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dimanche 3 avril 2016

"Les Schemmel facteurs de clarinettes à Vienne au XIXème siècle"."Schemmel family, makers of clarinets in Vienna in the XIXth century".

Par José Daniel TOUROUDE;

En revenant d’une master class à Salzbourg et étant à Vienne, j’ai eu le coup de foudre pour une clarinette en buis à 12 clés en laiton chez un antiquaire. Je ne m’étais guère intéressé aux clarinettes anciennes mais celle ci a été le déclencheur d’une collection de clarinettes anciennes (avant le système Boehm). Dépassant la centaine de clarinettes anciennes actuellement, je me dois de faire un article sur la première qui a pour tout collectionneur une importance décisive (cf articles sur psychologie du collectionneur : Cliquez sur ce lien pour voir l'article.) et qui trône toujours dans ma chambre depuis près de 30 ans…  Replongeons dans le passé à Vienne.
Vienne en 1609.

Rappel du contexte historique :
Après les guerres et l’occupation napoléonienne, après le congrès de Vienne réformant l’Europe, après la restauration de la monarchie absolue et policière de Metternich, Vienne va connaître un boom démographique (1 million d’habitant en 1890), industriel et culturel.
Vienne une des trois capitales de l’empire autrichien (avec Prague et Budapest) va être remodelé (modification de l’architecture et de modernisation de la ville en profondeur (gaz, électricité, canalisation du Danube, chemin de fer…) (Paris fera de même avec Haussmann)
Vienne comme d’autres capitales européennes (notamment Londres et Paris) connaîtra à la fois un exode rural et une exploitation des classes laborieuses venant de l’empire (misère et insalubrité, épidémie de choléra, révolution ouvrière réprimée de 1848…) mais aussi l’époque de la bourgeoisie montante dite « Biedermeier » qui donnera une aura particulière à Vienne, devenue une des grandes capitales du monde avec l'exposition universelle de 1873.
La sérénité d'une grande famille à l'époque Biedermeir.

L’époque du Biedermeier :
Biedermeier (de Bieder : gentil, inoffensif et Meier patronyme très répandu) est un personnage imaginaire qui est un archétype, un exemple à suivre pour les classes moyennes : un bourgeois, aisé, ou aspirant à l’être, privilégiant les valeurs de famille, à la maison douillette aux papiers peints de fleurs, avec des meubles clairs, proche de la nature avec des aquariums et cages à oiseaux, des vases de fleurs, voire un jardin d’hiver, des tableaux sereins de Waldmüller aux murs, des couleurs pastel, où dans le salon voire une salle de musique on joue entre soi Mozart, Schubert … Puis il y a les sorties à l’église ou à la synagogue (forte communauté juive), au théâtre, à l’opéra et surtout les salles de danses avec les polkas et les valses viennoises… avant de déguster des viennoiseries et pâtisseries raffinées où on fait des promenades dans les parcs habillés selon la dernière mode …
Cet idéal conservateur, d’une vie aux bonheurs simples et raffinés, d’une courtoisie et gentillesse avec les autres (de la bourgeoisie), doit goûter aux plaisirs de la vie à condition que cela soit surtout sans excès. Cette petite et moyenne bourgeoisie d’affaires lié au boom industriel et financier se démarque de l’aristocratie arrogante et du peuple miséreux mais s’enrichit aussi en spéculant jusqu’au krach de 1873. Biedermeier est un art de vivre à la viennoise et cette image demeure actuellement dans l’inconscient collectif mondial et donc comme produit touristique nostalgique toujours abondamment vendu. 
Wer nicht liebt Wein, Weib u. Gesang / Bleibt ein Narr sein Leben lang.“
Cette idéologie lénifiante, apolitique et conservatrice du bien vivre sans excès doit faire face aux luttes sociales révolutionnaires du voisin français (1830, 1848, la commune), aux peuples de l’empire austro-hongrois qui cherchent à s’émanciper, aux luttes sociales internes à l’empire, aux appétits expansionnistes du voisin prussien, à l’empire ottoman décadent mais toujours aux portes… mais aussi une nouvelle idéologie culturelle qui déferle en Europe : le romantisme. Celui ci veut exacerber les passions et l’individualité et révolutionner les conventions, les traditions, le politiquement correct du Biedermeier, (un dicton populaire n'est-il pas : Wien, Weib, Wein und Gesang, "Vienne, des femmes, du vin (ou de la bière), des chansons !"), mais Vienne, malgré ces romantiques turbulents, privilégiera la valse et son art de vivre Biedermeier. 

