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lundi 16 décembre 2019

Brevets, Marques, Dessins et Modèles : comprendre les inscriptions sur les instruments de musique à vent.


Par José-Daniel Touroude et Magali Touroude Pereira (Conseil en Propriété Industrielle, mandataire en brevet  européen, Fondatrice de Touroude et Associates et de Yes My Patent.com

Le collectionneur adore commenter et analyser les estampilles. Parfois il regarde même plus souvent l’estampille que l’instrument ! Nous avons consacré des articles sur certains aspects de cette question dans ce blog depuis la démystification des estampilles jusqu’à la description et l’analyse des inscriptions gravées sur les clarinettes.
Notre objectif est de cerner la multiplicité des inscriptions liées aux brevets aux modèles et aux marques inscrites notamment sur nos clarinettes (mais tous les instruments à vent ont peu ou prou les mêmes mentions).
Tout d’abord il faut bien différencier 3 types de titres de propriété industrielle : le brevet, la marque, le dessin et modèle.
La propriété industrielle concrétisée par un brevet doit respecter les idées et la procédure suivantes :
1. Le brevet protège une invention technique (produit, nouvelle utilisation ou procédé) : exemple : la clarinette Elite où taille, modification de la perce, ergonomie, utilisation du carbone étaient différents des autres clarinettes existantes.


2 Identification claire du ou des inventeurs et du ou des déposants quand ce n’est pas l’inventeur (par exemple déposant Buffet Crampon, inventeur Robert Carrée travaillant pour Buffet Crampon pour la clarinette BC 20).
3. La propriété de l’invention appartient au déposant, pas à l’inventeur. (BC vient de reprendre sa BC 20 en l’améliorant).
Clarinette BC20
4. Recherche d’antériorités prouvant que cette innovation n’est pas déjà divulguée ou protégée par un autre inventeur ailleurs. (Selmer, les japonais, les américains, les allemands…).
5. Reconnaissance par un Office national (INPI en France) de la nouveauté et l’activité inventive de l’invention (qu’il ne s’agit pas en fait d’une petite modification ou adaptation) sur la base de cette recherche d’antériorités.

6. L’intégralité de l’invention doit être décrite dans le brevet, sans omettre d’éléments essentiels pour pouvoir être reproduite même en cas de disparition de l’inventeur. (dessins, plans, coupes, maquettes…)
Schéma du brevet de Buffet Jeune de 1843. (Source INPI) 
7. Propriété de l’invention mais limitée dans le temps (20 ans) d’où un droit exclusif, c’est à dire un monopole d’exploitation avant qu’elle tombe dans le domaine public et la liberté d’exploitation pour tout le monde.
8. Propriété de l’invention limitée dans l’espace : un brevet français ne donne un monopole qu’en France. L’invention peut être exploitée gratuitement et licitement ailleurs. (imitation des clarinettes chinoises !)
9. Sanctions (amendes, destructions des contrefaçons) pour ceux qui ne respectent pas les règles et copient sans autorisation, ni paient de redevances au breveté (associé comme un vol déjà dans la Rome antique) 
Une autre précision conceptuelle pour éviter la confusion est la différence entre brevet, dessins et modèles  et marque :

La marque consacre une identité précise à un fabricant et nul ne peut utiliser le nom déposé. La marque est délivrée pour un temps indéterminé sous réserve d’être renouvelée et utilisée, contrairement au brevet qui dure au maximum 20 ans. Exemple : la marque Buffet Crampon existe depuis l’origine et le logo a peu bougé même s’il n’y a plus de descendant de Buffet dans l’usine ou comme actionnaire depuis longtemps ! 
Le nom du modèle de l’instrument est également déposé sous forme de marque à l’INPI et souvent mentionné afin de se différencier des autres produits de la maison mère. Parfois le modèle est tellement réputé que la maison mère est implicite et n’est même plus mentionné oralement (Saxophones Mark VI ou clarinette Récital, (Selmer) Monopole (Couesnon) parfois seul le modèle est gravé sur l’instrument : Elite (Buffet Crampon) etc…
Le modèle, en tant que dessin à la forme particulière, peut également être déposé à l’INPI et recevoir un titre appelé «dessin et modèle» qui protège spécifiquement sa forme. A ne pas confondre avec le nom du modèle, qui lui est déposé à titre de marque.


