Jacques NONON malgré
l’éloignement entre Paris et Metz sera toujours, au cours de sa vie, très
proche de sa famille et en particulier de ses trois neveux.
Première rencontre en 1828 entre Jacques NONON et Jean Louis
TULOU.
Jacques NONON a
été formé au métier de tourneur par son père et/ou par un membre de sa famille
mais ce n'est pas en Moselle qu'il a pu être formé au métier de facteur
d'instruments de musique. A-t-il fait un tour de France comme on le faisait à
cette époque et comme Jean Daniel HOLTZAPFFEL,
facteur natif de Strasbourg, exerçant à Paris nous le
raconte dans ses mémoires ? (5)
Ou est-il "monté" directement à Paris ? Actuellement
on ne sait rien de cette période. C'est en 1828 que l'on entend parler pour la première fois de lui à Paris et de sa
rencontre avec TULOU. Il lui présente une flûte à six clés en argent qui est
conservée au musée de la musique à Paris.
 |
Flûte à 6 clés en argent de Jacques Nonon de 1828. Musée de la musique de Paris |
Cette flûte serait
donc à l'origine du partenariat créé en 1831. Il n'y a pas de doute sur
l'origine de cet instrument, puisque c'est NONON lui-même qui en a fait don au
musée du conservatoire en 1872, en précisant sa qualité. Lors de sa rencontre
avec Tulou, Nonon avait 26 ans et la flûte qu'il lui présente est
caractéristique des flûtes de cette époque, dans sa facture, sa conception, sa
réalisation......Elle pourrait provenir des ateliers de Bellissent, Godfroy,
Triébert....mais elle montre surtout que Jacques NONON maîtrisait la
fabrication de flûtes et qu'il avait sans doute travaillé pour ou chez les
grands facteurs de cette période ; il faudrait la jouer pour en apprécier les
qualités musicales .
 |
| Le nouveau catalogue du Conservatoire. Gustave Chouquet. |
Cette marque
suggère que J. NONON avait un atelier en 1828 et a continué d'exercer seul
jusqu'en 1831. Il ne figure, à notre connaissance sur aucun annuaire de cette
époque et on ne connaît pas son adresse. Aucun autre instrument, portant cette marque n'est connu.
L’anecdote du
rossignol adoptée par Tulou dans sa marque, en 1831 est bien connue. Notre
flûtiste avait remporté un énorme succès de prestige lors de la première, du « Rossignol », opéra de Lebrun
en 1816. Son interprétation du solo de flûte avait fait l’unanimité du tout
Paris et avait confirmé sa prééminence sur tous les autres flûtistes de cette
époque.
Quand TULOU a-t-il
commencé la fabrication de flûtes et pourquoi ?
"Comment
J.L. TULOU, virtuose célèbre, s'improvisa-t-il facteur ? On ne sait, mais ce
n'est pas à coup sûr, pour combattre la flûte Boehm, puisqu'elle ne parut
qu'après 1832 et que nous le trouvons fabricant dès 1818....." (Constant PIERRE :
Les facteurs d'instruments de musique). Affirmation discutable de Constant Pierre surtout
pour les débuts de J.L. Tulou comme "facteur" dès 1818, cela est peu
probable. Bien sûr il a du "collaborer" avec BELLISSENT pour l'amélioration de
ses flûtes, puisque ce dernier dès 1820 annonçait dans l'annuaire Bottin
: "Bellissent, facteur de flûte de l'école royale de musique et de
Mr TULOU première flûte de l'opéra"....et en 1830 ils étaient
trois facteurs à s'annoncer comme "LE
fournisseur" de TULOU dans le même annuaire. "BELLISSENT, flûtes, fournisseur de Tulou
et de l'académie royale de musique". " GODFROY aîné
(Clair), fabricant de
flûtes, clarinettes, flageolets, facteur de l'académie royale de musique, de
l'école royale et des principaux professeurs de la
capitale....." " GODFROY jeune, facteur en tout genre,
connu particulièrement pour la flûte, fournisseur de M. TULOU et autres artistes
distingués....."
