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jeudi 6 mars 2025

La vie singulière et mouvementée d'une clarinette signée G.S. Kollmus.


par José-Daniel Touroude

J’aime bien découvrir des facteurs peu connus de clarinettes et /ou des objets qui ont vécu des histoires qui se mêlent à l’Histoire. Cet instrument de fabrication allemande de 1822-30 a joué toutes sortes de musiques notamment du classique, des variétés et du klezmer et a émigré aux USA dans les années 1850-80 pour finir en France dans ma collection, il y a quelques années. Nos sources viennent principalement de l’ouvrage (Der Blasinstrumentenbau im Vogtland) d’Enrico Weller (Allemagne), de la base de données mondiale d’Albert Rice (USA) et de mes recherches personnelles puisque j’ai la chance de posséder une clarinette de Kollmus rare en parfait état.

Clarinette G.S Kollmus (J.D. Touroude.



Le contexte historique et l’émigration des facteurs d’instruments de musique.

La Bohème, était dirigée par François 1er Empereur d’Autriche et par Metternich et constituait un royaume catholique qui faisait subir une contre-réforme commencée après la guerre « religieuse » de 30 ans du 17ème siècle. La Saxe voisine était un royaume protestant, située à quelques kilomètres de la frontière avec la Bohème. Plus tolérante, elle accueillait les exilés bohémiens hérétiques imprégnés des idées toujours vivaces de leur compatriote Jan Huss, des juifs, des luthériens mais aussi des réfugiés économiques. Ce contexte religieux et économique entraina une émigration importante notamment de nombreux artisans (la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685 aura les mêmes conséquences désastreuses, 400 000 protestants parmi les mieux formés du pays dynamisant les pays concurrents).  

Les artisans étaient très mobiles car le compagnonnage permettait de sillonner des régions et des pays différents, de passer de maitres en maitres puis selon les opportunités, les facteurs se fixaient comme compagnons ou avaient la possibilité de s’installer dans des endroits où la demande était forte, où la guerre ne sévissait pas, où la fille ou la veuve d’un maitre était accueillante et dotée ! où l’intolérance était moindre et permettait de travailler. C’est ainsi que le transfert d’artisans luthiers et de facteurs a pu s’opérer notamment entre l’empire autrichien et le royaume allemand de Saxe. (mais aussi entre l’Allemagne et la France)

Histoires de la creation des poles-de.html

De Graslitz à Markt Neukirchen

Vue générale de Graslitz


G. S. Kollmus, comme beaucoup de luthiers et de facteurs d’instruments de musique à vent venait de Bohème notamment de Graslitz. Ce haut lieu de la facture existait depuis 1669 grâce à la création de la guilde des luthiers de Graslitz puis en 1677 de celle de la ville limitrophe de Klingenthal.

Ces villes constituaient un des pôles majeurs de la lutherie, de renommée internationale, avec les familles de maitres luthiers et de leurs successeurs. Citons les plus célèbres : Caspar Hopf, Michael et Johann Andréas Dörffel, Christian Friedrich Glass spécialisé dans les archets, Amand Meisel etc… avec leurs instruments à cordes qui font rêver actuellement les collectionneurs. (Aux enchères de Vichy a été vendu récemment un violon de Caspar Hopf, un archet de Friedrich Glass mais aussi un violoncelle acheté 11 000 € en 2020 de David Christian Hopf de 1775-1780 (à Klingenthal appelé aussi Quittenbach). Merci au Commissaire - Priseur Guy Laurent pour ces informations.

La proximité géographique a permis à 12 luthiers originaires de Graslitz de s’implanter dans un village de l’autre côté de la frontière en 1677 nommée Markt Neukirchen et former la 1ère corporation de luthiers d’Allemagne. Le célèbre luthier Caspar Hopf, un des fondateurs de la guilde de Graslitz- Klingenthal a été aussi un des fondateurs de la guilde de Markt Neukirchen. Ces émigrés développèrent ainsi une économie locale prospère avec la fabrication d’instruments de musique comme à Graslitz. Ils enrichirent ainsi les ressources de cette petite ville et de son roi en payant, en contrepartie de leur accueil, des taxes importantes.

Plus tard des facteurs d’instruments à vent se regroupèrent en un collectif de facteurs important à Markt Neukirchen. Ainsi en 1800, il y avait déjà 27 facteurs qui avec leurs ateliers regroupés permettaient de produire massivement (pour payer des taxes élevées) et d’exporter dans le monde notamment aux USA, pays qui avait même un consulat à Markt Neukirchen.  Une grande partie des instruments vendus dans le monde venait de Markneukirchen à la fin du 19ème siècle, ville quasiment consacrée à la production d’instruments de musique, avant un déclin inexorable. (Nous connaitrons le même phénomène avec la Couture Boussey en France).


La guerre civile de sécession aux USA (1861-1865) ruina beaucoup d’artisans d’instruments de musique en Europe, aussi bien à Graslitz qu’à Markt Neukirchen, d’autant que l’industrialisation industrielle en expansion offrait un apprentissage du travail plus simple (y compris dans les instruments de musique nouveaux comme les harmonicas inventés en Allemagne, les accordéons inventés à Vienne en Autriche…).  Il y avait dorénavant aussi la concurrence étrangère plus importante, notamment française et la facture américaine naissante. Les artisans traditionnels comme Kollmus ne purent concurrencer la production industrielle de clarinettes standardisées en ébène faites à travers le monde, ce qui explique qu’il n’a pas eu de successeur. 

