de concentration ; il décroche de sa partition, l'attention vagabonde dans des pensées des rêves et l'esprit quitte la musique dans ce que l'on appelle l'errance mentale. Heureusement le travail intensif imprimé à votre cerveau et vos doigts permet de jouer la musique sans y penser ! Ce phénomène naturel est fréquent dans les passages mélancoliques; techniquement faciles et répétés. En effet la musique triste au tempo lent favorise l'introspection, le surgissement de pensées, d'émotions et des souvenirs passés d'images pas forcément mélancoliques, des pensées de sa vie....et l'évasion. La musique rapide, joyeuse, quand à elle, mobilise l'énergie et l'attention technique réduisant l'errance mentale et obligeant à une concentration sur la rapidité d’exécution pour le musicien et l'écoute pour l'auditeur. Quand un musicien joue du jazz ou de la musique latino, la stimulation du cervelet de l'auditeur l'incite à battre la mesure avec la tête, les pieds, et provoque une envie de danser irrépressible. La
musique est interaction entre le musicien qui joue, interprète et transmet des
émotions et l’auditeur qui selon son état d’esprit et de santé va recevoir la
musique de façon très variée et parfois très inattendue. Pour
l’auditeur aussi, le moindre problème (physique, psychologique, contrariétés
etc…) peut nuire à sa qualité d’écoute.
La musique a des effets reconnus sur la santé des auditeurs et on l'utilise depuis l'antiquité pour apaiser certaines maladies mentales et divers symptômes ou situations traumatisantes (relaxation, musicothérapie). Ma dentiste met toujours de l'Opéra, peut être pour couvrir les cris de ses patients? La musique peut réduire la violence, «adoucir les
mœurs», procurer des émotions diverses, et calmer même les insomnies et
dépressions ;
Cliquez sur ce Quizz pour tester vos connaissances.
Désormais nous avons tous nos oreillettes et grâce au MP3, nous
nous branchons sur nos musiques préférées génératrices d’émotions. Ainsi par le
choix des musiques adéquates, on arrive à se mettre dans une certaine ambiance
émotionnelle choisie pour réaliser toutes les activités quotidiennes en
travaillant, en se déplaçant, en mangeant (il paraît que le vin n‘a pas le même
goût selon la musique écoutée…). Les musiques régulières sans modification de tempo, JS Bach et
Mozart ou les valses gracieuses de Strauss, ont
des effets bénéfiques sur le système cardio-vasculaires, provoquent une
baisse du cortisol, génère le calme chez les femmes enceintes… De nombreuses études ont
démontré que la musique agit sur les neurotransmetteurs cérébraux.
La musique romantique, avec ses changements sonores et de tempi
comme chez Beethoven, ont l’effet inverse. «Quand je dois avoir la pêche,
j’écoute les ouvertures d’Egmont ou de Coriolan» «moi c’est du jazz, Benny Goodman ou Count
Basie» «moi qui joue du baroque ce sont
des variétés hard et contemporaines » etc… La musique peut ainsi donner de
l’énergie si elle est rythmée (la plupart des sportifs s’entrainent avec de la
musique, même en courant le Marathon)
Certaines
personnes souffrent d’amusie c’est à dire sont incapables d’apprécier voire de
reconnaître le moindre plaisir musical quelque soit la musique. Malheureusement
la médecine ne peut pas leur venir en aide. C’est un handicap important, la
musique étant un axe cardinal de nos vies de musiciens et de mélomanes.
Comme
on peut le voir, le musicien doit être vigilant en ce qui concerne sa santé et
développer une hygiène de vie car même de petits incidents bénins peuvent avoir
des conséquences néfastes. «il faut toujours être au top et c’est épuisant
!» dira l’un, «la vie de musicien est une vie de chien mais je ne changerai ma
place pour rien au monde» dira un autre, «quand votre public s’est déplacé,
payé une entrée et applaudit à tout rompre, là tous les efforts et douleurs
sont évanouis», et tous indiquent «la médecine dure ou douce et les médicaments
sont vraiment les alliés du musicien»….
Pour
finir je ne peux résister à la blague classique : « le musicien
court toujours après un cachet » …. ajouterais-je pour gagner sa
vie et pour l’aider à gagner sa vie.
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