 |
| Marques de Christophe
Delusse (a1781-p1789), |
 |
| Vinnen Cadet
(c.1820-1837), |
Un article
intéressant, paru dans « La France Musicale » le 18 novembre 1855,
donne une explication sur cette création d'atelier en 1831: " WUNDERLICH, maître
de Tulou et de tous les flûtistes célèbres en France dans la première
moitié de notre siècle, fut le premier à se servir chez nous de la flûte à plus
d'une clef. Le premier nom français qu'il y ait à citer dans cette industrie
est celui de DELUSSE,
fabricant établi à Paris à l'époque de la première révolution. Ses instruments
étaient appréciés ; ils avaient autant de justesse qu'il était possible de leur
en donner à cette époque, et possédaient surtout une belle qualité de
son.....Au fabricant Delusse succédèrent les frères WINNEN, (Père
et Fils selon Langwill) également établis à Paris. Le premier se
servait d'une perce très large qui donnait de la puissance aux notes graves,
mais qui empêchait les notes élevées de sortir avec facilité ; le second avait
fait l'acquisition des perces de Delusse, et obtenait quelquefois, grâce à
cette circonstance, d'assez bons résultats. Ce fut chez lui que Tulou acheta la
flûte avec laquelle il fit sa réputation de virtuose. Un peu plus tard,
ayant découvert un ouvrier intelligent, nommé GODEFROY, il lui donna
sa flûte pour modèle, essaya ses instruments, et lui prodigua les plus sages
conseils. Tous deux parvinrent à corriger les défauts de justesse qu'on
rencontrait trop souvent sur les flûtes de cette époque. Il suffisait à
Tulou de patronner un facteur pour lui assurer une clientèle. La maison
GODEFROY aîné acquit bientôt une grande vogue ; mais à mesure qu'elle
multipliait ses produits et leur trouvait de nouveaux débouchés, on se montrait
moins disposé à faire des essais. C'est alors que Tulou conçut l'idée de monter
lui-même un atelier. La première flûte qu'il construisit fut trouvée parfaite
de tous points ; chacun voulut en avoir une semblable. Et c'est ainsi que, de
succès en succès, de commandes en commandes, l'éminent artiste devint
fabricant. L'exposition universelle nous fournit naturellement l'occasion
d'apprécier ses travaux, leurs résultats et leur porté".
Cette article publicitaire, écrit à la suite de l’exposition de Paris
en 1855, nous donne des informations intéressantes sur les flûtes jouées par
TULOU, mais essaie, également de faire
de TULOU le conseiller des facteurs qui les a propulsés vers la réussite....Et
NONON ? Oublié ? Mais l'on était en 1855 c’est-à-dire après la rupture entre
les deux partenaires.
 |
| Pierre Godfroy
(1779-1845), |
 |
| Clair Godfroy aîné
(1774-1841), |
Jacques Eléonore
Bellissent (1783-1841).
Le premier document
mentionnant la fabrication de flûtes par TULOU date du 19 mars 1831. C'est un
article de la revue musicale qui commence par analyser les faiblesses de la
flûte : justesse, égalité des sons graves et de l'aiguë..."Il
appartenait à un professeur dont la longue expérience et le talent fini avaient
su apprécier toutes ces imperfections, de faire les recherches nécessaires sur
les moyens propres
à obvier à d'aussi graves inconvénients. M. Tulou a donc entrepris cette tâche
dans l'espoir qu'il pourrait faciliter les progrès des amateurs en leur offrant
des instruments dont ils n'auraient pas à combattre sans cesse les défauts, et
qui, par leur état perfectionné, seconderaient leur habileté dans l'exécution
au lieu d'y mettre obstacle".
"Mr Tulou
a cherché à faire disparaître l'inconvénient des corps de rechange, et surtout
celui de la pompe". A cette époque la plupart des facteurs utilisaient
un barillet comme pompe d'accord qui présentait un inconvénient majeur selon
lui, c'est pour cette raison que toutes les flûtes Tulou n'ont pas de pompe
d'accord.
Il préconise le système des anneaux pour ajustés la tonalité, système
qui aurait été imaginé par NONON, qui placés "aux emboîtures et
allongeaient l'instrument d'un demi ton ou d'un quart de ton, suivant
leur grosseur". (C. PIERRE)
"M. Tulou
s'est aussi attaché à trouver des formes simples et élégantes dans les clés, et
en a surtout diminué le volume, qui donnait à l'instrument de la lourdeur sans
utilité. Ces avantages seront appréciés par les amateurs et les artistes et ne
peuvent manquer d'influer sur les progrès de la flûte. Le nom de Mr Tulou les
recommande suffisamment. Aucun instrument ne sort des ateliers de ce professeur
célèbre sans avoir été essayé et reconnu bon par lui. On peut s'adresser
directement à M. Tulou, à Paris, N°18 rue Bleue".

Tous ces éléments nous permettent de dire que J.L. TULOU a
commencé à fabriquer des flûtes en 1831
au début de sa collaboration avec Jacques NONON, même s’il avait collaboré auparavant
avec d’autres facteurs comme Pierre GODFROY (Jeune) et son frère aîné Clair GODFROY. Il est fréquent d’entendre
que ce même Pierre GODFROY aurait fabriqué des flûtes portant la marque de
Tulou, parce que certaines clés en argent sont poinçonnées avec une marque d’orfèvre
avec des initiales « P.G.». Grace à Peter SPOHR nous avons résolu cette
énigme mais nous en reparlerons lorsque nous évoquerons la flûte perfectionnée
de TULOU.
