dimanche 5 mars 2023

Interview de 7 musiciens professionnels intermittents.....

 Interview de 7 musiciens professionnels intermittents

 ayant la passionde la musique, sans être passés par la voie des conservatoires.

par José-Daniel Touroude

 


Tous m’ont dit « La musique c’est notre vie, c’est la vie » 

Tous les hommes écoutent de la musique (à part ceux frappés d’amusie), vivant dans une ambiance musicale permanente (magasins, fêtes, pub, médias, disques…) et tous ont la capacité d’en faire et en ont fait (chansons de sa mère, dès l’école la flûte à bec et le xylophone, rythmes du corps et les danses, hymne national dans le stade ou chant sous la douche…)

L’homme a peur du silence, parce qu’il est un être d’émotions et la musique est un bon support, parce qu'il est aussi un esprit abstrait et la musique peut créer intellectuellement de grandes joies et la musique relie les hommes dans une même culture identitaire.

En Occident, la musique classique a évolué et ne sert plus pour danser ou s’exprimer en groupe mais devient compassé, figé dans un concert où on ne peut plus bouger et participer sans avoir la réprobation des autres. Le concert est un marqueur social, quasi religieux, on s’habille et on écoute la musique sérieusement, conscient de faire partie d’une élite. La boite de jazz c’est l’inverse comme les festivals de musique populaire assez festifs, et de ces deux conceptions de la musique, les musiciens ne seront pas les mêmes souvent. Mais si les hommes ont besoin de musique pour accompagner leurs vies, la majorité sont passifs seulement à l’écoute. Ils ne participent plus et sont devenus des observateurs laissant à d’autres d’être acteurs.

 Ainsi certains sont actifs et pratiquent plus ou moins la musique avec un instrument. On peut classer ces musiciens en 3 catégories : d’abord les professionnels issus des conservatoires nationaux qui jouent dans les orchestres les plus prestigieux surtout du classique, puis ceux qui sont intermittents professionnels qui jouent différentes musiques et cet article leur est consacré et enfin il y a la grande majorité d’amateurs dont c’est le hobby et qui s’expriment pour leur plaisir et le plaisir des autres bénévolement.

Nous avons traité la première catégorie en plusieurs articles " Qu'as tu fait de tes talents "

puis « Analogie entre les musiciens professionnels et les sportifs de haut niveau.  » 

enfin «  Plongée au coeur d'une Académie US » 

Certains musiciens, ayant eu une formation moins élitiste et linéaire, m’ont demandé aussi de raconter leurs parcours. Nous avons donc échangé avec ces musiciens passionnés, souvent aussi doués mais différents, aussi méritants mais souvent avec une autre psychologie. Ils ne sont pas autodidactes, ni passés par le moule des conservatoires régionaux et nationaux pour de multiples raisons mais ils sont devenus quand même des professionnels talentueux dans des musiques souvent différentes que la musique classique.

Les trois thèmes abordés ont été les suivants :

1)    Est-ce que votre milieu social était composé de musiciens/mélomanes ou non et quand s’est produite la découverte de votre passion musicale et vos débuts d’apprentissage ?

2)    Comment s’est déroulé les débuts de votre carrière et votre vie de musicien, professionnel intermittent ou « semi pro » cumulant ou non avec une autre activité ?

3)    Quelles sont les relations avec les musiciens classiques issus des conservatoires régionaux et nationaux et vos réflexions sur la musique et/ou votre vie musicale ?

Et choisissez un morceau de musique qui a du sens pour vous.

Laissons les musiciens s’exprimer franchement :

A : Personne ne jouait, ni n’écoutait de la musique chez moi et il n’y avait même pas de disques, seulement la radio de temps en temps pour des variétés.

Mes premiers contacts avec la musique fut l’harmonie municipale. J’y suis rentré gamin pour le prestige du défilé en uniforme, pour participer à tous les évènements importants de ma ville, pour avoir les applaudissements du public etc… Mais surtout ce qui m’impressionnait, c’était de jouer beaucoup de musiques différentes, souvent de la musique enlevée, de l’opérette, la musique de film, des airs à la mode, jazzy, latino... Et puis l’harmonie c’était un groupe, une ambiance conviviale où nous fêtions Sainte Cécile la patronne de la musique, des repas ensemble, une entraide d’un groupe amical et soudé dans la vie avec des ainés qui transmettaient ce qu’ils savaient bénévolement à des jeunes et qui à chaque fois avaient un plaisir évident de jouer ensemble mais avec discipline (il y avait des anciens militaires !)


