Ce Blog est destiné à favoriser la réalisation d'articles sur les facteurs, marchands de musique, luthiers, en mettant à disposition une collection de documents sur ces sujets.
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Si nous connaisons mieux aujourd'hui Claude LAURENT (1774-1849), facteur exceptionnel de flûtes en cristal, grace à la thése de Montserrat GASCON.........
Il n'en est pas de même pour son successeur Jean Dominique BRETON (1814-1874) également spécialiste de flûtes et d'embouchures en cristal.
Il est né le 7 janvier 1814 à Tilly dans les Yvelines à 20 km de Mantes la Jolie. Son père était marchand épicier dans cette petite ville.
On le retrouve, le 30 août 1835 à Oulins, à quelques km d' Ivry la Bataille pour ses fiançailles avec Marie Félicitée CHARANGER couturière. Il est alors orfèvre bijoutier, habitant Houdan dans les Yvelines. Mais visiblement le mariage n' eut pas lieu puisqu'une année plus tard, le 12 novembre 1836 il épousa à Pacy sur Eure la fille de son patron, Rosalie Elisa CARPENTIER (1816-1856). Dans l'acte il est précisé : " Ouvrier orfèvre bijoutier demeurant à Pacy sur Eure depuis sept mois chez Mr CARPENTIER ".
Donc il fabriquait des clés d'instruments de musique chez Jean Charles CARPENTIER (1782-1858), lui aussi orfèvre à Passy sur Eure pour les facteurs d'instruments de musique de la Couture-Boussey.
J.C. CARPENTIER avait enregistré son poinçon d'argent au bureau d'Evreux le 22 juillet 1812 et gérait l'ensemble de la production de clés, fabriquées par les clétiers de la région mais visiblement il en fabriquait lui-même, aidé par des ouvriers dans son atelier.
Plaque d'insculpation du bureau de garantie d'Evreux et poinçon de J.C. CARPENTIER
Lorsque l'on étudie la formation des clétiers on se rend compte qu'ils étaient plutôt mécaniciens de formation et spécialistes du métal, mais lorsqu'ils travaillaient l'argent ils étaient généralement orfèvres et cela s'accentuera encore lorsqu'il s'agira de réaliser des flûtes en argent. Ceci est valable pour des facteurs comme Bonneville, Rive etc... qui ont commencé leurs activités comme bijoutiers et fabriquaient des clés pour Godfroy ainé et Louis Lot avant de fabriquer des flûtes en métal et en argent. Dans leur métier d'orfèvre ils avaient pris l'habitude de poinçonner leurs ouvrages en argent.
En
1840, il est installé à Paris comme fabricant de clés d'instruments de musique
au 28 rue Jean Jacques Rousseau et remporte en 1844 une médaille de bronze pour
sa première participation à l'exposition de Paris pour ses flûtes, distinction
renouvelée en 1849. "Breton,
médaille de bronze 1844, flûtes Boehm grandes et petites, perfectionnées et de
différents modèles, flûtes ordinaires, clarinettes et hautbois de tous genres,
flageolets, etc….envoie en tous pays, J. J. Rousseau 28". (Bottin
1846)
C'est lui qui réalisera le clétage Boehm en argent de cette formidable flûte en cristal vert :
Flûte Boehm système 32 en cristal et argent de Claude LAURENT réalisée en 1844 (Collection Dayton Miller DCM11)
Il avait déposé son poinçon d'argent le 11 novembre 1840 à Paris.
Il existe également une autre flûte en cristal avec un système Boehm en argent. Daté de 1841 cet instrument appartient au Musée de la musique de Rome. Nous serions très intéressé de savoir si le clétage a été réalisé par J. D. BRETON ou par N.P. BELORGEY. Nous n'arrivons pas à contacter ce musée et n'arrivons pas à obtenir l'information. Si vous avez des contacts dans ce musée ou des informations sur cette flûte, vous pouvez nous aider.
Flûte cristal Boehm de C. LAURENT de 1841 du Musée de Rome.
Il participe dès 1844 à l'exposition de Paris et y présente des instruments qu'il fabrique : " grandes etpetites flûtes ". Il apparaît dès 1846 dans le Bottin non seulement pour la fabrique de clés d'instruments : " clefs nouveau et ancien système " mais également pour la fabrication d'instruments : " flûtes Boehm grandes et petites perfectionnées et de différents modèles, flûtes ordinaires, clarinettes et hautbois de tout genres, flageolets, 28 rue J.J. Rousseau ".
Hautbois à 11 clés de Breton. Coll. MIM de Bruxelles 1984 037
Il est présent à l'exposition de Paris en 1849 et présente une petite flûte Boehm. Il devait à cette période, sans doute plus être clétier que facteur puisqu'il apparaît dans le Bottin comme fabricant de clés. Nous avons répertorié des flûtes de Martin frères et de Thibouville portant un clétage de J. D. BRETON et correspondant à cette période (vers1845). Bien sûr il travaillait également pour Claude LAURENT en tant que clétier.
Il est à noter qu'avant 1850, c'est-à-dire avant le décès de Claude LAURENT (20 juin 1849) il ne mentionne jamais d'instruments ou d'embouchures en cristal dans ses publicités. C'est à partir du Bottin de 1850 que cette fabrication est nommée : " flûtes Boehm , gr et pet, flûtes ordinaires, clarinettes et hautbois, cors anglais, bassons et flageolets perfectionnés etc....garnitures intérieures et extérieures, instruments en cristal, becs de clarinettes et d'instruments de cuivre, flûtes de cristal de tout genre ....."
Nous pensons qu'il est excessif de dire que J.D BRETON a été l'éléve et le successeur de Claude LAURENT. Il a sans doute en collaborant avec lui dans la réalisation de clés, acquit un savoir-faire pour le travail du cristal, mais en fait cela ne devait pas lui poser beaucoup de problème puisqu'à l'origine il était bijoutier et orfèvre. De plus le départ de cette collaboration commence vers 1840, époque où C. LAURENT avait 66 ans et arrivait à la fin de sa carriére. Trois flûtes de Claude LAURENT portant une date à partir de 1840 (1841 flûte Boehm cristal, 1844 flûte Boehm cristal vert, 1844 flûte cristal à 8 et 9 clés du musée de Barcelone).
Si on considére cette collaboration entre C. LAURENT et J.D. BRETON au niveau des flûtes en cristal, on s'aperçoit qu'elle a été de très courte durée et principalement pour adapter un système Boehm sur cette flûte de cristal. Toutes les flûtes de C. LAURENT de 1837-38-39 ont des clés réalisées par Nicolas Paul BELORGEY (1803-1873). Seules les deux flûtes système Boehm en cristal de C. LAURENT semblent être le résultat de cette collaboration. Même si nous ne connaissons pas les poinçons d'argent de l'exemplaire du musée de Rome, les analogies de clétage nous laissent penser que le système Boehm en argent a été réalisé par J.D BRETON.
1841 Flûte Boehm du musée de Rome
1844 Coll DCM
La flûte cristal du musée de Barcelone à 8 et 9 clés, a été réalisé vers 1834, malgré la date 1844 gravée sur le tenon de la tête. La patte de Si comporte le P. lièvre 1819-1838 et le poinçon de
Chaudier. Un corps main gauche et une
patte de ré ont dû être réalisés vers
1844 par Breton puisque les tenons et les clés de ces deux
éléments portent les poinçons tête de sanglier et celui de Breton. (Museu de la Musica Barcelone)
Flûte du musée de Barcelone
Alors J.D BRETON successeur ou suiveur de Claude LAURENT ? Nous penchons pour la seconde hypothèse. D'ailleurs il n'a jamais fait mention dans ses publicités de la notion " d'éléve ", ni de " successeur", ce qui aurait pu lui apporter une certaine notoriété s'il l'avait été.
Le nombre de flûtes en cristal réalisé par J.D. BRETON est extrêmement limité. Nous en connaissons trois dont cette flûte à 9 clés de la collection Nydahl à Stockholm qui porte bien la marque de J.D Breton sur une bague et dont les clés comportent son poinçon (1840) également dont les bagues portent le poinçon de N.P. Belorgey vertical (1833-1843) et le poinçon tête de lièvre (1819-1838). Donc les bagues ont été faites entre 1833 et 1838.
Flûte à 9 clés de J.D Breton (coll. Nydahl de Stockholm)
J.D. BRETON aurait acheté des tubes et du matériel de l'atelier LAURENT aprés sa mort. Il existe une deuxième flûte en cristal vert dans la collection Dayton MILLER réalisée pour l'exposition universelle de 1862, ainsi qu'un piccolo systéme Boehm en cristal vert dérobé à André Bissonnet.
Flûte à 9 clés argent en cristal vert. (Coll. DCM)
Il avait eu une fille Marie Elisabeth née le 12 avril 1850 à Paris et son épouse est décédée à 39 ans le 28 janvier 1856 à Paris.
Le 1er octobre 1855 il obtint un brevet de 15 ans pour un Brevet " sur des perfectionnements apportés dans la perce et le mécanisme des flûtes ".
