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lundi 30 décembre 2024

Jacques NONON facteur de flûtes et de hautbois dans l'ombre du grand TULOU.

René PIERRE

Article parut dans le Larigot N°58 en octobre 2016.

Nous avions publié également un pré-article sur un de nos Blog

Nonon et Tulou

Introduction.

La vie et l'œuvre de Jean Louis TULOU (1786-1865), flûtiste virtuose, professeur au conservatoire de Paris de 1829 à 1856 et ardent opposant à la nouvelle flûte BOEHM, sont particulièrement bien documentées, notamment grâce à la thèse de Michelle TELLIER : "Jean Louis TULOU : flûtiste, professeur, facteur". Paris 1981 en deux volumes. (1) Thèse passionnante, très riche et qui se lit comme un roman...mais  «cachée» dans les réserves de la Médiathèque de la Cité de la musique à Paris. Cet ouvrage très documenté sur Tulou ne dit pas grand-chose de Jacques NONON et n'évoque que partiellement les instruments de ces deux personnages. Dans cet article nous souhaiterions aborder ces deux points.







Jean Louis Tulou par Henri Grévedon, entre 1830 et 1839. (Source BNF)






Qui était Jacques NONON ?

On ne savait pratiquement rien de Jacques NONON sinon qu'il était né à Metz en Moselle. En effet  il est né dans cette ville le premier mai 1802 et appartenait à une famille de tourneurs mosellans. Son père Gaspard NONON (1770-1836), son grand père Jean Louis NONON (1727-1813) étaient tourneurs à Metz.....Le premier tourneur connu de la famille était un arrière grand oncle, Jean Nicolas NONON (1687- ?) tourneur à Ranguevaux, berceau de la famille, petite commune de la vallée de la Fensch près de Joeuf (patrie de Platini.....le footballeur). 

Village de Ranguevaux en Moselle.






Jacques NONON avait deux frères et deux sœurs ; sa sœur aînée Marie Anne NONON né en 1797 à Metz avait épousée  Louis CHAMBILLE (1797-1845) mécanicien à Metz  et  fils d’un tourneur messin, Nicolas CHAMBILLE (1773-1849). Ce couple a eu trois enfants, dont Auguste François CHAMBILLE (1827-1881) né à Paris ; il sera facteur d’instruments de musique dans l’atelier de Jacques NONON, qu’il rachètera  le 11 juin 1856 à son oncle. Il collaborera à la fin de sa vie avec son ami Louis Ernest DEBONNEETBEAU de COUTELIER (1836- ?) avant que ce dernier ne rachète la Maison Lot dont il assurera la direction de 1882 à 1889. Le fils d’Auguste CHAMBILLE, Ernest Henri CHAMBILLE (1858-1922) sera contremaître chez Lot de 1882 à 1904, date à laquelle il succéda à E.BARAT et deviendra directeur de la Maison Lot.

En tête de la Maison Lot en 1906. (2)

Quel paradoxe de trouver à la tête de la prestigieuse Maison Lot, spécialisée dans la flûte Boehm, le petit neveu de Jacques NONON, contremaître de la Maison TULOU, ardant opposant à cette flûte Boehm. A la suite du décès d’Ernest CHAMBILLE en 1922, c’est sa fille Pauline Gabrielle CHAMBILLE (1887-1951) qui reprendra la direction de la société jusqu’à sa mort en 1951. (3)(4)

Voir remarque 1














Jacques NONON malgré l’éloignement entre Paris et Metz sera toujours, au cours de sa vie, très proche de sa famille et en particulier de ses trois neveux.

Première rencontre en 1828 entre Jacques NONON et Jean Louis TULOU.

Jacques NONON a été formé au métier de tourneur par son père et/ou par un membre de sa famille mais ce n'est pas en Moselle qu'il a pu être formé au métier de facteur d'instruments de musique. A-t-il fait un tour de France comme on le faisait à cette époque et comme Jean Daniel HOLTZAPFFEL, facteur natif de Strasbourg, exerçant à Paris nous le raconte dans ses mémoires ? (5)  Ou est-il "monté" directement à Paris ? Actuellement on ne sait rien de cette période. C'est en 1828 que l'on entend parler  pour la première fois de lui à Paris et de sa rencontre avec TULOU. Il lui présente une flûte à six clés en argent qui est conservée au musée de la musique à Paris.