La famille de G.S.Kollmus

Son père Joseph Kollmus exerçait comme commerçant à Funkenstein en Bohème et sa mère était Ursula Rohleder, tous deux de confession juive. Leur fils Georges Simon Kollmus naquit en Janvier 1797 ou 1798 à Funkenstein en Bohème et fut musicien (sans doute clarinettiste) et a fait son apprentissage chez deux facteurs d’instruments de musique notamment de clarinettes à Graslitz puis à Leipzig, ce qui explique son savoir-faire spécialisé en clarinette. En revanche aucune source indique dans quel atelier précis il a fait son apprentissage. Son frère ainé Franz Carl Kollmus (1793-1850) était aussi musicien (instrument à cordes), luthier et suivant une émigration déjà existante, les deux frêres Kollmus s’installèrent donc à Markt Neukirchen sous la protection du roi de Saxe.

George Simon Kollmus vivait et fabriquait déjà des clarinettes à 5 clés certainement chez un des nombreux facteurs de la ville comme compagnon. Puis il se maria en 1821 avec Christiane Caroline Jacob, fille d’un maitre serrurier de la ville George Adam Jacob. En 1822, les autorités de la ville lui permirent de s’installer à Markt Neukirchen comme facteur d’instrument à vent, en suivant les obligations nécessaires avant de se mettre à son compte et poser son estampille à savoir : prouver son savoir-faire devant ses pairs, avoir été compagnon, être marié, payer de lourdes taxes, avoir une adresse d’atelier. Il s’installa officiellement (et c’est pour cela que je date ma clarinette à 5 clés de cette époque autour de 1822-1830). Il devint citoyen de la ville mais avec des restrictions à savoir une tolérance incertaine et mouvante pour la confession juive de la part des autorités de la ville.  

Musicien, facteur, mais aussi revendeur, il eut de nombreux problèmes avec la corporation de luthiers et de facteurs car il avait fait son apprentissage à l’étranger en Bohème et non en Saxe, formation extérieure obligatoirement dévalorisée et opposée à la règle protectrice des corporations. Ainsi Kollmus, malgré ses qualités, n’était pas reconnu par la corporation de la ville qui doutait de son Curriculum Vitae étranger et qui ne supportait pas de concurrence de facteurs installés libres. En conséquence, la corporation demanda donc au roi d’appliquer cette interdiction qui avait été édictée en 1800. Mais la demande fut rejetée en 1830, contrant les corporations aux règles archaïques et peu soutenues d’ailleurs par le souverain, en vertu de la liberté du commerce et des influences françaises de l’ancien roi de Saxe. En effet Fréderic Auguste 1er a été souvent allié de l’empire français et des idées des lumières et il le paya de l’amputation de son royaume.

Sur le pavillon de cette clarinette, on peut voir une couronne surmontée d’une croix chrétienne. Elles étaient courantes et indiquaient que le titulaire avait le pouvoir (souvent royal) et la protection de Dieu. Le fait de mettre cette estampille indiquait que Kollmus avait une certaine protection royale malgré sa non admission dans la corporation de ses pairs. En effet Kollmus n’a jamais pu être admis par la société des facteurs d’instruments à vent et c’est explicité et noté en 1843 dans les archives de la ville. G.S. Kollmus mourra à Markneukirchen en 1863 (en 1858 le nom de la ville changea de Markt Neukirchen ou Neukirchen en Markneukirchen, ville du royaume de Saxe.)

Une clarinette rare à 5 clés et avec corps de rechange

Puisque Kollmus était bohémien et facteur de clarinette, il faut noter que cette région était importante pour la clarinette, et que de nombreux bohémiens vont renforcer à Paris, par une immigration de qualité, l’aura culturelle de la France. Joseph Johann Beer, est né aussi en Bohème, clarinettiste virtuose ami de Carl Stamitz (de l’orchestre réputé de Mannheim qui a eu une influence certaine sur Haydn et Mozart). Jeune bassoniste, il avait intégré aussi l’armée française mais sa consécration fut au Concert Spirituel de Paris où il joua en France le premier concerto pour clarinette du bohémien Carl Stamitz en 1771. J.J. Beer a ajouté une innovation essentielle pour la clarinette à savoir la 5ème clé vers 1770-1775 permettant de jouer en évitant quelques doigtés en fourche peu commodes. De plus il fut un grand pédagogue, créa une méthode et eut des élèves prestigieux Yost, Xavier Lefèbre (1er professeur du conservatoire de Paris et créateur de la 6ème clé) etc… Il était Franc-maçon de la célèbre loge des 7 sœurs.

