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samedi 27 septembre 2025

Analyses de la psychologie des collectionneurs d’instruments de musique à vent

 

par JoséDaniel Touroude

Depuis plus de trente ans, j’arpente brocantes, maisons de vente et réserves de musées pour dialoguer avec celles et ceux qui collectionnent les instruments à vent. L’enquête initiale auprès de collectionneurs d’instruments à vent, bâtie autour de douze questions, a livré un matériau important : anecdotes savoureuses, confessions parfois intimes, considérations techniques ou philosophiques. Afin de rendre cette richesse accessible, j’en propose aujourd’hui une synthèse fidèle et résumée.  Le lecteur découvrira comment une passion fait office de refuge et de moteur, comment elle dialogue avec l’argent et le temps, et pourquoi les collectionneurs, loin d’être de simples accumulateurs, sont des passeurs de mémoire et de savoir.

Question 1 – Pourquoi la passion du collectionneur restetelle intacte ?

La passion naît souvent d’un choc esthétique : la première fois que l’on tient entre ses mains certains instruments emblématiques comme le saxo ténor mark 6 de Stan Getz ou la clarinette centered tone de Benny Goodman, nous avons un choc sensoriel qui imprime durablement la mémoire. Dès lors, chaque rencontre avec une autre pièce apparentée réactive la sensation initiale. L’objet convoqué n’est plus seulement un instrument, il devient la clef d’accès à un état émotionnel rare, presque originel.

Saxophone alto Grafton. Charlie Parker a joué sur ce type 
d'instrument.


Or cette émotion n’agit pas seule ; elle se combine à la stimulation intellectuelle. Pour authentifier une estampille, il faut éplucher de vieux catalogues, comparer des détails de fabrication, discuter avec des experts, réactiver l’histoire de la musique dans son contexte. À chaque mystère résolu, le plaisir esthétique s’enrichit d’une satisfaction cognitive. Ainsi, la passion mêle jouissance immédiate et construction méthodique : l’une réchauffe le cœur, l’autre nourrit l’esprit.

Article sur le saxophone Grafton de Charly Parker

Enfin, la passion se régénère par l’alternance du calme et de la quête. Le moment de contemplation, face à une vitrine silencieuse, recharge l’énergie que l’on dépensera plus tard en voyage, en négociation, en restauration. Quand la curiosité faiblit, le simple fait de faire sonner un vieil instrument ranime la flamme. Cette circulation permanente explique qu’après des décennies, le collectionneur ressente encore la même palpitation qu’au premier achat. Et puis nous sommes aux aguets, toujours prêts pour le prochain achat, la prochaine découverte.

Le graal du collectionneurs de clarinettes : 3 clarinettes Stengel dans leur boite d'origine

Question 2 – Pourquoi une collection n’estelle jamais « terminée » ?

L’incomplétude tient d’abord au choix du terrain de jeu. En se spécialisant, par exemple, dans les clarinettes françaises du XIXᵉ siècle, on croit restreindre l’horizon. Pourtant, ce cadre contient des centaines de modèles, de facteurs, de variantes régionales. Chaque découverte ouvre deux pistes supplémentaires. Plus le collectionneur apprend, plus il prend conscience de ce qu’il ignore. Ensuite, le désir se nourrit du manque. Tant qu’un instrument rêvé échappe, il agit comme un appât mental. Les marchands le savent et entretiennent la tension en évoquant des pièces « sorties d’un grenier ». Lorsque l’objet finit par arriver et acheté, la satisfaction est brève ; presque aussitôt un autre chaînon manquant se dessine. Ce déplacement perpétuel préserve l’élan.

Certains collectionneurs affirment clore un chapitre une fois un corpus jugé complet. Ils ne renoncent pas pour autant : ils déplacent la focale. Après avoir réuni tous les styles de saxophones de la période Sax, ils se penchent sur les partitions d’époque ou sur les becs originaux. L’inachevé n’est pas une faille mais un principe vital.

Quelques une des inventions d'A. Sax
Source Musée Selmer















Question 3 – Quel est le véritable statut de l’objet collectionné ?