Flûte à 6 clés en argent de Jacques Nonon de 1828.
Musée de la musique de Paris






Cette flûte serait donc à l'origine du partenariat créé en 1831. Il n'y a pas de doute sur l'origine de cet instrument, puisque c'est NONON lui-même qui en a fait don au musée du conservatoire en 1872, en précisant sa qualité. Lors de sa rencontre avec Tulou, Nonon avait 26 ans et la flûte qu'il lui présente est caractéristique des flûtes de cette époque, dans sa facture, sa conception, sa réalisation......Elle pourrait provenir des ateliers de Bellissent, Godfroy, Triébert....mais elle montre surtout que Jacques NONON maîtrisait  la fabrication de flûtes et qu'il avait sans doute travaillé pour ou chez les grands facteurs de cette période ; il faudrait la jouer pour en apprécier les qualités musicales            .

Le nouveau catalogue du Conservatoire. Gustave Chouquet.


















Cette marque suggère que J. NONON avait un atelier en 1828 et a continué d'exercer seul jusqu'en 1831. Il ne figure, à notre connaissance sur aucun annuaire de cette époque et on ne connaît pas son adresse. Aucun autre instrument, portant cette marque n'est connu.














L’anecdote du rossignol adoptée par Tulou dans sa marque, en 1831 est bien connue. Notre flûtiste avait remporté un énorme succès de prestige lors de la première,   du « Rossignol », opéra de Lebrun en 1816. Son interprétation du solo de flûte avait fait l’unanimité du tout Paris et avait confirmé sa prééminence sur tous les autres flûtistes de cette époque.   

Quand TULOU  a-t-il commencé la fabrication de flûtes et pourquoi ?

"Comment J.L. TULOU, virtuose célèbre, s'improvisa-t-il facteur ? On ne sait, mais ce n'est pas à coup sûr, pour combattre la flûte Boehm, puisqu'elle ne parut qu'après 1832 et que nous le trouvons fabricant dès 1818....." (Constant PIERRE : Les facteurs d'instruments de musique). Affirmation discutable de Constant Pierre surtout pour les débuts de J.L. Tulou comme "facteur" dès 1818, cela est peu probable. Bien sûr il a du "collaborer" avec BELLISSENT pour l'amélioration de ses flûtes, puisque ce dernier dès 1820 annonçait dans l'annuaire Bottin : "Bellissent, facteur de flûte de l'école royale de musique et de Mr TULOU première flûte de l'opéra"....et  en 1830 ils étaient trois facteurs à s'annoncer comme "LE fournisseur" de TULOU dans le même annuaire. "BELLISSENT, flûtes, fournisseur de Tulou et de l'académie royale de musique". " GODFROY aîné (Clair), fabricant de flûtes, clarinettes, flageolets, facteur de l'académie royale de musique, de l'école royale et des principaux professeurs de la capitale....." " GODFROY jeune, facteur en tout genre, connu particulièrement pour la flûte, fournisseur de M. TULOU et autres artistes distingués....."

Marques de Christophe Delusse (a1781-p1789), 

Vinnen Cadet (c.1820-1837), 

Un article intéressant, paru dans « La France Musicale » le 18 novembre 1855, donne une explication sur cette création d'atelier en 1831: " WUNDERLICH, maître de Tulou et de tous les flûtistes célèbres en France dans la première moitié de notre siècle, fut le premier à se servir chez nous de la flûte à plus d'une clef. Le premier nom français qu'il y ait à citer dans cette industrie est celui de DELUSSE, fabricant établi à Paris à l'époque de la première révolution. Ses instruments étaient appréciés ; ils avaient autant de justesse qu'il était possible de leur en donner à cette époque, et possédaient surtout une belle qualité de son.....Au fabricant Delusse succédèrent les frères WINNEN(Père et Fils selon Langwill) également établis à Paris. Le premier se servait d'une perce très large qui donnait de la puissance aux notes graves, mais qui empêchait les notes élevées de sortir avec facilité ; le second avait fait l'acquisition des perces de Delusse, et obtenait quelquefois, grâce à cette circonstance, d'assez bons résultats. Ce fut chez lui que Tulou acheta la flûte avec laquelle il fit sa réputation de virtuose. Un peu plus tard, ayant découvert un ouvrier intelligent, nommé GODEFROY, il lui donna sa flûte pour modèle, essaya ses instruments, et lui prodigua les plus sages conseils. Tous deux parvinrent à corriger les défauts de justesse qu'on rencontrait trop souvent sur les flûtes de cette époque. Il suffisait à Tulou de patronner un facteur pour lui assurer une clientèle. La maison GODEFROY aîné acquit bientôt une grande vogue ; mais à mesure qu'elle multipliait ses produits et leur trouvait de nouveaux débouchés, on se montrait moins disposé à faire des essais. C'est alors que Tulou conçut l'idée de monter lui-même un atelier. La première flûte qu'il construisit fut trouvée parfaite de tous points ; chacun voulut en avoir une semblable. Et c'est ainsi que, de succès en succès, de commandes en commandes, l'éminent artiste devint fabricant. L'exposition universelle nous fournit naturellement l'occasion d'apprécier ses travaux, leurs résultats et leur porté".