Alors
pourquoi avoir créé cet atelier ?
Pour
comprendre les motivations de Monsieur Tulou dans la fondation de cet atelier,
il faut lire la thèse de Michelle TELLIER qui cerne parfaitement le caractère
de cet artiste. Pour notre part nous voudrions mettre l'accent sur une des
motivations, à notre sens essentielle : c'est le besoin de s'assurer des
revenus complémentaires. Il faut comprendre qu'après sa disgrâce politique de
1821 quand Joseph GUILLOU (1787-1853) lui
avait été préféré pour le poste de professeur au conservatoire de Paris et
après sa démission de l'opéra de Paris, le "grand" TULOU avait dû
connaître une période délicate dans tous les domaines.
Christophe ROSTANG dans
le n° spécial du Larigot concerné à F.G.A. DAUVERNE, explique bien la nécessité pour ces artistes
musiciens, dont les appointements de l'opéra et du Conservatoire n'étaient pas
suffisants pour leurs assurer un train de vie de grand bourgeois digne de leur
renommée, étaient contraints de trouver des ressources complémentaires. TULOU
avait trouvé dans son association avec NONON une opportunité pour s'assurer des
moyens confortables. Ce n'était pas, bien sur sa seule motivation mais
.....
G. HEQUET flûtiste
écrivant un article nécrologique sur TULOU, mentionne :" .....Il
(Tulou) réussit mieux dans la fabrication des flûtes (que dans la peinture, une
de ses passions), dont il s'occupa longtemps, et à laquelle il a dû
probablement une grande partie de l'aisance dont il a joui...."
A. LAVIGNAC, dans son Encyclopédie
de la musique et dictionnaire du Conservatoire, est encore plus dur et sans
doute très injuste dans son jugement : ....Il (Tulou) garda longtemps
son poste au conservatoire, s'associa entre temps avec NONON pour la
fabrication des flûtes, n'apportant guère à l'association que l'immense
prestige de son nom. Cette exploitation lui laissa de fort beaux
bénéfices...."
Essai
de classement chronologique des flûtes signées TULOU. (Remarque 2)
La marque
« TULOU au rossignol » a été utilisée depuis la création de l’atelier
en 1831 jusque vers les années 1930 par la Maison COUESNON. Aussi peut-on rencontrer une grande variété de
flûtes et de hautbois portant cette marque. Nous allons essayer de définir les éléments qui permettront de classer
chronologiquement les flûtes de la période de l’atelier TULOU-NONON. Vous avez été
nombreux à nous faire parvenir des photos et des renseignements, il reste encore de
nombreux points à étudie notamment sur la perce des
instruments, sur les embouchures….Nous reviendrons donc régulièrement sur cet
article pour faire des mises au point. N’hésitez pas à nous consulter pour nous
donner votre avis sur ce sujet. Nous avons répertorié plus d'une centaine de flûtes
de cette période. Tulou et Nonon ont produit de 1831 à 1850 des flûtes plutôt
à 5 clés ou 6 clés de très belle qualité qui furent régulièrement
récompensées aux expositions de 1834, 1839, 1844, 1849.
Flûtes de la première période (1831-1838).
Il existe quelques flûtes baguées ivoire, parfois en buis sans doute du début de
l’atelier.
.JPG) |
| Tête de flûte Tulou en buis et bague ivoire. (Vente Vichy) |
 |
| Flûte Tulou à 4 clés argent baguée large. (Collection Sigal) |
.JPG) |
| Flûte Tulou en buis à 4 clés. (Collection R. Charbit) |
.JPG) |
| Flûte Tulou à 5 clés à bagues larges et anneaux d'accord. (Vente Vichy) |
.JPG) |
| Flûte Tulou à 5 clés laiton en buis (Vente Vichy) |
Mais elles sont généralement baguées
en métal (argent principalement), avec
des bagues larges, jamais de pompe d'accord
et les clés sont fines, fixées à des tourillons soudés à des plaques vissées
dans le bois. Lorsqu’elles sont en argent, ces clés comportent le poinçon « tête
de lièvre » de petite garantie de Paris (1819-1838) et le poinçon « P
# B » de Paul Nicolas BELORGEY mécanicien: " Belorgey
Aîné, facteur de clefs d'instruments de musique, fabrique tout ce qui a rapport
aux garnitures intérieures et extérieures des instruments ; tire toute espèce
de tubes à l'usage des facteurs, 32 rue du Petit Carreau". (Bottin
1840)(Remarque 3)