lundi 14 avril 2014

Quelques conseils à des jeunes clarinettistes prometteurs : Transfert d' expériences.

par Touroude José-Daniel
L’objectif est de partager ce que certains grands clarinettistes m’ont enseigné…
 La différence entre le son produit et le son écouté
Écouter un morceau de clarinette paraît simple mais subjectif car elle est la résultante de nombreuses interventions. Voici quelques conseils nés de la pratique et transmis par de grands clarinettistes aux cours de master-class qui m’ont été fort utiles. Premièrement vous avez bien travaillé et vous êtes prêt à jouer devant un public qui va vous écouter. Mais vous devez vous poser quelques questions préalables autour du thème : Le musicien amateur, et a fortiori professionnel, devra analyser chaque composante car en effet plusieurs facteurs et acteurs interagissent.
Eddie DANIELS
D'abord le compositeur qui écrit une partition pour exprimer quelque chose, pour rechercher des couleurs, des nuances, un son parfois très particulier (exemples glissandos notamment pour Gershwin et Artie Shaw, les ¼ de tons de la musique contemporaine, les growls…) Le musicien doit être l’interprète de ses intentions.
Ecouter les deux versions du Concerto d'Artie Schaw.
Concerto d'Artie Schaw par Philippe Cuper
Le même concerto par Artie Schaw.
D’accord certaines oeuvres sont insipides même avec le meilleur clarinettiste ! D'autres chantent toutes seules, certaines sont écrites n'importe comment, d'autres coulent facilement grâce à la connaissance de la clarinette par le compositeur. Ainsi Mozart, Weber, Brahms... connaissaient parfaitement, grâce à leurs amis clarinettistes, les possibilités et les limites de l'instrument.
Se replacer dans le contexte, dans la personnalité du compositeur, dans l’écriture et l’analyse de l’œuvre sont essentiels. Je me rappelle que dans certaines master-class, on analysait et on écoutait plus d’explications qu’on jouait de notes ! notamment lors de stages de musique contemporaine où chaque son parfois étonnant crée souvent des analyses longues et parfois très intellectuelles et acoustiques… Mais le pire est d’avoir le compositeur au 1er rang ! et qui vous écoute avec sa partition. Là il faut regarder l’horizon ou se scotcher sur sa partition…
Clarinette "Spirit" de Leblanc.
2° La qualité de l’instrument : il y a des clarinettes à tous les prix, dans tous les matériaux et avec des qualités très diverses. Il y a beaucoup de subjectivité sur les marques car n’oublions pas que le son de la clarinette provient plus de la perce (polycylindrique actuellement) que du matériau utilisé… mais ce principe rappelé, certains préfèrent le bois d’autres des matériaux composites (green line) voulant remplacer le bois à forte densité… Le débat reste ouvert, quand aux marques, c’est vraiment subjectif et toujours l’objet d’âpres discussions.
Cela dépend de votre morphologie et du style de musique (les jazzmen préfèrent Selmer, les classiques Buffet Crampon, ou Leblanc…pour rester que dans la facture française). L'état et le fonctionnement de l'instrument est aussi fondamental (exemple : des petites choses insignifiantes mais qui en concert peuvent s'avérer fatales : un ressort qui ne répond pas assez bien, un liège décollé qui entraîne un cliquetis de castagnettes à chaque mouvement de la clé, un tampon usé qui garde l'eau et fait trembler la note etc...)