Je voulais faire du saxophone mais tous les gamins voulaient en faire, le chef m’ausculta les lèvres et m’indiqua que je n’avais pas les lèvres minces d’un hautboïste, ni les lèvres normales d’un clarinettiste ou d’un saxophoniste mais des lèvres un peu ourlées bonnes pour les baisers ! et le tuba. (En fait après coup, j’ai su qu’ils avaient besoin d’urgence d’un tuba !) Donc j’ai appris le tuba tous les jours avec un vieux musicien qui m’a transmis tout ce qu’il savait et que j’ai vite remplacé et surprise, je me suis passionné pour les basses et rapidement j’étais devenu incontournable à chaque prestation.

Mes parents étaient fiers de me voir à chaque concert, car être musicien amateur pour les milieux ouvriers d’une petite ville était la marque d’une ascension sociale surtout quand l’harmonie se concentra sur les concerts et créa dans son sein, une section fanfare inaugurant et défilant à toutes occasions mais aussi un orchestre de bals où j’étais aussi le bassiste. Rappelons que la fanfare est composée de cuivres et percussions et l’harmonie plus large rajoute les bois à la fanfare.

En effet passionné par les cuivres et les basses, dès le collège, je travaillais 2h par jour plus toutes les prestations. J’aimais bien déchiffrer toutes les partitions des uns et des autres. J’étais un initié sachant lire les notes et qui avait un sens du rythme, une énigme incompréhensible pour ma famille ! Mais ce que je préférais, c’était de faire les relevés des parties de basses aussi bien des morceaux classiques que de toute musique d’ensemble. J’ai appris aussi beaucoup tout seul.

Rapidement avec la pratique intensive au tuba, à 15 ans j’ai gagné mon premier cachet et il fut consacré à l’achat un électrophone avec un disque du grand Chaliapine et un disque de Gerry Mulligan ! J’ai fait des stages chez un bon musicien qui me donnait chaque année un programme à travailler, des partitions de solos, des corrections de mes pratiques parfois originales.

Je devins donc dans mon harmonie le spécialiste des basses à vent et de la section rythmique : tubas, ophicléide, saxhorn, soubassophone (toujours spectaculaire et impressionnant), et même ponctuellement pour rigoler et cela faisait toujours son effet un serpent (j’en avais découvert un aux puces qui jouait plus ou moins juste). J’enchainais rapidement les cachetons d’orchestres de variétés, de jazz, de musiques diverses, maitrisant de plus en plus des instruments demandés dans les orchestres de cuivres, des fanfares, des orchestres divers. J’avais au moins 3 orchestres de styles et d’instruments différents en permanence d’où des problèmes pour assurer ! J’ai tout de suite compris que de choisir une famille d’instruments rares et incontournables était la bonne stratégie et allait me propulser dans la vie de musicien professionnel.

J’étendis ainsi mes instruments pour être un bassiste demandé régionalement et je me suis mis ainsi à la guitare basse pour les orchestres à la mode pop, rock, jazz…   Pour moi la musique c’était les basses, la clé de fa, l’analyse harmonique de la basse etc… un ami acousticien m’a indiqué que j’étais en phase avec les basses fréquences. D’ailleurs j’apprécie surtout le violoncelle, les barytons, le basson et les basses chantées comme instrumentales. Et tout naturellement en jouant sans cesse, j’ai appris mon métier de musicien sur le tas, enchainant des bals, les concerts, les boites de jazz avant de finir péniblement le lycée car je dormais peu. J’étais l’artiste local, je jouais tous les samedi soir pour des bals, des concerts avec l’harmonie, une boite de temps en temps et je faisais la saison l’été dans une brasserie sur les bords de mer tous les soirs. Je faisais déjà plus que les 507 h de cachets obligatoires par an actuellement pour bénéficier du statut d’intermittent !

Je gagnais plus d’argent que mon père ouvrier au smic, j’étais sur scène et valorisé, les filles admiratives et accessibles surtout quand on jouait avec leurs idoles car j’ai intégré rapidement des orchestres plus célèbres accompagnant des « stars ». Je ne me suis jamais posé des questions : j’étais un jeune et bon musicien expérimenté et pas du tout impressionné, même si mon niveau technique était moindre, par des étudiants du conservatoire national qui enchainaient les concerti mais à 20 ans, j’étais doté d’une expérience solide, rompu aux scènes diverses et aux prestations musicales en tout genre ! Cela correspondait à mon caractère car je soutenais les solistes (mais en faisant aussi des impros en solo) tout en étant indispensable. Pour moi la vie était tracée : je serai musicien dans un rôle de bassiste, ce qui me comblait.

