Affichage des articles dont le libellé est Inpi. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Inpi. Afficher tous les articles

mardi 13 mai 2025

Pierre Florentin BARBIER (1828-1909) facteur de flûtes, inventeur et innovateur.

En revenant de la derniére vente de mai à Vichy où une flûte de Florentin Barbier a fait l'objet d'une belle bataille d'enchères entre plusieurs flutistes, j'ai souhaité me documenter sur ce facteur original et créatif ! Et bien je n'ai rien trouvé de bien complet sur le sujet.....Alors comme d'habitude je m'y suis collé.

Biographie :

Pierre Florentin Barbier est né à Paris 11ème le 13 novembre 1828 et a été baptisé à Saint- Sulpice deux jours plus tard.  Son père Pierre François Barbier (1780-1854) né à Sauvillers-Mongival dans la Somme était artisan à Paris et sa mère Marie Victoire Demasy (1798-1852) était belge. Il avait un frère Victor Emile Barbier (1833-1864) né à Paris (10é) le 10 mars 1833 qui sera militaire (fusillier au 62 éme  régiment d'infanterie) qui mourra du typhus le 21 décembre 1863, au Mexique à Pachuca au cours de l'expédition de la France dans ce pays.
Il avait également une soeur Pauline Célina Barbier né le 24 mars 1831 au 7 rue de Sévres à Paris.
Il avait  épousé, à 24 ans le 10 février 1853 à Saint Sulpice Louise Souveraine Sicard âgée de 17 ans. A cette époque il habitait à la Villette et excerçait le métier de clétier. Avait-il suivi une formation de mécanicien ou de bijoutier? Nous ne pouvons le dire.

Etabli de finisseur d'instruments de musique
(Musée de le Couture-Boussey)

Ce couple a eu au moins deux enfants dont Louise Eugénie Barbier née le 1 novembre 1855, qui épousera en 1874 un monteur en bronze parisien. L'épouse de Florentin Barbier exerçait le métier de sage-femme ; elle décéda en 1877 à l'âge de 37 ans.  
Il se re-marria le 2 décembre 1879 à Paris avec Léonie Amélie Gillet (1848-  ). Tous les deux habitaient 19 rue Lepic. Sont témoins à ce mariage : Le fils de Buffet Jeune (1789-1864), Louis Auguste Buffet (1816-1884) facteur d'instruments de musique 18 rue d'Orcel dans le 18éme, (pour en savoir plus cliquez sur le lien suivant)


Ernest Henri Chambille (1858-1922), facteur d'instruments de musique (futur contremaître et propriétaire de Louis Lot et qui à cette époque travaillait dans l'atelier Nonon que dirigeait son père Auguste François Chambille (1827-1881) jusqu'au décés de Jacques NONON en 1877. On peut donc supposé que l'atelier Nonon-Chambille arrétant son activité vers 1877-1878, Ernest Henri Chambille travaillait pour Barbier en attendant de rejoindre l'atelier Louis Lot vers 1882, période de reprise de l'atelier  Lot, par Louis Ernest Debonneetbeau (1836-1891), ami et ancien ouvrier de l'atelier Nonon-Chambille.



Deux autres témoins sont présents : Félix Lenoir 25 ans mécanicien au 79 bd de Grenelle et Henri Varenne 33 ans sous chef de musique au 36éme ligne de Saint Cloud.

Florentin Barbier est décédé le 19 mars 1909 à Paris, 39 rue Saint Honoré ; il avait 80 ans et était rentier.

Sa vie professionnelle :

Annonce publicitaire vers 1900
Au cours des mouvements ouvriers de 1867, il est nommé membre du bureau électoral de la " corporation" des instruments de musique en bois, pour représenter,  avec Rive et Auduard,  les clétiers.
L' exposition de Paris de 1867 range les exposants en différentes classes selon la nature des produits qu'ils fabriquent et prévoit une classe spéciale pour " les travaux manuels qui ont le mieux résisté à la cocurrence  de la machine " et récompense les métiers d'art et les petits artisans qui ont fait preuve "d'intelligence, de dextérité, de goût et d'excellence". Cinq artisants de la facture instrumentale en font partie, dont F. Barbier (ouvrier en flûtes, Chaussée du Maine, Montrouge) qui reçoit une médaille d'honneur pour des flûtes à clés.