Cette article publicitaire, écrit à la suite de l’exposition de Paris en 1855, nous donne des informations intéressantes sur les flûtes jouées par TULOU, mais  essaie, également de faire de TULOU le conseiller des facteurs qui les a propulsés vers la réussite....Et NONON ? Oublié ? Mais l'on était en 1855 c’est-à-dire après la rupture entre les deux partenaires.

Pierre Godfroy (1779-1845), 

Clair Godfroy aîné (1774-1841),

Jacques Eléonore Bellissent (1783-1841).

Le premier document mentionnant la fabrication de flûtes par TULOU date du 19 mars 1831. C'est un article de la revue musicale qui commence par analyser les faiblesses de la flûte : justesse, égalité des sons graves et de l'aiguë..."Il appartenait à un professeur dont la longue expérience et le talent fini avaient su apprécier toutes ces imperfections, de faire les recherches nécessaires sur les  moyens propres à obvier à d'aussi graves inconvénients. M. Tulou a donc entrepris cette tâche dans l'espoir qu'il pourrait faciliter les progrès des amateurs en leur offrant des instruments dont ils n'auraient pas à combattre sans cesse les défauts, et qui, par leur état perfectionné, seconderaient leur habileté dans l'exécution au lieu d'y mettre obstacle".

"Mr Tulou a cherché à faire disparaître l'inconvénient des corps de rechange, et surtout celui de la pompe". A cette époque la plupart des facteurs utilisaient un barillet comme pompe d'accord qui présentait un inconvénient majeur selon lui, c'est pour cette raison que toutes les flûtes Tulou n'ont pas de pompe d'accord.

Il préconise le système des anneaux pour ajustés la tonalité, système qui aurait été imaginé par NONON, qui placés "aux emboîtures et allongeaient l'instrument d'un demi ton ou d'un quart de ton, suivant leur grosseur". (C. PIERRE)

"M. Tulou s'est aussi attaché à trouver des formes simples et élégantes dans les clés, et en a surtout diminué le volume, qui donnait à l'instrument de la lourdeur sans utilité. Ces avantages seront appréciés par les amateurs et les artistes et ne peuvent manquer d'influer sur les progrès de la flûte. Le nom de Mr Tulou les recommande suffisamment. Aucun instrument ne sort des ateliers de ce professeur célèbre sans avoir été essayé et reconnu bon par lui. On peut s'adresser directement à M. Tulou, à Paris, N°18 rue Bleue".



Tous ces éléments nous permettent de dire que J.L. TULOU a commencé  à fabriquer des flûtes en 1831 au début de sa collaboration avec Jacques NONON, même s’il avait collaboré auparavant avec d’autres facteurs comme Pierre GODFROY (Jeune) et son  frère aîné Clair GODFROY. Il est fréquent d’entendre que ce même Pierre GODFROY aurait fabriqué des flûtes portant la marque de Tulou, parce que certaines clés en argent sont poinçonnées avec une marque d’orfèvre avec des initiales « P.G.». Grace à Peter SPOHR nous avons résolu cette énigme mais nous en reparlerons lorsque nous évoquerons la flûte perfectionnée de TULOU. 

Alors pourquoi avoir créé cet atelier ?

Pour comprendre les motivations de Monsieur Tulou dans la fondation de cet atelier, il faut lire la thèse de Michelle TELLIER qui cerne parfaitement le caractère de cet artiste. Pour notre part nous voudrions mettre l'accent sur une des motivations, à notre sens essentielle : c'est le besoin de s'assurer des revenus complémentaires. Il faut comprendre qu'après sa disgrâce politique de 1821 quand Joseph GUILLOU (1787-1853) lui avait été préféré pour le poste de professeur au conservatoire de Paris et  après sa démission de l'opéra de Paris, le "grand" TULOU avait dû connaître une période délicate dans tous les domaines.