" Les parties modifiées et améliorées sont noircies, la flûte posséde une patte de Si.
A la modification de la clé de Sib (au pouce) présente un double avantage de mécanisme solide, léger élégant et la facilitéde couler rapidement de Si b au Si naturel. La dite clef de Si b se trouvant placée au dessous de la clé d'Ut ; le touché en est par conséquent plus naturel et plus facile ". etc......
Flûte à perce cylindrique de J.D. BRETON Avec détails de la nouvelle marque : Bréveté, clé de Dorus et clé de Si de pouce conforme au brevet. Coll. particulière.
Spécialiste d'embouchure de cuivre et de clarinette en cristal, il obtiendra deux nouveaux brevets de 15 ans : en 1858 pour " des perfectionnements apportés aux embouchures d'instruments à vent en général ". et en 1859 pour des " perfectionnements dans la fabrication de bec de clarinettes ".
Bec de saxhorn en cristal.
Embouchure en cristal bleu. (MIM Bruxelles)
Vers 1868 il déménage au 42 faubourg Saint Martin. A cette époque il vivait avec une certaine Mademoiselle Adéle Ursule DUVAL, célibataire et fabricante d'instruments à vent dont il fera sa légataire universelle dans un testament olographe rédigé le jour de sa mort le 5 octobre 1874 à Paris à son domicile 42 faubourg Saint Germain à Paris.
Testament du 5 octobre 1874
Qui était cette demoiselle, peut-être Adéle DUVAL née le 27 juillet 1828 à Pont Sainte Maxence dans l'Oise et décédée à Paris le 23 mai 1880. (à confirmer)
Bien sûr sa fille Marie Elisabeth BRETON, ouvrière en mode, 24 ans habitant 59 rue de Lanoy à Paris est là ainsi que Adéle DUVAL sa légataire universelle. L'appartement qu'il louait est petit : une cuisine (fenêtre sur cour), une pièce au-dessus avec fénêtre sur la rue, un vestibule donnant aussi sur la cour dans lequel on trouve un petit orgue dans une caisse en acajou avec un pupitre à musique, et une chambre à coucher.
Les experts chargés d'évaluer " le matériel, agencement du fonds de commerce de fabricant de musique exploité par feu Mr BRETON dans l'atelier éclairé sur la rue par deux fenêtres " furent Mrs Martin THIBOUVILLE " fabricant d'instruments de Musique 69 rue d'Argout à Paris " (Martin (II) THIBOUVILLE (1792-1878) et Louis Emile Jérome THIBOUVILLE (1833-1902) fabricant d'instruments de musique 31 Bd de Montmorency à Paris ".
+ Un poële en fonte et un tuyau en fonte 3 frs
+ Une meule et sa monture en bois 2 frs
+ Un tour avec ses outils et accessoires 2 frs
+ Un établi à travailler et une presse à marquer
avec un vieux banc à tirer 25 frs
+ Un étau en fer sur un billot en bois, un petit souflet
de forge, deux lampes à tringles, une fontaine,
boites et menus objets 12 frs
Marchandises et outils :
+ Deux flûtes en cristal, un flageolet, une clarinette
et quatre autres flûtes de diverses grandeurs et
divers accessoires. 140 frs
+ 5 étuis pour instruments de musique 3 frs
+ Un instrument en cuivre 12 frs
+ Un lot de tubes en métal et en bois 12 frs
+ Un lot d'instruments en bois 1 frs
+ 4 tubes en verre et parties de vieux instruments
un lot d'outils 60 frs
+ Un lot de becs en cristal 15 frs
+ Un autre lot de becs en cristal 50 frs
+ Un lot de tiges en cuivre pour embouchures 20 frs
+ 13 moules en fer pour embouchures et autres
ustenciles pour la fonte des becs 700 frs
Estimation du fond de commerce.
Compte tenu du chiffre d'affaire et des clients le fond de commerce est estimé à 0 frs
Visiblement J.B. BRETON n'avait pas fait " fortune " et vivait sans doute d'expédient à la fin de sa vie. " il n'y avait aucun argent dans la caisse, aucune commandes non payées seulement des dettes (il devait 270.75 frs à Martin THIBOUVILLE) et avait gagé au Mont-de- Piété sa montre en or......Les seuls éléments de valeurs dans cet inventaire sont les moules qui servaient à faire les embouchures ". Effectivement les instruments portant la marque de BRETON sont rares dans les collections actuelles.
Flûte en argent massif de Breton Collection RP
Pour la petite histoire sa fille Marie Elisabeth BRETON avait pour compagnon William STAR anglais artiste de cirque.
Et c'est leur fille Louise Star née en 1871 à Cherbourg qui jouait le rôle de trapéziste dans le numéro fait avec son père.
Souvenirs
d’un étudiant ayant suivi une grande partie du festival de Royan, qui fut une
expérience de musique contemporaine entre 1964 et 1977
(Touroude José-Daniel, interviewé par René
Pierre)
En 2014, pour les 50 ans du festival, j’avais
retranscrit mes notes sur ce festival très particulier pour en faire un article
sur notre blog http://rp-archivesmusiquefacteurs.blogspot.fr/mais j’ai abandonné ce projet car d’une part mes
souvenirs me paraissaient trop personnels et d’autre part, ce sujet ne paraissait
plus d’actualité. Puis tout à coup, ce festival oublié, rebondit. Les archives
et les souvenirs ressortent. Par devoir de mémoire, j’ai repris mes notes, sans
modifier mon ressenti de l’époque, car elles peuvent servir pour cerner
l’atmosphère spécifique de cette aventure.
Tu as été un témoin privilégié, étant
originaire de Royan, faisant des études musicales à Paris et d’avoir eu 20 ans
en 68 ! Peux tu nous indiquer ton ressenti sur ce festival ?
En effet, à l’occasion des
journées du patrimoine en Septembre 2021, Royan, ville balnéaire de
l’Atlantique, a rappelé un des moments forts de son histoire, à savoir d’avoir
élaboré pendant 14 ans, un festival de musique contemporaine qui a eu un impact
certain dans l’histoire de l’art. Ceci est important pour moi
car j’ai suivi pendant une dizaine d’années, ce festival à Pâques, où j’ai vécu
des émois très différents, d’abord de surprise puis d’enthousiasme pour des
sons nouveaux. Mais j’ai été aussi choqué par des expériences parfois
inaudibles, qui ne peuvent s’expliquer que dans le contexte bouillonnant si
particulier de cette époque.
Toi, qui es revenu vivre à Royan, que reste
t-il de ce festival ?
Il ne reste plus grand chose
de cette époque qui, comme un château de sable, a été laminé par le temps… quelques
archives que l’universitaire JS Noël analyse, quelques souvenirs de musiciens
et d’auditeurs de cette aventure, quelques créations mondiales d’ex-jeunes
avant-gardistes désormais intégrés dans l’histoire de la musique. Vu l’indigence des archives
sonores, car nous ne sommes plus nombreux vivants à avoir vraiment vécu et
analysé cette période (Bussotti et De
Pablo viennent de mourir), mes souvenirs sont parcellaires car je n’ai pas assisté
à tout. En effet j’étais impliqué comme auditeur, et j’ai oublié beaucoup
d’oeuvres et de musiciens présents à l’époque. D’autre part, en tant
qu’étudiant musicien, j’ai été intéressé quasi exclusivement par la musique et
je n’ai suivi que ponctuellement les autres arts présentés (théâtre, cinéma,
peinture, photographies etc ...). Alors que tout est filmé,
enregistré et diffusé actuellement dans tous les médias, à l’époque, il se
passait beaucoup de choses, le meilleur comme le pire, mais peu était
enregistré ! nombre de concerts, d’happening, de colloques passionnants,
d’analyse (je pense à l’oiseau de feu de Stravinsky décortiqué par Maurice le
Roux ou Xenakis et Stockhausen expliquant les codes de leurs musiques avec une
volonté pédagogique qui a permis d’intéresser un public plus élargi en donnant
des éléments de compréhension de la musique moderne voire d’avant-garde…)
Ce fut un évènement culturel
majeur qui fit l’objet de controverses et d’avancées sonores (les ingénieurs du
son de films actuels se sont beaucoup inspirés de ces années) car cette époque
était riche d’inventions et de réflexions, peut-être trop, mais l’outrance
était à l’ordre du jour, chacun allant plus loin dans la radicalité que le
voisin sur tous les sujets y compris la musique. Mais revenons à ces journées
du patrimoine : Ce qui m’a frappé le plus dans ces deux conférences et le
seul film partiel de TF1 de Le Roux retraçant ce festival, c’est la pauvreté
des archives sonores. Des bribes de concerts fragmentés, nombre de créateurs
oubliés, des interviews justificatifs des organisateurs, certains
réinterprétant l’histoire (mais selon notre positionnement, nous n’avons pas vu
les mêmes choses mais cela c’est classique !), des micros-trottoirs
hostiles et goguenards qui constituaient en fait la majorité des réactions
royannaises montrant la difficile greffe d’une recherche avant-gardiste dans
une région culturelle provinciale traditionnelle. (cf les articles dans le
journal Sud-Ouest).