Et puis peu à peu reconnu, j’ai « bouché les trous » et j’ai appris en fait ce qui me manquait en harmonie, déchiffrage rapide. Grace à ces efforts, j’ai fait quelques incursions avec les musiciens d’orchestres symphoniques et de l’Opéra, les « requins » des studios d’enregistrement pour des disques de variétés, pour faire des musiques de film et de publicité et même fait quelques remplacements en orchestre pour jouer de la musique d’avant-garde ouvertes. Mes réflexions sur mon métier, la passion et faire ce qu’on a envie, et choisir la convivialité avec des collègues-amis, et de donner du plaisir… jamais je n’ai eu envie d’abandonner ce métier car je me suis bien amusé et jamais ennuyé. Parfois c’est dur car les contrats ne s’enchainent pas facilement ou ils arrivent en même temps !  Heureusement le statut d’intermittent permet de réguler un peu cet état de fait. Il faut être polyvalent et flexible, s’adapter à toutes les occasions, accompagnant toutes sortes de musiques et de solistes et parfois ce sont de vrais défis car certaines « stars » ne savent pas chanter en mesure ou respecter les grilles d’accords ! J’ai beaucoup voyagé en France d’abord puis un peu partout (les clubs de vacances, les croisières…) et j’ai connu beaucoup de musiciens de tous niveaux et j’ai engrangé des souvenirs par centaines. Je vais prendre ma retraite prochainement mais je vais continuer à jouer…. 

Mon projet est de former des jeunes dans des stages, car je ne l’ai jamais fait, occupé à cachetonner toute ma vie, afin de transmettre moi aussi mon expérience et le goût des basses comme on me l’a transmise quand j’étais jeune et transmettre aussi la passion de la musique que je porte toujours en moi. Et puis j’ai envie d’apprendre à jouer du basson que je ne connais pas et de jouer du baroque !  « vous avez dit bizarre … »

 B : Toute ma famille écoutait de la musique classique et chantait en chorale et certains étaient de bons musiciens. J’ai donc vécu tous les jours dans une ambiance musicale de qualité. Moi je suis une clarinettiste. J’ai toujours voulu en jouer depuis mon enfance quand j’ai entendu le concerto de Mozart et Piccolo saxo et Cie ! 

J’ai commencé par le solfège et la flûte à bec à l’école de musique puis enfin la clarinette.

Puis à l’adolescence, j’ai découvert les clarinettistes de jazz en lisant la rage de vivre de Mezz Mezzrow avec une passion pour Benny Goodman, Barney Bigard, Hubert Rostaing. Je n’avais pas fini mon parcours de 3ème cycle au conservatoire et la technique me manquait encore pour jouer comme eux ! Alors j’avais le choix, comme mon ami, de reprendre des études classiques afin de maitriser mon instrument et de m’enchainer les morceaux de concours, les concertis de Weber, Copland, Debussy etc… et de jouer ponctuellement aussi du jazz pour me détendre.

 Après Sabine Meyer, Sharon Kahn, mon modèle a été Anat Cohen prouvant que les femmes peuvent rivaliser avec les meilleurs mondiaux. J’ai décidé d’apprendre aussi sur le tas ! Mon ami est devenu un vrai clarinettiste classique (et nous jouons les 2 trios de Mendelssohn en concert parfois !), mais moi j’ai bricolé dans l’éclectisme passant du latino (quand j’ai découvert Paquito de Rivera) et la bossa de Jobim, essayant du klezmer (plus Berrot que Krakauer), puis des variétés, de la musique tzigane et des balkans, jouant souvent du jazz manouche enfin la musique du monde quoi.

C’est toujours la même chose et dans tous les métiers : on est soit généraliste, curieux et touchant à tout, soit spécialiste se concentrant sur un niveau d’exigences maximum sur un répertoire limité. Moi j’ai préféré aborder toutes les musiques qui m’interpellaient. Des amis ayant la même conception sont en plus poly-instrumentistes. Est-ce que je suis une clarinettiste ? Oui mais en entendant M. Fröst, P. Meyer, N. Baldeyrou etc… et beaucoup d’autres, je suis admirative et modeste. Heureusement j’ai fait un autre métier (mais pas dans la musique !) même si j’ai joué dans ma vie « en semi pro», j’ai gardé mon envie de jouer, ce qui est pour moi fondamentale, car j’ai vu des professionnels blasés qui n’aimaient plus la musique, en overdose !