Christophe ROSTANG dans le n° spécial du Larigot concerné  à F.G.A. DAUVERNE, explique bien la nécessité pour ces artistes musiciens, dont les appointements de l'opéra et du Conservatoire n'étaient pas suffisants pour leurs assurer un train de vie de grand bourgeois digne de leur renommée, étaient contraints de trouver des ressources complémentaires. TULOU avait trouvé dans son association avec NONON une opportunité pour s'assurer des moyens confortables. Ce n'était pas, bien sur sa seule motivation mais ..... 

G. HEQUET flûtiste écrivant un article nécrologique sur TULOU, mentionne :" .....Il (Tulou) réussit mieux dans la fabrication des flûtes (que dans la peinture, une de ses passions), dont il s'occupa longtemps, et à laquelle il a dû probablement une grande partie de l'aisance dont il a joui...."

A. LAVIGNAC, dans son Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire, est encore plus dur et sans doute très injuste dans son jugement : ....Il (Tulou) garda longtemps son poste au conservatoire, s'associa entre temps avec NONON pour la fabrication des flûtes, n'apportant guère à l'association que l'immense prestige de son nom. Cette exploitation lui laissa de fort beaux bénéfices...."

Essai de classement chronologique des flûtes signées TULOU. (Remarque 2)

La marque « TULOU au rossignol » a été utilisée depuis la création de l’atelier en 1831 jusque vers les années 1930 par la Maison COUESNON. Aussi  peut-on rencontrer une grande variété de flûtes et de hautbois portant cette marque. Nous allons essayer de définir  les éléments qui permettront de classer chronologiquement les flûtes de la période de l’atelier TULOU-NONON. Vous avez été nombreux à nous faire parvenir des photos et des renseignements, il reste encore de nombreux points à étudie notamment sur la perce des instruments, sur les embouchures….Nous reviendrons donc régulièrement sur cet article pour faire des mises au point. N’hésitez pas à nous consulter pour nous donner votre avis sur ce sujet. Nous avons répertorié plus d'une centaine de flûtes de cette période. Tulou et Nonon ont produit de 1831 à 1850 des flûtes plutôt  à 5 clés ou 6 clés de très belle qualité qui furent régulièrement récompensées aux expositions de 1834, 1839, 1844, 1849.

Flûtes de la première période (1831-1838).

Il existe quelques flûtes baguées ivoire, parfois en buis sans doute du début de l’atelier. 

Tête de flûte Tulou en buis et bague ivoire. (Vente Vichy)


Flûte Tulou à 4 clés argent baguée large. (Collection Sigal)

Flûte Tulou en buis à 4 clés. (Collection R. Charbit)

Flûte Tulou à 5 clés à bagues larges et anneaux d'accord. (Vente Vichy)

Flûte Tulou à 5 clés laiton en buis (Vente Vichy)

Mais  elles sont généralement baguées en métal  (argent principalement), avec des bagues  larges, jamais de pompe d'accord et les clés sont fines, fixées à des tourillons soudés à des plaques vissées dans le bois. Lorsqu’elles sont en argent, ces clés comportent le poinçon « tête de lièvre » de petite garantie de Paris (1819-1838) et le poinçon « P # B » de Paul Nicolas BELORGEY mécanicien: " Belorgey Aîné, facteur de clefs d'instruments de musique, fabrique tout ce qui a rapport aux garnitures intérieures et extérieures des instruments ; tire toute espèce de tubes à l'usage des facteurs, 32 rue du Petit Carreau". (Bottin 1840)(Remarque 3)




















jeudi 1 novembre 2018

La famille DIDIER : La Saga d'une famille de luthiers Messins (Metz en Moselle)

Notre ami Jacques DIDIER  nous a quitté le 30 août 2018 
à Woippy (Banlieue de Metz) à 79 ans.


Vous allez découvrir à travers cet article qui était Jacques DIDIER, troisième d'une génération de luthiers : Son Grand père Marius DIDIER (1873-1958) exerça à Mattaincourt à coté de Mirecourt, son père Paul DIDIER (1908-2002) s'installa à Metz, Jacques prit la suite avant de passer le flambeau à son fils Bertrand DIDIER.  