Il obtient son premier brevet de 15 ans le 2 novembre 1869 pour " une flûte cylindro-plane, à perce ou colonne d'air unie et pour des dispositions dans le mécanisme des instruments à clés en général".
 " Cette nouvelle flûte comme son nom l'indique a l'avantage d'offrir une perce de colonne  d'air parfaitement homogéne dans toute son étendue, sans saillies et sans cavités aucunes".
Brevet N°87659, Florentin Barbier 100 Chaussée du Maine.

Flûte cylindro plane du National Museum of Américan History






Flûte Barbier vers 1875. Source EBay.

Il déposa et obtint un brevet de 15 ans pour "perfectionnement de la petite flûte Boehm par un nouveau système de clés sous le titre de petite flûte cylindrique F. Barbier". Brevet N°103 109 Pierre Joseph Barbier 100 Chaussée du Maine.

Shéma Brevet 103109. Source Inpi

"Frappé des observations que des flûtistes me faisaient souvent au sujet du peu de sonorité relatif de la petite flûte conique, surtout dans les graves, je résolus d'appliquer à cet instrument l'amélioration que Boehm avait en 1847 apporté à la grande flûte, c'est à dire de remplacer la forme conique du corps de la petite flûte par une forme cylindrique, la tête au contraire ayant la forme d'un cône tracé par une ligne courbe décrite par un segment de parabole".









Piccolo Barbier











Il continue et obtient un nouveau brevet de 15 ans le 18 janvier 1875 pour " Des perfectionnements dans le mécanisme de bouchage des trous de notes des instruments à vent et à clés ". N°106461 Florentin Barbier 100 Chaussée du Maine.
" Dans les instruments à clés pour obtenir certains effets un seul ou plusieurs doigts doit pouvoir ou doivent pouvoir fermer un plus ou moins grand nombre de trous. Il en résulte de grandes difficultés pour obtenir une concordance parfaite de bouchage. Je prends le cas le plus simple comme exemple, celui où par le moyen de la même clé, le même doigt doit boucher à la fois le trou qui correspond à cette clé et un trou correspondant  à une seconde clé plus ou moins éloignée.
Pour que le bouchage des deux trous soit hermétique, il faut nécéssairement une très grande précision dans le montage des pièces, une même élasticité dans les deux tampons, aucune flexion dans les organes. Les difficultés augmentent en quelques sortes en progression géométrique lorsqu'il s'agit de faire concorder le bouchage d'un plus grands nombre de trous.
J'ai eu l'idée d'obvier à cet inconvénient en utilisant l'élasticité des doigts de l'éxecutant comme compensateur immédiat entre les clés, les communications de mouvements et des trous".

Schéma du brevet  N°106461. (INPI)





















Il travaille pour la société Couesnon et Cie de 1885 à 1898 et obtient avec eux deux brevets.

N°233531 du 19 octobre 1893 pour " une flûte perfectionnée avec clès additionnelles de résonnance et d'UT # ".





" l'addition de ces deux clés de résonnance et d'UT # peut être faite à toutes les flûtes du système Boehm proprement dit , c'est à dire à toutes les flûtes coniques en bois et à toutes les petites flûtes en bois et en métal. Elles ne changent en rien  le doigté de la flûte système Boehm.
La clè de résonnance A correspond à la spatule ou touche A1 qui se prend avec le pouce de la main gauche. La clé d' UT # B correspond à la spatule ou touche B1 qui se prend avec l'index de la main droite".

N° 250955 DU 14 octobre 1895 : " Système de flûte et autres instruments à vent à perce carrée".

