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vendredi 6 décembre 2024

Histoires de la création des pôles de fabrication d’instruments de musique.

                                                            par José-Daniel Touroude.

Notre objectif est d’essayer de répondre à la question posée aussi bien dans les sciences sociales que par les collectionneurs et les musiciens.

 Pourquoi a-t-on vu la création de pôles importants de fabrication d’instruments de musique émerger à tel endroit, parfois dans des villages et petites villes excentrés, et pas ailleurs ? 



La récente soutenance de thèse à la Sorbonne d’Emanuele Marconi consacrée à la Couture Boussey a permis d’en éclairer et d’en illustrer certains aspects. Nous allons retracer le passage progressif, durant 3 siècles, de l’origine d’un artisanat rural primaire et ponctuel et de son évolution (d’où le concept de proto-industrialisation) pour s’orienter vers les manufactures d’instruments sophistiqués (pré-industrialisation) avec la mobilisation de la population locale puis vers la révolution industrielle (industrialisation).















Mais l’histoire commence toujours par l’interrogation sur les origines et celle-ci n’est pas toujours scientifique ! Les hommes veulent souvent créer des récits distrayants voire merveilleux qui élucident des faits passés, des ressentis plus ou moins réels en les amplifiant, voire en les détournant. Ainsi pour commencer, démystifions les merveilleuses légendes racontées, et même publiées, sur des origines de la spécificité de la facture d’instruments et qui à force d’être répétées arrivent à se figer comme vérités historiques : Mirecourt, Crémone, Markneukirchen, la Couture Boussey, Mittenwald… ont leurs contes parfois assez loin de la vérité mais tellement attirants !

Forêt de buis














Prenons par exemple le pôle de la Couture Boussey et de sa région avec une histoire connue et répétée. La première explication, qui est crédible, part d’un avantage comparatif majeur, à savoir des forêts de buis qui entouraient le village de la Couture Boussey et qui avaient donné son nom au village (Boussey voulant dire buis). Ce bois abondant suscitait naturellement une spécialité traditionnelle et ancienne de tourneurs sur bois qui s’appliqua plus tard pour les instruments à vent. Si au début cela semble plausible voire probable, c’est exagéré vu la croissance lente des buis, il a bien fallu en trouver ailleurs.

Nous avons des exemples analogues avec les bois de Füssen en Allemagne, haut lieu de la facture des luths, ou bien des épicéas et érables autour de Crémone en Italie qui ont permis un essor de la lutherie des instruments à cordes avec les géniaux Amati, Stradivarius, Guarnerius etc… Au début cet avantage comparatif local avait sans doute permis et généré une activité spécifique de fabrication d’instruments de musique en bois dans certains lieux. 

Nous avons aussi souvent un narratif, plus ou moins véridique, dans les apparitions artisanales locales grâce à une personne illustre à l’origine des activités. (Exemple le luthier Caspar Hopf à Graslitz puis à Markt Neukirchen …). Ainsi on enjolive un récit qui se raccroche à des célébrités qui ont eu un impact décisif et à qui on doit rendre hommage (un ancêtre de la communauté)

Photo de Stradivarius à Crémone


On explique aussi l’origine des activités par la proximité d’un fait historique, ou d’une personnalité connue qui ont permis même indirectement, une certaine prospérité et notoriété de la ville.

Ainsi les fêtes au château d’Anet, proche de la Couture Boussey, où Diane de Poitiers aurait eu besoin de flûtes et flageolets pour ses orchestres et ainsi susciter une demande locale pour des tourneurs sur bois. Il n’y a pas de facteurs d’instruments sans musiciens civils et militaires et sans concerts et fêtes qui sont indispensables pour créer une demande. Cette histoire est sans doute une extension d’un fait ponctuel car à part des chansons et poèmes connus célébrant la maitresse du roi Henri II à Anet et à quelques concerts, rien n’indique qu’il y avait un orchestre permanent, ni que cela ait généré un début de facture d’instruments à vent autour du château.  