Vienne une des capitales mondiales de la musique :
La musique à Vienne est omniprésente car l’empereur Joseph II en 1782 fonde une excellente harmonie d’instruments à vent (déjà existante à Mannheim, ce qui avait subjugué Mozart et le rendit amoureux de la clarinette : cf lettre à son père).
Tous les courtisans vont imiter l’empereur et se doter d’un orchestre à vent de qualité pour redorer leurs images en multipliant les concerts en plein air, des divertissements mais aussi en fond musical pendant les repas… la musique est donc incontournable et devient un message soit pour une personne (sérénade) soit pour des invités que l’on veut distraire (Don Juan dans l’opéra de Mozart divertit ses invités par une harmonie d’instruments à vent), soit plaire au public en le régalant des airs à la mode, des arrangements d’extraits d’opéras, des transcription de chansons (kiosques), soit montrer la qualité de son régiment par la musique militaire et les uniformes chatoyants (défilés), soit danser pour séduire …
Souvent l’orchestre est un quatuor (hautbois, clarinette, basson, cor) ou un octuor en doublant chaque instrument. Les plus grands musiciens (Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Krommer, Rosetti…) ont composé ces musiques divertissantes à la mode élargissant ainsi leur public.  

Statut de Johann Strauss à Vienne.
La vie de musicien évolue:
Avant Mozart, le musicien était un domestique, un employé servile au service d’un aristocrate puissant (parfois bienveillant comme pour Haydn, parfois humiliant comme pour Mozart, parfois bizarre comme pour Farinelli qui devait chanter la nuit pour calmer les insomnies du roi d’Espagne ! Avec Mozart puis Beethoven le musicien se libère et change de statut. Mais la liberté se paie cher car il doit gagner sa vie grâce à son talent, séduire une salle et non un puissant. Ainsi le musicien n’est plus pensionné et assisté mais doit remplir les salles avec des auditeurs payants. Il doit donc faire des compromis avec les organisateurs de spectacles, avec les publics, il doit se vendre et se faire connaître d’où avoir recours à la virtuosité pour éblouir, (Paganini, Beethoven, Liszt, Crusell à la clarinette…), courir les contrats, trouver des mécènes admiratifs de leurs talents (Wagner avec le roi Louis II de Bavière), des entrepreneurs qui risquent et parient sur une musique ou un musicien… Liszt écrivait «les artistes dans leur existence matérielle sont à la merci du premier venu» c’est à dire d’un public peu formé mais aussi d’organisateurs qui cherchent à faire un profit avec du spectacle. Certains changent de maîtres en quittant les châteaux, les lubies et le bon plaisir du prince pour se lier parfois à vie avec des institutions comme musiciens permanents (opéras, orchestres symphoniques, théâtres, harmonies militaires …). Tous ne peuvent convaincre et se faire reconnaître voire se faire aduler par un public important et l’image du musicien artiste bohème (région d’Autriche !) devient vite connoté péjorativement, n’ayant pas de revenus réguliers et suffisants (déjà intermittents) voire même de saltimbanque ! De plus beaucoup de classes aisées «biedermeier» font de la musique pour leur plaisir (musique de chambre élitiste à la Schubert) et deviennent exigeants poussant le musicien professionnel à progresser.

Vienne est une ville artistique et cosmopolite notamment par la musique qui va rayonner à travers le monde : Mahler dirige l’opéra, Bruckner compose, Brahms dirige le Wiener Singverein… Les compositeurs doivent faire évoluer leur art (Wagner), soit créer de la musique légère accessible (faire des tubes rentables mais de qualité) comme les Strauss, Offenbach, Von Suppé… en mettant leur talent dans la mode des opérettes (comme la chauve souris de Strauss fils) mais surtout de la valse ! Lehar, Lanner, Strauss père et fils en rivalité…
La consécration de J. Strauss fils, riche et adulé, composant et jouant sans cesse jusqu’à mourir d’épuisement en 1899 et mobilisant ses frères (Edouard exploité et jaloux brûlera tous les manuscrits des Strauss à la mort de son frère honni). Cependant certaines mélodies répandues demeurent néanmoins 150 ans après au répertoire, réactivées en permanence à Vienne, qui en fait son fonds de commerce pour le concert du nouvel an et dans les bals guindés à la Sissi pour les nostalgiques de l’époque biedermeier organisés pour les touristes…Et pourtant Vienne, malgré son conservatisme, restera ensuite un pole d’attraction mondial pour les meilleurs dans les arts (Klimt en peinture, école dodécaphonique avec Schönberg, Berg, Webern dite école de Vienne) mais aussi pour d’autres disciplines (Freud et la psychanalyse etc...)