Le clarinettiste doit être un peu maniaque avec son instrument. (je ne remercierai jamais assez René Barras clarinettiste solo des concerts Lamoureux et de l’armée de l’air d’avoir été si tatillon pour m’intérioriser cette notion). Mais le son n’est pas principalement lié à la qualité de la clarinette mais au clarinettiste. Il faut toujours nettoyer son instrument avec un écouvillon (entre les mouvements) même devant le public car pour des raisons visuelles c’est préférable que de faire goûter des gouttes de salive/condensation de l’air humide de sa clarinette devant tous mais aussi pour des raisons techniques afin que le son ne soit pas altéré.
Jacques Lancelot.
La valeur du clarinettiste, notamment de son embouchure (l’essentiel pour Jacques Lancelot), c'est à dire l'adéquation du bec et de l'anche avec le clarinettiste qui va produire l'émission de la colonne d'air. Selon l’hygrométrie et votre tonus, l’anche impeccable de la veille ne sonne plus de la même façon… certains ont des véritables rituels en la passant sous l’eau chaude du robinet avant de jouer, d’autres l’humectant dans la bouche x temps…  d’autres en ayant leur boite d’anches régulièrement jouées, mouillées et annotées selon leurs qualités…. et faisant 1/4heure de sons filés avant de jouer les gammes en tierces et les arpèges brisés ! (merci à l’autrichien A. Prinz clarinette solo de l’orchestre de Vienne qui tant qu’on avait pas le son adéquat avec l’œuvre présentée, ne permettait pas que l’on joue !)
Benny Goodman passait toujours des heures avant de trouver la bonne anche et le son qu’il voulait mais d’avoir été perfectionniste lui a permis de jouer n’importe où, même dehors à Central Park ! ah quel souvenir ! Écoutez le début du concerto de Copland par Benny, c’est une référence d’un beau son de clarinette.
Le clarinettiste doit maîtriser son trac, respirer, faire de la gymnastique faciale pour détendre sa cavité buccale pour avoir un beau son, voire faire des vocalises comme un chanteur. Évidemment des petites maladies comme les rhumes, mal aux dents, sinusite, otite etc….vont perturber le son et peuvent avoir de conséquences importantes. Être clarinettiste c’est aussi maîtriser la technique de l’instrument, posséder des capacités respiratoires (le travail de respiration abdominale et le taux d’oxygénation sont essentiels) et auditives pour corriger, en temps réel, les sons produits. Pour cela il faut travailler, s’enregistrer sans cesse et s’écouter ! mais en sachant que le public va entendre autre chose ….
Nouvelle salle de concert de 2400 places à La Villette pour la Société
Philharmonique de Paris.
4° Les qualités acoustiques du lieu où l'on joue (plein air, bonne ou mauvaise salle, trop grande avec un retour du son plus ou moins bien perçu par l'instrumentiste qui ne peut adapter son jeu...). Les sons sont filtrés par la distance et le pouvoir directionnel de la clarinette. Jouer en bougeant ne donne pas les mêmes sons pour l’auditoire et il faut éviter de tourner l’instrument à gauche et à droite. En effet le spectre sonore subit des déformations et en changeant de position en cours de jeu, les angles de réflexion des sons changent, le rayonnement est différent, la réverbération rajoute du flou et enveloppe les sons. Par exemple le jazzman Eddie Daniels va fixer un micro sur sa clarinette, ce qui lui permet de bouger. Mais jouer raide comme un piquet n’est pas très visuel pour le public, ni de faire des contorsions de charmeur de serpent comme certains !
La réverbération de la salle est aussi importante, certaines salles ont une acoustique formidable et d’autres couvertes de moquettes, de fauteuils moelleux et de tapis au contraire sont des véritables éteignoirs de son et on a alors l'impression de jouer sous des couvertures ! Toujours frustrant. Je sais chez vous c’est différent ! et dans une salle de bains, tout le monde a un son clair et lumineux valorisant mais tellement trompeur sur sa sonorité réelle. Répéter en salle vide puis jouer en salle pleine est toujours source de désillusion, le son n'est plus le même ! et vos pianissimi délicats en salle vide deviennent un petit son étouffé que l’on entend plus au 10ème rang lors du concert une fois la salle pleine.
Selon la place aussi que l'on occupe dans la salle, le retour du son sera différent et le clarinettiste n'aura pas le même son. (Nous avions beaucoup travaillé avec l’anglais G. De Peyer cette notion dans l’église de Saint François d’Assise à Assisi en Italie… où on a joué dans tous les endroits même les plus incongrus pour écouter les différences ! très révélateur…)
Gervas de PEYER.
 
Août 1986, festival Assisi :Gervas de Peyer et José Daniel Touroude.