F. BEER
Un autre virtuose allemand de la clarinette Franz Tausch, de l’orchestre de Mannheim, ancien élève de Johann Stamitz et de Salieri, fut décisif, franc-maçon également et qui a eu notamment comme élève Baerman, Crusell…Tous ces anciens et premiers virtuoses firent connaitre et apprécier la clarinette comme instrument soliste créant des œuvres originales avant l’apparition des œuvres de W.A. Mozart (avec le clarinettiste A. Stadler)  

Mais notre clarinette de Kollmus a aussi un corps de rechange. Le corps de rechange, qui a connu un succès rapide en Europe, a été inventé probablement en 1775 par Amlingue, un des nombreux facteurs français d’origine allemande établi à Paris. Rapidement Grenser à Dresde en 1790 en fera, imité par les facteurs comme Kollmus. (Grenser fut un facteur célèbre de Dresde, capitale de la Saxe et proche de Markt Neukirchen). La clarinette en La permettait de transposer plus facilement avec les autres instruments en do (cordes, flûtes, piano…) 

Clarinette en Sib avec corps de rechange en La en buis 

de 1822-30 à 5 clés carrées de Kollmus (collection Touroude)

Clarinette en Sib avec corps de rechange en La en buis 

de 1790 à 5 clés carrées de Grenser (collection musée Edimbourg)


D’après la base internationale de données concernant les facteurs d’instruments en préparation et communiquée par Albert Rice (USA), il resterait seulement 3 clarinettes connues de GS Kollmus dans le monde. Kollmus était un artisan et faisait des clarinettes traditionnelles. Ses clarinettes ont pratiquement les mêmes caractéristiques malgré les datations qui s’étalent sur plus de 30 ans : buis, bagues en corne, avec corps de rechange en La avec tirettes, clés carrées en laiton, estampilles sur toutes les parties, anneaux et blocs avec fixation par tiges de laiton, ressorts rivetés en laiton etc…. Il a seulement suivi l’adjonction de clés que demandaient les musiciens pour jouer de la musique romantique de plus en plus technique.

Tirettes relevées pour passer en La (collection Touroude

Ces 3 clarinettes connues sont donc : 

·    *  Cette clarinette 5 clés Sib avec corps de rechange en La datée environ 1822-1830 (collection Touroude)

·      * Une clarinette 10 clés très proche de la précédente avec le corps de rechange en La datée environ 1830-1840 (collection au Musée de Bochum (Ruhr)

·      * Une clarinette 12 clés en Sib au Musée du Théâtre de Stockholm mais malheureusement sans le corps de rechange en La (les tirettes du corps du bas prouvant l’existence passée du corps en La), datée environ 1840-1850





·       *  Il faut noter aussi un cor de basset de forme courbe, anonyme mais possiblement attribué à G.S. Kollmus qui est exposé au beau musée de Markneukirchen.             

La vie mouvementée de cette clarinette 

Un instrument de musique a une vie en fonction de ses propriétaires successifs. Fabriquée par un facteur de confession juive en Saxe, la clarinette a suivi la vie et l’histoire de ses premiers propriétaires juifs qui ont émigré aux USA, qui a joué pendant un siècle avant d’être exposée et rangée soigneusement comme souvenir d’un ancêtre de la famille (d’où son bon état) pendant un autre siècle avant de venir dans ma collection en France et de doter bientôt un Musée ou une autre collection pour un autre siècle ? Les guerres et l’occupation napoléoniennes et les revirements politiques du roi Fréderic 1er roi de Bohème avec Napoléon 1er avaient ruiné la Saxe et la grande puissance protestante (patrie de Haendel, de JS Bach) avait perdue plus de la moitié de son territoire et 40% de sa population en faveur de la Prusse voisine. Les émeutes de 1830 puis de 1848 réprimées et le déclin de ce royaume vont décourager nombre d’habitants, d’autant que la Saxe va intégrer l’empire allemand en 1871. La politique peu tolérante envers de nombreux juifs pendant cette période, entrainera en conséquence l’immigration vers les USA pour un avenir meilleur  Ainsi au cours de cette période, la population juive américaine a presque été multipliée par cent, passant de 3 000 personnes en 1820 à 300 000 en 1880, notamment l’émigration allemande très nombreuse. Cette clarinette va donc suivre son propriétaire pour jouer toutes sortes de musiques vers de nouveaux horizons (rien que la traversée durant 1 à 2 mois, il fallait mettre de l’ambiance !) Entre 1881 et 1924, la migration s’est déplacée de l’Europe centrale avec plus de deux millions et demi de Juifs d’Europe de l’Est, chassés de leur terre natale par les persécutions et le manque d’opportunités économiques. L’immigration juive aux USA à partir de 1880 à 1920 puis suite aux pogroms européens, notamment de la Russie, Pologne, Ukraine, Autriche, Roumanie… va s’intensifier.

Ils s’installèrent surtout dans les grandes villes et leurs communautés religieuses, culturelles et sociales importantes vont pouvoir perdurer. Ils étaient alors plus de 3 millions aux USA en 1924, recréant une communauté plus élargie avec les traditions et pratiques religieuses, (notamment les fêtes), la langue Yiddisch (qui n’est pas une langue sémitique comme l’hébreu mais un vieux dialecte allemand) et la musique juive profane et religieuse avec sa gamme spécifique appelé Klezmer. Cet instrument a appartenu à des clarinettistes d’une famille d’origine juive allemande qui a émigré aux USA à la fin du XIXème siècle entre 1822 et 1880. Cette clarinette a beaucoup joué toutes sortes de musiques classique, militaire, populaire et juive, jusqu’à la 1ère guerre mondiale. Demandant quelques réglages, j’espère trouver un(e) clarinettiste compétent(e) en clarinettes anciennes à 5 clés pour jouer et illustrer cet article. Avis aux amateurs !