Et puis le temps passa … Royan
a intégré cette époque, faisant le tri entre les slogans de 68, les avancées et
les impasses de cette musique et de ce festival. H. Besançon, (une des
chevilles ouvrières et un des rares musiciens de l’organisation à Royan), a
écrit en 2007 un beau livre anniversaire assez confidentiel toutefois, qui va
retracer l’aventure exceptionnelle de ce festival. On assistait en fait à un
oubli progressif de cette expérience–laboratoire. Encore l’image de la
sculpture éphémère sur le sable réduite à peu de chose une fois les marées
passées…
Bien sûr, la Mairie a voulu
figer ce souvenir dans la ville par la création d’un conservatoire de musique municipal
qui a pour nom Gachet-Besançon (les noms des deux organisateurs royannais qui
n’ont pas ménagé leurs efforts pour faire vivre ce festival) et où chaque salle
de classe a pour nom un des grands compositeurs d’avant-garde venus à Royan. (Salles
Stockhausen, Takemitsu, Xenakis, Ligeti, Boucourechliev etc…). Il y avait donc urgence et
nécessité à réaliser une réactivation du patrimoine culturel et d’ailleurs ce
n’est pas par hasard que ceci soit fait par un historien et non par des
musiciens. C’est pourquoi la recherche historique de JS Noël est essentielle
afin de raconter ce festival qui a eu son importance dans l’histoire de l’art
contemporain.
Alors reprenons le fil historique :
Pourquoi Royan a crée un festival original d’art contemporain, ce n’était
pas évident ?
C’est la rencontre, en fait, de
deux demandes au début des années 60. Une impulsion forte
étatique avec le Ministre Malraux, l’Orchestre de l’ORTF dirigé par M. Le Roux
et le constat faible de la musique d’avant-garde (à part l’existence du
GRM au sein du Service de recherche de la Radiotélévision française et du Domaine Musical, autre laboratoire d’expériences
sonores). Alors que d’autres pays
comme Venise en Italie, Donaueschingen en Allemagne, Varsovie en Pologne
créaient la musique vivante (et continuent actuellement). La décision politique
était claire : Il fallait trouver un lieu en France et dans un cadre
moderne approprié. Une autre demande aussi forte
venait de la municipalité de Royan, ville balnéaire décentrée, détruite pendant
la guerre et reconstruite avec une architecture novatrice des années 50.Ayant perdue sa vie
culturelle et voulant compléter la carte moderniste qu’offrait son architecture
originale, la ville de Royan voulait se démarquer, afin de retrouver des
retombées touristiques puisqu’elle a toujours vécu pratiquement que de
cela…
L’idée de la Mairie était de
faire un festival dans des endroits modernes de la ville notamment la nouvelle
église de Royan, vaisseau en béton, mais surtout le Casino, merveille
architecturale moderniste (mais pitoyable acoustique !). Ce Casino
disparaitra après une vingtaine d’années d’existence, ce qui fut un scandale,
la sauvegarde du patrimoine n’étant pas à la mode à l’époque ! Mais que
faire pour faire parler de soi ?
Une première tentative d’un
festival de musique moderne permit d’écouter en 1964 quelques compositeurs français
consacrés : Messiaen, Barraqué, Jolivet…
Leurs musiques étaient modernes et de qualité, mais d’une génération
antérieure (comme Auric souvent présent à Royan), et étaient jouées aussi
ailleurs. Rien d’original ! D’ailleurs le public charentais a été peu
réceptif ! (Ma mère professeur de musique à Royan nous avait encouragé, avec
quelques grands élèves, à écouter ces concerts mais il y avait plus de
musiciens sur scène que d’auditeurs ! mais pour nous, c’était le comble du
modernisme.)
Olivier Messian (1908-1992)
Au début, Royan a eu la chance d’avoir
accueilli de grands compositeurs, n’est-ce pas ? notamment Messiaen.
En effet, le centre de
gravité du festival tournait autour de Messiaen : « Le mandarin merveilleux du
Conservatoire de Paris » (référence à Bartok !), « un des gourous de la musique
moderne » (c’était l’époque des gourous de tout poil, y compris des plus
sulfureux comme Tabachnik, chef d’orchestre souvent invité à Royan )…«Le Maitre» était entouré de ses amis (G.
Auric, Barraqué, Le Roux, Berio, Schaeffer, Kagel, Boucourechliev, Ligeti,
Maderna… et bien sûr Loriot sa femme) et de ses anciens élèves(JE Marie, JP Guezec, G Amy, M Decoust…) Cela
ressemblait à « Messiaen & friends » indiquaient
certains ! (Seul Boulez boudera Royan). Mais pour nous, un premier
intérêt était de pouvoir écouter une autre musique nommée « savante,
actuelle, d’avenir… » Un deuxième intérêt était de pouvoir aussi approcher
de façon accessible et voir en vrai, nombre de musiciens, car nous étions
ambivalents, insolents mais admiratifs et fiers de les voir dans notre petite
ville décentrée. Nous pouvions même leur parler de façon informelle et
détendue, mais c’était vraiment pour beaucoup d’entre nous, la limite de la
musique acceptée.
Ainsi, je me rappelle aussi
d’avoir eu un entretien avec Boucourechliev, (ancien élève puis professeur à
l’Ecole Normale de Musique à Paris où j’étais étudiant). Bien sûr j’ai applaudi
son œuvre « les Archipels » et nous avons parlé du père de la
musique : pas Stravinsky mais JS Bach !
Mais ce festival fut pensé à Paris, et il
n’y aurait pas eu de festival sans la mobilisation de certains spécialistes
comme Claude Samuel et ses amis.
Oui et ce festival a été en
grande partie son oeuvre car il draina vers Royan une élite musicale parisienne
qui voulait oser et être plus originale et novatrice en faisant jouer les
jeunes d’avant-garde pratiquement inconnus qui voulaient tout déconstruire et qui
avaient beaucoup d’idées révolutionnaires : Xenakis, Nono, Ginastera,
Stockhausen, Bussotti, De Pablo, Radulescu, Mefano, Thien-Dao etc… L’important
était de se démarquer des autres festivals qui se répandaient en France et
surtout ressembler au festival de Donaueschingen. Il a été aidé par de grandes
figures de la musique d’avant-garde, notamment H. Scherchen, qui vont
cautionner et lancer Royan.
« Il faut marquer les
esprits !» était le mot d’ordre de ces organisateurs. Ainsi nombre de
jeunes compositeurs et de musiciens vinrent à Royan. Ils étaient très
inspirants et stimulants pour nous qui étions encore étudiants motivés par une
curiosité sans limites et il y a eu peu de limites ! Cela fait sourire
désormais, le balancier qui a connu un de ses extrêmes à Royan est revenu en
musique à des fondamentaux dissonants, bien sûrs, mais plus conventionnels.
Il y a eu aussi la venue de
musiciens d’exception qui partageaient ce courant d’avant-garde comme le
flutiste Gazzeloni, les clarinettistes Deplus et Portal, les pianistes comme
Loriot, Wiener, les sœurs Labèque etc…
le violoncellistes Pénassou et Meunier (très lié à Royan), les
percussionnistes de Strasbourg et JC Drouet, la chanteuse Berberian, (ex-femme
de Berio), l’orchestre du Domaine Musical dirigé par G. Amy, l’orchestre de
l’ORTF bien sûr, des comédiens du
théâtre de l’Odéon avec Madeleine Renaud et Jean Louis Barault, Maria Casarès,
Arditi etc… et bien d’autres, beaucoup de jeunes talents qui ont fait carrière
depuis.
Quelle était l’ambiance à Royan lors de ce
festival ?
Elle était particulière et étrange (surtout
encore plus maintenant avec le recul) avec des discussions générées par la
musique : l’ouverture des possibles, la tolérance, les ponts avec d’autres
cultures, un esprit relativiste où les tabous, les contraintes et valeurs de la
génération précédente de nos parents étaient remises en question… tout cela
dans une forme ludique voire un chahut, avec force provocations, humour et
ironie (esprit Charlie Hebdo) où tout était prétexte à s’amuser et à réfléchir,
puis à se contredire. Et il y avait de
l’électricité dans l’air, aussi bien en musique que dans les discussions
passionnées et utopiques et puis nous avons rencontré d’autres jeunes étrangers
venus de toute l’Europe, comme nous passionnés… on a eu l’impression d’assister
à la création d’un nouveau monde culturel… En fait peut être un mirage ! Car tout était nouveau :
plus d’estrade surtout ! Ainsi Terrêtekhtorh de Xenakis où les musiciens
étaient éparpillés dans le public dans le hall du Casino avec une acoustique
déplorable mais qui fut acclamé (au moins par nous !)