D’un point de vue fonctionnel, la plupart des instruments pourraient encore sonner après restauration. Cependant, le collectionneur les considère avant tout comme des témoins : témoins d’une innovation, d’une esthétique, d’une société, d’une histoire. Ainsi, un simple piston innovant d’un cuivre ou une nouvelle clé d’une flûte racontent les progrès de l’industrialisation autant qu’ils annoncent les instruments modernes.

Sur le plan symbolique, l’objet agit comme un miroir. Posséder une pièce rarissime confère au détenteur le statut de découvreur puis de gardien. Le lien affectif résulte du temps passé à chercher, puis à soigner la pièce : vernis, soudures invisibles, bois ciré, clés repolies…  Chaque minute investie augmente la valeur sentimentale.

Enfin, l’objet déclenche du récit. À l’occasion d’une visite, le collectionneur raconte comment il a repéré l’instrument sur une petite annonce, comment il a été la chercher, comment il a triomphé d’une enchère téléphonique. Le récit lie l’objet à l’expérience vécue parfois mouvementée fait de la collection non un simple stock mais à une véritable épopée.

L' histoire méconnue des pianos Victory.

Question 4 – D’où viennent les motivations ?

Les motivations s’agrègent en couches successives. La première est souvent émotionnelle : un souvenir d’enfance, un parent musicien, une harmonie de village, la marque de l’instrument que l’on joue. À ce socle intime s’ajoute la fascination technique ; comprendre pourquoi une modification d’une perce colore un timbre et cela transforme l’amateur en chercheur. À mesure que grandit la collection, la dimension patrimoniale prend le relais. Conserver une flute intacte, c’est empêcher qu’un jalon disparaisse. Le collectionneur se voit alors comme un maillon dans la chaîne de transmission, ce qui confère à sa quête une résonance civique. Dans un monde de consommation rapide, sauver un objet fragile qui a demandé tant de savoir-faire équivaut à un acte de résistance culturelle.

Enfin, la reconnaissance joue son rôle. Être sollicité par un musée, voir son nom au bas d’une notice d’exposition, validera l’effort solitaire. Loin de l’orgueil, cette reconnaissance rassure et prouve que la passion n’est pas vaine, qu’elle irrigue un savoir collectif. En fait nous avons une utilité sociale car en collectionnant nous protégeons le patrimoine.

Buffet-Crampon : 200 ans d'existence

José Daniel Touroude et René Pierre.















Question 5 – Peuton esquisser des profils ?

Un premier profil, le musiciencollectionneur, part de la pratique. Il possède plusieurs instruments jouables, les utilise pour des concerts sur instruments d’époque, compare les réponses acoustiques. Sa collection est un laboratoire sonore. À l’opposé, le chineurrevendeur privilégie la chasse. Il écume marchés et ventes, retape, revend pour financer la prochaine trouvaille. Pour lui, l’objet circule car vendable ; seuls restent dans sa collection les spécimens jugés incontournables.

Le restaurateur voit, dans chaque instrument abîmé, un défi, un challenge ! L’instrument n’est complet que lorsqu’il est digne d’admiration et /ou s’il rejoue.  Enfin, le chercheuriconographe amasse photos, partitions, catalogues afin de replacer l’objet dans son contexte. Bien sûr, la plupart d’entre nous mélangent ces rôles suivant les périodes de la vie et les moyens disponibles.

Une rare clarinette de J.G. Geist

Question 6 – Comment la passion se transformetelle en expertise ?

L’expertise naît de la comparaison. Après avoir manipulé cinquante flûtes traversières, on repère instinctivement la main d’un facteur ou l’empreinte d’une copie. Cette compétence se renforce lorsqu’on documente chaque pièce : photos macro, prises de cotes, recherches d’archives. Le catalogue personnel devient base de données. Parallèlement, l’échange alimente la progression. Un forum spécialisé, un groupe de restaurateurs, une visite dans les réserves de musée offrent des contrepoints. Les erreurs se corrigent, les certitudes se nuancent et accroît la réputation de l’expert, qui sera ensuite sollicité par les institutions.

Pavillon d'une clarinette en ivoire de C. Sax. Met de New York














Enfin, la vulgarisation consolide le savoir : écrire un article oblige à clarifier la découverte ; construire une exposition pousse à hiérarchiser les pièces. Ainsi, la passion, en se donnant à voir, passe du statut de hobby à celui de compétence reconnue.

Question 7 – Quelle place l’argent occupe‑t‑il ?