Le collectionneur aime préciser ses instruments de différentes époques et de pays variés et bute souvent sur des inscriptions : les poinçons d’argent sur les clés, des mentions gravées sur le bois et tout cela devient vite compliqué car ces notions ont évoluées dans le temps et selon les pays avant d’établir une législation internationale commune et reconnue. Nos instruments retracent ces flous, ces aléas et ces spécificités. 
Rappel historique 

Depuis toujours les innovateurs ont essayé de garder leurs secrets les transmettant qu’à leurs proches (on trouve les premières traces dans la Grèce antique, la culture chinoise sur la poudre ou sur la soie, les corporations jalouses de leur savoirs au moyen âge, Venise et le verre de Murano, Gutenberg et l’imprimerie, les privilèges royaux de Colbert etc… tous ont eu une culture du secret de l’innovation et de la fabrication.  En 1474, Venise protège pendant10 ans l’innovateur, ce qui permet d’attirer nombre d’artisans, inventeurs et créateurs d’entreprises dans leur ville. Ainsi une législation adéquate possède un moyen essentiel d’une politique économique stratégique attractive, ce qui perdure toujours actuellement.
Vue de Venise
Ainsi la royauté en France dès le 16ème siècle pour attirer les créateurs italiens et les autres innovateurs d’Europe va faire une véritable politique de privilèges (qui sont les ancêtres des brevets). La durée de protection était longue, 20 ans, mais devait être utile, bénéfique et être appliquée en France. De plus elle pouvait se transmettre à ses ayants droit et Colbert donnait en plus des exemptions fiscales mais sous conditions : le contrôle royal et étatique, (quitte à faire évoluer la législation selon son bon vouloir) l’organisation des dépôts, de la publicité, des commissions d’expertise par le Bureau du Commerce, et des arrêts royaux discrétionnaires.
Avant le XIXème siècle et la législation sur les brevets, les innovations étaient transmises de maîtres à compagnons dans le secret et ces innovations se diffusaient notamment par le tour de France et les copies des instruments fabriqués par d’autres. Ainsi lors de immigration des tourneurs et facteurs allemands en France, très rapidement les facteurs français ont pu s’accaparer leurs savoir-faire.
Les corporations privées perdirent leur puissance. La révolution de 1789 abrogera les corporations (et leurs blocages routiniers) ainsi que les privilèges royaux (et leurs dérives) tout en gardant la domination étatique qui deviendra républicaine au nom de la liberté d’entreprendre encadrée par l’Etat.
D’autres pays ont choisi une voie plus libérale et moins étatique comme l’Angleterre et les jeunes USA. L’aspect protecteur juridique est important mais le marché est considéré comme également un régulateur efficace et pragmatique qui consacre ou non la pertinence d’une invention. Le souci de faire connaître l’innovation devient donc primordial par la publicité, le marketing, la recherche d’investisseurs et le brevet devient une composante essentielle dans l’entreprise capitaliste. (Portefeuille de brevets à exploiter : actif principal d’une entreprise).
La République française avec son idéologie libérale mesurée consacre la propriété individuelle du citoyen innovateur en fixant des limites (la déclaration des droits de l’homme et du citoyen) afin d’arrêter l’hémorragie des talents et des créateurs vers l’étranger notamment anglo-saxon plus libéral. La propriété intellectuelle en 1791 est calquée sur la propriété foncière, réduit les dates d’exclusivité de l’invention, encourage la création industrielle et cet état d’esprit traduit par des lois sera imité par les pays occupés par le premier empire jusqu’à la législation de 1844. Le foisonnement créatif qu’ont connu tous les instruments à vent dans la première moitié du XIXème siècle est lié à cette liberté de créer, à cette protection législative et à un marché porteur notamment militaire. C’est au XIXème siècle que les mentions fleurissent sur les instruments, avec une surenchère qui peut atteindre parfois le ridicule.
L’imbrication de deux notions intimement liées :