 

Henry IV à la bataille d'Ivry
"Ralliez-vous à mon panache blanc"

 

Et puis il y a aussi la fameuse bataille d’Ivry d’Henri IV, proche de la Couture Boussey, où les paysans des alentours auraient ramassé des flûtes et fifres des mercenaires allemands et suisses décédés. Habituellement et c’est un fait connu, qu’après une bataille, les armées victorieuses et les populations locales incinéraient les morts et dépouillaient les soldats. Que la facture d’instruments à vent commence par cet évènement est plausible car pour un tourneur sur bois, habitué par exemple à faire des robinets en bois pour les tonneaux de vin, il est possible de reproduire des instruments simples si on a des exemplaires comme modèles, ou tourner des bagues en os ou en corne. Sur ce fait historique, est-ce qu’on n’a pas greffé une explication plus romanesque sur l’origine de la facture à la Couture Boussey et de ses environs ?

Ces exemples nous montrent que tous les pôles ont des histoires qui embellissent et donnent une explication possible et qui répondent à l’interrogation sur les origines.

Après les origines, étudions l’évolution au début modeste mais qui va déboucher sur des pôles qui vont inonder le monde entier de ses instruments. On peut distinguer trois étapes qui parfois se sont enchevêtrées selon la rapidité de cette évolution linéaire.

1ère étape : Quels furent réellement les déclencheurs de cette première étape vers l’activité artisanale instrumentale qui ont permis de passer des champs à un atelier sommaire d’abord ponctuel puis installé ? Cette première matrice d’une facture, était certes élémentaire et sous-traitante, mais elle a généré la première proto-industrialisation. 

D’abord les avantages naturels évidents comme, par exemple, la présence pour l’énergie des moulins à eau ou à vent, les matières premières locales (transformation des terres comme la porcelaine ou la poterie, des minéraux comme le fer créant la métallurgie, des produits agricoles à transformer notamment le lin et la laine engendrant les tissages, des arbres et du bois adéquats pour les instruments de musique etc…) 

Thibouville à Ivry (Coll RP)








Souvent il y avait aussi des traditions artisanales ou un savoir-faire spécifique antérieur (ainsi les luths, violes de gambe, rebecs en Italie notamment à Crémone qui vont évoluer vers le violon), ou les chalumeaux, hautbois, flageolets et flûtes baroques vers des instruments à vent plus sophistiqués. En fait, le progrès technique n’était pas si lent à se diffuser grâce à la mobilité des musiciens et des compositeurs exigeants, des facteurs compagnons mobiles (tour de France) et le brassage des populations dû aux guerres et aux immigrations permanentes.

Fabricant de boites à musique à Mirecourt. (Coll. RP)









L’organisation du travail était flexible, saisonnière selon le tempo des agriculteurs basé sur le rythme de la nature. Les moyens de production et les outils étaient simples et appartenaient aux producteurs. Fiscalement, ils restaient paysans et non pas artisans (avec leurs taxes spécifiques). Les activités artisanales domestiques (de domus = maison) étaient faites avec toute la famille dans la ferme (avec les femmes et les enfants, les ouvriers agricoles et domestiques), et ce travail complémentaire et discontinu pendant les temps libres des travaux agricoles, permettait un appoint de revenus additionnels. Mais l’autonomie, la mobilisation et la motivation dépendaient de chacun. 

Atelier d'un canut à Lyon, lieu d'une multi-activités
Parfois fabrication d'instruments de musique.










La pluriactivité existe encore dans certaines régions (montagne, bord de mer…) où certains ont plusieurs métiers, selon les besoins et les saisons, et l’activité principale ou la plus lucrative sont parfois difficiles à distinguer.

La position avantageuse sur des axes routiers ou des voies navigables, reliant des grandes villes proches et des marchés, permettait de se lier à des marchands - facteurs qui écoulaient la production. Ceci a été démontré pour la plupart des biens (tissage notamment). Le succès venant, les demandes augmentaient et créaient des liens solides entre donneurs d’ordres de la ville et producteurs ruraux sous-traitants. Ainsi Brescia et Crémone en Italie sont proches de Milan, Mittenwald est situé sur la vieille route commerciale entre Venise et Augsbourg, Markt Neukirchhen en Saxe pas trop loin de Dresden sa capitale, la Couture Boussey de Paris etc… Mais le fait qu’une partie d’un village ou d’une petite ville ait pu se mobiliser et se spécialiser pour un type d’activité spécifique, à savoir la facture d’instruments de musique, avec ses leaders entrepreneurs et une main d’œuvre disponible à faible coût, est quand même rare.
Le colporteur (Coll. Musée du Louvre)

L’impulsion pouvait venir aussi de personnalités entreprenantes parfois endogènes (un menuisier, tourneur talentueux et motivé par la musique, qui décidait de se spécialiser sur ces objets, se formant à l’extérieur (apprentissage, tour de France) et qui venait s’installer, créant une dynamique villageoise et des emplois voire une notoriété internationale. (Exemple le luthier Vuillaume à Mirecourt)

Jean Baptiste Vuillaume de Mirecourt.