Brevet source Inpi































" La flûte cylindrique, telle qu'elle a été fabriquée jusqu'à ce jour, n'est pas absolument conforme aux données mathématiques des principes d'accoustique. En effet le corps sonore, c'est à dire le volume d'air du tube cylindtique est plus grand qu'il ne devrait être en raison des cheminées ou bagues sur lesquelles viennent tomber les tampons et que les fabricants ont été jusqu'ici obligés d'employer pour obtenir le bouchage régulier. En outre les cavités formées par chacune de ces bagues sont autant d'arréts sur lesquels l'air vient buter et empécher par cela même l'émission facile du son.
C'est pour remédier à cet inconvénient que nous avons imaginé de fabriquer les flûtes avec une perce carrée".


Détails d'une flûte à perce carrée (Collection particulière)



Florentin Barbier fait partie des grands facteurs de flûtes français de la fin du XIXéme siécle au même titre que Lot, Rive, Bonneville, Lebret, Godfroy. Il laisse de très beaux instruments qui font plaisir aux flûtistes actuels.

Flûte à anneaux pleins et patte de Si b main gauche. DCM 1212




Merci à Michael Lynn ne nous faire entendre les deux belles flûtes Barbier de sa collection.


Flûte Barbier vers 1875. Collection M. Lynn (jouée au dessus)


































Flûte cylindrique Boehm en palissandre de Barbier
Collection M. Lynn












lundi 16 décembre 2019

Brevets, Marques, Dessins et Modèles : comprendre les inscriptions sur les instruments de musique à vent.


Par José-Daniel Touroude et Magali Touroude Pereira (Conseil en Propriété Industrielle, mandataire en brevet  européen, Fondatrice de Touroude et Associates et de Yes My Patent.com

Le collectionneur adore commenter et analyser les estampilles. Parfois il regarde même plus souvent l’estampille que l’instrument ! Nous avons consacré des articles sur certains aspects de cette question dans ce blog depuis la démystification des estampilles jusqu’à la description et l’analyse des inscriptions gravées sur les clarinettes.
Notre objectif est de cerner la multiplicité des inscriptions liées aux brevets aux modèles et aux marques inscrites notamment sur nos clarinettes (mais tous les instruments à vent ont peu ou prou les mêmes mentions).
Tout d’abord il faut bien différencier 3 types de titres de propriété industrielle : le brevet, la marque, le dessin et modèle.
La propriété industrielle concrétisée par un brevet doit respecter les idées et la procédure suivantes :
1. Le brevet protège une invention technique (produit, nouvelle utilisation ou procédé) : exemple : la clarinette Elite où taille, modification de la perce, ergonomie, utilisation du carbone étaient différents des autres clarinettes existantes.


2 Identification claire du ou des inventeurs et du ou des déposants quand ce n’est pas l’inventeur (par exemple déposant Buffet Crampon, inventeur Robert Carrée travaillant pour Buffet Crampon pour la clarinette BC 20).
3. La propriété de l’invention appartient au déposant, pas à l’inventeur. (BC vient de reprendre sa BC 20 en l’améliorant).
Clarinette BC20
4. Recherche d’antériorités prouvant que cette innovation n’est pas déjà divulguée ou protégée par un autre inventeur ailleurs. (Selmer, les japonais, les américains, les allemands…).
5. Reconnaissance par un Office national (INPI en France) de la nouveauté et l’activité inventive de l’invention (qu’il ne s’agit pas en fait d’une petite modification ou adaptation) sur la base de cette recherche d’antériorités.