L’argent est un carburant et un garde‑fou. Sans budget, point d’acquisition ; mais un budget illimité tue le plaisir du défi. Souvent les collectionneurs fixent un plafond annuel et prévoient une « réserve » pour l’occasion exceptionnelle. La négociation est un art qui flatte l’ego : arracher un instrument à un prix raisonnable après une joute verbale procure presque autant de joie que l’objet luimême. Toutefois, chacun garde en mémoire un achat impulsif — facture trop salée, instrument trop abîmé — qui sert de leçon.







Article sur les ventes d'instruments de musique de Vichy

Quant à la revente, elle est rarement spéculative. On cède des doublons pour financer une autre pièce, on vend un lot pour résoudre un besoin familial. Les profits éventuels restent dans le circuit (plus souvent aux organisateurs d’enchères et revendeurs d’ailleurs). Au terme d’une vie, peu envisagent la collection comme un placement ; beaucoup souhaitent qu’elle rejoigne un musée ou sert pour un jeune musicien ou pour un autre collectionneur méritant, car rarement les collections intéressent les enfants pour une transmission héréditaire !

Question 8 – Le collectionneur est‑il vraiment solitaire ?

Il contemple seul, certes, mais toute sa stratégie repose sur le collectif. Les marchands constituent la première courroie : ils préviennent discrètement leurs clients fidèles qu’un instrument rare arrive. Les pairs forment ensuite un réseau d’échange : photos, mesures, conseils de nettoyage, on débat d’une datation, on identifie une contrefaçon. La sociabilité culmine dans la vente aux enchères : chacun observe les concurrents, tente de deviner jusqu’où ils monteront. L’après‑vente rétablit la camaraderie : on va boire un verre, on compare les trophées.

Marque Clarinette Schemmel (coll J.D. Touroude












Enfin, le public, qu’il s’agisse d’étudiants ou de visiteurs d’un salon, redonne sens au travail accompli. Montrer sa collection, c’est accepter le regard de l’autre, recevoir des questions naïves, placer l’instrument dans son contexte historique et musicologique, parfois apprendre aussi qu’un instrument que l’on croyait unique existe ailleurs.

L' histoire des clarinettes Schemmel

Question 9 – Quel rapport entretient‑il avec le temps ?

Restaurer, c’est suspendre la dégradation et cataloguer, c’est figer en un document l’essentiel de nos savoirs. Le collectionneur se bat contre l’entropie. Quand il polit un pavillon, il rend au cuivre son éclat de 1880 ; quand il remet un tampon en peau, il réactive une vibration. Mais le temps est aussi anxiogène : que deviendront ses pièces après lui ? Certains rédigent un document de succession : liste des instruments, estimation, souhait de destination. Certains concluent des accords pour donner à des musées ; d’autres cherchent un collectionneur privé digne de recueillir la collection, d’autres vendent aux enchères avant leur disparition.

Cette projection élargit encore la signification de la collection : d’aventure personnelle, elle devient patrimoine. On passe après avoir amassé pendant des décennies à transmettre le patrimoine.

L' histoire des clarinettes de Kayser

Question 10 – Où finit la passion, où commence la compulsion ?

Les psychiatres parlent de collectionnisme quand l’accumulation envahit l’espace vital et détruit le lien social. Les signes de dérive : endettement chronique, privation des besoins familiaux, incapacité à vendre même un doublon, refus de toute sortie qui ne soit pas utile à la collection.  Les collectionneurs que j’ai interrogés eux voient plutôt un curseur qui, la plupart du temps, reste sous contrôle. À l’inverse, ce sont des signes d’équilibre : budget limité, stockage sécurisé, partage régulier (articles, concerts, prêts), acceptation de céder une pièce pour financer un projet familial.

Article sur les cannes musicales

La conscience du risque joue un rôle prophylactique. Se savoir susceptible de basculer aide à maintenir la garde. Et puis le réseau rappelle à l’ordre : un ami qui dit ‘tu n’en as pas déjà trois ?’ vaut parfois toutes les thérapies.

Question 11 – Pourquoi tant d’importance accordée à la mise en scène ?