Parfois ce sont des personnes extérieures (par exemple les immigrés tourneurs - facteurs allemands amenant un savoir- faire (Amlingue, Geist, Keller etc…) ou d’autres provenant d’autres régions de France (l’alsacien Proff qui se fixe à Tours, Kreitszchmann de Markneukirchen qui se fixe à Strasbourg etc... ou les 12 luthiers de Graslitz en Bohème autrichienne émigrant en Saxe qui créent le principal pôle d’instruments de musique du monde à Markt Neukirchen.)

Ces premiers artisans professionnels s’installaient comme facteurs à temps complet, souvent liés entre eux (par exemple les familles entrecroisées de facteurs à Lyon ou à la Couture Boussey) et se différenciaient du monde agricole mais restaient liés au monde rural pour des travaux simples de sous-traitance. C’est cette symbiose entre artisans professionnels (luthiers, facteurs) et la mobilisation d’agriculteurs- artisans ponctuels qui va permettre de créer et développer ces pôles de fabrication.

Certains au départ sous-traitants vont devenir de plus en plus professionnels et ces nombreux artisans spécialisés, qui auparavant ne faisaient qu’une partie de l’instrument et qui donnaient la finition donc l’estampille et la vente (et les profits !) à d’autres, vont s’établir à leur compte réalisant entièrement les instruments avec une diversification des produits de plus en plus qualitatifs qui garantissaient la crédibilité, l’expansion et l’évolution des pôles instrumentaux.

Nous connaitrons ainsi une multitude d’artisans facteurs locaux liés entre eux souvent par mariages (les collectionneurs raffolent de ces estampilles différentes entrecroisées). Ces activités artisanales de qualité vont créer de la richesse et les conditions pour une évolution.


2ème étape : De l’atelier artisanal à la manufacture : une pré-industrialisation



Cette évolution s’est intensifiée et a été possible grâce à une demande civile et militaire qui évoluait quantitativement (par exemple avec l’expansion des clarinettes) et qualitativement (nombre de clés…). Certains facteurs et marchands des grandes villes intervenaient pour accélérer la production des parties basiques des instruments, grâce à un financement (par des avances et des crédits), par l’achat de matériels (forges plus modernes, tours à bois…) et d’outils (célèbres pour les métiers à tisser dans d’autres régions), fournissant des machines de plus en plus efficaces, mais aussi des matières premières (des produits importés comme des soieries et cotonnades, ou de l’ébène et laiton. (Ainsi pour les clétiers, on leur apportait des plaques de laiton pour les clarinettes ou d’argent pour les flûtes et les modèles à reproduire pour fabriquer les clefs) pour faire à façon, avec un paiement à la pièce du travail fini après un contrôle qualité.



Cette collaboration se formalise de plus en plus avec des contrats précis (cahiers de charges sur la production) et les luthiers et facteurs se réservaient certaines tâches techniques spécialisées complexes (finisseurs et régleurs, essayeurs des instruments par des musiciens confirmés) pour satisfaire la qualité demandée.

Cette activité a permis une véritable transformation de la vie locale. Les habitants commencèrent à traquer le temps libre pour travailler plus, pour épargner afin d’améliorer leurs conditions de vie, pour pouvoir se marier et élever leurs enfants correctement (ascenseur social) et surtout pour consommer (il y avait beaucoup de nouveaux produits importés (tabac, thé, sucre, café créant des besoins addictifs dans les campagnes, des dépenses aussi afin d’améliorer son statut social avec des vêtements plus pratiques ou pour affirmer son identité, un confort domestique amélioré avec de nombreux objets etc…). En effet il fallait se distinguer des autres, se positionner dans le village pour se différencier du prolétariat rural et des domestiques mais pour avoir tout cela, il fallait avoir soit des activités lucratives artisanales et/ou commerciales, soit une belle exploitation agricole soit d’autres métiers lucratifs…

Usine Couesnon en 1891. (Coll. RP)


Bien sûr les caractéristiques de la 1ère étape antérieure de la proto-industrialisation vont encore parfois subsister (organisation rurale afin de générer des revenus complémentaires et d’utiliser les temps morts des saisons non agricoles à domicile avec paiement à la pièce) mais cela va vite évoluer et se complexifier.