Schemmel et la facture viennoise :
La musique est donc omniprésente dans les orchestres de  musique classique, la musique militaire, les concerts dans les kiosques, les bals, les orchestres de rue hongrois, la musique juive, la musique de chambre et tout cela entraîne un nombre élevé de musiciens et donc de réparateurs et de facteurs d’instruments notamment à vent à Vienne mais aussi à Graslitz, à Prague… 
Marque Schemel.
Parmi les grands facteurs de Vienne, il y a Martin Schemmel (le père) et Edouard (le fils).
Les Schemmel furent parmi les plus appréciés de la facture autrichienne. Martin s’installe à Vienne et produit de 1831 à 1866 des clarinettes de 5 à 13 clés. Martin Schemmel est consacré à l’exposition de Vienne en 1845. Puis il forme et travaille avec son fils Edouard à partir de 1853 qui prendra la relève jusqu'en 1890. Ils garderont la même estampille. (Il faut noter que le nom indiqué Schemel avec un trait horizontal sur le m est une astuce pour doubler le m en Schemmel.)

Clarinette 12 clés de Schemmel ayant appartenu à Georg Dänzer.
 (Collection José Daniel Touroude)

J’ai dans ma collection trois clarinettes Schemmel (deux de Martin à 5 clés) plus celle qui a motivé cet article qui est une magnifique 12 clés qui est particulière. En effet, elle a appartenu à un clarinettiste réputé nommé Georg Dänzer, musicien ponctuel de l'orchestre de Johann Strauss fils et clarinettiste du Schrammeln quartet (avec les fameux Joseph et Johann Schrammel et Anton Strohmayer à la basse). 
Les Schrammel sont connus dans la musique viennoise vers les années 1880 en créant valses, marches, polkas, opérettes au même titre que Lehar, Strauss, Lanner... On joue parfois encore à Vienne du Schrammel… nostalgie oblige !
Schrammel Quartett avec Georg Dänzer à la petite clarinette.

Dänzer a eu son moment de célébrité en jouant dans l'aigu avec une petite clarinette en La b « Picksia Bes hölzl» (cf article de Peter Havlicek du Wiener extrablatt du 7 octobre 1883). Cette clarinette en Ut est restée près d'un siècle dans une malle bien enveloppée et conservée. Cette clarinette a été achetée en 1988 à Vienne chez un antiquaire M. Birchsbaum qui vendait la succession et les souvenirs de la famille Dänzer. 

Clarinettes Schemmel, à gauche La b (Vichy 2010) et à droire Sol aigu
 (Collection Shackleton)

Les Schemmel sont très recherchées : quelques  clarinettes de Schemmel célèbres :
La b (vendue à vichy), les Schemmel de Shackleton au musée d’Edimbourg, la curieuse Schemmel métal de Leipzig.


Musique traditionnelle viennoise.
Philharmonia Schrammeln.
Clarinette à 10 clés en métal de Schemmel.
(Musée de Leipzig) 
Clarinette 5 clès de Schemmel. (Collection Shakleton)
Schemmel en Si b et son corps de rechange en La.
(Collection Shackleton)




jeudi 23 janvier 2014

Quelques questions et réflexions sur les petites clarinettes

Interview de Jose-Daniel Touroude
par René Pierre
 
(Tous nos remerciements à Denis Watel pour la relecture de cette réflexion et de nous avoir montré sa superbe collection de petites clarinettes qui mérite un autre article)