Une vitrine bien éclairée est un appareil de lecture : en plaçant les instruments du plus ancien au plus récent, on visualise l’évolution de la facture. L’ordre n’est donc pas manie, il est outil pédagogique. La mise en scène protège : supports, hygromètre, verre anti‑UV. Elle valorise : un public conquis acceptera plus volontiers d’écouter l’histoire détaillée d’un piston si la pièce brille comme un bijou. Enfin, elle récompense l’effort : contempler trente ans de quêtes alignées dans un meuble sur mesure procure une paix intense.





Lien vers l' ACIMV

Certains vont plus loin : scénarisations sonores, QR codes menant à des enregistrements, associations d’archives photographiques. Le collectionneur devient alors commissaire d’exposition, et sa maison un musée miniature.

Question 12 – Au fond, quel sens le collectionneur donne‑t‑il à sa pratique ?

Trois constantes émergent.

Premièrement, la conscience de sauver un patrimoine fragile. Dans une société où l’obsolescence est rapide, sauvegarder un instrument rare est un acte presque politique.

Deuxièmement, la quête d’identité : en se construisant une spécialité — tel facteur, telle époque — le collectionneur se définit et se distingue. Son musée personnel devient un peu son autoportrait.

Lien sur un article concernant les flageolets de Bainbridge

Troisièmement, la joie simple de la beauté. Savoir qu’un tube de bois poli, peut encore vibrer deux siècles après sa naissance, rappelle que l’ingéniosité humaine n’est pas vaine. Ainsi, collectionner revient à célébrer l’artisan, l’artiste et la matière — et, accessoirement, à relier le passé et l’avenir par la musique.

Conclusion

En parcourant les douze questions, on mesure que la collection d’instruments n’est ni caprice, ni simple accumulation. Elle est un dialogue permanent entre l’émotion et la connaissance, entre le refuge et l’ouverture, entre le passé préservé et le futur imaginé. Chaque instrument sauvé, qu’il rejoigne un pupitre pour un concert ou qu’il reste muet derrière une vitre, prolonge la chaîne des artisans et des musiciens. Le collectionneur, souvent discret, devient alors médiateur : il recueille, restaure, raconte et transmet. Sa passion, à condition de rester équilibrée, offre au patrimoine sonore une seconde vie et au public une fenêtre inattendue sur l’histoire.

Tant qu’un jeune visiteur pourra se pencher sur un instrument, imaginer le souffle d’un soldat de 1870 qui a soufflé dedans, la mission sera accomplie. Dans la lumière tamisée d’une vitrine ou dans l’éclat d’une scène de concert, l’instrument retrouvera sa voix et avec lui, résonnera la jubilation du collectionneur.



vendredi 19 octobre 2018

La médecine au secours des musiciens ? Medicine helps musicians ?


 par José-Daniel Touroude



"Lully, d'un tempérament explosif, s'emporta et se frappa violemment un orteil avec son « bâton de direction », longue et lourde canne ......"

Tous les métiers ont leurs pénibilités surtout quand les postures, gestes, exercices… sont répétitifs. Le musicien n' échappe pas à cette difficulté, bien au contraire. Le musicien est une personne qui avec un instrument fait de la musique et pour être bon, voire excellent, doit faire des milliers d’heures d’entrainement et être en super forme le jour de sa prestation. Ainsi le moindre problème anodin touchant son instrument de musique ou sa santé peut être lourd de conséquences . Le musicien a donc besoin de deux personnes dans son entourage personnel : le luthier, médecin de son instrument et son médecin pour soulager ses diverses douleurs (physiques et/ou psychologiques) et l’aider à demeurer au top.
Pour des articles de médecins soignant les musiciens voir cet excellent site.

Notre démarche elle, est inductive, partant des témoignages des musiciens. Nous avons déjà utilisé cette démarche avec les collectionneurs .

Souvent entre musiciens, on évoque des souvenirs où il a fallu jouer avec des maux douloureux et handicapants, chacun y allant de ses anecdotes (du style « tamalou » mais j’y arrive quand même car je suis un pro !)… En interrogeant les uns et les autres, j’ai été submergé de souvenirs à croire que la vie de musicien est pleine de pièges et d’obstacles qu’il faut surmonter avant de se faire applaudir et que tous ont des médicaments, voire une véritable boite à pharmacie avec même des substances limites ou des recettes et pratiques miracles.