La proto-industrialisation était très flexible, suivant les marchés, donnant du travail et des revenus ou non aux sous-traitants qui faisaient l’essentiel du travail selon les commandes, les paiements étant fixés à la pièce. Grace à cette flexibilité, les artisans et leurs sous-traitants constituaient les amortisseurs de ce système et subissaient les aléas de la conjoncture à savoir pics d’expansion et de commandes et crises cycliques (par exemple dues aux guerres en Europe)

Avec le succès et la demande accrue, l’extension des activités artisanales diversifiées à la communauté villageoise était logique et a mobilisé une partie de plus en plus grandissante de la population sur ces activités. Cela demandait une organisation et une division du travail qui allait s’opérer en fonction des aptitudes et formations des ouvriers spécialisés. Les lieux de fabrication éclatés des sous-traitants artisanaux sont d’abord regroupés dans le même village puis dans un même lieu à savoir la manufacture (de manu = main montrant la part importante encore du travail manuel). 

Usine Julliot à La Couture-Boussey. (Source RP)








Car fabriquer un instrument devient de plus en plus complexe et demande des savoir-faire différents (par exemple la fabrication d’une clarinette à 13 clés puis la clarinette moderne système Boehm en ébène faite en série n’a plus rien à voir avec la fabrication artisanale d’une clarinette en buis à 5 clés).

Cette organisation du travail, avec des outillages, des machines et des matériaux différents, engendrait plus d’efficacité et devenait moins aléatoire car elle intégrait peu à peu des sous-traitants mieux formés, plus spécialisés et professionnels grâce à l’amélioration générale des savoir-faire par la pratique et les apprentissages.

D’autres moins formés seront cantonnés à des tâches plus simples et resteront ouvriers, tâcherons, sous-traitants pour les facteurs. 




Mais les bénéficiaires de ces activités étaient surtout les facteurs finisseurs qui connaissaient l’emplacement des trous et des clés, connaissant l’acoustique, et bien sûr aussi où se situaient les débouchés, les clients et devenaient ainsi plus ou moins marchands ou facteurs reconnus avec pignons sur rue. Ces bénéfices allaient permettre soit de vivre mieux comme un bourgeois pour certains facteurs, soit se diversifier dans d’autres branches (certains facteurs abandonnant la facture pour d’autres activités), soit de générer du capital et des investissements plus importants et réaliser une évolution du modèle artisanal vers la manufacture pré-industrielle.

Exemple : la manufacture d'Adolphe Sax. (Source RP)

En fait, ils constituaient souvent un groupe plus riche et dominant économiquement, socialement et même politiquement (notables, créateurs d’emplois, apprentissage des jeunes vers un avenir artisanal puis industriel limitant l’exode rural, en liaisons commerciales avec les grandes villes et les marchands puis surtout l’export…).

Ainsi les facteurs d’instruments à vent de la Couture Boussey étaient liés souvent à un magasin de vente à Paris (estampilles de presque tous mettant A Paris, d’autres Wien (Vienne), Dresden, Prague…). Certains facteurs locaux ont aussi fait connaitre leur ville avec une notoriété internationale de leur lieu de production (Mirecourt, Crémone, Markneukirchen, Graslitz, la Couture Boussey…)  

 

Atelier Couesnon à Garenne en 1890. (Source RP)










Ces activités allaient avoir des répercussions importantes dans les sociétés rurales, car l’autarcie reculait et ces activités non agricoles permettaient de se procurer plus de ressources et de consommation. Ceci va favoriser la croissance démographique et paradoxalement freiner l’exode rural car il y avait des emplois sur place. Certains pouvaient s’enrichir un peu et élaborer une accumulation primitive de capital qui allait engendrer des investissements et la création d’ateliers plus conséquents voire à terme des manufactures.