Quel est l’historique des petites clarinettes ?
La clarinette a été inventée par Denner vers 1700 à Nuremberg en perfectionnant le chalumeau. Il existait plusieurs sortes de chalumeaux, de longueurs et de tonalités différentes, qui étaient utilisés par la musique populaire mais aussi par les compositeurs comme Vivaldi, Telemann, Graupner, Haendel, RameauCes musiciens et bien d’autres après vont utiliser la clarinette qui apparaît dans les orchestres dès 1710. Les chalumeaux ont continués à coexister avec ce nouvel instrument qu’était la clarinette puis vont disparaître, au fur et à mesure du perfectionnement de la clarinette.
 chalumeaux aux tonalités différentes copies de chalumeaux anciens du facteur et clarinettiste
Gilles Thomé
qui joue dans des orchestres baroques
Comme les mêmes facteurs fabriquaient les chalumeaux et les clarinettes, il a été logique qu’ils créent des clarinettes de longueurs et de tonalités différentes notamment la clarinette en Ut pour jouer avec les autres instruments qui sont souvent de cette tonalité et la petite clarinette en Ré qui fut aussi rapidement réalisée à cause de son timbre aigu et qui remplaçait la trompette en Ré fort utilisée (d’où le nom de clarinette : clarino = petite trompette). Les facteurs de cette époque étaient rares et sont localisés en Allemagne : Denner père et fils, Scherer, Oberlender, Zencker…, Rottenburg en Belgique, Boekhout  aux Pays Bas, Friderich à Prague … puis la facture de clarinette va s’étendre plus tard vers l’Autriche, l’Angleterre et la France.
La clarinette, malgré ses imperfections, va rapidement trouver sa place dans l’orchestre vu son timbre nouveau et particulier, mais aussi comme instrument soliste avec les premiers concertos (Rathgeber en 1728, Paganelli en 1733… ) et les premiers virtuoses qui commencent à sillonner l’Europe. La clarinette va aussi s‘implanter dans la musique de chambre prisée par les aristocrates et les bourgeois (par exemple les trios de Kölbel avant bien sûr Stamitz et l’influence de l’orchestre de Mannheim qui a eu tant d’impact sur le jeune Mozart).
 
L’entrée de la petite clarinette dans le répertoire musical a débuté par des traits en orchestres avant une consécration car entre 1745 et 1755, J.M. Molter écrit 6 concertos pour clarinette en Ré sur le modèle des concertos grosso de Vivaldi et ce sont parmi les premiers concertos pour clarinette, toujours joués actuellement. Mais la clarinette va devenir rapidement aussi un instrument pour les musiques des armées et ceci va entraîner sa diffusion à travers les pays vu les guerres incessantes en Europe.
Avec les démobilisations des clarinettistes survivants, les orchestres villageois vont s’enrichir de ce nouvel instrument.

Quel est le rôle des petites clarinettes dans la musique militaire ?

Son rôle est essentiel. La musique militaire l’utilise abondamment mais il faut revenir à un point d’histoire fondamental.  La guerre de Sept Ans (1756-1763) est une guerre mondiale qui a ravagé l’Europe, l‘Amérique du nord et l’Asie et qui a modifié l’équilibre géopolitique des pays concernés.
La connaître est essentiel pour comprendre l’histoire postérieure du monde mais aussi pour la clarinette ! En effet pour entraîner les armées aux combats incessants et meurtriers, la musique militaire devient incontournable. Il faut savoir que les musiciens des régiments étaient souvent des gagistes, c’est à dire des contractuels qui passaient de régiments en régiments selon la solde et quelque soit le pays ! (il n’était pas rare de trouver des collègues et amis dans les musiques de tel régiment, se trouver plus tard ennemis face à face au combat ! ) De plus le renversement des alliances de cette guerre et la multiplicité des batailles dans de nombreux pays va diffuser la clarinette à travers l’Europe.
 
 
Après la guerre, vu la ruine de tous les pays belligérants, les musiciens et les facteurs d’instruments vont émigrer à la recherche de travail. Or la France, malgré la guerre ruineuse est un grand pays, le centre culturel mondial aux ressources importantes et la France est curieuse de ce nouvel instrument. Ceci va entraîner l’afflux de musiciens, civils et militaires, et de facteurs allemands notamment de clarinettistes. Cet instrument va être copié par les facteurs français puis se généraliser rapidement dans les armées françaises, dans les orchestres villageois, dans les orchestres symphoniques. A la fin du 18ème siècle lors de la révolution française et de l’empire, la France comptera énormément de clarinettistes (Napoléon 1er et les 1000 clarinettistes de son armée !)