Je ne parle pas ici des problèmes liés à l’instrument qui nous lâche au mauvais moment ! De nombreux réparateurs et luthiers doivent rassurer le musicien stressé avec une ultime révision avant le concert ! Cela fait partie de la relation parfois anxiogène que nous avons avec nos instruments, ou des problèmes survenus comme un  vêtement qui craque lors du concert, de trébucher sur scène, de faire tomber sa partition ou son pupitre, sans compter le ressort d’une clé qui casse ou un tampon qui colle… certaines situations sont cocasses (quand cela arrivent aux autres !).




Ainsi il y a longtemps à l’Opéra, Méphistophélès (dans Faust de Gounod) devait surgir brutalement d’une trappe, avec tremplin sous la scène, mais le jour de la Générale la trappe s’est mal ouverte et le pauvre diable a été coincé à moitié par les côtes et a produit un couinement affreux et non son grand air ! (2 cotes cassées) entraînant évidemment les rires du public ! 
En effet être musicien, et plus généralement être sur scène au vu du public et des caméras (sportifs, politiciens, acteurs de théâtres…), demande de n’avoir aucune gêne de santé. Or la vie en procure beaucoup ! Tous les musiciens ont des souvenirs de problèmes qui ont perturbés des concerts ou des concours. Nous avons bien sûr des pathologies graves qui empêchent de jouer parfois définitivement, mais nous allons nous concentrer sur des prestations limites où les musiciens ont frôlé la catastrophe à cause de douleurs ou d’incapacités temporaires.  Pour les musiciens, la pratique intensive des instruments entraîne des pathologies (comme le sport). Jouer un instrument à vent avec une côte fêlée douloureuse à chaque respiration ou jouer assis avec une sciatique ou la fièvre devient vite l’enfer.

La douleur est le symptôme le plus communément rencontré chez le musicien.
Aiguë ou chronique, cette douleur est fréquente chez les musiciens qui passent des milliers d’heures répétitives dans la même position. Des enquêtes montrent un pourcentage élevé chez les  professionnels comme les étudiants, à cause des postures peu naturelles et la pratique intensive. Les zones douloureuses ne sont pas les mêmes selon les instruments, mais les douleurs au dos et aux doigts sont très fréquentes et entraînent parfois une incapacité ponctuelle de jouer. La professionnalisation à outrance dès le plus jeune âge (comme dans le sport) débouche sur une situation alarmante surtout si les mauvaises positions ne sont pas corrigées de suite. Combien d’instrumentistes à vent se sont éclatés les lèvres ! 
Dizzy Gillespie 
Jouer des instruments à cordes par exemple le violon entraîne rapidement, vu la position peu naturelle, des problèmes de nuque, d’épaule, de coude, de dos, de bras droit, de poignet… pour la flûte traversière nous rencontrons les mêmes problèmes ; Pour les autres instrumentistes à vent, le poids des cuivres donne souvent des douleurs. Les tendinites sont fréquentes car sur le plan ergonomique certains instruments demandent des positions bizarres! De nombreux musiciens se sont tellement abîmés avec des exercices voire des appareils de torture qu’ils ont arrêté leur carrière. Rappelons nous l’exemple fameux de Schumann. 
Dactylion de H. Hertz.

L’embouchure, qui est fondamentale dans les instruments à vent, sollicite énormément les muscles, tendons, ligaments et l’articulation de la mâchoire et souvent après des heures de pratique journalière elle peut être douloureuse avec des bruits de craquements (mâcher du chewing-gum, grincer des dents ou recevoir des chocs sont déconseillés et deviennent vite, en plus de la prise de bec journalière avec l’instrument, un facteur déclenchant la douleur).