Il existe deux approches très différentes qui se côtoient, s’imbriquent et s’opposent en permanence : le juridique et le commercial : 
1°) le droit qui protège le détenteur du brevet et /ou la marque par une législation (mouvante et variée selon l’époque et le pays) mais qui demande en échange le respect d’une procédure particulière et des contributions financières régulières. Le postulat de base est que le brevet légitime une innovation faite par un inventeur et le protège de l’utilisation de son invention par d’autres, et cette protection devient aussi un monopole pour un temps déterminé qui exclut les autres, sauf si ceux-ci paient à l’inventeur le droit à une licence. Le brevet est délivré pour un temps précis variant selon les époques et les pays entre 5 et 20 ans.
2°) Le commercial est intimement lié à l’innovation où l’important est de conquérir un marché contre des concurrents afin d’attirer des consommateurs qu’il faut fidéliser et satisfaire pour gagner de l’argent, parfois même au prix de mentions suspectes mais qui entraîne une réussite commerciale. Ainsi le brevet, la marque et les différentes mentions associées sont souvent sources de publicité et de notoriété ce qui améliorent les ventes. 
Marque d'un instrument de Simiot et Brelet à Lyon.
Les confusions existent souvent par méconnaissance des concepts, mais aussi par l’utilisation du droit dans le temps et l’espace bien différents dépendant de la politique plus ou moins libérale ou protectrice du moment où sont gravées les inscriptions. Ce qui est complexe c’est souvent que la même innovation germe dans différents esprits en même temps et sans brevet on ne sait pas qui est vraiment l’inventeur à l’origine de l’innovation, qui l’a adaptée aussitôt, qui l’a déposée comme brevet le premier, qui l’a vendue et en a fait une réussite commerciale, qui se pare des plumes du paon etc…  
Partie d'étiquette  sur un piano Pape.

En effet nous connaissons tous les procès à répétition qu’Adolphe Sax, génial créateur de la clarinette basse et des saxophones mais jaloux, exclusif et procédurier, qui ne supportait pas les rivalités. Etant proche de Napoléon III qu’il avait investi de nombreuses responsabilités, Sax a intenté de nombreux procès aux autres facteurs de son époque. 

A contrario, nous savons aussi que certains inventeurs crédules, peu attentifs au droit, n’ont pas su se protéger et profiter de leurs créations. Ainsi le créateur de l’ébonite de nos becs de clarinette (voire de clarinette entière à bas prix) de Charles Goodyear, l’inventeur du caoutchouc vulcanisé qui a enrichi beaucoup de monde alors que lui n’en a guère profité et a fini pauvre et endetté.
Un imbroglio qui entraîne des confusions :    
Autre élément à connaitre pour la compréhension : la procédure peut être longue, coûteuse, parfois complexe si l’innovation n’est guère probante. Ainsi certains ont laissé entendre que cette procédure était en cours pratiquement faite ce qui légitimait et anticipait l’inscription avant même le résultat afin de mieux vendre. Il faut donc comprendre la procédure des brevets, certains jouant sur la confusion des étapes : respect du droit et ambition commerciale étant imbriqués. En effet chaque collectionneur a croisé ces notions inscrites comme : Brevets :
Véritable Brevet accepté par l’autorité, qui a respecté toute la procédure et qui reste appliqué pendant la période de protection, étendu dans un ou plusieurs pays nommés et ayant réglé les diverses taxes . l’inscription est «Patent» ou «Breveté» accepté par un privilège royal : Exemples : instruments anglais  
Marque d'un flageolet Bainbridge.
(Collection J. D. Touroude)

Des mentions de privilèges royaux (exemple : Couronne montrant que le facteur est accrédité officiellement sous des régimes monarchiques.  





























Breveté qui en fait ne désigne pas une innovation technique mais une forme différente (design patent) de l’instrument, d’une clé, d’un accessoire etc…













Brevet ancien qui a été accepté mais qui n’a plus cours par forclusion (temps du brevet écoulé) ou non-paiement des taxes et qui peut donc être exploité par d’autres car dans le domaine public. Certains laissent la mention pour faire croire que le brevet court toujours ! Exemple : le brevet Auguste Buffet concernant les ressorts à aiguilles et les tringles pour les flûtes (et clarinettes système Boehm avec les anneaux mobiles et les clés auriculaires de Klosé) date de 1838 . A. Buffet indique Breveté sur ses instruments avec raison. Mais son brevet et donc son monopole n’a eu qu’une durée de 5 ans (copié après par tous les facteurs). Par cet exemple on voit bien l’atout commercial que Buffet en retire pendant plusieurs décennies avec l’inscription «Breveté» gage d’inventivité, de qualité et de notoriété, les clients n’étant pas au fait de la législation des brevets et de la durée de la protection. C’est cette imbrication entre le droit et l’économie qui va entraîner nombre de confusions.