 
Collection Jean Luc Matte.


 
Et dans la musique populaire ?
 
Dans certains orchestres populaires (harmonies, bandas … ) la petite clarinette trouve aussi sa place notamment dans la musique bretonne, la musique italienne surtout à Venise.
La facture française va aussi exporter beaucoup en Espagne et en Amérique du sud la petite clarinette Mib qui sera appelée «Requinto» utilisé par les « piteros » dans la musique folklorique et qui privilégie le registre aigu et qui est toujours accompagné d’une caisse claire.
Piteros espagnols.
 
Collection D. Watel.
 
Quelle est la définition des petites clarinettes, les différentes tonalités ?  
 
Dans le Lavignac par exemple, les clarinettes de La à Mib sont des clarinettes "sopranos" et celles de Fa à Lab aigu comme clarinette "piccolos". Au 18ème siècle, les clarinettistes avaient plusieurs clarinettes dans des tonalités différentes et les premières méthodes du milieu du 18ème siècle pour clarinettes font des longs développement sur les utilisations des clarinettes en usage. D’ailleurs au fil du temps certaines tonalités de clarinettes vont disparaître des méthodes et des orchestres (Si, Mi, Sol, Sib aigu et Ut aigu) alors que d’autres vont apparaître (Fa, Si b, Mi b, La b). Le clarinettiste pouvait jouer dans toutes tonalités et les méthodes du 18ème siècle (Blasius, Van der Hagen, Yost, Vanderbrock, Francoeur…etc ) prouvaient qu’en changeant de clarinettes, on pouvait jouer qu’en tonalités faciles soit Ut, Fa et Sol et éviter de transposer, ce rappel historique est surprenant pour l’instrument transpositeur par excellence actuel !

Petites clarinettes (Gauche à droite) : Ré à 12 clés de Kayser à Hambourg, anonyme Mi bémol à 10 clés, Mib à 6 clés de Noblet, Fa à 12 clés anonymes de Markneukirchen.
(Collection J.D. Touroude)
La clarinette en Fa : La petite clarinette en Fa joue à la quarte avec la clarinette en Ut dans les harmonies et musiques militaires (traits aigus et puissants). Au 18ème siècle la clarinette était souvent associée au cor ou basson en duos (le cor étant en Fa, la clarinette était de la même tonalité pour éviter de transposer).
Les clarinettes en Sib aigu et Ut aigu : elles sont très rares.  
La clarinette Lab : elle est plus tardive et on trouve la petite clarinette Lab aigu dans certaines harmonies surtout les bandas en Italie.  Il y a aussi du répertoire dans les musiques militaires anglaises et italiennes. C’est la clarinette la plus aigûe et la plus petite et jouer avec n’est pas aisé vu la grosseur des trous et des clés !  

Pourquoi l’hégémonie de la clarinette en Mib ?

La clarinette Mib : aigüe, brillante, projetant plus le son que sa sœur en Ré est née au début du XIXème siècle et se répandra surtout dans les musiques militaires et les harmonies en Allemagne puis en France.
Clarinette en Ré # (DIS) de Dobner et Felklin à Strasbourg
(Collection R. Pierre)
Quand la clarinette en Sib va remplacer peu à peu la clarinette en Ut, la petite clarinette qui joue à la quarte au dessus va passer logiquement de Fa à Mib pour respecter les concordances entre les clarinettes. Elle sera fabriquée en France ponctuellement mais c’est vers 1830 que les facteurs vont commencer à l’inclure dans leurs productions. A partir de 1850, elle va se généraliser dans les musiques militaires, dans les orchestres symphoniques et les harmonies surtout quand elle aura 13 clés et la possibilité de faire toute la gamme chromatique.  
Registre de la clarinette Mib.
Avec le système Boehm, elle pourra effectuer des traits de virtuosité au même titre que les petites flutes. Dans les orchestres surtout militaires et les harmonies avec les clarinettes Sib et les saxos en sib et Mib, la petite clarinette sera exclusivement en Mib.
 
Quelle est l’utilisation des clarinettes en Ré et Mib dans l’orchestre symphonique et pour quel répertoire. ?
 