   



mercredi 13 septembre 2017

"La famille Kretzschmann de Strasbourg facteurs d'instruments de musique, à vent en cuivre". "The Kretzschmann family from Strasbourg, brass wind music instruments makers".

Karl Gottlob KRETZSCHMANN est né en Allemagne, à Markneukirchen (Saxe) le 19 avril 1777. Il était le fils du facteur Johann Gottfried KRETZSCHMANN de Markneukirchen et d’Eva Rosina GOETZ et appartenait à la célèbre famille du « Vogtland » qui a donné de nombreux facteurs d’instruments de musique. Il est arrivé vers 1809 à Strasbourg, sans doute accompagné d’un neveu, Charles Gottlob KRETZSCHMANN, facteur d’instruments, né à Neukirchen, décédé à 25 ans le14 juin 1813 à Strasbourg. Le père de ce neveu, Adam KRETZSCHMANN, était aussi facteur en Saxe.
Marque de Charles Kretzschmann.
Karl (Charles) Gottlob, qui avait francisé son prénom, épousa vers 1810 Suzanne ANNECKER (1790-1855), fille d’un boucher installé à Wasselonne en Alsace. Ils eurent quatre enfants dont les deux premiers  décédèrent en bas âge : Charles Gottlob (1812-1814) et Caroline (1813-1817).
Signature de Charles Kretzschmann père.
Le second  fils, Charles Auguste KRETZSCHMANN, né à Strasbourg le 16 octobre 1818 prendra la succession de la Maison en 1842 à la mort de son père. Quant à Frédérique Wilhelmine (Guillemette) KRETZSCHMANN, née le 23 décembre 1821 à Strasbourg, célibataire,  elle décédera le 12 septembre 1860 à Scharrachbergheim dans le Bas Rhin. Dès son arrivée à Strasbourg en 1809, Charles Kretzschmann père se déclara fabricant d’instruments à vent et s’établira au N° 5 de la rue Saint Hélène, adresse des Kretzschmann père et fils pendant toute leur activité. La fabrication de l’atelier comportait tous les instruments à vent en cuivre : cornets, trompettes, cors, trombones, ophicléides et utilisait exclusivement le système allemand de barillets rotatifs.
Pavillon d'un cor naturel de Charles KRETZSCHMANN père.
(Collection R. Charbit)
Même si la production de Charles Kretzschmann fût très influencée par la facture allemande, elle restera par sa diversité et sa créativité d’esprit français : les trompettes à clés, circulaires, demi-lune, les buccins, ophicléides  montrent que ce facteur de province était au niveau des meilleurs facteurs parisiens. A l’exception peut-être d’un ou deux facteurs lyonnais, aucun facteur de cuivres de province, ne produisait une telle variété d’instruments en ce début du XIXe siècle.
Petit cor de poste (Vente de Vichy juin 2006) 
 Grand bugle à 7 clés en Fa en forme de demi lune de Charles KRETZSCHMANN
à Strasbourg. (Collection Richard Charbit)
 

Trompette demi-lune (collection B. Kampmann)
Jean FINCK (1807-1858), autre facteur de cuivre installé à Strasbourg, a sans doute été formé dans l’atelier Kretzschmann, puisque il ne quitta pas Strasbourg et se déclarera tourneur de 1807 à 1817, puis seulement à partir de cette date, fabricant d’instruments à vent. Seul Kretzschmann avait la compétence à Strasbourg pour former un élève. La collaboration entre les différents facteurs strasbourgeois ne s’arrêtera pas là, comme le montrent ces deux cors naturels marqués « Bühner et Keller » et « Dobner », visiblement fabriqués par Kretzschmann.
Cor naturel de Bühner et Keller fait par Charles Kretzschmann (collection RP)

Cor naturel marqué Dobner à Strasbourg sans doute fabriqué
 par Kretzschmann (Collection Richard PICK)
A la mort de Charles Gottlob KRETZSCHMANN, le 18 février 1842 à Strasbourg, son fils unique Charles Auguste KRETZSCHMANN, âgé de 23 ans prit logiquement la suite de son père. Il devait avoir été formé très tôt dans l’affaire, puisque que dès 1844 il participa à l’Exposition de Paris, où il présenta des bugles à Cylindres, un bugle basse et un bombardon.
Signature de Charles Auguste Kretzschmann (1818-1888)