Brevet en cours de procédure qui nécessite le dépôt, et le paiement annuel des taxes pendant toute la durée d’examen du brevet mais qui est toujours en attente de l’acceptation.
Il y a deux possibilités : 
1) un dossier de dépôt de brevet en attente de délivrance, la procédure étant parfois un peu longue, prenant au minimum 2 ans et demi et parfois plus de 10 ans.  Mais rien n’indique que le brevet va être accepté à la fin de l’examen et entre temps il n’est pas possible d’attaquer pour contrefaçon ! Les produits estampillés «brevet déposé» ou «patent pending» garderont l’estampille même si le brevet est rejeté par la suite…










Exemple : « Patent Pending » (exemple américain:  ligature Bonade : en attente d’un brevet d’une ligature qui possède une petite innovation à l’intérieur voire une forme originale déposé aux USA par un clarinettiste français expatrié). On ne sait pas si le brevet a été accepté ou s’il est toujours en attente ! En attendant c’est ma ligature préférée.

Certains veulent montrer leur créativité faisant évoluer leur instrument : exemples « Innovée par Simiot Brelet ), Brainbridge flageolet double : inventor et patent Braindbrige flageolet :  teacher & inventor et patent





 2) Beaucoup plus suspects certains dossiers sont déposés mais ne seront jamais acceptés par les Offices voire même sont consciemment proposés par l’inventeur en sachant qu’il y aura un refus probable. L’inventeur qui commercialise laisse sous entendre au public que le produit est breveté (donc que le brevet est délivré et lui octroie un monopole d’exploitation ou va l’être un jour mais c’est un mensonge)….Tout le monde peut déposer une demande de brevet bidon : stratégie marketing connue (brevets potentiels déposés sous entendant une recherche développement de pointe). 

« Breveté SGDG » Sans Garantie Du Gouvernement est juridiquement l’ancêtre du brevet moderne mais beaucoup moins qualitatif et protecteur mais qui commercialement a eu un impact important pendant un siècle et demi. Inventé en 1800 par Napoléon Bonaparte et supprimé en 1968 (mais pas en Belgique), il a pour objectif de dégager l’Etat de toute responsabilité quant au fonctionnement ou à la qualité de l’objet. Cette mention indique que l’achat est aux risques et périls de l’acheteur.
Ligature de clarinette Penzel et Mueller.
Actuellement il existe aussi les certificats d’utilité qui sont des brevets réduits en termes de procédure, de coût et de protection. Mais la plupart des instruments de musique, et notamment la clarinette, n’ont plus eu d’innovations importantes et permanentes. En conséquence le marketing sera plus axé dorénavant sur les marques et les modèles. Cette approche commerciale, mais qui possède néanmoins un aspect juridique de protection, peut faire croire à une qualité officialisée et reconnue.

Décrivons quelques inscriptions :

Marque spécifique déposée : Ligature A.P. déposé (il s’agit d’une forme de ligature et mais aussi probablement d’une marque déposées.)



Marque de fabrique déposée : Exemple le dupinophone  de Dupin. 












La Varinette.

Modèle Déposé : noms spécifiques des clarinettes :  Divine, Privilège, Tosca etc…













Des dessins : certains brevets ont des dessins précis de clés déposés et novateurs. 
Brevet Jardé pour Saxophone (Source saxophone).
Des logos.
Marque Jérôme THIBOUVILLE-LAMY
Les noms de clients prestigieux professionnels (adoptée par les conservatoires ,  l’armée… ) voire par des instrumentistes illustres. 
Saxophone Pierret système breveté
avec M. Poimboeuf soliste de la
garde républicaine.
Une lettre (S pour la production collective du centre de Markneukirchen).
Certaines mentions sont fantaisistes, officieuses et n’engagent personne. (Geist voulant dire Colombe esprit saint en allemand d’où une colombe gravée.