Il y a une corrélation entre le temps passé à jouer et les troubles et douleurs de la mâchoire pour les instrumentistes à vent et les chanteurs qui sont particulièrement exposés : serrer les lèvres autour du bec, ouvrir la cavité buccale, lâcher les lèvres, répéter, détacher avec vitesse et précision, staccato puissant,  etc…La posture et le maintien d’un instrument à cordes tels le violon et l’alto provoquent aussi des troubles de la mâchoire en calant l’instrument. Il faut souvent faire des pauses. Et puis le « bobo » qui semble initialement anodin mais qui devient vite alarmant pour le musicien (piqûre d’insectes, coupures légère d’un doigt qui vous fait souffrir à chaque pression, épine de rosier sous un ongle, malheureuse ampoule, brûlure etc…). Chaque musicien a sa liste de petits accidents perturbants (c’est pour cela que jardinage et bricolage sont peu recommandés pour un musicien). Pour les musiciens à vent, puisque ce blog leur est destiné en priorité, le moindre problème sur les lèvres ou la langue (bouton, coupure…) et surtout les dents (combien de concerts ont été annulés pour le plaisir de la roulette !) sont redoutables. Les rhumes, angines, trachéite, etc… même sans complications deviennent épouvantables et nuisent aux cordes vocales des chanteurs ou à la gorge des instrumentistes à vent. En effet un rhume banal change complètement les respirations prévues d’une partition travaillée des centaines de fois, le volume de la colonne d’air, voire la sonorité.
 

Beethoven et surdité
“Au cours des trois dernières années, mon audition est devenue plus faible…je peux vous donner une idée de cette surdité particulière en vous disant que je dois me tenir très proche de l’orchestre pour comprendre les musiciens, et qu’a cette distance je n’entends pas les notes hautes des instruments ni des chants… Parfois également, je n’entends pas les personnes qui parlent doucement. J’entends bien un son, mais pas les mots. Et si quelqu’un crie, je ne le tolère pas”. (Lettre à son médecin)
Les oreilles douloureuses rendent difficilement supportables certains sons surtout si les cuivres derrière vous y vont gaiement ! ou quand on doit jouer avec des acouphènes ! Les yeux fatiguent vite avec ces notes écrites, (les fameuses « chiures de mouche»   et je ne parle pas des partitions manuscrites contemporaines ! ) sous des éclairages divers et parfois éblouissants, sans parler des affections oculaires (Certains musiciens me racontent la poussière malencontreuse qui sur scène pénètre dans votre œil juste avant un passage difficile évidemment !) La colonne d’air et les problèmes pulmonaires, la toux bénigne voire même l’envie de tousser lors d’une prestation est une horreur, car nous sommes alors focalisés sur la maîtrise de l’évitement de la toux plus que sur la musique. La coupe de champagne et ses bulles traîtresses sont à proscrire avant de jouer. Après le concert c’est une autre histoire … Les problèmes intestinaux et les douleurs au ventre ne sont pas rares, avec bruits inconvenants (du gargouillis aux flatulences). Certains mangent pour éviter la fringale et le coup de fatigue au milieu du concert, d’autres ne peuvent rien avaler des heures avant ; j’ai connu un excellent musicien qui avec le stress avait l’envie permanente et pressante d’uriner. C’était nerveux … il a arrêté et est devenu prof.



Pour se donner du tonus, certains prennent de l’alcool, des médicaments voire de la drogue (et il n’y a pas que les jazzmen ou les rockers !), d’autres pratiquent la médecine douce (alimentation stricte, discipline de son corps et de son esprit,…). Les musiciens ont des psychologies très différentes : certains ne peuvent pas passer des concours malgré leur niveau élevé et ne peuvent jouer qu’en studio ou en grand orchestre. (Glen Gould a fait peu de concert mais combien de disques admirables. En studio on a le droit à l’erreur et l’ingénieur du son gomme beaucoup d’imperfections. C’est la même chose avec le cinéma comparé au théâtre). Le chambriste est sur scène en vedette, mais au sein d’une équipe et cela dépeint une autre mentalité. Quand à la psychologie du soliste « star », elle n’a rien à voir avec celle des deux précédents : il n’a pas droit à la baisse de forme et toute erreur est impardonnable. La psychologie de l’artiste et la maîtrise de son corps sont aussi importantes pour faire carrière que la maîtrise technique de l’instrument et de la musicalité. Nous avons le même phénomène avec les politiciens et acteurs…Mais les troubles liés au stress sont les plus redoutables : mains moites, gorge sèche, anxiété, insomnie, difficulté de concentration en pleine lecture de la partition, coup de fatigue….Pour y remédier, certains prennent des bêtabloquants, « le dopage des musiciens». D’autres pratiquent la relaxation et il n’est pas rare dans les coulisses de voir des musiciens faire du Yoga ou du Qi Gong, de la méditation ; d’autres enfin s’entrainent à faire des arpèges brisés à toute vitesse ou faire de la gym tonique ou boxer le vide avant d’entrer dans l’arène, le ring !