Notre rencontre fortuite  en 2004 mérite   d'être racontée. Ma belle famille possède depuis 1800 une maison familiale dans un petit village lorrain de 50 habitants : Bellange en Moselle situé à 10 kms d'une ville plus importante, Morhange, ville de garnison qui en 1914 était un point essentiel de la défense allemande, et que l'armée française, dès la déclaration de guerre avait attaqué le 18 août 1914, la fleur au fusil, pantalons rouges et sabres au clair .....en avant "sus aux Boches, on les aura". Naturellement le résultat de cette brillante stratégie ne se fit pas attendre : 20000 morts en une journée d'attaque. Notre maison de Bellange servit d’hôpital de campagne, tenu par un médecin militaire qui rédigea ses mémoires résumant cet épisode. Ce document dactylographié retrouvé par hasard dans la maison me donna l'occasion de découvrir le sujet et de comprendre pourquoi il y avait quelques cimetières militaires dans la région. Bien sûr cette épisode peu glorieux  fut zappé au niveau historique et rangé au niveau des anecdotes et remplacé par une "victoire" qui eut lieu quelque temps plus tard lors de la contre-attaque allemande, bataille dite du "Grand Couronné". Un seul bouquin racontait cette bataille dite :" de Morhange" écrit par un certain Jacques DIDIER. 
Le but du moment était de lui remettre les mémoires "du Docteur Pratbernon" que j'avais remises en forme, document inédit à l'époque pour qu'il en fasse bon usage. Pour ma part, mon intérêt était plus tourné vers les "Facteurs, luthiers, marchands de musique de l'est de la France" sur lesquels je travaillais ardemment. Bien sûr le nom de Didier, luthier à Metz  figurait  dans mes recherches, mais je n'avais pas fait le rapprochement. Vous imaginez la suite, lors de notre première rencontre téléphonique, il connaissait mon père qui toujours préoccupé de trouver le violoncelle ou le violon "idéal" pour mes deux sœurs musiciennes professionnelles passait souvent le voir. Depuis nous nous sommes rencontrés fréquemment et son aide à été très précieuse sur les nombreux sujets qui nous intéressaient.

Jacques nous avait raconté sa saga familiale et nous avait fourni de nombreux documents pour l'illustrer dans quelques articles rédigés dans nos blogs. Les voici remis en forme. 

Marius DIDIER (1873-1958) : le fondateur est né à Mattaincourt le 20 avril 1873. Il entre en apprentissage chez Jérôme Thibouville Lamy à Mirecourt à 13 ans. En 1901 il épouse Marie Marthe Bourguignon ; ils auront deux enfants : Madeleine et Paul.
Document Jacques DIDIER.
Après avoir participé à la grande guerre de 1914 à 1918, il rejoint l'entreprise Thibouville où il participe à la réorganisation d'après-guerre et exerce sa profession de maître luthier, au côté de Camille Poirson et Marcel Voiry. Alfred Acoulon, directeur général lui confie le poste de responsable de l'atelier de lutherie de Mirecourt et fait de lui un de ses proches collaborateurs.
Document Jacques DIDIER.
En 1925, à l'âge de 52 ans, il décide de s'installer dans son atelier de Mattaincourt pour exercer la lutherie à son compte en compagnie de son fils Paul.
Document Jacques DIDIER.
Il accueille dans son atelier des stagiaires qui deviendront des luthiers prestigieux (Jean Bauer, Marcel Simon etc...). Son fils Paul décide de s'installer à Metz. L'atelier de Marius DIDIER continue son activité, malgré la crise des années 30 et la guerre 39-45. A la libération, âgé de 72 ans, il continue d'assurer une production qu'il réserve à son fils. Il décède en novembre 1958.
Violon de Marius DIDIER de 1932.
Paul DIDIER (1908-2002) luthier, de Mirecourt à Metz.

Document Jacques DIDIER.

Paul DIDIER est né le 15 janvier 1908 à Mattaincourt (Vosges). Il effectue son apprentissage à partir de 1921 chez Thibouville, auprès de son père qui était à cette époque responsable de la fabrication. En 1925 il fait un stage chez Ouchard, et ensuite travaille dans l'atelier de son père à Mattaincourt jusqu'en 1928 date à partir de laquelle il effectue son service militaire jusqu'en 1929. Il retrouve ensuite l'atelier de son père. Il se marie en 1933 et décide en 1936 et en accord avec son père de reprendre l'atelier et le magasin : "Lutherie d' Art" du 6 rue du Faisan à Metz, créé par Auguste Mouchot, qui venait de décéder en se noyant accidentellement dans la Moselle ; la famille était désemparée, la veuve avait un fils d'un an et ne pouvait s'occuper de ce commerce. A la déclaration de guerre Paul Didier est mobilisé et son épouse qui vient de donner naissance à un fils ne peut tenir seul le magasin qui est alors fermé. Paul est fait prisonnier le 17 juin 1940 à Pontarlier. Il ne rentrera à Metz qu'en août 1945.