6. L’intégralité de l’invention doit être décrite dans le brevet, sans omettre d’éléments essentiels pour pouvoir être reproduite même en cas de disparition de l’inventeur. (dessins, plans, coupes, maquettes…)
Schéma du brevet de Buffet Jeune de 1843. (Source INPI) 
7. Propriété de l’invention mais limitée dans le temps (20 ans) d’où un droit exclusif, c’est à dire un monopole d’exploitation avant qu’elle tombe dans le domaine public et la liberté d’exploitation pour tout le monde.
8. Propriété de l’invention limitée dans l’espace : un brevet français ne donne un monopole qu’en France. L’invention peut être exploitée gratuitement et licitement ailleurs. (imitation des clarinettes chinoises !)
9. Sanctions (amendes, destructions des contrefaçons) pour ceux qui ne respectent pas les règles et copient sans autorisation, ni paient de redevances au breveté (associé comme un vol déjà dans la Rome antique) 
Une autre précision conceptuelle pour éviter la confusion est la différence entre brevet, dessins et modèles  et marque :

La marque consacre une identité précise à un fabricant et nul ne peut utiliser le nom déposé. La marque est délivrée pour un temps indéterminé sous réserve d’être renouvelée et utilisée, contrairement au brevet qui dure au maximum 20 ans. Exemple : la marque Buffet Crampon existe depuis l’origine et le logo a peu bougé même s’il n’y a plus de descendant de Buffet dans l’usine ou comme actionnaire depuis longtemps ! 
Le nom du modèle de l’instrument est également déposé sous forme de marque à l’INPI et souvent mentionné afin de se différencier des autres produits de la maison mère. Parfois le modèle est tellement réputé que la maison mère est implicite et n’est même plus mentionné oralement (Saxophones Mark VI ou clarinette Récital, (Selmer) Monopole (Couesnon) parfois seul le modèle est gravé sur l’instrument : Elite (Buffet Crampon) etc…
Le modèle, en tant que dessin à la forme particulière, peut également être déposé à l’INPI et recevoir un titre appelé «dessin et modèle» qui protège spécifiquement sa forme. A ne pas confondre avec le nom du modèle, qui lui est déposé à titre de marque.


Le collectionneur aime préciser ses instruments de différentes époques et de pays variés et bute souvent sur des inscriptions : les poinçons d’argent sur les clés, des mentions gravées sur le bois et tout cela devient vite compliqué car ces notions ont évoluées dans le temps et selon les pays avant d’établir une législation internationale commune et reconnue. Nos instruments retracent ces flous, ces aléas et ces spécificités. 
Rappel historique 

Depuis toujours les innovateurs ont essayé de garder leurs secrets les transmettant qu’à leurs proches (on trouve les premières traces dans la Grèce antique, la culture chinoise sur la poudre ou sur la soie, les corporations jalouses de leur savoirs au moyen âge, Venise et le verre de Murano, Gutenberg et l’imprimerie, les privilèges royaux de Colbert etc… tous ont eu une culture du secret de l’innovation et de la fabrication.  En 1474, Venise protège pendant10 ans l’innovateur, ce qui permet d’attirer nombre d’artisans, inventeurs et créateurs d’entreprises dans leur ville. Ainsi une législation adéquate possède un moyen essentiel d’une politique économique stratégique attractive, ce qui perdure toujours actuellement.
Vue de Venise
Ainsi la royauté en France dès le 16ème siècle pour attirer les créateurs italiens et les autres innovateurs d’Europe va faire une véritable politique de privilèges (qui sont les ancêtres des brevets). La durée de protection était longue, 20 ans, mais devait être utile, bénéfique et être appliquée en France. De plus elle pouvait se transmettre à ses ayants droit et Colbert donnait en plus des exemptions fiscales mais sous conditions : le contrôle royal et étatique, (quitte à faire évoluer la législation selon son bon vouloir) l’organisation des dépôts, de la publicité, des commissions d’expertise par le Bureau du Commerce, et des arrêts royaux discrétionnaires.
Avant le XIXème siècle et la législation sur les brevets, les innovations étaient transmises de maîtres à compagnons dans le secret et ces innovations se diffusaient notamment par le tour de France et les copies des instruments fabriqués par d’autres. Ainsi lors de immigration des tourneurs et facteurs allemands en France, très rapidement les facteurs français ont pu s’accaparer leurs savoir-faire.
Les corporations privées perdirent leur puissance. La révolution de 1789 abrogera les corporations (et leurs blocages routiniers) ainsi que les privilèges royaux (et leurs dérives) tout en gardant la domination étatique qui deviendra républicaine au nom de la liberté d’entreprendre encadrée par l’Etat.
D’autres pays ont choisi une voie plus libérale et moins étatique comme l’Angleterre et les jeunes USA. L’aspect protecteur juridique est important mais le marché est considéré comme également un régulateur efficace et pragmatique qui consacre ou non la pertinence d’une invention. Le souci de faire connaître l’innovation devient donc primordial par la publicité, le marketing, la recherche d’investisseurs et le brevet devient une composante essentielle dans l’entreprise capitaliste. (Portefeuille de brevets à exploiter : actif principal d’une entreprise).
La République française avec son idéologie libérale mesurée consacre la propriété individuelle du citoyen innovateur en fixant des limites (la déclaration des droits de l’homme et du citoyen) afin d’arrêter l’hémorragie des talents et des créateurs vers l’étranger notamment anglo-saxon plus libéral. La propriété intellectuelle en 1791 est calquée sur la propriété foncière, réduit les dates d’exclusivité de l’invention, encourage la création industrielle et cet état d’esprit traduit par des lois sera imité par les pays occupés par le premier empire jusqu’à la législation de 1844. Le foisonnement créatif qu’ont connu tous les instruments à vent dans la première moitié du XIXème siècle est lié à cette liberté de créer, à cette protection législative et à un marché porteur notamment militaire. C’est au XIXème siècle que les mentions fleurissent sur les instruments, avec une surenchère qui peut atteindre parfois le ridicule.
L’imbrication de deux notions intimement liées :