Casino municipal de Royan
Je me rappelle aussi du
concert à l’église Notre Dame en 1967 d’une œuvre de Decoust dirigé par Le Roux
dans une cacophonie où même les oreilles les plus habituées furent
malmenées ! Son oeuvre ouverte
(c’est à dire avec des formes non fixées donc donnant jamais la même audition)
fut un flop retentissant (c’est le mot !) cacophonie, vacarme,
improvisation débridée, tortures pour les auditeurs et les musiciens » qui ne
s’entendaient pas car dispersés en hauteur dans l’église et qui improvisaient
chacun de leur côté ! « positivement génial » (c’était l’expression à la
mode) répondront d’autres, sifflements et huées contre de maigres bravos et
applaudissements. L’analyse du concert continuait aussi après sur la plage mais
pour beaucoup c’était trop, cela dépassait leurs limites acceptables. Je me souviens aussi en 1970
d’un concert du quatuor Parrenin, excellent mais assis par terre de façon
inconfortable, ou des prestations de Christian Ivaldi et Pludermacher
sympathiques et talentueux et de bien d’autres…. (Ma mémoire est sélective et non exhaustive
et objective car ce festival était tellement foisonnant, que nous n’avons pas
les mêmes souvenirs et ressentis.)
Ainsi par exemple, la
conférence de Stockhausen en 68 nous avait donné des clés de compréhension de
la musique d’avant-garde…. Plus tard, en souvenir, j’essaierai de jouer « en
toute amitié » de Stockhausen pour clarinette !
Pour vous, musiciens en devenir, le
festival était donc un déclencheur de questions sur la musique et
notamment sous ses formes les plus libérées ?
La plupart d’entre nous se
destinait à vivre avec la musique et même à en vivre. Mais à cette époque, un des
thèmes privilégiés demeurait : La musique doit- elle être éphémère ?
L’enregistrement fixant une interprétation « dans le marbre » supprime les
risques liés à l’improvisation mais aussi à l’interprétation… on ne joue plus
alors ce que l’on ressent, ni surtout selon le public, mais pour la bande
enregistreuse (avec l’ingénieur du son qui arrange et modifie), on joue alors pour
la postérité, pour avoir une écoute parfaite, pour l’histoire donc, et
« la spontanéité est en cage ! » La liberté d’improviser, base
de la musique, casse les corsets savants et permet enfin de ne plus lire la
musique écrite des autres… « De la musique et la liberté avant toutes
choses », « vive la musique éphémère » sont inscrites en graffitis à
Royan… mais rien de nouveau sous le soleil : JS Bach, Mozart, Beethoven
etc… étaient de grands improvisateurs et avaient envie de liberté ! Après certains concerts, la
question devenait alors : faut –il mettre des limites à l’improvisation où
préparer ses improvisations comme le font beaucoup de jazzmen et improvisateurs patentés
et tromper un peu le public mais en retour faire des morceaux propres ?
L’idée que chacun était libre
de choisir son ordonnancement musical et d’improviser était toujours sous-jacent
aux débats. Ainsi le free jazz à Royan avec la venue de Michel Portal (notre
chef de file pour nous clarinettistes), entraina le débat essentiel sur les
formes ouvertes portées aux nues par certains, vilipendées par d’autres. Le scandale était permanent
et la question posée par certains radicaux devenait alors : pour être
écouté, le scandale doit-il être permanent à chaque concert ? Le livre de G. Debord
« la société du spectacle » était aussi fort débattu. Une question plus générale
revenait : la musique doit - elle être récréation ou création ? Certains faisaient des
analogies avec cinéma d’auteurs, d’art et d’essai ou cinéma populaire ou avec
les autres formes d’arts etc…
A ce propos, les expériences
culturelles de Royan optèrent d’ailleurs pour les deux : d’abord le
festival pour la création la plus ardue pendant 14 ans, avec à la fin l’ouverture
à des musiques plus populaires du monde, pour arriver désormais au célèbre « violon
sur le sable » qui illustre bien pour la récréation musicale de qualité depuis
plus de 30 ans !
Eglise Notre Dame de Royan.
Mais ce festival d’avant garde a dû être un
véritable choc culturel même s’il est inscrit dans une époque culturellement
mouvementée ?
Le choc a été intense pour
nous tous, un véritable tremblement de terre musical ! Nous, qui pensions
être modernes, nous avons tous été dépassés d’un coup (quant aux musiciens
professionnels plus âgés que nous, habitués au grand répertoire étaient pour la
plupart hébétés, même Messiaen indiqua qu’il s’était trouvé ringardisé après
une écoute de Xenakis ! Ce qui est incroyable, contre
toute attente, certains musiciens et mélomanes rétifs au départ qui venaient
par curiosité, d’autres aussi par snobisme puis au fur et à mesure, par
suivisme ont commencé à remplir les salles, ce qui a changé beaucoup de choses
notamment dans le monde artistique. ( Je pense que cela a commencé avec «Nuits» de
Xenakis à Pâques 68).
Si la musique se libérait de
ses codes, ce fut aussi la libération de la parole : nous questionnons sans
complexes les compositeurs, les musiciens et nous discutions sur nos réactions face
à cette nouvelle musique. Certains faisaient les liens avec leurs cultures
cinématographique et sur l’art abstrait démontrant que c’était le même courant
de fond mais la plupart politisait tout événement. Par exemple des
questions nouvelles dérangeantes : pourquoi si peu de femmes dans les
grands orchestres du monde ? Pourquoi certains instruments étaient
pratiquement interdits aux femmes s’insurgeaient les féministes ? etc…
Désormais cela paraît irréel, mais Royan était aussi un questionnement
permanent sur tout… Nous rions beaucoup des
audaces, que de fous rires pour certaines œuvres (surtout quand certains
prenaient un air inspiré pour jouer ou écouter des sons bizarres) notamment
dans la musique concrète. Une de mes notes d’époque
indique les propos d’un musicien de l’ORTF : « C’est intéressant à
jouer et un vrai défi, à écouter beaucoup moins ! » personnellement
je le pense toujours ! Pour la majorité des musiciens, ils jouent ce qu’on
leur demande puisqu’ils ne font pas la programmation ! ils exécutent. D’ailleurs
on les nomme exécutants.
D’autres musiciens, n’ont pas
suivi cette aventure hasardeuse et ont replongé dans la musique ancienne.
Cette grande remise en question par les
artistes devenait vite sociétale et politique. Peux tu préciser ?
Jacques Attali (cf son livre
bruits) indique que les artistes d’avant-garde décriés et novateurs ont
toujours été à l’avance de périodes artistiques mais aussi sociétales,
politiques, culturelles futures. Les concepts clés de compréhension de cette
période étaient politiques, avec en toile de fond la gauche marxisante avant
1968 et dans les années 70 : le roman (Robe Grillet viendra au festival), le
cinéma (Godart), la danse (Béjart), la philosophie (Deleuze, Derrida, Barthes,
Foucault ).Toutes les contraintes ont
été systématiquement contestées et devaient être libérées : toute forme
d’autorité dans la société, la politique, les religions, le new age venu des
campus américains, l’écologie naissante avec René Dumont, le productivisme
capitaliste et l’hyperconsommation, le début du Bio, le plaisir esthétique et
corporel, la vie sexuelle et l’amour, le mariage et la famille, la peine de
mort, la décolonisation etc… et beaucoup d’autres sujets sociétaux…. Mais 50
ans après, ces thèmes demeurent et sont toujours aussi conflictuels.
Les débats devenaient vite
politiques : art pour une minorité éduquée ou pour la majorité du peuple ?
car les publics n’étaient pas les mêmes et n’avaient pas les mêmes références… Ces débats passionnés
permettent de dire à certains maintenant qu’à Royan, on discutait en Avril 68,
des futurs débats en Mai et Juin 68 à Paris (enfin c’est exagéré et pour
avoir participé aux deux, disons que l’ambiance et quelques thèmes furent repris
à Paris). La jeunesse surtout
estudiantine voulait surtout se libérer du poids de l’histoire passée de la
deuxième guerre mondiale, mais aussi du climat anxiogène de la guerre froide
pesante qui menaçait le monde avec ses armements nucléaires, les guerres
coloniales, la guerre du Vietnam et l’impérialisme US, Staline et ses crimes, Mao
et sa révolution sanglante, des dictatures de droite et de gauche…
Iannis Xenakis (1922-2001)
Certains compositeurs
voulaient montrer que dans leur art, la politique était sous-jacente (« tout
est politique » indiquera Xenakis, pilier de ce festival, qui nous expliquait
une de ses œuvres en liaison avec les colonels grecs qui torturent … C’est
l’époque des non-alignés, du tiers monde qui s’émancipe, du développement du
monde et de la mondialisation qui s’intensifie et de la suppression des
hiérarchies entre races, cultures, sexes etc….Certains faisaient vaguement
du yoga sur la plage, philosophaient, s’intéressaient à la spiritualité
orientale indoue, taoïste, bouddhiste zen, à la non-violence avec pour modèles
Gandhi et le Daïli Lama, commentaient Krisnamurti et Sri Aurobindo, mais aussi
l’œcuménisme dans le christianisme qui bouleversait les mentalités et l’athéisme
« tout le monde faisait son marché dans les spiritualités du monde ».