Je pense que je jouerais toute ma vie, retraite comprise, de la clarinette car c’est ma passion. Je joue souvent dans un quatuor de clarinettes. Par contre, j’ai refusé de passer au saxophone pour cachetonner car la clarinette n’est plus à la mode pour les musiques nouvelles et le jazz moderne. Je travaille en ce moment que des transcriptions pour clarinette des partitas et suites de JS Bach, mais aussi du Buddy de Franco et Eddie Daniels et Anat bien sûr.  


C : Pour moi cela relève presque de la psychanalyse ! J’avais un oncle qui était trompettiste amateur doué et qui est décédé jeune et ma famille vivait dans son souvenir avec la trompette trônant dans le salon dans une vitrine. Et cet instrument quand j’étais enfant me fascinait. Quand mes parents travaillaient, et que je restais seul, je sortais la trompette et je soufflais dedans et à ma grande surprise des sons en sortaient ! j’ai tâtonné seul, essayant de reproduire certains airs à la mode. Une fois mes parents m’ont surpris, j’ai reçu une gifle d’avoir profané le souvenir de mon oncle et le lendemain après une dispute entre mes parents, on m’a demandé de rejouer. Mon père était en larmes revoyant son frère décédé, ma mère plus pragmatique m’a dit qu’à la rentrée elle m’inscrirait à l’école de musique et que j’avais intérêt à travailler pour faire honneur au trompettiste disparu et à entretenir son instrument - relique.
Ce jour-là j’ai compris que jouer pouvait générer des émotions (c’est la seule fois que j’ai vu mon père pleurer), qu’il fallait travailler pour jouer correctement (et ma mère suivait mes progrès tous les jours comme pour les devoirs d’école), et que la musique serait un fil rouge, une passion dans ma vie quand j’ai entendu mon prof jouer au cornet Singing The Blues de Bix Beiderbecke, quel choc ! et quand il m’a prêté un disque de Maurice André jouant du baroque, autre choc. Au lycée nous avions monté un orchestre de jazz et je suis devenu trompettiste de jazz avec les bases apprises à l’école de musique locale mais j’ai progressé surtout à l’oreille « à la feuille » et non en déchiffrant des partitions. J’aimais improviser en suivant mes modèles Satchmo, Chet Baker, Bix etc… une faim insatiable pour tous les trompettistes de jazz où je reprenais toutes leurs impros et puis « monté » à Paris, j’ai rapidement passé mes nuits à jouer dans les boites de jazz et à gagner ma vie délaissant ma vie d’étudiant.

Je devins donc intermittent et jazzman et j’ai joué avec des bons musiciens de jazz que je pensais autodidactes (cela fait partie du mythe ! mais en fait, ils avaient une solide formation musicale, pas conventionnelle certes, mais réelle enchainant les grilles d’accords complexes, les patterns…) dans des endroits selects et dans des endroits miteux, avec des publics mélomanes qui appréciaient mes solos et d’autres ignares mais c’est la vie de musicien… Après plusieurs années de cette vie que j’appréciais, j’ai exercé en parallèle un autre métier car je ne pouvais pas faire vivre ma famille qu’avec la musique mais je cachetonne encore souvent et c’est bien ainsi car je joue toujours avec plaisir à chaque prestation. Mes réflexions : je regrette de ne pas avoir travaillé mon instrument sérieusement mais socialement modeste et dans une petite ville de province, je n’ai pas eu les conditions optimales. Ainsi il y a eu un plafond de verre qui m’a empêché de faire du studio, de la musique de film, de rentrer dans des orchestres plus prestigieux, d’enseigner etc…

Mes enfants par contre ont fini le conservatoire régional et le comble, c’est qu’ils sont arrivés à un niveau supérieur, me dépassant techniquement mais ils ne veulent jamais devenir musiciens professionnels, jouer seulement pour le plaisir du baroque mais pas de jazz !  (Overdose familial ?) A la maison c’est Bach ou Telemann contre Miles ou Dizzy ! 