Il existe deux approches très différentes qui se côtoient, s’imbriquent et s’opposent en permanence : le juridique et le commercial : 
1°) le droit qui protège le détenteur du brevet et /ou la marque par une législation (mouvante et variée selon l’époque et le pays) mais qui demande en échange le respect d’une procédure particulière et des contributions financières régulières. Le postulat de base est que le brevet légitime une innovation faite par un inventeur et le protège de l’utilisation de son invention par d’autres, et cette protection devient aussi un monopole pour un temps déterminé qui exclut les autres, sauf si ceux-ci paient à l’inventeur le droit à une licence. Le brevet est délivré pour un temps précis variant selon les époques et les pays entre 5 et 20 ans.
2°) Le commercial est intimement lié à l’innovation où l’important est de conquérir un marché contre des concurrents afin d’attirer des consommateurs qu’il faut fidéliser et satisfaire pour gagner de l’argent, parfois même au prix de mentions suspectes mais qui entraîne une réussite commerciale. Ainsi le brevet, la marque et les différentes mentions associées sont souvent sources de publicité et de notoriété ce qui améliorent les ventes. 
Marque d'un instrument de Simiot et Brelet à Lyon.
Les confusions existent souvent par méconnaissance des concepts, mais aussi par l’utilisation du droit dans le temps et l’espace bien différents dépendant de la politique plus ou moins libérale ou protectrice du moment où sont gravées les inscriptions. Ce qui est complexe c’est souvent que la même innovation germe dans différents esprits en même temps et sans brevet on ne sait pas qui est vraiment l’inventeur à l’origine de l’innovation, qui l’a adaptée aussitôt, qui l’a déposée comme brevet le premier, qui l’a vendue et en a fait une réussite commerciale, qui se pare des plumes du paon etc…  
Partie d'étiquette  sur un piano Pape.

En effet nous connaissons tous les procès à répétition qu’Adolphe Sax, génial créateur de la clarinette basse et des saxophones mais jaloux, exclusif et procédurier, qui ne supportait pas les rivalités. Etant proche de Napoléon III qu’il avait investi de nombreuses responsabilités, Sax a intenté de nombreux procès aux autres facteurs de son époque. 