Et puis nombreux sont les musiciens qui ne peuvent à cause de migraines, de céphalées, jouer certains instruments bruyants et qui se sont mis à la guitare classique ! (mais un guitariste me dit lui qu’il ne peut plus jouer à cause de ses doigts !). Thomas Friedli le grand clarinettiste me disait : « le musicien doit avant tout gérer son stress, car bien jouer seul chez soi, des milliers peuvent le faire. ». La poursuite de l’excellence, le perfectionnement technique permanent aussi bien en classique qu’en jazz, la compétition mondiale de plus en plus rude et le peu d’élus choisis sélectionnent sans pitié. De plus tout est désormais filmé, enregistré, envoyé sur internet en temps réel et la moindre défaillance d’un artiste (ou d’un homme politique, ou «stars» diverses) sont commentés des milliers de fois… la pression est intenable. Le musicien ne peut être au top tous les jours et cette exigence de perfection entraîne le recours de plus en plus à la médicalisation pour pallier les diverses faiblesses. L’hormone du stress, le cortisol, doit être sous contrôle !

Auparavant quand les grands solistes faisaient des fausses notes, le public acceptait et n’enregistrait pas tout en disséquant. Maintenant c’est impossible. Il faut dépasser ses limites et celles des autres en permanence. Le musicien prend des médicaments pour apaiser ses douleurs, mais souvent il se dope (euphorisants, excitants, …). Les beta bloquants sont couramment absorbés pour gérer le stress, le trac car il coupe les manifestations physiques de l’angoisse. Beaucoup n’en prennent qu’épisodiquement ou plus régulièrement sans d’effets indésirables notables. Dans l’idéologie actuelle de l’ «homme augmenté», il devient banal et admis d’utiliser ces produits qui ne sont plus considérés comme une drogue, une tromperie illicite. D’ailleurs nombre de médecins préconisent ces «bêtas» et dans certains concours ou concerts les solistes sont bien «chargés» (ce sont les mêmes pays qui dopent leurs sportifs !) Mais attention tout est question de dosage et de durée d’utilisation, car si vous en prenez trop votre performance s’effondre  et/ou devenez addict !). Les «bêtas» ralentissent le rythme cardiaque, évitent les tremblements et les mains moites (qui transforment des pièces techniques en patinage pas toujours artistique sur clés chromées !) Ils vous apportent sérénité, confiance en votre valeur, vous aident à vous concentrer sur la musique et non sur la gestion des troubles physiques ressentis, qui vous obsèdent rapidement même en plein concert.

La maîtrise du son pour un chanteur ou un instrumentiste à vent passe avant tout par la maîtrise de son corps et certains privilégient d’autres techniques que la prise de médicaments, comme la sophrologie, la PNL, l’hypnose, la psycho phonie, les techniques de méditation et de respiration, la digitopression sur les points d’acupuncture et plus généralement toute discipline améliorant la connaissance de soi. Un médecin soignant des musiciens me disait : «quand je les vois en concert ils sont formidables mais moi qui les vois en coulisses avant et après, ce n’est pas la même chose» (un conseiller technique peut dire la même chose de son Ministre!). L’important est de bien jouer, d’être reconnu comme un artiste et d’être applaudi ! Le travail et le talent ne suffisent pas, la fin justifie les autres moyens.