Tout était sur la table et certains tribuns en herbe parlaient forts et avec
radicalité. La jeunesse s’ouvrait sur le
monde (avec une prédominance américaine), plus de murs entre ethnocentrismes,
religions, arts mais des ponts culturels. La jeunesse du monde voulait
s’émanciper avec d’autres valeurs, d’autres comportements, d’autres morales
dans un certain hédonisme, à la recherche du plaisir voire du bonheur… Je retrouve parfois cette ambiance
anarchisante passée de l’ambiance du festival de Royan avec M. Onfray.
Pouvons nous replonger dans cette époque
fertile avec des jeunes créateurs turbulents ?
« Déconstruction pour
construire autre chose » (et nous construire) était fondamental. Nous nous heurtions sur le
slogan « faisons table rase du passé » de certains radicaux politiques,
car la plupart restait attaché à la musique sous toutes ses formes et cela
posait le problème des limites acceptables. La musique concrète de Pierre
Schaeffer, la musique électro magnétique de P. Henry, la musique influencée par
les mathématiques et l’informatique naissante de Xenakis, l’improvisation
débridée de Portal… constituaient–ils l’avenir des nouvelles formes musicales
et l’utilisation nouvelle de nos instruments de musique ? Les avis étaient partagés car
alors pourquoi faire 15 ans de formations musicales classiques ? Pourquoi
étudier le solfège et l’harmonie ? Faut-il être autodidacte ou maitriser
les appareils électroniques pour faire de la musique d’avant-garde et prôner
une rupture totale afin de ne pas subir l’influence des compositeurs
ancêtres conventionnels comme certains compositeurs indiquaient ?
Alors pourquoi travailler ces
partitions expérimentales difficiles voire impossibles à jouer ? ces
interrogations permettaient de comprendre la résistance réelle de la plupart
des musiciens professionnels (on assista à des véritables révoltes et sabotages
d’exécutants d’orchestres pourtant peu habitués à ce genre de réactions) au
grand dam des organisateurs (Gachet, Besancon, Samuel, Halbreich…) qui devaient
gérer ce festival indiscipliné avec des «égos surdimensionnés », « des génies incompris», mais surtout des
musiciens divisés, excédés ou enthousiastes, et avec un public rigolard,
«venant au cirque» ou passionné par un bouleversement de l’art ! Un
festival multiforme, foisonnant, dérangeant…
Ce festival s’inscrivait donc dans le
bouleversement des idées autour de 68 ?
C’est évident. Les mots clefs
de l’époque qui sous-tendaient ce festival mais aussi les conférences et
colloques étaient : déconstruction, provocation, nihilisme, anarchie…Il fallait « choquer le bourgeois et la
population ambiante » et « se libérer de toutes contraintes et
autorités, d’imaginer l’impossible » avec des slogans et les graffitis
clefs de 68 comme « l’imagination au pouvoir », « jouir sans entraves », «
peace and love », « cassons les codes surannés », « libérons
nous des carcans » etc… et ce qui nous concernait le plus, « l’art dans la
rue ». Ce dernier slogan a suscité
nombres de débats, car elle a été prônée par des élites musicales avec la
louable intention d’éduquer la masse ! (Nous avons applaudi les prêtres
ouvriers, les messes en jazz, les étudiants qui allaient en usine pour voir
l’exploitation ouvrière …). Ce slogan permit d’étendre la musique dans les
campagnes charentaises et n’eut guère de succès à Royan à l’époque.
Cette polémique recommença
quand fut institué la fête de la musique de J. Lang… surtout que là, tout le
monde pouvait se prétendre musicien et jouer dans la rue ! Mais plus tard toujours à
Royan, l’art dans la rue se concrétisa avec « le violon sur le sable » qui lui
a réussi (50 000 spectateurs ) en jouant ce que veut le public et non pas
ce que veulent jouer une minorité de musiciens. Démagogie aurions nous dit à
l’époque, réalisme aujourd’hui ! Dans les années 70, nous
débattions à Royan sur cette remise en question générale, continuant parfois
les discussions sur l’art effectuées à la Sorbonne ou à l’Odéon en 68 avec des
analyses plus intellectuelles et étayées. Nous étions pris dans ce tourbillon
intellectuel structurant mais ambivalent car nous continuions nos études
traditionnelles, nous passions nos diplômes universitaires et nous dormions
peu : fougue de la jeunesse !
Tout cela laissa forcément des traces et
même des changements de trajectoires de vie. Quelles étaient les conséquences
de cette remise en question de la musique pour vous, étudiants passionnés ?
Les « élites » estudiantines
musicales voulaient bien faire référence aux grands ancêtres Stravinsky, ou
Messiaen (Sartre et Beauvoir en philosophie, Boris Vian important à l’époque)
mais surtout tout révolutionner et s’attaquer à tous les paramètres de la
musique… Plus de forme : «la
forme doit être informe », plus de barres de mesure et de rythme régulier, de
partitions, de mélodies, d’harmonies, de notes, voire plus de chef. Or nous
assistions à un effet pervers : plus la musique était ouverte, plus on
avait besoin d’un chef pour coordonner et celui-ci reprenait de l’importance et
cela nous perturbait, surtout que certains jeunes chefs à Royan, conscients de
leur rôle central, se prenaient pour des nouveaux Boulez ! Mais pour les instrumentistes
surtout à vent, notre intérêt majeur tournait autour de la production des sons
de toutes natures, si possible jamais entendus, avec l’usage de toutes les
possibilités instrumentales mêmes les plus incongrues.
Un autre courant musical
mélangeait les sons avec des bandes magnétiques et la musique
électroacoustique, le tout enveloppé dans un discours intellectualisant
aujourd’hui parfois ridicule ! La synthèse de ces deux courants se
fit évidemment : d’une part les analyses acoustiques « avec des appareils
à boutons » et d’autre part l’amplitude nouvelle des sons possibles par
des instruments de musique traditionnels, débouchant sur toutes les
déformations des sons. Ainsi pour moi clarinettiste,
ce qui était surprenant c’était la libération des sons (glissandos, «la sirène»
de Barney Bigard ou de la rapsodie in blue de Gerschwin classique qui étaient
réutilisées, la clarinette intégrant les accents klezmer, les sons rauques,
raclements, grognements (growl du jazz repris par Stockhausen), les sons
doubles (Radulescu), les polytonalités, polyrythmie, l’atonalité et les quarts
de tons, la déformation des sons, les passages improvisés aléatoires (cadences improvisées),
et les suraigus, «avec des fréquences pour chauve-souris percevant les
ultrasons» se moquaient certains. Dans ces musiques d’avant-garde
régnaient surtout les percussionnistes avec des complexités rythmiques
incroyables (nous croyions connaître les différents rythmes appris dans
« le Dandelot » professeur au Conservatoire à Paris mais venant du
pays royannais ! ou parce qu’on jouait du jazz) mais nous avons été vite
dépassés par ces rythmes novateurs et complexes. L’important, était de jouer
sans filets et de ne pas avoir de contraintes ! L’improvisation, qui
était refusée par la plupart des musiciens classiques, était revendiquée,
revalorisée.
Pour d’autres, tout était
écrit dans un langage abscons pour initiés dans des partitions. Il faut voir certaines partitions, certains
compositeurs réinventaient des codes différents, qui nécessitaient un nouvel
apprentissage, des sons à réaliser bizarres, des techniques instrumentales
quasi impossibles. Nous nous opposions aussi,
sur comment faire de la musique avec nos instruments malmenés et pourquoi pas
supprimer ceux-ci. Ces débats radicaux nous semblent bien loin, le balancier
étant revenu à des notions plus acceptables, quoique modernes et
contemporaines. C’est pourquoi, ce festival d’art contemporain est
historiquement daté, compréhensible que dans le contexte d’une époque
particulière (et qui se démode à une autre époque). Pour ma part, je préfère le
terme d’avant-garde qui lui convient mieux. En effet, certains nihilistes
réduisaient la musique qui devenait minimaliste puis réduite à presque rien,
puis à rien du tout, puis au silence (faisant référence à 4’33 de John Cage) et
à Lao Tseu «la plus belle musique, c’est le silence » mais l’art abstrait
faisait de même avec « le carré blanc » de Malevitch en peinture etc…
D’autres, au contraire,
revenaient à reproduire ou capter les bruits naturels (très humains voire
scatologique (cf aussi « merde d’artiste » de Manzoni) et nous étions loin des
chants des petits oiseaux de Messiaen ! Tout son est de la musique et beaucoup
de compositeurs voulaient témoigner de leur époque industrielle assourdissante
et polluante avec divers bruits stridents, montrant en creux que la musique est
avant tout qu’une succession de sons et qu’un bruit plus ou moins ordonné. (On
était loin aussi de Duke Ellington et d’Honegger avec Pacific 231 sur le
roulement du train)
Pourquoi l’improvisation, la musique
éphémère, les formes ouvertes, qui étaient pourtant à l’opposé de vos études,
ont elles été si importantes pour vous ?