A contrario, nous savons aussi que certains inventeurs crédules, peu attentifs au droit, n’ont pas su se protéger et profiter de leurs créations. Ainsi le créateur de l’ébonite de nos becs de clarinette (voire de clarinette entière à bas prix) de Charles Goodyear, l’inventeur du caoutchouc vulcanisé qui a enrichi beaucoup de monde alors que lui n’en a guère profité et a fini pauvre et endetté.
Un imbroglio qui entraîne des confusions :    
Autre élément à connaitre pour la compréhension : la procédure peut être longue, coûteuse, parfois complexe si l’innovation n’est guère probante. Ainsi certains ont laissé entendre que cette procédure était en cours pratiquement faite ce qui légitimait et anticipait l’inscription avant même le résultat afin de mieux vendre. Il faut donc comprendre la procédure des brevets, certains jouant sur la confusion des étapes : respect du droit et ambition commerciale étant imbriqués. En effet chaque collectionneur a croisé ces notions inscrites comme : Brevets :
Véritable Brevet accepté par l’autorité, qui a respecté toute la procédure et qui reste appliqué pendant la période de protection, étendu dans un ou plusieurs pays nommés et ayant réglé les diverses taxes . l’inscription est «Patent» ou «Breveté» accepté par un privilège royal : Exemples : instruments anglais  
Marque d'un flageolet Bainbridge.
(Collection J. D. Touroude)

Des mentions de privilèges royaux (exemple : Couronne montrant que le facteur est accrédité officiellement sous des régimes monarchiques.  





























Breveté qui en fait ne désigne pas une innovation technique mais une forme différente (design patent) de l’instrument, d’une clé, d’un accessoire etc…













Brevet ancien qui a été accepté mais qui n’a plus cours par forclusion (temps du brevet écoulé) ou non-paiement des taxes et qui peut donc être exploité par d’autres car dans le domaine public. Certains laissent la mention pour faire croire que le brevet court toujours ! Exemple : le brevet Auguste Buffet concernant les ressorts à aiguilles et les tringles pour les flûtes (et clarinettes système Boehm avec les anneaux mobiles et les clés auriculaires de Klosé) date de 1838 . A. Buffet indique Breveté sur ses instruments avec raison. Mais son brevet et donc son monopole n’a eu qu’une durée de 5 ans (copié après par tous les facteurs). Par cet exemple on voit bien l’atout commercial que Buffet en retire pendant plusieurs décennies avec l’inscription «Breveté» gage d’inventivité, de qualité et de notoriété, les clients n’étant pas au fait de la législation des brevets et de la durée de la protection. C’est cette imbrication entre le droit et l’économie qui va entraîner nombre de confusions.


Brevet en cours de procédure qui nécessite le dépôt, et le paiement annuel des taxes pendant toute la durée d’examen du brevet mais qui est toujours en attente de l’acceptation.
Il y a deux possibilités : 
1) un dossier de dépôt de brevet en attente de délivrance, la procédure étant parfois un peu longue, prenant au minimum 2 ans et demi et parfois plus de 10 ans.  Mais rien n’indique que le brevet va être accepté à la fin de l’examen et entre temps il n’est pas possible d’attaquer pour contrefaçon ! Les produits estampillés «brevet déposé» ou «patent pending» garderont l’estampille même si le brevet est rejeté par la suite…










Exemple : « Patent Pending » (exemple américain:  ligature Bonade : en attente d’un brevet d’une ligature qui possède une petite innovation à l’intérieur voire une forme originale déposé aux USA par un clarinettiste français expatrié). On ne sait pas si le brevet a été accepté ou s’il est toujours en attente ! En attendant c’est ma ligature préférée.