Document Jacques DIDIER.
En 1941, Metz est occupé par les allemands qui font venir un luthier autrichien, Franz  NOSEK  et auquel le commissaire de la ville propose d'occuper le magasin de la rue du Faisan. Après 3 années à Metz, celui-ci disparaît en 1944, il est remplacé par Zophel RICHARD né à Markneukirchen.
Magasin de la rue du Faisan. (Doc. Jacques DIDIER)
En août 1945 à son retour de captivité, Paul Didier retrouve son magasin et l'appartement dans un triste état, tout a disparu, seul une partie de l'outillage lui sera rendu. Il se remet au travail, notamment en travaillant pour l'orchestre de Radio Luxembourg et en cogérant l'atelier de son oncle Maurice BOURGUIGNON (1885-1978) à Bruxelles.
Mais la lutherie ne suffit plus à faire vivre une famille, c'est pourquoi il étend son activité aux disques et oriente la formation de son fils Jacques vers les cuivres et instruments à vent. Celui-ci le rejoindra en 1962. Paul DIDIER est décédé à 94 ans en 2002.
Document Jacques DIDIER.
Violon de Paul DIDIER de 1838.
VIOLON MARIUS OU PAUL DIDIER ?

"Lorsque j’assistais mon père Paul Didier dans son activité de luthier à Metz, j’ai pu observer bon nombre d’instruments fabriqués par ses soins, ainsi que ceux de mon grand père Marius. Je dois dire que pour les identifier, il fallait être habitué tellement il y avait de similitudes dans le travail entre le père et le fils. Le fait de travailler dans l’atelier au même établi pendant les années de 1925 à 1936 justifie les concordances de la structure de leurs instruments. Ils utilisaient les mêmes moules et mêmes modèles. La couleur de vernis était propre à chacun. Lorsque le fils, jeune adolescent de 17 ans, commence à fabriquer ses propres violons, son père, ayant acquis une grande habileté dans ses gestes pendant plus de vingt ans chez Thibouville-Lamy, pouvait lui prodiguer les conseils nécessaires. Le modèle extra copie du violon Guarnerius, vernis à l’huile, fait par Marius avait les faveurs des professeurs et des musiciens. Pour le violoncelle extra, le professeur du Conservatoire national de Paris, Louis Feuillard, recommandait le modèle Stradivarius pour la qualité de sa lutherie et sa sonorité".

Jacques DIDIER

Jacques DIDIER  (1939-2018) et Bertrand DIDIER luthier à Metz. 

Jacques DIDIER avec son fils Bertrand.


Jacques DIDIER est né à Metz en 1939. Il apprend la clarinette au conservatoire de Metz et après plusieurs années de formation dans différents ateliers parisiens, notamment 2 ans chez Selmer, il rejoint en 1962 le magasin familial en créant un atelier de réparations d'instruments à vent. En juillet 1983, la Maison DIDIER quitte la rue du Faisan, pour s'installer 25-27 rue du Palais à Metz, adresse actuelle.

Bertrand DIDIER, dirige la société messine. Après avoir acquis son diplôme de luthier dans l'atelier de Jean Jacques Pagès à Mirecourt, il part se perfectionner dans l'atelier du maître Etienne Vatelot.




Pour en savoir encore plus sur la famille DIDIER : le site de référence sur les luthiers : Le site de Roland Terrier

Jacques a légué aux Archives un fond documentaire : Archives de la Lutherie à Mirecourt












jeudi 31 août 2017

"Clarinettiste à Waterloo, Facteur de clarinettes à Brest puis à Metz : Jean François LEROY (1782-1853), ou les aventures d'un "clariboleux" aventurier". "Clarinetist in Waterloo, maker of clarinets in Brest then in Metz: Jean François LEROY (1782-1853), or the adventures of a "clariboleux" adventurer".