D : Je viens d’un milieu aisé où la musique classique était omniprésente, concert à la radio puis à la TV, disques avec la chaine Hi-Fi dernier modèle qui trônait dans le salon, le piano de ma mère, la flûte de mon père et leurs sonates… je crois que je connais l’essentiel du répertoire flute/piano ! et j’avais droit à quelques festivals de musique classique l’été.

Moi j’étais un enfant un peu rebelle et l’école de musique avec le solfège m’ennuyait, la flûte douce à l’école et le classique ne m’attiraient pas ! Mes parents voulaient que je joue du violon ou du violoncelle ! moi du saxophone ! pour eux, seule la musique classique comptait et s’arrêtait à Debussy et Ravel. En réaction, moi j’écoutais en douce chez un ami Lester Young et Coleman Hawkins.

J’ai donc suivi au conservatoire municipal la classe de clarinette car le saxophone n’était pas alors enseigné mais le professeur m’avait dit que je passerais vite au saxo plus facile !!  J’ai appris donc la clarinette pendant plusieurs années et avec un ami qui avait un saxophone soprano, nous avons monté un orchestre et repris les duos Bechet/Mezzrow, puis plus tard Luter/Bigard… et on a commencé à cachetonner. Plus tard, j’ai acheté un ténor d’occasion Selmer mark 6, et j’ai appris comme j’ai pu le saxo en transférant mes connaissances de clarinettiste et écouté et joué du jazz toute ma vie !

Je suis devenu donc saxophoniste jouant du soprano, alto, ténor, baryton un peu en autodidacte au départ. Mes parents me faisaient écouter « pour me former ou me rééduquer ? » M. Mule et Deffayet en classique et leurs quatuors de saxophones, mais moi je jouais du jazz en stages et en boites. J’apprenais l’harmonie pour lire les grilles du répertoire des standards. Ce qui m’attirait, c’était les musiciens de la West Coast, la Bossa de Jobim avec Stan Getz, m’inspirant selon l’époque de Dexter Gordon, Desmond, Mulligan, bien sûr Parker et Coltrane etc…J’ai cachetonné toute ma vie avec mes Mark 6, je suis intermittent et j’aime cela, et j’ai accumulé beaucoup de souvenirs… quand je vois des jeunes sortant de la classe de saxophone du conservatoire de Paris, ayant fait la classe de jazz avec une technique éblouissante, je me sens expérimenté certes mais j’aurai tellement aimé faire ce parcours mais à mon époque cela n’existait pas.

J’ai assez peu rencontré des professionnels ayant fait « la voie royale », nos mondes ne se croisant pas. Ceux qui ont fait du studio d’enregistrement, des musiques de film le peuvent mais moi je suis un jazzman avant d’être un technicien virtuose de mon instrument et de la musique (déchiffrage rapide et transposition). 

E : La culture de ma famille tournait autour des sports ! la musique était peu présente sauf à la radio avec de la variété et mon père aimait, comme De Gaulle, les marches militaires !

J’étais en vacances au bord de mer et j’écoutais de la musique sans penser à en faire activement. Jeune adolescent j’étais fasciné par deux choses : les filles sur la plage et un orchestre de variétés qui faisait les bals et qui jouaient à une terrasse de café. Je passais mon temps à les écouter et un des musiciens s’aperçut que j’étais toujours devant la scène, à l’écoute, passionné avec un air extatique ! et il devint mon mentor. Tous les jours pendant deux mois, j’assistais aux concerts, bals, puis répétitions et ce qui me fascinait, car ils jouaient toutes les sortes de musique (latinos, jazzy, variétés langoureuses lors des thés dansants des séniors au Casino, bals le soir pour les ados avec les airs à la mode avec tous les rythmes.)

C’est le rythme qui me fascinait. Et mon mentor m’a appris le solfège en se promenant tous les jours sur la plage en faisant des pas réguliers métronomiques et à chaque pas en intégrant blanches, noires décomposant croches, doubles, triolets, syncopes, contre - temps etc… et comme il adorait marcher, je me suis avalé les rythmes de plus en plus complexes en marchant et en chantonnant avec lui ! On nous prenait pour des originaux ! et à la fin de la saison je suis devenu batteur, portant surtout le matériel, de concerts en bals, mais accompagnant parfois des slows, des rythmes et morceaux simples. Et je me suis aperçu que j’atteignais mon deuxième objectif : les nanas ! A la rentrée j’étais inscrit en percussions au conservatoire local et je me défoulais dans le garage avec mes disques et la batterie… chose bizarre les voisins avaient une certaine indulgence, mais j’ai toujours joué en mesure naturellement. « J’avais le rythme dans la peau » selon la formule maintes fois répétée.