Cornet à pistons en ut/mi b (N° 625 de la collection Bruno KAMPMANN)
Il obtiendra le 1 mai 1850 un brevet de 15 ans N° 9850  « Améliorations et changements apportés au mécanisme des cylindres rodiques qui sont applicables à tous les instruments de musique tels que cornets, clairons etc…. » En fait C.A Kretzschmann était un partisan « du système à cylindres rodiques » auquel il trouvait de multiples avantages, dont celui de laisser passer l’air d’une façon plus naturelle et sans obstruction ; en revanche il voulait améliorer son inconvénient majeur, la fragilité et avait conçu un « couvercle manivelle»  qui fonctionnait sans friction. Selon Bruno KAMPMANN « ….l’idée est très proche de la walzenmaschine brevetée par CERVENY postérieurement en 1873. La particularité unique est que les ressorts de rappel sont inclus dans les barillets, et non situés dans un rotor extérieur ». Si vous voulez en savoir plus (et si vous parlez allemand) ce système est détaillé à la page  35 de l’ouvrage de Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».
Trompette en sol à trois barillets et ton de sol, 
appliquant ce brevet, en particulier le couvercle manivelle
(N° 528 de la collection Bruno KAMPMANN)
Il récidivera en 1856 et obtiendra le 23 juin un brevet de 15 ans (N° 28038) pour la fabrication d’un « système de pistons à mouvement horizontal avec pression verticale, applicable à tous les instruments de musique en cuivre ».


















« Clairon chromatique baryton en si utilisant ce nouveau brevet » (Musée de la Musique à Paris) et schéma expliquant ce nouveau système  à pression verticale et mouvement horizontal. Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».

A cette date, il faisait partie de la coalition des facteurs d’instruments qui luttera contre l’hégémonie du grand Adolphe SAX. Nous n’allons pas « répéter » ces procès fastidieux entre la coalition et le « pauvre Adolphe Sax martyr de tous ces cupides facteurs d’instruments », discours convenus et entretenus par des écrivains bien connus, comme Oscar Comettant et le Comte Ad de Pontécoulant, discours repris en cœur dans tous les documents publiés sur Sax, même actuellement ; ouvrages dans lesquels KRETSCHMANN est cité très rarement, sinon pour souligner « sa cupidité » et son « incompétence ».  Pourtant il existe un nombre impressionnant d’ouvrages reprenant l’ensemble des procès opposant Kretzschmann à Sax, disponibles à la Bibliothèque Nationale de France, montrant que le combat fût long, âpre et que l’issue ne fût pas si favorable pour Sax, puisque en appel, Kretzschmann fut condamné non pas pour contrefaçon, mais pour…recel de 4 instruments produits par Kretzschmann comme preuve d’antériorité au brevet Sax de 1845 et pour les avoir introduit en France. 
Le Grand Adolphe Sax.
Les procès entre A. Sax et C.A. Kretzschmann : procès longs et pas particulièrement flatteurs pour le "Grand Sax".


Reprenons les éléments essentiels de ces procès. Ch. A. KRETZSCHMANN fut d’abord cité comme témoin dans le procès qui opposa GAUTROT à SAX, mais son témoignage ne fût pas retenu. Aussi, lorsqu’il fut cité comme témoin dans le procès  qui opposa BESSON à SAX, il produisit trois instruments, fabriqués par son père (3 ophicléides altos à 3 pistons parallèles vendus en 1839 et 1841 dont les propriétaires étaient suisses, et vosgiens) et un quatrième, vendu par Kretzschmann fils en 1843 (ophicléide alto à trois pistons), fabriqué avant le brevet Sax du 13 octobre 1845, qui revendiquait l’invention :
« Des instruments ayant le pavillon en l’air et les pistons parallèles au tube de l’instrument ». 
Sax fait saisir ces quatre instruments, ainsi que les documents prouvant la vente à la date indiquée, pour contrefaçons. Comme il était difficile de contredire les dates, en particulier celles qui concernaient les instruments de Kretzschmann père décédé en 1842, le tribunal décida que les instruments auraient été modifiés après 1845 mais par qui ? Le tribunal n’osa accuser ni Besson, ni Kretzschmann, puisque les instruments étaient arrivés au tribunal dans des conditions particulières. Nous voudrions décrire avec quels soins les propriétaires avaient fait parvenir au tribunal les instruments, propriétaires qui c’étaient même déplacés durant les procès pour témoigner en faveur de Kretzschmann.
Prenons le cas de «  l’ophicléide alto à trois pistons parallèles, fabriqué par feu Mr KRETZSCHMANN père et vendu par lui le 19 octobre 1841 à Mr Louis Hoffmann-Vulliemoz à Lausanne, canton de Vaud (Suisse). Cet instrument a été produit en justice par son propriétaire actuel, Mr François Blanc, huissier à Lausanne, à l’appui de sa déposition du 30 juillet 1858. Pour établir l’origine et la date exacte de cet instrument, Mr KRETZSCHMANN fils avait produit :
·         Les livres de commerce de feu son père.
·         Les lettres relatives à cet instrument de Mr Louis Hoffmann-Vulliemoz.
·         Une déclaration notariée du 26 mai 1858 de MM Louis Hoffmann-Vulliemoz, François Blanc propriétaire de l’instrument, David Thuillard, Philippe Pflüger, Frédéric Allamand, Jacques Lauffen, Jacques Hoffman, Henri Blanc.
Les signataires de cet acte ont déclaré « qu’étant tous membres du corps de musique militaire de Lausanne, dirigé par le lieutenant Hoffman, ils ont vu cet instrument dans leur musique dès l’année 1841. Cet instrument alors nouveau pour eux, fut de leur part l’objet d’un examen particulier et leur a laissé un souvenir parfaitement distinct, notamment par la position des pistons placés tous trois ensemble dans la même direction parallèle au tube du pavillon ». Ledit instrument reconnu cacheté par un notaire ». (5)
Le même traitement étant fait pour les trois autres instruments, il faut croire que Mrs Kretzschmann et Besson bénéficiaient d’un solide réseau de « complices », puisque le 19 juin 1862 ils étaient accusés « non pas d’avoir contrefait les quatre instruments, mais de les avoir introduits en France et recélés, sachant qu’ils étaient contrefaits ». (5)
On comprend mieux, pourquoi Constant PIERRE fut aussi sévère avec A. SAX  dans son ouvrage « Les facteurs d’instruments de musique ».
« A. SAX déposa de nouveau son bilan en 1873, après une période particulièrement brillante, pendant laquelle il avait certainement vendu beaucoup d’instruments, reçu plus de 500 000 frs d’indemnité du procès Gautrot, encaissé nombre de primes des facteurs qui avaient sa licence pour faire des instruments imposés sous son nom dans l’armée. Comment donc s’il n’y eut des dépenses excessives, des remises exagérées, des frais de publicité énormes, des panégyristes largement rémunérés, s’expliquer un tel désastre. Avec le nouveau régime, Ad. SAX ne retrouva pas l’appui que lui avaient prêté les fonctionnaires de l’Empire, la lutte redevint égale et toute pression officielle cessant, les facteurs purent écouler les instruments de leurs systèmes, sans être contraints comme auparavant, de se borner à la confection des types réglementaires imposés et dénommés à l’instigation d’Ad. SAX ». (7)
Quant à Ch. A. KRETZSCHMANN, il se retira des affaires vers 1860 : « Mr KRETZSCHMANN s’est retiré des affaires ; mis en possession par son père d’une fortune relativement considérable, augmentée encore par sa propre industrie et suffisante aux besoins de son existence ». (5)