L’insomnie liée au stress est fréquente chez les musiciens : le concert on le rêve plusieurs fois avant (parfois en cauchemar, parfois c’est magnifique) et souvent nous avons la musique en boucle dans la tête ; cela devient même insupportable. Après le concert, on le refait, comme les sportifs refont le match, évaluant chaque moment, parfois sans concession ! enfin si on écoute l’enregistrement ou les commentaires des autres musiciens ou professeurs, cela peut devenir traumatisant. (souvenirs de master-class). Les musiques sont fort différentes et créer une atmosphère planante, triste, énergique, joyeuse....sous entend de réguler ses propres émotions et de les transmettre à un public sans être soi même émotif ! 
Et puis il y a le trou de mémoire toujours terrible ! L’anecdote d’Alfred Cortot qui, après un trou de mémoire s’arrête en plein concert, et indique au public « excusez moi, je pensais à ma mère ! » puis après applaudissements reprend son concert n’est plus possible aujourd’hui. Un des problèmes du musicien est donc le manque de concentration ; il décroche de sa partition, l'attention vagabonde dans des pensées des rêves et l'esprit quitte la musique dans ce que l'on appelle l'errance mentale. Heureusement le travail intensif imprimé à votre cerveau et vos doigts permet de jouer la musique sans y penser ! Ce phénomène naturel est fréquent dans les passages mélancoliques; techniquement faciles et répétés. En effet la musique triste au tempo lent favorise l'introspection, le surgissement de pensées, d'émotions et des souvenirs passés d'images pas forcément mélancoliques, des pensées de sa vie....et l'évasion. La musique rapide, joyeuse, quand à elle, mobilise l'énergie et l'attention technique réduisant l'errance mentale et obligeant à une concentration sur la rapidité d’exécution pour le musicien et l'écoute pour l'auditeur. Quand un musicien joue du jazz ou de la musique latino, la stimulation du cervelet de l'auditeur l'incite à battre la mesure avec la tête, les pieds, et provoque une envie de danser irrépressible. La musique est interaction entre le musicien qui joue, interprète et transmet des émotions et l’auditeur qui selon son état d’esprit et de santé va recevoir la musique de façon très variée et parfois très inattendue. Pour l’auditeur aussi, le moindre problème (physique, psychologique, contrariétés etc…) peut nuire à sa qualité d’écoute. 

La musique a des effets reconnus sur la santé des auditeurs et on l'utilise depuis l'antiquité pour apaiser certaines maladies mentales et divers symptômes ou situations traumatisantes (relaxation, musicothérapie). Ma dentiste met toujours de l'Opéra, peut être pour couvrir les cris de ses patients? La musique peut réduire la violence, «adoucir les mœurs», procurer des émotions diverses, et calmer même les insomnies et dépressions ;
Cliquez sur ce Quizz pour tester vos connaissances. 


Désormais nous avons tous nos oreillettes et grâce au MP3, nous nous branchons sur nos musiques préférées génératrices d’émotions. Ainsi par le choix des musiques adéquates, on arrive à se mettre dans une certaine ambiance émotionnelle choisie pour réaliser toutes les activités quotidiennes en travaillant, en se déplaçant, en mangeant (il paraît que le vin n‘a pas le même goût selon la musique écoutée…). Les musiques régulières sans modification de tempo, JS Bach et Mozart ou les valses gracieuses de Strauss, ont  des effets bénéfiques sur le système cardio-vasculaires, provoquent une baisse du cortisol, génère le calme chez les femmes enceintes… De nombreuses études ont démontré que la musique agit sur les neurotransmetteurs cérébraux. 
La musique romantique, avec ses changements sonores et de tempi comme chez Beethoven, ont l’effet inverse. «Quand je dois avoir la pêche, j’écoute les ouvertures d’Egmont ou de Coriolan»  «moi c’est du jazz, Benny Goodman ou Count Basie»  «moi qui joue du baroque ce sont des variétés hard et contemporaines » etc… La musique peut ainsi donner de l’énergie si elle est rythmée (la plupart des sportifs s’entrainent avec de la musique, même en courant le Marathon)
Certaines personnes souffrent d’amusie c’est à dire sont incapables d’apprécier voire de reconnaître le moindre plaisir musical quelque soit la musique. Malheureusement la médecine ne peut pas leur venir en aide. C’est un handicap important, la musique étant un axe cardinal de nos vies de musiciens et de mélomanes.

Comme on peut le voir, le musicien doit être vigilant en ce qui concerne sa santé et développer une hygiène de vie car même de petits incidents bénins peuvent avoir des conséquences néfastes. «il faut toujours être au top et c’est épuisant !» dira l’un, «la vie de musicien est une vie de chien mais je ne changerai ma place pour rien au monde» dira un autre, «quand votre public s’est déplacé, payé une entrée et applaudit à tout rompre, là tous les efforts et douleurs sont évanouis», et tous indiquent «la médecine dure ou douce et les médicaments sont vraiment les alliés du musicien»….

Pour finir je ne peux résister à la blague classique : « le musicien court toujours après un cachet » ….  ajouterais-je pour gagner sa vie et pour l’aider à gagner sa vie.