Certains marchands et facteurs plus riches s’installèrent dans la région au plus près de leurs sous-traitants et investirent pour devenir chef d’entreprise. Le rôle des marchands était crucial créant au départ un troc avec des produits, organisant des prêts et l’endettement de certains pour les inciter à consommer plus afin qu’ils produisent plus encore…

Le salariat au départ modeste va se développer. La manufacture était donc un mode mixte de production à mi-chemin entre la proto-industrialisation de la période précédente et la production industrielle à grande échelle de la 3ème étape du XX° siècle.

Atelier Buffet-Crampon en 1890. (Source RP)





3ème étape : De la manufacture à l’usine : l’industrialisation

Lors de la première étape, nous avons vu que les paysans contrôlaient leur travail ponctuel artisanal avec leurs outils, les facteurs-marchands commandaient des parties d’instruments, parfois fournissaient des matières premières et achetaient la production, ce qui constituait un appoint de revenus mais les paysans -producteurs restaient maitres de leur organisation et de leur temps productif artisanal.

Puis dans une deuxième étape, les facteurs-marchands demandaient d’accélérer et de fournir plus de production. Pour cela, ils vont intensifier des prêts, faire acheter des moyens de production plus performants, procurer des matières premières, fournir des investissements importants. Ainsi ils organisaient et contrôlaient mieux la spécialisation du travail. Les ateliers s’agrandirent et on regroupait différents métiers dans un même endroit. Le chef d’entreprise fixait alors l’organisation et le temps de travail.

Nous arrivons aussi à la 3ème étape plus capitaliste où certains vont regrouper des ouvriers spécialisés en quelques tâches, des sous- traitants et artisans déclassés dans un même lieu de travail appelé usine, en divisant le travail en tâches plus simples et répétitives, en fixant le temps de travail, augmentant les cadences et subissant une hiérarchie avec un salaire.

La facture artisanale devenait industrielle, avec des outils et des machines plus modernes et performantes, une formation et un savoir-faire plus spécialisé à certaines parties de l’instrument… Le taylorisme envahissait tous les secteurs de la production de masse industrielle (des automobiles Ford à la cuisine élaborée d’Escoffier dans les palaces…) Ceci entrainait une plus grande efficacité, une économie d’échelle et une production plus régulière et normative dans les instruments permettant d’améliorer la qualité, la rapidité d’honorer certains marchés notamment l’export en pleine expansion mais constituait un prolétariat ouvrier détaché du monde agricole et domestique de la proto-industrialisation et même de l’artisanat de la période précédente. Ces usines se mécanisaient de plus en plus et captaient la valeur produite (la plus-value) ce qui permettait des investissements pour une production de masse demandées pour les harmonies civiles et militaires et l’export.



Puis la facture instrumentale va connaitre, après sa période d’évolution et d’expansion, une série de crises liées à la conjoncture (la guerre civile de sécession aux USA) puis un déclin voire pour certains un arrêt pratiquement complet. La première guerre mondiale et ses millions de morts, puis la crise économique des années trente, les conflits sociaux. Ainsi les exportations massives à l’étranger (par exemples un pic de 80% de sa production pour la Couture Boussey notamment aux USA, le même phénomène à Markneukirchen) vont se tarir, d’autant plus qu’il y avait de nouveaux concurrents d’autres pays produisant aussi... (exemple la facture américaine)

Pour contrer la baisse des profits et la concurrence industrielle, comme dans les autres secteurs d’activités, une des solutions avec l’augmentation de la productivité est la concentration d’entreprises par des fusions-acquisitions. Ainsi la plupart des manufactures ayant eu leur période de gloire se sont fait racheter pour s’intégrer à des groupes productifs plus performants. Seuls les collectionneurs connaissent leurs aventures, les successions, les fusions etc….

Avec la 2ème guerre mondiale et la difficile reconstruction, quelques entreprises vont surnager et profiter du boom vers l’exportation des trente glorieuses et le marché mondialisé, certains vont continuer (exemple : Leblanc à la Couture Boussey …) avant de disparaitre à leur tour. Nous connaitrons le même phénomène dans les autres pôles étrangers.

Mais à Mantes, deux groupes financiers français d’importance (Selmer et Buffet Crampon) vont peu à peu se diversifier en rachetant d’autres entreprises en France et à l’étranger et prendre la quasi-totalité des marchés intérieurs des harmonies civiles et militaires, les orchestres prestigieux, les conservatoires et se positionner comme leaders d’un marché mondialisé pour les instruments à vent.