En fait par l’expérience, j’ai appris le solfège, entendre les grilles harmoniques d’accords et écouter les autres, être à l’aise sur scène et me familiariser avec d’autres percussions etc… Puis j’ai vu en concert les percussions de Strasbourg en musique moderne, et des batteurs de Jazz, surtout Kenny Clarke ! le pied ! Alors j’ai décidé que je serais musicien après le bac ! Puis j’ai intégré différents orchestres, petits et grands. J’ai joué avec des musiciens « sérieux » provenant des conservatoires, ce qu’on appelait la voie royale. Tout ce qu’apprend un musicien dans les conservatoires par des professeurs réputés, nous on l’apprend sur le tas, et si on déchiffre moins bien, on a d’autres qualités, l’oreille, mais surtout l’improvisation qui est trop délaissée (à part les organistes) alors qu’elle était le fondement de tous les grands musiciens classiques : Bach, Mozart, Beethoven etc…

Et puis il y a la diversité de toutes les musiques rythmées…rien qu’avec la musique latine on a quoi faire ! J’ai étendu mes compétences dans différentes percussions notamment le xylophone. J’aime toutes sortes de musiques, aucune n’est mineure si le rythme est présent et varié, par contre j’exècre la boite à rythmes des orgues portatifs. J’ai enseigné aussi en école de musique et fait beaucoup de musique contemporaine.

Actuellement je suis en fin de carrière mais je joue encore souvent, pour cachetonner bien sûr mais aussi pour le plaisir de montrer aux jeunes ce que papy fait avec une batterie.


F : Mon père était professeur de maths au lycée et musicien amateur. Il m’a appris très jeune le solfège comme les maths tous les jours ! Glen Gould jouant Bach tournait en boucle puis il m’a inscrit enfant au cours de piano et en parallèle j’ai été recruté dans une chorale réputée d’enfants catholiques qui enchainait les concerts avec une vie musicale stricte et professionnelle. On me prédisait un avenir de musicien.

Puis à l’adolescence j’ai mué (heureusement quelques siècles avant on m’aurait castré !). Le répertoire de Chopin (qui était obligatoire pour ma prof) m’ennuyait un peu car moi je voulais jouer de l’orgue portatif et accompagner les autres solistes, chanteurs (euses), poètes, musiciens de tous genres, jouer en groupes…. A l’adolescence, j’ai arrêté le piano et le chant classique mais j’ai eu en cadeau, le plus beau de ma vie, un orgue portatif d’occasion d’un bon professionnel avec des boites à rythmes … le nirvana ! J’ai donc travaillé les possibilités de mon instrument seul, ponctuellement avec des musiciens, en stage aussi, et surtout en jouant sans cesse car je n’ai jamais arrêté d’accompagner, d’animer…En fait avec un orgue on n’a pas besoin obligatoirement de jouer avec d’autres car je chantais aussi les chansons, pas la musique sacrée apprise jeune mais les variétés.

Puis on arrive à des limites et j’ai repris en fait des études musicales de façon discontinue en croisant le programme des études classiques de conservatoires (gammes, arpèges, harmonie, rythmes, phrasé, etc…) car en fait, même si on prend des chemins de traverses, on retombe sur l’enseignement rationnel des conservatoires et on arrive peu ou prou au même résultat.

En fait je suis convaincu que l’on peut être un bon musicien soit en suivant la formation initiale des conservatoires avec des études rationnelles rapides et rébarbatives mais efficaces et valables si on est docile (car motivés nous le sommes tous), soit en formation continue par expérience et en alternance si on est un peu plus rebelle et si on privilégie de jouer sur scène avant la maitrise de son instrument ! et si on aime d’autres musiques que le classique. Mais à 30 ans nous avons sensiblement les mêmes niveaux même si nos voies pour y arriver ont été différentes mais uniquement pour toutes les musiques (car la musique classique et contemporaine demande des efforts plus importants.) J’adore jouer des variétés, du latino, des standards de jazz, de la musique de film…. J’ai eu plusieurs orchestres de variétés car en fait les musiciens comme nous, ce n’est pas le niveau, les émotions transmises qui nous différencient avec les musiciens classiques mais surtout le style de musique. Je peux jouer toutes sortes de musique mais pas les concertos difficiles au piano ! Nous faisons le même métier mais pas la même musique.