Le succès de la clarinette en Ut à 5 clés puis celle en Sib avec une palette sonore plus grande va éclipser la petite clarinette puis la cantonner plus tard dans l’orchestre symphonique à réaliser des traits aigus, voire satirique. La symphonie fantastique de Berlioz en 1830 l’utilisera pour la première fois dans l’orchestre symphonique. Ainsi en 1870, Wagner, avec Tannhäuser puis la chevauchée des Walkyries, réutilisera la clarinette en Ré. D’autres l’utiliseront ponctuellement dans l’orchestre symphonique mais elle tombera en désuétude peu à peu. Ainsi le Sacre du Printemps et Till l'espiègle, les partitions d'origines sont écrites pour clarinette en Ré mais transposées pour clarinette en Mib.
 
Aujourd’hui personne n’écrit plus pour clarinette en Ré. Les grands compositeurs l’utiliseront dans leurs orchestrations. Citons par exemple : Ravel dans le Boléro et Daphnis et Chloé, Mahler dans sa symphonie Titan, Stravinsky dans le sacre du printemps et l’oiseau de feu, Richard Strauss dans Till l’espiègle, Bartok dans le mandarin merveilleux, Britten dans le prince des pagodes, Copland, Janacek, Messiaen, Dallapiccola, Bério et nombre de compositeurs contemporains.
 
On peut écouter des clarinettistes comme Arrignon, Merrer etc… et la Garde Républicaine pour se rendre compte des possibilités et de la beauté de la clarinette Mib. La petite clarinette Mib devient un instrument à part entière avec sa vélocité, son suraigu, sa couleur spécifique pour toute orchestration et remplace peu ou prou les autres petites clarinettes.
 
Quels étaient les grands facteurs de petites clarinettes (allemands, français…) ?
 
Souvent les mêmes facteurs que les clarinettes en Ut et Sib car il n’y a pas de spécificités techniques particulières à réaliser une clarinette en Mib . Elles sont les copies conformes des clarinettes en Ut et Sib mais en plus petites. La composition est la même : bec, barillet, corps du haut, corps central, corps inférieur, pavillon. Les matériaux sont les mêmes : d’abord le buis puis l’ébène pour le bois avant l’ébonite voire le métal. Les clés sont d’abord en laiton puis en maillechort. Les formes des clés sont les mêmes que les autres clarinettes selon les facteurs, les pays et les époques. Les viroles ou bagues sont en corne ou en ivoire puis en laiton et en maillechort comme les autres clarinettes.
 
Comment reconnait-on la tonalité des petites clarinettes : Ré, Ré#, Mib, Fa, Lab ?
 
Un doute existe quand on voit les petites clarinettes et que la tonalité n’est pas marquée.
Sont-elles en Ré, Mib ou Fa ? quels sont les critères d’analyse ?
 
Au milieu de toutes ces clarinettes, une petite clarinette en Mib en métal à double parois.
(Photo de Peter Portner- Historical Museum Basel)

- La longueur est souvent un critère majeur pour catégoriser les clarinettes en Mib, en Ré ou en Fa.
En comparant la vingtaine de petites clarinettes de ma collection, nous pouvons avoir une différence de 5 cm (hors becs) entre 2 petites clarinettes en Mib.
On s‘aperçoit que les longueurs des becs, des barillets, des corps de l’instrument, des pavillons varient. Mais en fait ce critère nécessaire n’est pas suffisant et d’autres composantes doivent être analysées.
- La perce est un deuxième critère fondamental puisque c’est la forme cylindrique de celle ci et son diamètre qui crée le timbre particulier de la clarinette. Le matériau de la clarinette est secondaire. Dans notre collection les perces varient de 10 mm à 13 mm
- La grosseur des trous est un troisième critère. Les gros trous permettent de projeter le son plus fort mais la place des trous et leur grosseur sont essentiels pour la justesse et le diapason. Ils varient de 5,5 mm à 8,5 mm (corps central de clarinette en buis de la même époque). La perce et la grosseur des trous sont plus petits dans les petites clarinettes mais sont en proportion avec la grandeur des différents corps de la clarinette qui sont eux mêmes plus petits que les clarinettes en Ut et Sib.

Ainsi prenons un exemple :

la longueur du barillet qui en moyenne fait 40 mm pour la Mib et 44 mm pour la Ré, fera 50 mm pour la clarinette en Ut et 60 mm voire 63 mm pour la Sib et 65 mm pour la clarinette en La.
 