Des symboles plus ou moins ésotériques (exemple : l’étoile 5 branches du compagnon) 
des symboles musicaux (lyres, ange trompettiste de la renommée, clé de sol, notes….) photo Bühner et Keller


D’autres mensongères pseudo officielles faisant croire à une officialisation de qualité à des clients non avertis, d’autres proches de la copie et de la contrefaçon.
Toutes ces inscriptions sont censées démontrer leurs authenticité et qualité et montrer leurs spécificités voire leurs différences et sous entendre implicitement beaucoup de choses ! notamment l’inventivité des facteurs . Je conseille de relire mon article antérieur plus général et complémentaire à celui ci sur le foisonnement des estampilles et inscriptions.
Une jurisprudence vient de paraître montrant que notre propos est toujours d’actualité.

En effet le tribunal de grande instance le 5 juillet 2019 réitère de ne pas utiliser à la légère le terme «breveté» ou «  patented" pour une technologie qui ne l’est pas ou pour une simple demande de brevet "L'usage de la mention «breveté» appliquée indifféremment pour désigner un brevet, une demande de brevet ou le résultat d'un savoir-faire constitue un acte de concurrence déloyale, comme couverts par des droits de propriété industrielle alors que ce n'est pas le cas, ce qui entretient une confusion avec d'autres solutions réellement protégées et apparaît de nature à procurer aux défenderesses un avantage concurrentiel".

Mais tout cela est fait pour faire et écouter de la bonne musique.

mercredi 13 septembre 2017

"La famille Kretzschmann de Strasbourg facteurs d'instruments de musique, à vent en cuivre". "The Kretzschmann family from Strasbourg, brass wind music instruments makers".

Karl Gottlob KRETZSCHMANN est né en Allemagne, à Markneukirchen (Saxe) le 19 avril 1777. Il était le fils du facteur Johann Gottfried KRETZSCHMANN de Markneukirchen et d’Eva Rosina GOETZ et appartenait à la célèbre famille du « Vogtland » qui a donné de nombreux facteurs d’instruments de musique. Il est arrivé vers 1809 à Strasbourg, sans doute accompagné d’un neveu, Charles Gottlob KRETZSCHMANN, facteur d’instruments, né à Neukirchen, décédé à 25 ans le14 juin 1813 à Strasbourg. Le père de ce neveu, Adam KRETZSCHMANN, était aussi facteur en Saxe.
Marque de Charles Kretzschmann.
Karl (Charles) Gottlob, qui avait francisé son prénom, épousa vers 1810 Suzanne ANNECKER (1790-1855), fille d’un boucher installé à Wasselonne en Alsace. Ils eurent quatre enfants dont les deux premiers  décédèrent en bas âge : Charles Gottlob (1812-1814) et Caroline (1813-1817).
Signature de Charles Kretzschmann père.
Le second  fils, Charles Auguste KRETZSCHMANN, né à Strasbourg le 16 octobre 1818 prendra la succession de la Maison en 1842 à la mort de son père. Quant à Frédérique Wilhelmine (Guillemette) KRETZSCHMANN, née le 23 décembre 1821 à Strasbourg, célibataire,  elle décédera le 12 septembre 1860 à Scharrachbergheim dans le Bas Rhin. Dès son arrivée à Strasbourg en 1809, Charles Kretzschmann père se déclara fabricant d’instruments à vent et s’établira au N° 5 de la rue Saint Hélène, adresse des Kretzschmann père et fils pendant toute leur activité. La fabrication de l’atelier comportait tous les instruments à vent en cuivre : cornets, trompettes, cors, trombones, ophicléides et utilisait exclusivement le système allemand de barillets rotatifs.
Pavillon d'un cor naturel de Charles KRETZSCHMANN père.
(Collection R. Charbit)
Même si la production de Charles Kretzschmann fût très influencée par la facture allemande, elle restera par sa diversité et sa créativité d’esprit français : les trompettes à clés, circulaires, demi-lune, les buccins, ophicléides  montrent que ce facteur de province était au niveau des meilleurs facteurs parisiens. A l’exception peut-être d’un ou deux facteurs lyonnais, aucun facteur de cuivres de province, ne produisait une telle variété d’instruments en ce début du XIXe siècle.
Petit cor de poste (Vente de Vichy juin 2006) 
 Grand bugle à 7 clés en Fa en forme de demi lune de Charles KRETZSCHMANN
à Strasbourg. (Collection Richard Charbit)
 