On remarque également que son brevet de 1856 : « nouveau système à pression verticale et mouvement horizontal » avait pour but de répondre au brevet SAX de 1845, même s’il ne rencontra pas un franc succès.
Il se retira à Scharrachbergheim, petite commune du Bas Rhin de 1000 habitants, située à 21 kms de Strasbourg. C’est là qu’il décédera le 12 octobre 1888 à l’âge de 70 ans, sans descendance. (*)
C’est Achille (François Pascal) GALLICE qui prendra la succession de la Maison KRETZSCHMANN dans les années 1860. Achille GALLICE était né à Briançon le 5 décembre 1832, il était le fils de Pascal GALLICE ébéniste à Lyon. Avant son installation rue des Frères, il devait travailler pour Jean Chrétien ROTH (Successeur de Dobner et de la Maison Bühner et Keller), puisque lors de son mariage le 19 juillet 1856 à Strasbourg avec Pauline SCHATZ, fille d’un brossier de Strasbourg, « J.C. ROTH, 40 ans facteur d’instruments et Jacques ROTH, 33 ans amis de la famille » en furent les témoins.

Achille GALLICE exerça son métier de « facteur d’instruments en bois et en cuivre » de 1867 à 1886 à la même adresse, 14 rue des Frères qui deviendra en 1880 la « Brüderhofgasse ».

Bibliographie :

(1) : Comte Ad de Pontécoulant : Organographie. Essai sur la facture instrumentale. Art, Industrie et commerce. Paris 1861.
(2) : Oscar Comettant : Histoire d’un inventeur au XIX° siècle. Adolphe Sax, ses ouvrages et ses luttes. Paris 1860.
(3) : Malou Haine : Adolphe Sax (1814-1894) Bruxelles.
(4) : Jean Pierre Rorive : Adolphe Sax (1814-1894), Inventeur de génie. Edition Racine.
(5) : Cour de Cassation. Mémoire ampliatif pour Mr Ch. A. Kretzschmann contre M. A. Sax. 1863 chez
Silbermann.
(6) : Cour de Cassation, chambre criminelle : Besson, Kretzschmann contre Sax : BNF 4 FM 16527.
(7) : Constant Pierre. Les facteurs d’instruments de musique. Paris 1893.
·         Larigot : Catalogues de la collection de Bruno Kampmann.
·         Site de Richard Charbit : http://www.orpheemusic.com.
·         Anthony Baines: Brass Instruments. Their History and Development.
·         Waterhouse William: “The New Langwill Index. A dictionary of Musical Wind Instrument Makers and Inventors”.
·         Archives départementales du Bas Rhin à Strasbourg. Etat civil, recensements, annuaires, almanachs.
·         Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».
·         Enrico WELLER « Der Blasintrumentenbau in Vogtland von den Anfängen bis zum Beginn des 20
Jahrhunderts ».
·         Site de Richard Pick : http://www.pick-et-boch.com/

·         Brevets : Archives de l’INPI : 26 bis rue de Saint Petersbourg, Paris 75008.

lundi 25 février 2013

GRAVES & Co, facteur d'instruments de Musique à Winchester(USA) entre 1824 et 1845.


 José Daniel TOUROUDE.

Biographies et contexte :

Dans cette première moitié du XIXème siècle, les récents États Unis d’Amérique sont passés assez rapidement d’une facture naissante et artisanale à une production industrielle florissante.
Graves est emblématique de cette évolution car il créa la 1ère manufacture d’instruments à vent aux États Unis.