G : « Moi je chante soir et matin, je chante ça m’fait du bien …. et ma vie est émaillée de chansons. Je suis issue d’une famille où la musique se résumait aux variétés chantées.

J’ai donc commencé à chanter « comme un rossignol disait ma mère), gamine, les chants des idoles de mes parents. Comme je chante juste naturellement, même a capella , ayant l’oreille absolue, on a décidé que j’avais un don et que je n’avais pas besoin d’aller à l’école de musique faire du solfège et chanter des airs d’opéras ! donc je suis une véritable autodidacte au départ, faisant tout à l’instinct et à l’oreille et j’ai une excellente mémoire me permettant d’avoir un répertoire étendu. J’adore l’émission de Nagui « n’oubliez pas les paroles » car je retrouve « des sœurs de chants ».

Et puis au collège notre prof de musique, qui m’avait entendue lors d’une fête et qui dirigeait une chorale, m’a prise en main. Quel décalage avec un motet de Palestrina ! j’imitais à l’oreille sans être capable de lire une partition. Elle me faisait entendre des vraies chanteuses classiques mais leurs vocalises ne m’attiraient pas (sauf le concerto pour une voix de Saint Preux que j’ai chanté pendant longtemps) et puis il y a eu les chanteuses de Jazz et le Gospel ! les double six, les swingle singers…chantant du Bach comme modèles à imiter. Ma voix était belle, pure, naturelle mais je ne travaillais pas. Ma prof consternée me répétait : « quel gâchis ! » ce qui était peut-être la vérité mais pas stimulant ! J’ai donc appris un peu les bases de la musique sans enthousiasme et j’ai chanté dans des groupes de variétés les airs à la mode surtout dans les bals et fêtes diverses avec plaisir.

J’ai chanté des cantiques, des arias à l’église avec orgue, chanté lors des mariages avec l’incontournable Oh happy day et des services funèbres avec the Upper Room en Gospel. A chaque évènement je poussais la chansonnette et comme je chantais un peu de tout, je m’adaptais aux demandes du public sans efforts du petit vin blanc à Barbara, de la bohème d’Aznavour à l’aria de Bach, du besame mucho pour les anniversaires de mariage etc… et c’est la variété de la musique qui me plaisait, le coté naturel, sans travail technique. Je demandais rarement un cachet mais « le chapeau » (où le public donnait la somme qu’il voulait selon sa satisfaction, ce qui est plus conforme à ma conception de la vie de musicien.) En fait je n’arrêtais pas et je n’ai jamais eu la sensation de travailler, ni de me forcer à jouer. Puis comme beaucoup de femmes, j’ai consacré ma vie à ma famille, j’ai limité les prestations en public, mais je me suis intéressée à d’autres musiques à savoir les lieder de Schubert et de Schumann, à quelques airs d’héroïnes d’opérettes puis de Mozart toujours en imitation, à l’oreille surtout, et bien sûr des airs entendus à la radio…  

Je suis surprise que tu me demandes de raconter ma vie car pour moi je ne suis pas une musicienne de métier, n’ayant aucun diplôme, j’ai été une chanteuse de variétés. Je ne peux pas me passer de chanter, c’est plus fort que moi, et encore souvent en public. Pour moi la musique est avant tout de transmettre des émotions diverses et j’ai un répertoire varié et étendu pour les illustrer toutes.

Mes enfants sont grands et je suis devenue intermittente car je m’accompagne à la guitare et je joue souvent pour égayer et animer les maisons de retraite ! c’est un public tellement attentif car les chansons jouées rappellent leurs souvenirs, leurs amours, leurs chagrins… et puis je chante depuis longtemps dans une chorale de gospel, chanter en groupe et faire des concerts, chanter encore et encore…. A toutes les périodes de ma vie, des musiques différentes m’ont accompagnée. En ce moment, c’est Oum Khalsoum une des plus grandes avec Ella et La Callas bien sûr ! pour moi la musique c’est la voix, c’est la vie.

Illustration musicale choisie : The man I love avec Billie Holiday car c’est en chantant cela sur scène que j’ai accroché l’homme de ma vie ! et rituel familial obligé, je lui chante à tous ses anniversaires

 

Si certains ont des expériences différentes, ils sont les bienvenus pour continuer cet article