Beaucoup d’anciens pôles de fabrication autrefois renommés et fondamentaux n’ont pas pu suivre les évolutions modernes. Pourtant il existe encore des entreprises qui s’accrochent avec des niches comme les fameux hautbois de Marigaux à la Couture Boussey ou certains luthiers toujours en activité par exemple à Markneukirchen…

Mais ces anciens pôles de production appartiennent au passé et rappellent leurs apogées et les péripéties de leurs histoires dans des musées (exemples : les Musées de Markneukirchen, de la Couture Boussey, de Mirecourt etc…), pour que le patrimoine soit montré avec des instruments témoins, et devenir un lieu privilégié et nostalgique pour les musiciens, mélomanes et collectionneurs curieux du patrimoine. 



dimanche 15 janvier 2017

Hyppolite COLLIN père et fils luthiers et marchands d'instruments de musique à Paris. Hyppolite COLLIN father and son stringed-instrument makers and traders of musical instruments in Paris.

Lorsque nous avons réalisé notre article sur la famille Darche, nous avons évoqué également le luthier parisien Hyppolite Collin, mais tout était confus et nous n'avions pas résolu les problèmes de filiation entre les deux familles. Lors d'une rencontre au musée de la musique nous en avions parlé avec Thierry Maniguet, conservateur au musée qui a eu la gentillesse de nous transmettre le travail qu'il avait réalisé pour illustrer les dossiers du musée concernant ce luthier. Qu'il en soit ici remercié. 

Étiquette d'une guitare.

Claude Hyppolite Collin est né le 13 août 1766 à Suippes, petite commune de la Marne située entre Reims et Chalons en Champagne. Son père était teinturier dans cette ville ; il a été formé à la lutherie comme la plupart des luthiers à Mirecourt dans l'atelier de Charles François Vuillaume (1751-1810) grand père du grand luthier Jean Baptiste Vuillaume (1798-1875). Présent à Paris dès 1791, date à laquelle il épouse Jeanne Françoise Marchal (1772-1801), il est spécialisé dans la fabrication de guitare.
Cliquez sur l'image pour agrandir et voir la généalogie de la famille Collin.
Il a du joué un rôle actif pendant la révolution car en avril 1795 il était "agent comptable de l'atelier d'armes" au 59 rue du Chantre et dénoncé comme terroriste en mai 1795. Défendu par l'agent du comité des poudres et armes, il est arrêté et incarcéré le 24 mai 1795. Il sera libéré un mois plus tard le 28 juin 1795 et "réarmé" le 27 septembre 1795.
D'après "Répertoire du personnel sectionnaire parisien en l'an II".
Albert Soboul et Raymonde Monnier.
En octobre 1795 le directoire s'installe : la révolution est terminée. Il est temps pour notre luthier révolutionnaire de passer à autre chose. Le 26 mai 1797 né son fils Jean Baptiste Hyppolite Collin (qui s'installera comme luthier et dont la belle fille épousera Jean Nicolas Darche et qui nous a donné quelques soucis dans notre premier article....Il faut suivre), puis ce sera au tour d'Eulalie Nicole Aimée Collin née le 25 juillet 1799. Il y aura une deuxième fille : Jeanne Nicole Collin dont je n'ai pas trouvé la date de naissance mais qui sera présente en 1831 lors de l'inventaire de la demeure de son grand père. Elle restera célibataire......Pour en terminer avec cette première partie de généalogie familiale, sachez que Jeanne Marchal, première épouse de Claude Hyppolite est décédée à 28 ans le 2 avril 1801 à Paris.
Guitare de Claude Hyppolite Collin vers 1820 . (Siccas Guitare)
Claude Hyppolite Collin était installé dès 1799 rue des Fossés Montmartre comme luthier et fabricait principalement des guitares. Comme nous l'explique Daniel Sinier et Françoise Ridder dans leur ouvrage référence sur la guitare les instruments de Claude Hyppolite Collin son d'une facture très soignée et d'une grande qualité.
Étiquette d'une guitare réalisée vers 1795 et modifiée en 1811
de Claude Hyppolite Collin. (Collection Sinier de Ridder)
Guitare de 1811.
Tête de la guitare de 1811.
Guitare attribuée à Collin vers 1790 et ayant appartenue à
Alexandre Pollet (1748-1824) guitariste compositeur.
(Ventes Vichy 12 2016)
Détail de la guitare de Collin vers 1790.
Claude Hyppolite Collin veuf, se remarie à Apremont le 18 novembre 1806 avec Catherine Cléret (1783-1837) ; ils auront ensemble trois enfants : Mathias Eugéne (1808-1888), Caroline Sophie née vers 1806 et Bathilde née en 1812. A partir de 1810 il apparaît sur le Bottin comme "Marchand luthier", c'est sans doute vers cette période qu'il va se diversifier.
En 1822 il se déclare facteur d'instruments à vent, luthier et marchand en tout genre......