Clarinette anonyme en Ré et corps de Rê #. (Collection J.D Touroude)
Mais certains facteurs feront des barillets plus allongés d’autres plus courts s’adaptant aux autres corps de l’instrument. Par contre la forme extérieure, plus ou moins bombée du barillet selon les facteurs n’apporte strictement rien, sauf sur le plan esthétique. C’est la combinaison de ces 3 différents éléments (longueur, perce, trous) qui font la justesse et le diapason de la clarinette et nous montre par exemple si elle est en Mib ou en Ré. Le bec et l’anche interviendront surtout pour le son.
Mais faut-il savoir encore pour quel diapason l’instrument a été fabriqué car entre le 415 baroque du 18ème siècle et le diapason à 440 du 20ème siècle, il y a une différence pratiquement d’un demi ton !
Dans notre collection les diapasons varient de 425 à 440.

Pourquoi fabriquer des clarinettes en Ré au milieu du XIXème siècle et pourquoi fabriquer des cl en Ré# (DIS) :

Alors que l’hégémonie de la clarinette Mib s’ implante, certains facteurs continuent à fabriquer des clarinettes en Ré et Ré # . La clarinette en Ré ancienne, très populaire en Allemagne accompagnait souvent le violon au 18èmes siècle et au 19ème et avec l’émigration européenne aux USA cette tendance a continué. Ainsi Les facteurs Martin frères vers 1840 feront des clarinettes en Ré pour l’exportation aux USA souvent utilisés dans les bals villageois. Le diapason s’élevant de plus en plus, la clarinette exclusivement en Allemagne passa de Ré (D) à Ré # (marqué DIS) mais tombèrent rapidement en désuétude car certaines Mib font un son identique (toujours le diapason mouvant)
Le Schrammel quartet de Vienne et sa petite clarinette jouée par Georg Dänzer.
 
Comment passer de la clarinette Sib à la Mib ? Quelles sont les difficultés et les spécificités de jeu.

La clarinette étant plus petite (de 20 cm) la position habituelle des doigts est différente et cause nombre d’accidents et on entend en Mib et non plus en Sib ce qui est gênant. Puis il faut jouer avec le bout des doigts et ne pas avoir les doigts trop gros et changer les doigtés pour l’aigu et le suraigu par rapport aux doigtés appris sur la Sib. En fait il faut vraiment se spécialiser sur la petite clarinette pour bien en jouer.

 

samedi 3 août 2013

Clarinette Mi bémol de Zalud à Térézin : un instrument chargé d'histoire.

Clarinette Zalud à Térézin Mi bémol, 15 clés. (Collection José Daniel Touroude)
 Caractéristiques Spécifiques.
Cette clarinette est  assez banale et typique de la facture allemande après Müller, elle a15 clés, mais c’est surtout son histoire qui présente un intérêt. Collectionner des clarinettes ouvre parfois des portes très différentes….
Historique.
 
Elle est signée sur tous les corps" Zalud à Térézin (Tchéquie)/Thora/Es (Mi bémol)"
 
 
Il s'agit d'un instrument de Franz Wenzel ZALUD dernier membre de la famille disparu vers 1940.
L'atelier de la famille ZALUD a été crée par Wenzel ZALUD (1803-1881) à Neustraschitz en Tchéquie, prés de Prague, au début du 19 iéme siècle. Formé par Franz CZERMARK (1765-1841), il avait trois fils Josef ZALUD qui succéda à son père, mais qui décéda très rapidement, Franz ZALUD (1840-1904) qui créa l'atelier de Theresienstadt (Térézin), et Edouard ZALUD (1848-1911) qui s'installa à Prague. Franz ZALUD, créateur de l'atelier de Térézin avait été formé par Karl STECHER (1820-1904) de Vienne en Autriche, il était spécialiste du cor de basset et faisait également des percussions.

Clarinette Zalud du Musée de Bruxelles. (MIM)
 En 1904 son fils Paul ZALUD (1864-1931) lui succède et modernisa l'entreprise, qui fabriqua et commercialisa tous les instruments de musique. En 1931 c'est Franz Wenzel ZALUD qui prend la suite jusqu'en 1940.....
 