Là on va plus loin encore que
l’improvisation autour d’un thème, d’une grille harmonique, faisant référence à
un auteur (par exemple JS Bach pour les organistes ou à une mélodie pour les
jazzmen) Un souvenir personnel :
le futur professeur du CNSM et soliste, le clarinettiste G. Deplus jouant les 3
pièces de Stravinsky pour clarinette seule fut un choc, nous l’avons aussitôt
travaillé ! il y a quelques années, au concours international Debussy pour
clarinette, j’ai remémoré avec lui ses prestations à Royan notamment celle de
Boucourechliev qui m’avait marqué, moi étudiant avec ses formes ouvertes. « Quel
bazar ! mais quel enthousiasme et ferveur d’un public ouvert et curieux,
cela changeait des concerts au répertoire traditionnel avec le public habituel ». Mais chacun avait ses
limites infranchissables : Je me rappelle quand en 1969 à la fin de
l’histoire du soldat de Stravinsky, on brisa le violon (ce n’était pas un
Guarnerius !), ostensiblement la salle poussa des cris d’horreurs (moi
aussi, car là je ne pouvais malgré tous mes efforts modernistes accepter
cela !), certains applaudissaient… La discussion après fut mouvementée et il
eut beaucoup d’invectives et de noms d’oiseaux échangés entre nous ! Les questions et réflexions
fusaient : nos instruments étaient-ils sacrés ? (cf le pianiste
Duchable qui jeta son piano dans le lac de Genève ! ou à la phrase
« objets inanimés avaient vous une âme ? » de Lamartine, ou des
difficiles relations d’amour-haine avec son instrument que nous vivions tous etc… Tout était questionné, tout méritait d’être
débattu.
Et puis les passerelles avec
les autres arts (danse avec Béjart, sound painting bientôt…) et les sciences
sociales et humaines n’étaient jamais loin. Paradoxalement, nous nous
intéressions aussi pour la musique modale et des gammes anciennes et
pentatoniques du monde…. En fait on se passionnait pour tout ce qui était en
rapport de près ou de loin à la musique. Mais il faut bien comprendre
que nous ne refusions pas les autres musiques passées, au contraire. Nous
voulions marquer de notre empreinte la musique savante. Ainsi par exemple Portal
et Pludermacher, deux grands musiciens venus à Royan, enregistraient aussi à la
même époque une magnifique version des deux sonates de Brahms qui fait
toujours référence !
Le grand écart, nous le
faisions tous ! en apprenant la technique instrumentale classique et
l’harmonie traditionnelle et rejetant momentanément tout cela à Royan dans
un grand défoulement, la jeunesse estudiantine se permettait alors toutes les
audaces et pas seulement musicales… (« vous étiez des petits bourgeois,
issus de la méritocratie républicaine jouant les révolutionnaires, futurs bobos…
cette apostrophe n’est pas fausse). Nous étions, « nous futures élites
musicales », aussi en relations compliquées avec nos amis, car la jeunesse
s’extasiait par tout ce qui venait des pays anglo-saxons, des yéyés et des
variétés mais considérés pour nous comme primaires basés sur 3 accords !
Et puis des moments forts de ce festival furent
l’ouverture au monde, la mondialisation en marche, le multiculturalisme n’est-ce
pas ?
En effet, la déconstruction
de l’idée de la supériorité de la culture européenne avait fait sauter un
verrou mental. En conséquence, d’autres musiques furent écoutées et
analysées : les mélismes d’Oum Khalsoum et les noubas arabo-andalouses, la
musique japonaise notamment avec le théâtre No (quel souvenir en 1967 qui nous
avaient tous scotchés !), les musiques indiennes avec la danseuse Y.
Krisnamurti très prisées par des jeunes hippies attirés par l’Inde et ses ashrams,
des nouveaux instruments inconnus et leurs sonorités spécifiques, la musique
latino, la musique africaine et ses rythmes inspirants, les musiques de film,
la musique des pays de l’Est derrière le mur… Les relations, avec les musiques
des modes anciens (l’enseignement de Chailley) et du monde notamment asiatique
et africain, la volonté de se libérer de l’école de Vienne et de la musique sérielle
(Webern, Schoenberg, Berg) et des continuateurs Barraqué, Boulez… étaient
étudiées et surtout commentées. La musique est-elle un
langage universel entre les peuples ? grand sujet abordé ! Peu à peu une idée
progressait : « La culture et notamment la musique occidentale n’est pas
seule. Il y en a d’autres dans le monde différentes, basées sur d’autres codes
mais aussi bonnes et notre génération doit supprimer les hiérarchies ethnocentristes
entre elles !» les polémiques furent acerbes.
Les relations de proximité
entre l’aventure du free jazz venant des USA et à la musique d’avant-garde avec
le concert de M. Portal constitua un des sommets des polémiques. Nihilisme dans tous les
domaines, la fin de la musique fut un des thèmes et conclusion de Royan, fin de
l’histoire de l’art pour les pessimistes ou transition vers une autre
civilisation à construire, les « baby boomers » voulaient répondre à
ce challenge. L’avenir nous appartenait. L’ouverture de l’évolution de
ce festival va conjuguer le besoin de rentabilité financière avec l’idéologie
révolutionnaire. Pour moi ce fut une des premières apparitions d’une alliance
d’un courant libéral (soucieux de s’intégrer à l’économie mondiale que nous
dénoncions d’ailleurs) et libertaire (sur le plan des idées) qui sera sous-jacente
à cette jeunesse estudiantine devenus pour beaucoup des bobos
(bourgeois/bohèmes) devenus par la suite des notables de la vie musicale et
dirigeants de la société actuelle.
Mais quel était en fait le public ? les
avis sont partagés.
Assurément le public du
festival n’était pas royannais au début. La greffe avec le public
charentais fut difficile au départ mais va s’intensifier.Royan fut, en fait et
surtout, le regroupement de petits publics avertis et curieux de ces créations
(pensant suivre l’avenir de la musique) d’abord parisien au début puis venant
de toute l’Europe voire du monde, même si nous étions parfois assez dubitatifs. Souvent les concerts ont été
émaillés de chahuts, de sifflets, de contestations diverses, voire de bousculades…
et pas seulement par des auditeurs malmenés mais aussi par des musiciens
d’orchestres. Nous étions dans la polémique permanente, la confrontation
d’idées, les grands anathèmes aussi…
La musique était pourtant
présente partout à Royan, la jeunesse avec ses transistors écoutaient le rock
and roll, la variété, et surtout la vague yéyé sur les plages ou le jazz dans
certaines terrasses de café, les jeunes twistaient au Casino l’été… La musique classique et
moderne autour de Royan se limitait à peu de choses : l’harmonie
municipale était dirigée par M. Clavier (qui fut la seule école d’instruments à
vent pour les gamins car il n’y avait pas encore d’école de musique) avec ses
morceaux de bravoure et ses airs d’opérettes dans les auditoriums de Royan. Mais
passer de la « Veuve joyeuse » par l’harmonie municipale (bonne d’ailleurs), à
une musique d’avant-garde futuriste, c’était osé mais en fait cela montrait
l’image contrastée et multiforme des différents Royan avec ses villas belle
époque à côté de son architecture moderne. Je me souviens aussi d’un
concert d’ondes Martenot, orchestre venant de Paris à Saintes où nous étions
que huit dans la salle ! alors dire que le public charentais adhérait à
l’avant-garde musicale…
Les charentais seront pour la
plupart indifférents, « peu concernés par cette folie », mais il n’y avait pas
eu de rejet véritable (à part le couplet sur les dépenses et les impôts locaux
). Certains étaient curieux et
de plus en plus nombreux à participer à cette création parfois bizarre et
incompréhensible pour oreilles non averties. Beaucoup suivront des publics
souvent snobs, pour être dans le coup, pour participer à un festival dont on
parle de plus en plus dans les médias (mais de là à indiquer désormais que les
royannais ont approuvé le festival, c’est un peu exagéré car nous retrouvions souvent
les mêmes)
En effet, les musiciens et
mélomanes de Paris et de France viennent à Royan pour Pâques, « pour
respirer l’air de la mer, manger des langoustines et s’ouvrir
l’esprit ! » me disait un anti psychiatre (mais nous étions tous
anti de ce qu’on étudiait) et les jeunes compositeurs avant-gardistes très
sérieux voulaient montrer et faire jouer leurs créations, leurs recherches
voire leurs élucubrations et même avoir une reconnaissance de leurs talents
(certains l’ont eu) … Cette greffe contre nature
pour beaucoup arrivait de Paris puis avec la notoriété grandissante de l’Europe
puis du monde entier avec des thèmes sur l’Amérique latine, le Japon, l’Inde…
tout cela dans une petite ville balnéaire d’Atlantique !
Ce festival va évoluer donc vers d’autres
musiques pour se faire accepter par un public plus large et en faire un
évènement essentiel incontournable .