Oui je suis d'accord, avec vous, le titre de cet article est franchement "racoleur" et sans doute exagéré.....mais les vacances sont passées par là et pour cette rentrée difficile, je voulais insuffler dans le blog, à l'exemple de notre président jupitérien un souffle de lyrisme et de dynamisme......
Les habitués du blog savent que ce facteur messin avait déjà fait l'objet d'un article, mais j'ai trouvé de nouvelles informations qui méritent d'être publiées.
Jean François Leroy est né à Metz le 23 mars 1782, son père devait être militaire dans l'armée révolutionnaire car il est décédé à Metz le 26 avril 1793 (né à Metz) à l'hôpital militaire étant infirmier. On retrouve J.F Leroy à Brest le 3 août 1811 pour son mariage avec Julienne Lambault (1760-1817) de 22 ans son aîné. Il était musicien au 3iéme régiment d'infanterie de ligne, elle était née à Vannes le 2 novembre 1760 et divorcée de François Bernard le 25 avril 1801 à Brest. 
La musique d'un régiment d'infanterie de ligne vers 1810.
Les témoins du marié à ce mariage étaient le lieutenant du 3ième régiment d'infanterie de ligne Pierre Félix de Saint-Omer et Jean-Baptiste Taricot chef de musique du 3iéme également.
Tambour major du 3iéme régiment d'infanterie de ligne
en 1810

Le 3iéme régiment d'infanterie de ligne : Créé sous la révolution ce régiment participera aux campagnes de l'empire  pour commencer dans l'armée du Rhin. Son drapeau reçoit les inscriptions "Austerlitz 1805" et "Wagram 1809". Il se bat aussi en Espagne et sera presque détruit à Waterloo. On peut donc imaginer que notre personnage ayant 29 ans en 1811 a dû participer à quelques campagnes de l'empire....mais comme musicien.

  
Notre clarinettiste a dû participer à la campagne d'Espagne puisqu’il ne figure pas dans les recensements de Brest en 1813 où son épouse habite seule avec une domestique. En 1814 il est signalé comme musicien, c'est la période de la première restauration avant les 100 jours et la défaite de Waterloo. C'est sans doute à cette période qu'il quitte l'armée active puisqu'en 1815 il est musicien de la garde nationale et habite avec son épouse au 40 rue de Siam à Brest.
Quelques anecdotes sur "Les Musiques d'infanterie sous l'empire (1804-1815)" tirées d'un article de 1997 du N°123 de Tradition Magazine : 
Les petits soldats de Strasbourg.
"C'est surtout à partir de 1792 que la musique militaire a pris en France un grand développement. Le décret du 21 février 1793, énonçait que chaque demi-brigade aurait un tambour-major, un caporal-tambour et huit musiciens dont un chef ". "Dans plusieurs corps d'infanterie, il se trouve un plus grand nombre de musiciens que les règlements n'en accordent. Ces musiciens, admis en qualité de gagistes, et pour un temps limité seulement, touchent la solde et les fournitures comme s'ils étaient enrôlés en qualité de soldats ; encouragés à devenir soldats s'ils ne l'acceptent pas, c'est aux officiers de régler leurs coûts". 

Selon le maréchal Ney, pendant la bataille : " La musique du régiment durant le combat sera réunie en arrière sera réunie en arrière et jouera des airs guerriers...Les trompettes sonneront les fanfares. Les tambours et fifres seront envoyés  à la droite et en arrière de leurs bataillons effectifs, afin d'exécuter les batteries que le colonel jugerait convenable".


"Dans ses mémoires, le musicien Girault écrit  : "Nous autres musiciens, nous nous retirons dans une ferme qui était près de là, pour soigner les blessés qu'on y transportait et aussi pour nous mettre à l'abri....". "Nous fûmes acceuillis par une vive fusillade. Ce n'était pas l'affaire des musiciens, aussi nous voilà bien vite à prendre notre poste derrière le régiment. Le combat devenant général, nous nous retirons sur une hauteur d'où nous pouvions tout voir sans danger". On comprend mieux l'épithète de loin des balles qui leur est attribuée par les soldats".
La reconversion de Jean François Leroy : En 1817 il est installé comme luthier au N°40 rue de Siam à Brest, un immeuble que possédait son épouse rentière avec un magasin et six appartements. Malheureusement son épouse décède le 18 septembre 1817 à 56 ans. A-t-il fabriqué des clarinettes ou d'autres instruments sous sa propre marque à Brest ? Nous n'en savons rien car aucun instrument, connu actuellement ne porte cette marque. L'année suivante il s'installe à Metz comme Luthier, en Fournirue au 37, c'est là qu'il rencontre sa seconde épouse, Marie Louise Gallez (29 ans) la fille d'un bijoutier installé lui aussi en Fournirue, au 39. Le mariage a lieu le 19 août 1818. 
Signature de Jean François Leroy en 1818.
Clarinette en ut de
J.F Leroy à 5 clés
carrées. (coll. particulière)
Ils s'installent  en Fournirue, tout d'abord au N°37 où ils habitaient avec la ,famille de la soeur de l'épouse : Anne Gallez. C'est là que naît leur première fille Marie Adélaïde le 14 juin 1819.  Il devait déjà fabriquer des clarinettes puisque nous connaissons une clarinette en ut à 5 clés carrées (Collection J.L. Matte). Le 25 juillet 1822 né son fils Pierre Charles, au N°39 en Fournirue.
Il participe en 1824 à l'exposition nationale de Metz et expose : Une clarinette en si bémol à 13 clefs et en ébène ; une clef brisée sert à donner le la bémol et le la dièse. Mais il présente aussi deux flûtes, "l'une en ivoire, à six clefs et garnie en argent, l'autre en grenadille à 6 clés également, une petite flûte à 6 clés ou octave en ébène, un flageolet d'orchestre en ébène, un basson à 12 clés, dont trois ont été ajoutées par M. Leroy qui a aussi apporté quelques changement aux autres. Cet instrument, dont le doigté tout particulier exige une habitude que tout le monde ne peut avoir, n'a pu être essayé comme on l'aurait désiré". La conclusion : médaille de bronze de première classe.
Exposition de Metz de 1824.