Certains veulent montrer leur créativité faisant évoluer leur instrument : exemples « Innovée par Simiot Brelet ), Brainbridge flageolet double : inventor et patent Braindbrige flageolet :  teacher & inventor et patent





 2) Beaucoup plus suspects certains dossiers sont déposés mais ne seront jamais acceptés par les Offices voire même sont consciemment proposés par l’inventeur en sachant qu’il y aura un refus probable. L’inventeur qui commercialise laisse sous entendre au public que le produit est breveté (donc que le brevet est délivré et lui octroie un monopole d’exploitation ou va l’être un jour mais c’est un mensonge)….Tout le monde peut déposer une demande de brevet bidon : stratégie marketing connue (brevets potentiels déposés sous entendant une recherche développement de pointe). 

« Breveté SGDG » Sans Garantie Du Gouvernement est juridiquement l’ancêtre du brevet moderne mais beaucoup moins qualitatif et protecteur mais qui commercialement a eu un impact important pendant un siècle et demi. Inventé en 1800 par Napoléon Bonaparte et supprimé en 1968 (mais pas en Belgique), il a pour objectif de dégager l’Etat de toute responsabilité quant au fonctionnement ou à la qualité de l’objet. Cette mention indique que l’achat est aux risques et périls de l’acheteur.
Ligature de clarinette Penzel et Mueller.
Actuellement il existe aussi les certificats d’utilité qui sont des brevets réduits en termes de procédure, de coût et de protection. Mais la plupart des instruments de musique, et notamment la clarinette, n’ont plus eu d’innovations importantes et permanentes. En conséquence le marketing sera plus axé dorénavant sur les marques et les modèles. Cette approche commerciale, mais qui possède néanmoins un aspect juridique de protection, peut faire croire à une qualité officialisée et reconnue.

Décrivons quelques inscriptions :

Marque spécifique déposée : Ligature A.P. déposé (il s’agit d’une forme de ligature et mais aussi probablement d’une marque déposées.)



Marque de fabrique déposée : Exemple le dupinophone  de Dupin. 












La Varinette.

Modèle Déposé : noms spécifiques des clarinettes :  Divine, Privilège, Tosca etc…













Des dessins : certains brevets ont des dessins précis de clés déposés et novateurs. 
Brevet Jardé pour Saxophone (Source saxophone).
Des logos.
Marque Jérôme THIBOUVILLE-LAMY
Les noms de clients prestigieux professionnels (adoptée par les conservatoires ,  l’armée… ) voire par des instrumentistes illustres. 
Saxophone Pierret système breveté
avec M. Poimboeuf soliste de la
garde républicaine.
Une lettre (S pour la production collective du centre de Markneukirchen).
Certaines mentions sont fantaisistes, officieuses et n’engagent personne. (Geist voulant dire Colombe esprit saint en allemand d’où une colombe gravée.

Des symboles plus ou moins ésotériques (exemple : l’étoile 5 branches du compagnon) 
des symboles musicaux (lyres, ange trompettiste de la renommée, clé de sol, notes….) photo Bühner et Keller


D’autres mensongères pseudo officielles faisant croire à une officialisation de qualité à des clients non avertis, d’autres proches de la copie et de la contrefaçon.
Toutes ces inscriptions sont censées démontrer leurs authenticité et qualité et montrer leurs spécificités voire leurs différences et sous entendre implicitement beaucoup de choses ! notamment l’inventivité des facteurs . Je conseille de relire mon article antérieur plus général et complémentaire à celui ci sur le foisonnement des estampilles et inscriptions.
Une jurisprudence vient de paraître montrant que notre propos est toujours d’actualité.

En effet le tribunal de grande instance le 5 juillet 2019 réitère de ne pas utiliser à la légère le terme «breveté» ou «  patented" pour une technologie qui ne l’est pas ou pour une simple demande de brevet "L'usage de la mention «breveté» appliquée indifféremment pour désigner un brevet, une demande de brevet ou le résultat d'un savoir-faire constitue un acte de concurrence déloyale, comme couverts par des droits de propriété industrielle alors que ce n'est pas le cas, ce qui entretient une confusion avec d'autres solutions réellement protégées et apparaît de nature à procurer aux défenderesses un avantage concurrentiel".

Mais tout cela est fait pour faire et écouter de la bonne musique.