Dans le brouhaha
avant-gardiste, nous avons eu des éclaircies ultra classiques avec la
clarinette de Guy Deplus (le trio « le pâtre sur le rocher » de Schubert,
le quintette de Brahms, le concerto de Mozart, les pièces d’Alban Berg…) morceaux
que nous étudions mais Deplus était excusé ! car aussitôt il était
mobilisé pour des créations mondiales d’avant-garde… : un musicien
complet. Portal lui ira encore plus loin, étant poly-instrumentiste.
C’est vrai, le festival va se
tourner vers les musiques du monde plus accessibles d’Amérique latine avec
Théodorakis, les Mariachis, Yupanqui…, la musique cajun, la musique celtique
avec Tri Yann, la musique médiévale renvoyant au patrimoine roman régional
etc…. on a même eu les cavaliers musiciens d’un sultan arabe dans les
rues qui regardaient éberlués des filles en monokini qui débutaient leur
bronzage sur la plage !… « Il ne manquait plus que les cracheurs de
feu dans ce Barnum » s’indignaient certains mais cela constitua un
véritable intérêt populaire régional, ce qui permit d’attirer aussi quelques
curieux vers d’autres musiques plus difficiles. Désormais, depuis plus de 30
ans le festival « le violon sur le sable », organisé par P. Tranchet,
va drainer et faire aimer la musique classique conventionnelle au plus grand
nombre. (Est-ce que Royan a tiré une leçon du festival d’avant-garde pour
aller vers son opposé, à savoir la formation et le plaisir du plus grand
nombre avec des œuvres connues ?)
Bien sûr, des grands noms
sont venus suscitant l’intérêt du public régional : la compagnie de théâtre Renaud-Barrault,
Béjart pour la danse, en 1967 Richter pianiste talentueux venant d’URSS jouant
Bartok à Royan, le jeune pianiste Béroff qui gagna le premier concours international
Messiaen. Mais JS Noël a bien montré
(nous ignorions les coulisses) qu’au fur et à mesure du développement et de la
réussite de ce festival, les tensions s’approfondissaient entre les personnes,
entre les logiques d’une part des fondateurs culturels parisiens contents de
leur réalisation avant-gardiste mais déficitaire et d’autre part de la Mairie
de Royan qui attendait plus de retombées médiatiques et touristiques et surtout
du fait que la société anonyme gérant le Casino perdait beaucoup d’argent avec
ce festival.
Le Casino, fut lui aussi
éphémère et détruit peu après malgré son architecture à la brésilienne, joyau
du patrimoine.Certains y ont vu l’explication
d’un changement d’époque les années 80, « les années fric où le
concert devait être rentable d’où jouer des œuvres connues. En conséquence, la
musique expérimentale entendue va beaucoup s’atténuer et le festival à Royan va
disparaître en ne laissant que quelques archives et quelques souvenirs. Ce qui est cocasse, ce fut,
en fait, la réalisation de la notion d’éphémère dans la musique que nous
revendiquions ! Maintenant avec l’âge, on essaie de retrouver les archives
et bribes de cette expérience passée…
Mais pouvons nous dire que le public adhéra
aussi à des œuvres d’avant garde ? ce qui était quand même surprenant.
Il y en avait de plusieurs
types qui se côtoyaient mais bien différents. Mais c’est vrai des publics
acceptèrent certaines innovations : par exemple Xenakis faisant un concert
retransmis sur la plage en 1971 (cf photo où je déambule en écoutant son œuvre « Bohor »),
nuit mémorable dont j’ai un souvenir très précis.
Extrait du livre de H. Besançon
Mefano faisait de
même l’année suivante bouleversant la quiétude estivale ! « L’art doit être dans la rue » disait un slogan en
1968. ! mais en fait les royannais étaient surtout partagés ! Puis il y a eu la
concurrence dans la région, Bordeaux avec le festival Sigma et la Rochelle avec
son festival d’art contemporain qui seront dans le même esprit avec parfois les
mêmes (Samuel…) mais ces rivalités régionales ne nous intéressèrent guère. Car pour nous, Royan était, pendant 15 jours, le centre du
monde de la musique d’avant- garde, et le marchepied de beaucoup de
compositeurs avec un nombre important de créations mondiales, commandes de
l’Etat, surtout les dernières années. Nombre de jeunes avant-gardistes sont devenus depuis des
compositeurs et des musiciens reconnus. Il y a eu des réussites et des échecs,
et des discours pseudo-intellectuels autour de bruits mal maitrisés mais
c’était le risque assumé (comme une improvisation ou un « bœuf en
jazz » qui peut être inspiré et mémorable ou mauvais.) Royan a été un laboratoire (comme le domaine musical et l’IRCAM
de Boulez) et a permis d’aller jusqu’à la limite de la déconstruction musicale.
Les artistes s’inscrivaient alors dans la définition de l’art moderne énoncé
par Duchamp : une œuvre d’art est définie par la rencontre de ce qu’en dit
l’artiste d’une part ET l’acceptation du spectateur ou l’auditeur d’autre
part.
Le clarinettiste José Daniel Touroude
Au festival, j’ai l’impression que pour vous tous, vous
débattiez sans arrêt aussi bien dans les colloques formels que les
discussions informelles.
Oh oui ! Pour moi, Royan c’est paradoxal mais ce qui me
reste le plus d’ailleurs, c’est la gestation d’idées, de ponts entre les arts,
entre les musiques, entre les cultures…Tout était sur la table et remis en question avec des
centaines de thèmes naissants abordés. Certains thèmes structurent d’ailleurs
encore notre époque : féminisme, écologie, mondialisation,
multilatéralisme, individualisme, hédonisme, nouvelles technologies etc….Je me souviens (pendant que Johnny chantait souvenirs,
souvenirs… une autre culture ! La femme de Berio, la chanteuse Berberian
avait tenté un pont entre musique d’avant-garde et les Beatles à
Royan sous les huées (et de rares applaudissements mêlés).
Nous préférions mélanger les cultures du monde, les sons les
plus avant-gardistes mais faire un pont avec la « soupe » déversée
quotidiennement à la radio pour forger la « culture de masse » générait le
mépris pour quelques radicaux criant à la « démagogie et à
l’abrutissement, au décervelage du peuple ». Mais beaucoup d’auditeurs
étaient plus tolérants, acceptant toutes les formes de musiques et de sons à
cette époque. Mais avec ce thème, on s’invectiva violemment. (D’ailleurs
ce thème continue… le rap est-il de la musique ?) Mais si tout nous interpellait, tout était aussi en
questionnement et surtout sujet à débats ! je me rappelle des questions
comme : peut-on jouer JS Bach, si on n‘est pas protestant ayant baigné
dans ses chorals et cantiques au Temple (ce que je défendais alors comme
huguenot charentais) ou jouer Messiaen sans être ornithologue (ce qu’on me
reprochait lorsque je travaillais abime des oiseaux (pour clarinette seule tiré
du quatuor pour la fin des temps), ou jouer du jazz si on est blanc ou Klezmer
si on n’est pas juif etc… ou avoir la prétention de parler de musique sans être
musicien pour certains organisateurs et mêmes critiques du festival, ou faut-il
être musicien pour être mélomane ? ou peut-on vraiment apprécier la
musique dans le registre des émotions sans comprendre et l’analyser ou faut-il
accepter toutes expériences pourvu qu’elles soient novatrices même si elles
déconstruisent toutes les composantes de la musique (là c’était l’empoignade
entre conservateurs, réformistes et révolutionnaires, querelles renouvelées
entre les anciens et les modernes…)
Quel est votre souvenir le plus marquant ? voire le
plus structurant ?
Il y en a eu beaucoup, mais l’un d’entre eux m’a marqué car
il fut l’aboutissement d’une réflexion qui confirma que je ne voulais pas
devenir en fait, un musicien professionnel. Je me souviens très bien du concert en 1972 de Couroupos, un
compositeur pour nous inconnu, avec « Affrontement ». Dans cette œuvre,
les musiciens quittaient peu à peu la scène et le chef finissait seul, dos au
public… Certains n’avaient pas trouvé
son œuvre géniale : « certains comprenaient même le désir de fuir » !
mais je me rappelle surtout de la discussion qui suivit. Rien de nouveau du départ de musiciens sur scène pour les
mélomanes : la référence à la célèbre symphonie de J. Haydn était
évidente. Mais le débat porta avec la présence de nos ainés, musiciens
professionnels obligés de jouer des œuvres « anti musicales » (pour
beaucoup d’entre eux). « En fait le musicien n’est qu’un exécutant, un
technicien devant obéir, un fonctionnaire de la musique, seul le soliste est
considéré comme un interprète etc… gloire aux musiciens libres comme le furent
Mozart, Beethoven… et Portal malgré la difficulté d’en vivre. » L’esprit de révolte de 68 était passé et nous
interpellait.