Entrée du camp d'extermination de Térézin
Or quand les nazis occupèrent Terezin, la gestapo de Heydrich transforma le fort de cette ville en un camp de concentration et d’extermination réservé aux artistes et aux juifs mais avec l’objectif aussi de servir la propagande de Goebbels. Ainsi le camp se présentait comme un décor de cinéma, montrant un village accueillant avec des maisons, des magasins et des fêtes et concerts utilisant les artistes enfermés. Les instruments de musique provenaient entre autres du magasin de Zalud. Ces concerts étaient filmés par le service de propagande nazi pour montrer les bonnes conditions de vie des prisonniers.
 
 
La croix rouge internationale, enfin admise une fois , fut mystifiée ! Derrière le décor, et une fois les concerts et films terminés, il y avait les chambres à gaz et les convois pour Auschwitz… 144 000 personnes furent enfermées dont certains français, 19 000 survécurent. La famille Zalud, disparut évidemment pendant cette période.
 
Cette clarinette a été retrouvée enterrée dans une couverture ou capote militaire dans une cave de particulier à Terezin. Qui l’a enterrée et cachée ?  Elle était en mauvais état mais a pu être restaurée, pas pour sa valeur, ni sa spécificité rare mais comme témoignage d’une renaissance possible même pour des objets malmenés par les hommes.


Description et caractéristiques de l'instrument.
 
Fabriqué dans les années 1930, l'instrument est en ébène et composé de 5 parties : bec, barillet, corps supérieur, corps inférieur, pavillon. Il comporte 22 trous dont 15 bouchés par 15 clés en maillechort. Ses dimensions sont :
Longueur avec le bec 45 cm, ce qui est court pour une clarinette Mi bémol.
Diamètre intérieur de la perce 12 mm
Diamètre intérieur du pavillon 42 mm
Poids de l'instrument avec le bec 400 g.
Les clés sont en maillechort, rondes et plates en «chapeau chinois» et sont articulées par des axes (et non des vis à la française) en maillechort à travers des charnières tenues par des boules vissées dans le bois de la clarinette. Les ressorts sont en acier et rivetés sur les clés mais il y a aussi des ressorts à aiguille (inventés par le français Buffet et vite adoptés en Allemagne). Les anneaux sont situés sur le corps du bas (Müller-Sax) et sur le corps du haut. 




Trou sous la clé de G1

Il y a aussi un petit trou sous la clé de G1 (clé de la pour une clarinette sib) bouché par une clé ronde qui prolonge les anneaux pour améliorer la justesse et la résonance (procédé que nous retrouverons souvent dans les clarinettes allemandes notamment chez Oehler).

Rouleaux en bakélite.

Les 4 roulettes en bakélite noir sont imbriquées dans les clés du corps du bas et du haut afin de pouvoir glisser rapidement d'une clé à une autre. Les rouleaux ont été inventés par le clarinettiste français Janssens en 1823 mais ont été utilisés dans la facture allemande, les français avec la clarinette Boehm n'ayant plus besoin de glisser. Les tampons en cuir sont d'origine pour certains , d'autres ont été changés. Le pavillon est cerclé d'une bague en maillechort et renforcent les tenons. Le bec en ébène est d'origine et signé Zalud Terezin avec des stries pour fixer la ficelle à l'allemande. Il est court et les anches doivent être taillées, celles du commerce, standard sont trop longues. 
Corps du bas.

 État et conservation.

L'état est redevenu  correct. Les clés cassées ont été ressoudées. Certains tampons, lièges, ressorts ont été changés. Aucune fente malgré son enterrement (la perce et les cheminées étaient remplies de feutrine verdâtre et de terre calcaire sèche. Elle était sale et oxydée mais rien n’a été abîmé). La clarinette est jouable actuellement  (pour jouer du Klezmer ?  ironie de l’histoire !) mais a encore des problèmes de bouchage car il faudrait remplacer les tampons d’époque par des neufs.
Origine. 

Achetée en 2011 à très bas prix, à un particulier allemand qui l’a trouvée dans la cave chez son grand père et qui voulait s’en débarrasser (histoire trop chargée ?)  et paraissait satisfait que je la restaure (devoir de mémoire ?) …
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"Objets inanimés avez-vous donc une âme ?" Comme l'écrivait Lamartine.