5° La température est aussi importante pour la variation du son. La clarinette froide est fausse et il faut 5 minutes pour la chauffer (au départ entre l'air chaud expulsé et la clarinette froide, il peut y avoir 10° de différence !). La clarinette peut jouer dehors dans le froid mais elle baisse facilement d'un quart de ton et surtout cela déséquilibre la justesse des notes entre elles. La célérité du jeu augmente avec la température ce qui entraîne une augmentation de la fréquence donc de la hauteur des notes. Ceci est problématique quand on change l’instrument au cours du concert voire du morceau !  
Le clarinettiste borgne par José Claude Frappa (1854-1904).

6° Les autres musiciens avec qui il faut toujours s'accorder dans tous les sens du terme. D’abord dans le sens du même diapason à 440 Hz, ce qui est dorénavant plus facile sauf si certains ont des instruments anciens ! mais aussi s’accorder dans l'interprétation musicale ce qui est plus difficile surtout si on a peu de répétitions et enfin surtout s’accorder psychologiquement dans la confrontation des personnalités ce qui est encore beaucoup plus ardu, les egos des musiciens étant parfois assez importants !  C’est vrai qu’on ne peut s’exposer sur scène et prendre des risques sans cesse et avoir une  personnalité introvertie et avoir envie de passer inaperçu. Jouer les quintettes de Mozart, Weber, Brahms, Reger, Hindemith… avec un quatuor à cordes constitué qui a son mode de régulation est toujours source de discussions parfois véhémentes ! De toutes façons, les autres musiciens jouent toujours trop fort ! et couvrent la qualité de vos nuances et de votre sonorité.
(Merci à Jean Pasquier du trio Pasquier de nous avoir martelé ces notions essentielles de la musique de chambre sur le fait de s’accorder sans cesse dans tous les sens du terme). Il faut aussi s’accorder avec le public. Jouez vous pour lui ou pour vous ou pour suivre un programme établi par d’autres ? De toutes façons, une pièce mettant en valeur un beau son emportera tous les suffrages...
7° L'auditeur en concert qui a des capacités auditives et / ou musicales très variées, parfois limitées et qui peut en plus émettre des bruits gênants (toux, raclements de fauteuils, voire bavardages...). L’auditeur est-il intéressé ou non par la musique et par la clarinette, au moment où vous jouez ? Parfois c’est dur de convaincre pour le musicien, certaines musiques sont ardues. (« Mais c’est ton job de séduire et de convaincre ! » indiquait le clarinettiste suisse Thomas Friedli). L’auditeur est-il perturbé par la vue, un détail vestimentaire des musiciens ou écoute t-il vraiment la musique ? Jouer avec une chanteuse jeune et jolie qui a une jupe fendue et un décolleté vertige est une épreuve pour le clarinettiste qui joue le trio de Schubert !
Par contre si on joue du Benny Goodman, cela stimule le swing…Les qualités de perception auditives sont différentes pour chaque mélomane et ses conditions d'écoute varient selon les moments.
8° L’auditeur solitaire:
D’autres facteurs sont à prendre en compte si on écoute la musique indirectement. Les qualités des micros ou de l'enregistrement sont alors fondamentales. Les manipulations de l'ingénieur du son vont encore modifier le timbre émis et bonifier la sonorité, réduire les fréquences et les imperfections voire les erreurs de l'instrumentiste. La qualité des supports deviennent essentiels (chaine hi fi, poste de radio, disques, enregistrements numériques...) et les bruits qui entourent la réception de la musique. Chaque maillon de la chaine peut modifier, voire déformer le son attendu et/ ou produit.
Écouter de la musique est vraiment subjective. Le plaisir que l'on en retire encore plus !
La vie ne peut s’accompagner qu’avec de la bonne musique et comme disait le poète Verlaine « de la musique avant toute chose ».  Maintenant il faut arriver à l’avance, connaître la salle et régler tous les problèmes pratiques… et il y en a !  Ne comptez pas sur les autres et vérifiez tout sans cesse (la chaise, le pupitre, les partitions, les lumières etc…) car sinon vous aurez des surprises et le son produit malgré tous vos efforts sera parasité et ne sera plus le son que le public doit écouter. 
Maintenant à vous de jouer….  et beau son !

Ensemble de clarinettes de Paris.
Ensemble de Clarinettes Jacques Lancelot
dirigé par Pierre Yves LEBON.











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