Plusieurs musiciens vont profiter dans cette ambiance de
liberté totale de parole, pour nous ouvrir les yeux et nous révéler la réalité
de leur vie d’artiste. Ce fut une véritable diatribe de musiciens qui avaient
« ras le bol de faire ce boulot, se comparant à des ouvriers qualifiés en
usine, de jouer n’importe quoi ou de répéter toujours les mêmes œuvres des
centaines de fois ! « Malgré nos niveaux techniques élevés, nos diplômes
et nos talents, nous ne sommes pas reconnus, ni mentionnés en concert et sur
les disques alors que le chef est encensé alors qu’il a fait parfois deux
répétitions ! » « En fait, nous regardons que le 1er
violon, véritable chef ou on écoute bien le percussionniste, pendant que le
chef d’orchestre fait des moulinets » … (d’ailleurs quand les musiciens
s’en vont, le chef ne brasse que de l’air dans cette œuvre…) « Nous en avons marre d’être dirigé par un chef
dictatorial (Karajan étant la caricature), un patron, un organisateur de
spectacles qui imposent des œuvres que les musiciens ne veulent pas »
Certains prônaient l’autogestion pour élire leur chef, le programme etc….
(Ce n’est pas un hasard si l’œuvre de Couroupos s’appelle
affrontement !)
D’autres justifiaient du contraire et nous encourageaient à
venir faire « le plus beau métier du monde car alliant la passion de la musique
à un métier alimentaire, montrant la solidarité entre les musiciens (syndicats,
franc maçonnerie…), des exemples de chefs qui faisaient progresser » etc… Parfois des musiciens nous ont montré le côté sombre de ce
métier, surtout des intermittents (qu’on appelaient pas alors ainsi) « obligés
de courir le cacheton et jouer n’importe quoi, n’importe où, faire du studio,
de la télé, faire des remplacements, jouer dans des boites, des galas, voire
des bals et inaugurations diverses etc…. « En fait le musicien pour bien
vivre doit être un couteau suisse à plusieurs lames : d’abord, il doit
être généraliste et pouvoir jouer toutes les musiques, voire de plusieurs
instruments, et il doit être intégré dans un orchestre civil ou militaire,
faisant du studio, le prof en conservatoire, courir aussi le cacheton quelque
soient les lieux prestigieux ou non… » c’est ce que me dira l’excellent
flutiste R. Bourdin. J’ai repris souvent cette phrase… Car beaucoup d’entre nous, avions goûté à cette vie en tant
qu’étudiant et on pensait qu’une fois les diplômes et concours passés, nous
allions être intégrés dans une vie passionnante… nous étions à l’heure des
choix ! La vision romantique liée à l’artiste fut déconstruite (une fois
de plus, nous avons été pris à nos propres idées) et cela nous a bouleversé et
conforté aussi dans ce mirage de la vie passionnante de musicien.
Cette prise de conscience, fut pour certains d’entre nous
essentielle car après nos études musicales au plus haut niveau, certains vont
glisser parfois dans le professorat (CAPES, agrégation qui débutaient à la
Sorbonne, DE et conservatoires locaux et régionaux… et surtout pour ceux qui
avaient la chance et l’énergie de faire des études parallèles, tout en faisant
des concerts, de garder la musique comme passion, non pour en vivre !
Ce festival ne montrait-il pas aussi le conflit de
générations habituel ?
« T’es plus dans le coup, Papa, t’es plus dans le coup », chanson
yéyé à la mode que l’on chantait aussi, quand certaines musiques des « ancêtres
» était jouée ou lors de certains propos dans les débats… Malgré notre
irrévérence, nous écoutions, nous cherchions à comprendre et à assimiler ces
sons nouveaux et cela suscitait un questionnement comme : tous les sons
audibles par l’homme devaient-ils être produits en public et considérés comme
musique d’où des discours savants d’acousticiens. Que veut dire un son audible,
acceptable, beau, renvoyant à la notion de beau en philosophie ce qui permit à
de beaux esprits de briller sous la nuit étoilée de la plage. Globokar, Stockhausen et Radulescu (en montrant les sons
doubles et divers qui sont maintenant complétement intégrés à la musique) ont
eu un impact certain sur nous. Pour moi le choc vint de M Portal et du
clarinettiste Jésus Villa Royo (à qui j’ai acheté son livre, rare désormais,
sur « les possibilités de la clarinette » en espagnol, livre
hyper-technique.) En fait beaucoup de musiques nous ont déroutées, malgré nos
airs de jeunes blasés élitistes et provocateurs, devant le public médusé.
Mais à part certains radicaux très élitistes, il n’y avait
pas de mépris envers ceux qui écoutaient d’autres musiques plus
conventionnelles ou à la mode. Nous nous formions dans ce festival à d’autres
cultures puis nous tentions d’expliquer aux autres le peu que nous
connaissions. Il était essentiel pour nous de partager nos passions et nos
analyses avec la foi de nouveaux convertis et former (d’évangéliser) les
autres. En fait, notre lutte pour exister sur le plan des idées, des
valeurs renouvelées et de l’art revisité, est la querelle qui existe
depuis toujours entre générations qui vivent le balancier d’ouverture et
de fermeture des esprits.
Comment une ville qui a toujours été politiquement à droite
a pu organiser un festival anarchisant et révolutionnaire ? c’est une
énigme politique.
Cela paraît en effet paradoxal. La Mairie dirigée par
l’Amiral Meyer et le futur Ministre De Lipovsky et leurs équipes ont cautionnés
un festival où se concentrait nombre de gauchistes et révolutionnaires
dans une région où la musique moderne n’existait pratiquement pas. Faire parler de Royan bien sûr nous l’avons vu. « Mais la
motivation était de construire un évènement à travers tous les aléas, le
plaisir de dépasser les difficultés, d’organiser un évènement national m’avez
indiqué Henri Besançon (un ami et élève de ma mère en piano que l’on retrouvait
au Temple et aussi comme docteur) mais quand même ?
Certains notables locaux aussi, surtout quand le succès
arriva, se mirent en avant et paradaient dans les médias par snobisme imitant
les élites musicales de Paris et les pédants venus de partout. Ils étaient
comiques (nous pensions souvent à la chanson « je suis snob » de Boris
Vian !) car combien avaient écouté Stravinsky ou même avaient une
culture musicale de base ! En fait avec le recul, je crois que la Mairie de droite
était fort satisfaite de voir le déchainement des révolutionnaires extérieurs
devant la population royannaise médusée et conservatrice. Merveilleux
repoussoir pour montrer le danger des outrances de la jeunesse, de la gauche
révolutionnaire, des parisiens contre le « bon sens provincial », des
artistes iconoclastes déjantés mais qu’on pardonne parce qu’artistes !
(« soyons tolérants avec eux ») et « beaucoup d’auditeurs
n’étaient pas inscrits, Dieu merci, sur les listes électorales !» Les
critiques pouvaient devenir acerbes « ce festival a été une imposture, un
bluff, un défoulement de soixante-huitards étrangers à notre région, un pari
perdu, un gaspillage d’énergie et d’argent du contribuable…» pensait la
majorité des royannais et puis ce festival fut vite oublié. Quelques
participants en gardaient des souvenirs, des anecdotes, des nostalgies de leurs
jeunesses... et on n’en parla plus.
Quelle musique jouer ou écouter, après avoir tout essayé
?
Pour nous musiciens et mélomanes, nous avons comparé ce
festival à Royan à un feu d’artifice, ponctuel par nature, souvent outrancier,
parfois avec des fulgurances magnifiques, mais ce fut une expérience qui nous a
marqué assurément mais qui appartient au passé, à l’histoire de l’art
désormais. Michel Serres indiquait qu’on arrivait avec cette avant-garde
à la fin de la musique, la fin de l’Odyssée musicale. En effet pour nombre de
musiciens et mélomanes, c’était une question obsédante et anxiogène. Et
maintenant que faire ?
A cette question maintes fois posée, je réponds
toujours : puisque Serres parle d’Odyssée, faisons comme Ulysse à Ithaque
qui revenant chez lui, a repris sa vie … Ainsi nous devons ainsi reprendre l’histoire de la musique
en l’approfondissant car dans une vie de mélomane et de musicien, malgré toutes
les aventures, nous n’avons écouté que quelques milliers morceaux de musiques,
pratiquement rien, l’écume des musiques les plus connues ! Après notre
périple musical à travers les sons qui nous a poussé jusqu’aux limites
audibles, revenons aux sources et retrouvons JS Bach et refaisons le
parcours historique magnifique (et une vie n’y suffit pas) de toutes les
musiques qui nous sont encore inconnues.
Mais la façon de
jouer et d’écouter la musique ne va t-elle pas encore évoluer ?
Bien sûr. Une révolution nouvelle s’amorce et qui va changer
tous nos rapports notamment en musique (mais pas que) aussi bien en tant que
musicien que mélomane. Pour ceux qui veulent réfléchir à l’avenir avec les
technologies de pointe, les discussions d’avant-garde sont actuellement comment
créer votre avatar et de pouvoir jouer avec qui vous voulez en virtuel (je vais
enfin pouvoir faire un duo de Mozart avec Cecilia Bartoli !) avec la
future plateforme métaverse.
Question subsidiaire : Quel paradoxe qu'un témoin et adepte de cette musique avant-gardiste ne supporte pas John Coltrane.
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