A partir de l'inventaire de décès de Claude Hyppolite Collin réalisé le 11 juillet 1831 par maître Charles Godot (Archives nationale de France) nous allons essayer de voir comment il vivait. Tout d'abord il a toujours exercé son métier à la même adresse "N°7 rue des Fossés Montmartre, près la place des Victoires" (aujourd'hui rue d'Aboukir dans le 2ème arrondissement de Paris).
Rue d'Aboukir vers 1900.

Il habitait avec sa seconde femme et les trois enfants de son second mariage un appartement de quatre pièces (plus une pièce au quatrième étage sans doute pour une domestique) à l'entresol derrière la boutique d'instruments de musique: "Cuisine avec fenêtre sur rue, une salle à manger avec fenêtre sur rue, chambre à coucher des parents avec fenêtre sur rue, chambre des "demoiselles" avec fenêtre sur cour, chambre à coucher de "Mr Collin fils" avec fenêtre sur cour. L'inventaire de l'appartement montre qu'ils vivaient aisément. Mais le plus intéressant de cet inventaire est celui réalisé dans le magasin par Jean François Alric (1765-1843), luthier à Paris au N°71 rue de Seine et Antoine François Désiré Paridaens, fabricant d'instruments en cuivre, passage Brady N°45. 
Le magasin était situé au rez de chaussée éclairé sur la rue par une porte en châssis vitrée. Il y avait un grand comptoir avec des tiroirs, une grande banquette couverte de basane verte, une grande glace, deux châssis vitrés, un rayon en bois garni de trente trois tiroirs avec un dessous vitré avec rayonnages, des rayons et un grand poêle de fayence.
Cliquez sur le tableau pour l'agrandir.
Inventaire aprés décés de Claude Hyppolite Collin en 1831.

Ophicléide portant la marque d'Hyppolite Claude Collin.
(Musée Grasset de Varzy)

Cliquez sur la photo pour agrandir cette page sur la suite de l'inventaire.
On pouvait lire dans le Bottin en 1825 : "Hyp. Collin, magasin en tout genre, fournit spécialement la musique militaire et les négociants pour les colonies, N°7 rue des Fossés Montmartre".
Basson russe portant la marque C. H. Collin
sans doute fabriqué par Coeffet à Gisors.
Musée de la musique de Paris.

La plupart des instruments type serpents, bassons russes vendus par Collin ont été fabriqué par Jean Baptiste Coeffet qui habitait à cette époque Chaumont en Vexin et par Forveille, fabricant de serpents au N°16 rue de la cerisaie, puisque dans l'inventaire on peut voir les comptes qui existaient avec tous les fournisseurs de Collin.
Cliquez sur ce lien pour lire notre article sur Jean Baptiste Coeffet.
Et si vous voulez vous documenter sur le serpent :
Pour les cuivres classiques il est plus difficile de dire qui était fournisseur de Collin, peut être Parideans qui était facteur de cuivres, mais plus connu comme revendeur, peut être Courtois.......où alors faisait-il travailler plusieurs ouvriers externes qui assemblaient les différentes parties des instruments (pavillons, tubulures, pistons fabriqués par d'autres fournisseurs) ? Il y avait dans l'inventaire "un livret écrit contenant les comptes courants de toutes les personnes avec lesquelles Mr Collin faisait des affaires et des ouvriers qu'il faisait travailler". 
Bugle à clès de C.H. Collin.(Musée de Bruxelles)