Trompette demi-lune (collection B. Kampmann)
Jean FINCK (1807-1858), autre facteur de cuivre installé à Strasbourg, a sans doute été formé dans l’atelier Kretzschmann, puisque il ne quitta pas Strasbourg et se déclarera tourneur de 1807 à 1817, puis seulement à partir de cette date, fabricant d’instruments à vent. Seul Kretzschmann avait la compétence à Strasbourg pour former un élève. La collaboration entre les différents facteurs strasbourgeois ne s’arrêtera pas là, comme le montrent ces deux cors naturels marqués « Bühner et Keller » et « Dobner », visiblement fabriqués par Kretzschmann.
Cor naturel de Bühner et Keller fait par Charles Kretzschmann (collection RP)

Cor naturel marqué Dobner à Strasbourg sans doute fabriqué
 par Kretzschmann (Collection Richard PICK)
A la mort de Charles Gottlob KRETZSCHMANN, le 18 février 1842 à Strasbourg, son fils unique Charles Auguste KRETZSCHMANN, âgé de 23 ans prit logiquement la suite de son père. Il devait avoir été formé très tôt dans l’affaire, puisque que dès 1844 il participa à l’Exposition de Paris, où il présenta des bugles à Cylindres, un bugle basse et un bombardon.
Signature de Charles Auguste Kretzschmann (1818-1888)

Cornet à pistons en ut/mi b (N° 625 de la collection Bruno KAMPMANN)
Il obtiendra le 1 mai 1850 un brevet de 15 ans N° 9850  « Améliorations et changements apportés au mécanisme des cylindres rodiques qui sont applicables à tous les instruments de musique tels que cornets, clairons etc…. » En fait C.A Kretzschmann était un partisan « du système à cylindres rodiques » auquel il trouvait de multiples avantages, dont celui de laisser passer l’air d’une façon plus naturelle et sans obstruction ; en revanche il voulait améliorer son inconvénient majeur, la fragilité et avait conçu un « couvercle manivelle»  qui fonctionnait sans friction. Selon Bruno KAMPMANN « ….l’idée est très proche de la walzenmaschine brevetée par CERVENY postérieurement en 1873. La particularité unique est que les ressorts de rappel sont inclus dans les barillets, et non situés dans un rotor extérieur ». Si vous voulez en savoir plus (et si vous parlez allemand) ce système est détaillé à la page  35 de l’ouvrage de Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».
Trompette en sol à trois barillets et ton de sol, 
appliquant ce brevet, en particulier le couvercle manivelle
(N° 528 de la collection Bruno KAMPMANN)
Il récidivera en 1856 et obtiendra le 23 juin un brevet de 15 ans (N° 28038) pour la fabrication d’un « système de pistons à mouvement horizontal avec pression verticale, applicable à tous les instruments de musique en cuivre ».


















« Clairon chromatique baryton en si utilisant ce nouveau brevet » (Musée de la Musique à Paris) et schéma expliquant ce nouveau système  à pression verticale et mouvement horizontal. Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».

A cette date, il faisait partie de la coalition des facteurs d’instruments qui luttera contre l’hégémonie du grand Adolphe SAX. Nous n’allons pas « répéter » ces procès fastidieux entre la coalition et le « pauvre Adolphe Sax martyr de tous ces cupides facteurs d’instruments », discours convenus et entretenus par des écrivains bien connus, comme Oscar Comettant et le Comte Ad de Pontécoulant, discours repris en cœur dans tous les documents publiés sur Sax, même actuellement ; ouvrages dans lesquels KRETSCHMANN est cité très rarement, sinon pour souligner « sa cupidité » et son « incompétence ».  Pourtant il existe un nombre impressionnant d’ouvrages reprenant l’ensemble des procès opposant Kretzschmann à Sax, disponibles à la Bibliothèque Nationale de France, montrant que le combat fût long, âpre et que l’issue ne fût pas si favorable pour Sax, puisque en appel, Kretzschmann fut condamné non pas pour contrefaçon, mais pour…recel de 4 instruments produits par Kretzschmann comme preuve d’antériorité au brevet Sax de 1845 et pour les avoir introduit en France. 
Le Grand Adolphe Sax.
Les procès entre A. Sax et C.A. Kretzschmann : procès longs et pas particulièrement flatteurs pour le "Grand Sax".