En 1828 à l'exposition de Metz
, "il expose une clarinette à 18 clefs, garnie d'un nouveau mécanisme qui favorise le doigté dans l'exécution des morceaux en ut mineur, en ré et la majeur ; une flûte en ivoire à six clefs, une flûte en ébène à six clefs ; une petite clarinette ordinaire à 9 clefs; enfin un basson à 12 clefs".

Marque de J.F Leroy d'une clarinette en La à 13 clés
de notre collection.

A l'exposition de Caen en 1828, il présente un bec de clarinette. Il participe à l'exposition de Metz de 1834 et expose "une clarinette et une flûte excellente qualité". Il est Chef de musique de la garde nationale à Metz de 1832 à 1841.

Insigne d'honneur de la garde nationale de Metz
(vers 1800)
A cette période il habite avec sa famille, et celle de son beau-frère, Joseph Roupert, bijoutier au N°39 en Fournirue. "1836 : Leroy, 39 en Fournirue à Metz. Fabricant d'instruments à vent, dépôt de la librairie musicale, directeur de la musique de la garde nationale, fabrique particulièrement la nouvelle clarinette à treize et quinze clefs, tient généralement tous les instruments en cuivre et en bois. Magasin bien assorti de musique ancienne et moderne, cordes de Naples, fournit la musique militaire". (Extrait de l'almanach de Moselle de 1836).




Clarinette Sib à 14 clés de J.F. Leroy.


(Collection René PIERRE)



























Le commerce d'instruments de musique ne devait pas "nourrir son homme" puisque le couple Leroy de 1830 à 1853 avait étendu son domaine: "Leroy, 39 en Fournirue, flûtes, clarinettes, jouets d'enfants, articles de pêche. Médaillé en 1826 et 1828". En 1843 à l'exposition de Metz, il obtient une Médaille de première classe, car le Jury lui reconnaît, " un mérite d'invention dans les perfectionnements qu'il vient d'introduire dans la clarinette...."

Exposition de Metz pour 1843.
.




Clarinette en Ut de J.F. Leroy

à 13 clés, avec un bec original.

(Collection J.M. Renard)










En 1835, son beau-père, Gaspard Gallez, ancien bijoutier (83 ans) décède ; toute la famille habitait 2 chambres d'habitation pour un loyer de 200 frs avec deux chambres pour le commerce pour un loyer de 550 frs. Leur fille Catherine Adélaïde accouche en 1842 d'un petit Adolphe Jules et Charles, leur fils s'installe, en 188 comme tailleur d'habits au 37 place de la Chambre.  Jean François Leroy décède le 14 février 1853, il avait 70 ans.






Clarinette en Sib de JF Leroy

à 13 clés.

Collection RP

RECTIFICATION : J'ai précédemment publié une photo inversée de cette clarinette qui a pu faire penser à une clarinette pour gaucher. Merci à Albert Rice de m'avoir signalé cette erreur. Je n'ai toujours pas compris comment cette photo a pu s'inverser lors de mes manipulations.
Désolé d'avoir provoqué de faux espoirs.

RECTIFICATION: I previously published a reversed photo of this clarinet which could make think of a clarinet for left-handed. Thanks to Albert Rice for reporting this error. I still do not understand how this photo could be reversed during my manipulations.
Sorry to have caused false hope.





Si vous avez des instruments de J.F. Leroy n'hésitez pas à nous contacter.

La veuve Leroy continua le commerce de musique jusque vers 1861.