Cornet à deux pistons de C.H. Collin. (Collection R. Charbit)
Cliquez sur le document d'inventaire pour l'agrandir.
Au niveau des cordes C. H. Collin devait travailler avec les ateliers de Mirecourt car on trouve des comptes dans l'inventaire avec : Husson et Duchéne, "Dépôt de leur fabrique à Mirecourt, violons, basses, archets, guitares, serinettes,orgues à manivelle et à toucher, dépôt de cordes de Naples, instruments à vent et en cuivre, N°15 rue Grenetat", Grobert aîné : " magasin de toute sorte d'instruments, dépôt des articles de Mirecourt, N°166 rue Saint Denis",  N.A. Lété, dépôt de sa fabrique de Mirecourt et d'instruments en tout genre, 
N°37 rue Meslay",  mais aussi avec des luthiers de Mirecourt en direct comme Antoine Henry, mais aussi avec des luthiers parisiens comme Aldric. Il proposait également des orgues sans doute venant de Mirecourt (Lété ou Husson Duchêne), mais aussi de la Maison Alexandre.
1830 dans le Bottin "Collin, magasin en tout genre, composition complète de musique militaire, facteurs d'instruments à vent, flageolet à nouveau procédé, harpes, orgues pour faire danser ". 
Flageolet d’Hippolyte Collin  « à nouveau procédé ». Dayton Miller Collection
Cliquez sur le document pour agrandir.
Clarinette à six clés rondes portant la marque de Collin.
Collection de William Rousselet
Les instruments à vent en bois provenaient de La Couture Boussey et plus particulièrement des ateliers de Godfroy Aîné, Hérouard, Noë Frères, Thibouville, Leroux avant leurs installations à Mirecourt....Buffet Aîné, Buffet Jeune à La Couture. (Tous ces facteurs sont cités comme fournisseurs dans l'inventaire).

Pour mieux connaître la famille Leroux de La Couture et de Mirecourt, cliquez sur ce lien.

Et si vous voulez tout savoir sur la famille Buffet, cliquez sur celui-ci.
Cliquez sur le document pour l'agrandir.
Claude Hyppolite Collin décède le 18 juin 1831 à l'âge de 64 ans. Lors de l'inventaire après décès qui à lieu le 11 juillet 1831, ses six enfants sont là.
Claude Hyppolite Collin, clarinette d'amour en sol à 6 clefs vers 1810
(Us-Ma-Newton Center)

Son fils Jean Baptiste Hyppolite Collin (1797-1879) né de son premier mariage s'était installé comme luthier et marchand d'instruments vers 1827 au N°9 rue de Clery où il exerça indépendamment de son père jusqu'en 1838 ; il avait sans doute profité de la somme de 1000 frs que son père lui avait remis en 1826 pour son renoncement au droit successif de sa mère Françoise Marchal.
Marque de Jean Baptiste Hyppolite Collin le fils.
Jean Baptiste Hyppolite Collin avait épousé en 1826 une veuve Joséphine Marthe Lefort (1799-p1879) épouse de Mayeul Kaindler décédé en 1825. C'est ici que nous avons résolu le "mystère" de la succession de la Maison Collin reprise par Jean Nicolas Darche (1806-1885). En effet on peut lire dans le Bottin en 1838 : "Darche gendre et successeur de Collin, fabricant en tout genre, dépôts de violons, orgues et guitares de Mirecourt, fournisseur des théâtres et concerts, N°7 rue des Fossés Montmartre".
En fait Jean Nicolas Darche à bien épousé la fille d'Hyppolite Collin....Mais pas la fille de Claude Hyppolite (le père) mais la fille de Jean Baptiste Hyppolite Collin (le fils)....Mais en fait Alexandrine Elisa Kaindler (1819-1836) n'étais que la belle fille de J.B. H Collin puisque née du premier mariage de Marthe Lefort. Cette malheureuse décéda à 17 ans (1836 l'année de son mariage) lors de l'accouchement de leur premier enfant qui décéda également. Donc Darche est bien le gendre de Collin (le fils).
Après le décès de Claude Hyppolite Collin (le père) en 1831, la Maison Collin fut reprise par sa veuve Catherine Cleret qui continua d'exploiter ce commerce jusqu'à sa mort en 1837, date à laquelle Nicolas Darche racheta l'affaire et en même temps repris l'activité de son beau père (Collin fils) de la rue de Clery. Darche est bien le successeur d'Hyppolite Collin (le père)......Ouf c'est fini, c'est compliqué les histoires de famille.