Reprenons les éléments essentiels de ces procès. Ch. A. KRETZSCHMANN fut d’abord cité comme témoin dans le procès qui opposa GAUTROT à SAX, mais son témoignage ne fût pas retenu. Aussi, lorsqu’il fut cité comme témoin dans le procès  qui opposa BESSON à SAX, il produisit trois instruments, fabriqués par son père (3 ophicléides altos à 3 pistons parallèles vendus en 1839 et 1841 dont les propriétaires étaient suisses, et vosgiens) et un quatrième, vendu par Kretzschmann fils en 1843 (ophicléide alto à trois pistons), fabriqué avant le brevet Sax du 13 octobre 1845, qui revendiquait l’invention :
« Des instruments ayant le pavillon en l’air et les pistons parallèles au tube de l’instrument ». 
Sax fait saisir ces quatre instruments, ainsi que les documents prouvant la vente à la date indiquée, pour contrefaçons. Comme il était difficile de contredire les dates, en particulier celles qui concernaient les instruments de Kretzschmann père décédé en 1842, le tribunal décida que les instruments auraient été modifiés après 1845 mais par qui ? Le tribunal n’osa accuser ni Besson, ni Kretzschmann, puisque les instruments étaient arrivés au tribunal dans des conditions particulières. Nous voudrions décrire avec quels soins les propriétaires avaient fait parvenir au tribunal les instruments, propriétaires qui c’étaient même déplacés durant les procès pour témoigner en faveur de Kretzschmann.
Prenons le cas de «  l’ophicléide alto à trois pistons parallèles, fabriqué par feu Mr KRETZSCHMANN père et vendu par lui le 19 octobre 1841 à Mr Louis Hoffmann-Vulliemoz à Lausanne, canton de Vaud (Suisse). Cet instrument a été produit en justice par son propriétaire actuel, Mr François Blanc, huissier à Lausanne, à l’appui de sa déposition du 30 juillet 1858. Pour établir l’origine et la date exacte de cet instrument, Mr KRETZSCHMANN fils avait produit :
·         Les livres de commerce de feu son père.
·         Les lettres relatives à cet instrument de Mr Louis Hoffmann-Vulliemoz.
·         Une déclaration notariée du 26 mai 1858 de MM Louis Hoffmann-Vulliemoz, François Blanc propriétaire de l’instrument, David Thuillard, Philippe Pflüger, Frédéric Allamand, Jacques Lauffen, Jacques Hoffman, Henri Blanc.
Les signataires de cet acte ont déclaré « qu’étant tous membres du corps de musique militaire de Lausanne, dirigé par le lieutenant Hoffman, ils ont vu cet instrument dans leur musique dès l’année 1841. Cet instrument alors nouveau pour eux, fut de leur part l’objet d’un examen particulier et leur a laissé un souvenir parfaitement distinct, notamment par la position des pistons placés tous trois ensemble dans la même direction parallèle au tube du pavillon ». Ledit instrument reconnu cacheté par un notaire ». (5)
Le même traitement étant fait pour les trois autres instruments, il faut croire que Mrs Kretzschmann et Besson bénéficiaient d’un solide réseau de « complices », puisque le 19 juin 1862 ils étaient accusés « non pas d’avoir contrefait les quatre instruments, mais de les avoir introduits en France et recélés, sachant qu’ils étaient contrefaits ». (5)
On comprend mieux, pourquoi Constant PIERRE fut aussi sévère avec A. SAX  dans son ouvrage « Les facteurs d’instruments de musique ».
« A. SAX déposa de nouveau son bilan en 1873, après une période particulièrement brillante, pendant laquelle il avait certainement vendu beaucoup d’instruments, reçu plus de 500 000 frs d’indemnité du procès Gautrot, encaissé nombre de primes des facteurs qui avaient sa licence pour faire des instruments imposés sous son nom dans l’armée. Comment donc s’il n’y eut des dépenses excessives, des remises exagérées, des frais de publicité énormes, des panégyristes largement rémunérés, s’expliquer un tel désastre. Avec le nouveau régime, Ad. SAX ne retrouva pas l’appui que lui avaient prêté les fonctionnaires de l’Empire, la lutte redevint égale et toute pression officielle cessant, les facteurs purent écouler les instruments de leurs systèmes, sans être contraints comme auparavant, de se borner à la confection des types réglementaires imposés et dénommés à l’instigation d’Ad. SAX ». (7)
Quant à Ch. A. KRETZSCHMANN, il se retira des affaires vers 1860 : « Mr KRETZSCHMANN s’est retiré des affaires ; mis en possession par son père d’une fortune relativement considérable, augmentée encore par sa propre industrie et suffisante aux besoins de son existence ». (5)