Signature sur un Trombacello du National Music Museum de Vermillion.
Beaucoup d’instruments à vent, notamment les clarinettes, étaient importées à cette époque, surtout d’Angleterre (puissance coloniale puis fournisseur principal des USA) et dans une moindre mesure d’Allemagne qui  exportait vers les USA. (la ville de Markneukirchen regroupait à cette époque le collectif de facteurs le plus important au monde; ainsi en 1800, il y avait déjà 27 facteurs).
Néanmoins avant Graves, il existait quelques artisans américains regroupés dans les grandes villes de la Côte Est (Philadelphie, New york, Baltimore…) qui fabriquaient localement des belles clarinettes comme Eisenbrandt etc…

Signature sur une clarinette en do du MET Museum.

Samuel Graves junior se démarque de ses contemporains car il fut un facteur talentueux mais aussi un entrepreneur dynamique dans la fabrication d’instruments à vent aux Etats Unis.
Né en 1794 à Boston dans un contexte favorable (un pays juste indépendant et voulant se developper, dirigé par le 1er président Georges Washington), Samuel Graves va créer son entreprise d’instruments à vent en regroupant divers associés (son frère Cyrus, Charles Alexander, Henry Anderson, S.W. Richardson, J. Keat).
 Il fondera l’entreprise Graves and Co entre 1824 et 1845 permettant d’une part des regroupements de fonds permettant une industrialisation mais d’autre part des synergies de savoir-faire différents (exemple : Keat était un spécialiste des cuivres).
Graves a été aussi un des premiers américains à mécaniser la fabrication d’instruments à vent, grâce à l’énergie de la rivière Ashuelot (affluent de la rivière Connecticut), où il avait installé ses ateliers dans une petite ville du New Hampshire : Winchester.
Winchester est une petite ville du New Hampshire, proche du Québec fondé par des canadiens français (1/4 de la population ancestrale) et par des puritains anglais.

Le centre de Winchester à l'époque de Graves and Co.
La demande d’instruments est importante car la musique est partout présente aux USA.
En effet, les clarinettes jouaient de la musique de chambre vers 1820-1830 notamment au Haendel - Haydn Society à Boston. De plus elles étaient indispensables aussi dans la musique symphonique (l’orchestre symphonique de New York date de 1842 suivi de celui de Boston peu après). Enfin elles étaient omniprésentes, d’une part dans la musique populaire des villages et des villes naissantes et d’autre part dans les musiques militaires des armées. Vu la demande, Il fallait passer de l’artisanat à la production industrielle et Graves fut le premier américain de cette jeune nation, à être un grand facteur industriel diversifiant les instruments à vent.
Cornet en Eb de Graves and Co. Nat. Music Museum de Vermillion.
Ses nombreux collègues contemporains (Catlin, Pfaff, Christman, Firth Hall & Pond, Ashton, Prentiss etc…) étaient plus artisans qu’ industriels. La facture américaine au départ n’était pas innovante car elle a reproduit avec talent les factures existantes (facteurs immigrés venant d’Europe, copies des instruments importés existants).
Malgré la demande importante d’instruments à vent, peu à peu les facteurs américains par la qualité et la quantité de leurs instruments satisfaisaient en grande partie le marché intérieur et pouvaient rivaliser avec les meilleurs d'Europe. Ce fut le cas de Samuel Graves.

 Analyse des clarinettes Graves & C0 à partir de deux clarinettes de notre collection.

Marque d'une clarinette en Si b.
 
L’estampille montre l’aigle américain, qui est un pyrargue ou aigle pécheur aux ailes déployées avec dans ses pattes des flèches et la branche d’olivier. Il est le sceau et le symbole officiel, adopté par le Congrès des Etats Unis d’Amérique en 1789. Il est inscrit sur les dollars et sur tous les papiers officiels. Il est le signe affiché du patriotisme. De plus le New Hampshire fut le 1er Etat à se déclarer indépendant de l’Angleterre et fut un des Etats fondateurs des Etats Unis d’Amérique.
Samuel Graves voulait montrer que c’était une clarinette « made in USA », surtout quand on a un homonyme Samuel Graves qui fut l’amiral ennemi commandant la flotte anglaise contre les indépendantistes américains ! 