On remarque également que son brevet de 1856 : « nouveau système à pression verticale et mouvement horizontal » avait pour but de répondre au brevet SAX de 1845, même s’il ne rencontra pas un franc succès.
Il se retira à Scharrachbergheim, petite commune du Bas Rhin de 1000 habitants, située à 21 kms de Strasbourg. C’est là qu’il décédera le 12 octobre 1888 à l’âge de 70 ans, sans descendance. (*)
C’est Achille (François Pascal) GALLICE qui prendra la succession de la Maison KRETZSCHMANN dans les années 1860. Achille GALLICE était né à Briançon le 5 décembre 1832, il était le fils de Pascal GALLICE ébéniste à Lyon. Avant son installation rue des Frères, il devait travailler pour Jean Chrétien ROTH (Successeur de Dobner et de la Maison Bühner et Keller), puisque lors de son mariage le 19 juillet 1856 à Strasbourg avec Pauline SCHATZ, fille d’un brossier de Strasbourg, « J.C. ROTH, 40 ans facteur d’instruments et Jacques ROTH, 33 ans amis de la famille » en furent les témoins.

Achille GALLICE exerça son métier de « facteur d’instruments en bois et en cuivre » de 1867 à 1886 à la même adresse, 14 rue des Frères qui deviendra en 1880 la « Brüderhofgasse ».

Bibliographie :

(1) : Comte Ad de Pontécoulant : Organographie. Essai sur la facture instrumentale. Art, Industrie et commerce. Paris 1861.
(2) : Oscar Comettant : Histoire d’un inventeur au XIX° siècle. Adolphe Sax, ses ouvrages et ses luttes. Paris 1860.
(3) : Malou Haine : Adolphe Sax (1814-1894) Bruxelles.
(4) : Jean Pierre Rorive : Adolphe Sax (1814-1894), Inventeur de génie. Edition Racine.
(5) : Cour de Cassation. Mémoire ampliatif pour Mr Ch. A. Kretzschmann contre M. A. Sax. 1863 chez
Silbermann.
(6) : Cour de Cassation, chambre criminelle : Besson, Kretzschmann contre Sax : BNF 4 FM 16527.
(7) : Constant Pierre. Les facteurs d’instruments de musique. Paris 1893.
·         Larigot : Catalogues de la collection de Bruno Kampmann.
·         Site de Richard Charbit : http://www.orpheemusic.com.
·         Anthony Baines: Brass Instruments. Their History and Development.
·         Waterhouse William: “The New Langwill Index. A dictionary of Musical Wind Instrument Makers and Inventors”.
·         Archives départementales du Bas Rhin à Strasbourg. Etat civil, recensements, annuaires, almanachs.
·         Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».
·         Enrico WELLER « Der Blasintrumentenbau in Vogtland von den Anfängen bis zum Beginn des 20
Jahrhunderts ».
·         Site de Richard Pick : http://www.pick-et-boch.com/

·         Brevets : Archives de l’INPI : 26 bis rue de Saint Petersbourg, Paris 75008.