2 clarinettes, une en Sib à 8 clés l'autre en Do à 13 clés. (Collection J.D. Touroude).
Clarinette Sib  8 clés :
Sa facture est anglaise, la plupart des clarinettes existantes provenant de l’armée coloniale anglaise, des immigrants, des revendeurs d’instruments importés étant de ce style. En conséquence, les facteurs et réparateurs ne connaissaient que ces instruments et il est donc logique que le jeune Samuel Graves ait fait son apprentissage et ait connu surtout la facture anglaise qui était réputée à l’époque.
Les spécificités de la facture anglaise ont des caractéristiques originales par rapport aux autres clarinettes européennes de la même époque, ce qui permet de les reconnaître de suite, en voici quelques unes :
Le bec dispose d'un tenon beaucoup plus long (le double) rentrant dans le barillet et qui permet, en le tirant, de s'accorder.
Les deux clarinettes Graves disposent d'un bec à long tenon d'origine quoique non signé comme souvent à cette époque.
Les deux becs à long tenon entoure un bec européen de la même époque.
La forme du barillet est différent car il est creusé au centre et non bombé comme les barillets continentaux et très renflé à l'extrémité en bas se terminant par une bague en ivoire très large.
Les 2  clarinettes Graves disposent d’un barillet typiquement anglais.
Les deux barillets.
Les clés sont montées sur des blocs tournés dans la masse du buis (anneaux et bulbes), ce qui permet de mettre des tiges en laiton pour fixer les clés. Le bulbe anglais est caractéristique car il est coupé. Il s’allégera de plus en plus.
Nous en avons un exemple en comparant les deux clarinettes Graves qui ont moins de 20 ans de différence.
Clés montées sur blocs, avec bulbe anglais typique.
Les trous fermés par les clés sont creusés pour améliorer l'adhérence des tampons. En France seuls les facteurs lyonnais faisaient de même (Simiot, Sautermeister, Tabard).  De plus certains trous sont chemisés en laiton, les anglais ayant inventés cette technique.
La grande clé de fa# est en zig zag, formant un angle caractéristique.
La clarinette Graves à 8 clés a cette spécificité, mais plus la clarinette 13 clés.

Clé de Fa diése en zig zag.







Le montage des clés se font sur des blocs et des guides sculptés dans la masse en buis et non
avec des pièces métalliques rajoutées comme les autres clarinettes même quand elles auront 13 clés.
Les clarinettes Graves, comme les anglaises ont cette spécificité.


Blocs et guides en bois qui vont passer de l’anneau en 1825 à des blocs plus légers en 1845 chez Graves.
Le pavillon anglais est assez droit alors que les autres évasent plus leurs pavillons de clarinettes.
Pavillon évasé autrichien Schemmel comparé au pavillon Graves de type anglais à la même époque.
Notre clarinette 8 clés de Graves and Co, peut être comparée à une clarinette 5 clés en Si bémol du Métropolitan Museum. Elles sont pratiquement identique. Ce qui diffère est minime étant lié à l’adjonction de 3 clés supplémentaires : le deuxième anneau du haut présent chez la 5 clés s’est réduit à un bloc en bois et trois autres blocs en bois apparaissent et permettent de fixer et guider les 3 clés supplémentaires du corps du haut chez la 8 clés. Si on la compare avec d’autres clarinettes Sib de la même époque et anglaises, on voit que la clarinette Graves Sib à 8 clés est tournée de façon assez rustique, lourde (400 g avec le bec) par rapport aux autres clarinettes anglaises (dont l’épaisseur du buis est plus fin, faisant des instruments plus légers et fragiles, comme sera la 13 clés quelques années après.)

Clarinette 5 clés en Si bémol du Met de Ney York.
Clarinette en Ut à 13 clés :
Graves en partant du modèle anglais a su faire évoluer la clarinette en quelques années en empruntant ce qui se faisait de mieux en Europe. Ce qui reste de la facture anglaise : le bec à long tenon, le barillet bombé à l’anglaise, la bague large du barillet, la forme des blocs en bois, le bulbe coupé… mais incorpore des innovations : lièges des tenons, rouleaux dans les clés… 

Les rouleaux pour glisser d’une clé à l’autre ont été inventés par le clarinettiste français César Janssens en 1823 (exposition de Paris) et les allemands l’utiliseront beaucoup. Les français avec l’apparition du système Boehm quelques années après n’en n’auront plus l’utilité.
On peut même voir sur une autre clarinette célèbre de Graves avec une clé inversée à la Simiot.


Clarinette en grenadille avec 13 clés en argent, avec les rouleaux Janssens et clé à la Simiot (Métropolitan Museum de NY)
Après 1840 une des caractéristiques des clarinettes anglaises sera la grande clé de sol#.  
La  clarinette Graves en Ut à 13 clés dispose de cette clé.  


De gauche à droite : Clé Sol# Graves puis anglaise fin XIXème siècle ou la clé s’allonge encore, comparées avec la clé allemande parallèle et la clé Sol# croisée française de la même époque.

L’entreprise fabriquait surtout des bois dans les années 1830 puis après 1845, ils feront aussi des cuivres quand les fils de Samuel, George et William quitteront Winchester après l’incendie des ateliers en 1850 pour Boston. Mais entrepreneur dans l’âme, il va recréer, avec ses enfants, l’entreprise à Boston en s’adjoignant après la guerre civile de sécession, de nouveaux partenaires (Gilmore, Wright, Esbach, Hartman) pour créer l’entreprise “Boston Musical Instrument Manufactory”. Une autre aventure entrepreneuriale, d’autres évolutions instrumentales et une diversification d’instruments à vent allaient continuer…
Outre les collections privées difficiles d’accès, les clarinettes Graves les plus belles sont à Vermillon au National Music Museum (Dakota du sud) et au Metropolitan Museum de NY. 

Pour conclure, admirons cette magnifique clarinette Mib Graves and C° à 13 clés faite vers 1845 se trouvant au musée de Vermillon (Dakota du Sud) absolument identique à la mienne en Ut.

Clarinette en Mi bémol du musée de Vermillon.
Pour l'anecdote nos deux clarinettes Graves and Co proviennent d’une réserve d’un musée américain qui les a vendu aux enchères.