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vendredi 6 décembre 2024

Histoires de la création des pôles de fabrication d’instruments de musique.

                                                            par José-Daniel Touroude.

Notre objectif est d’essayer de répondre à la question posée aussi bien dans les sciences sociales que par les collectionneurs et les musiciens.

 Pourquoi a-t-on vu la création de pôles importants de fabrication d’instruments de musique émerger à tel endroit, parfois dans des villages et petites villes excentrés, et pas ailleurs ? 



La récente soutenance de thèse à la Sorbonne d’Emanuele Marconi consacrée à la Couture Boussey a permis d’en éclairer et d’en illustrer certains aspects. Nous allons retracer le passage progressif, durant 3 siècles, de l’origine d’un artisanat rural primaire et ponctuel et de son évolution (d’où le concept de proto-industrialisation) pour s’orienter vers les manufactures d’instruments sophistiqués (pré-industrialisation) avec la mobilisation de la population locale puis vers la révolution industrielle (industrialisation).















Mais l’histoire commence toujours par l’interrogation sur les origines et celle-ci n’est pas toujours scientifique ! Les hommes veulent souvent créer des récits distrayants voire merveilleux qui élucident des faits passés, des ressentis plus ou moins réels en les amplifiant, voire en les détournant. Ainsi pour commencer, démystifions les merveilleuses légendes racontées, et même publiées, sur des origines de la spécificité de la facture d’instruments et qui à force d’être répétées arrivent à se figer comme vérités historiques : Mirecourt, Crémone, Markneukirchen, la Couture Boussey, Mittenwald… ont leurs contes parfois assez loin de la vérité mais tellement attirants !

Forêt de buis














Prenons par exemple le pôle de la Couture Boussey et de sa région avec une histoire connue et répétée. La première explication, qui est crédible, part d’un avantage comparatif majeur, à savoir des forêts de buis qui entouraient le village de la Couture Boussey et qui avaient donné son nom au village (Boussey voulant dire buis). Ce bois abondant suscitait naturellement une spécialité traditionnelle et ancienne de tourneurs sur bois qui s’appliqua plus tard pour les instruments à vent. Si au début cela semble plausible voire probable, c’est exagéré vu la croissance lente des buis, il a bien fallu en trouver ailleurs.

Nous avons des exemples analogues avec les bois de Füssen en Allemagne, haut lieu de la facture des luths, ou bien des épicéas et érables autour de Crémone en Italie qui ont permis un essor de la lutherie des instruments à cordes avec les géniaux Amati, Stradivarius, Guarnerius etc… Au début cet avantage comparatif local avait sans doute permis et généré une activité spécifique de fabrication d’instruments de musique en bois dans certains lieux. 

Nous avons aussi souvent un narratif, plus ou moins véridique, dans les apparitions artisanales locales grâce à une personne illustre à l’origine des activités. (Exemple le luthier Caspar Hopf à Graslitz puis à Markt Neukirchen …). Ainsi on enjolive un récit qui se raccroche à des célébrités qui ont eu un impact décisif et à qui on doit rendre hommage (un ancêtre de la communauté)

Photo de Stradivarius à Crémone


On explique aussi l’origine des activités par la proximité d’un fait historique, ou d’une personnalité connue qui ont permis même indirectement, une certaine prospérité et notoriété de la ville.

Ainsi les fêtes au château d’Anet, proche de la Couture Boussey, où Diane de Poitiers aurait eu besoin de flûtes et flageolets pour ses orchestres et ainsi susciter une demande locale pour des tourneurs sur bois. Il n’y a pas de facteurs d’instruments sans musiciens civils et militaires et sans concerts et fêtes qui sont indispensables pour créer une demande. Cette histoire est sans doute une extension d’un fait ponctuel car à part des chansons et poèmes connus célébrant la maitresse du roi Henri II à Anet et à quelques concerts, rien n’indique qu’il y avait un orchestre permanent, ni que cela ait généré un début de facture d’instruments à vent autour du château.  

 

Henry IV à la bataille d'Ivry
"Ralliez-vous à mon panache blanc"

 

Et puis il y a aussi la fameuse bataille d’Ivry d’Henri IV, proche de la Couture Boussey, où les paysans des alentours auraient ramassé des flûtes et fifres des mercenaires allemands et suisses décédés. Habituellement et c’est un fait connu, qu’après une bataille, les armées victorieuses et les populations locales incinéraient les morts et dépouillaient les soldats. Que la facture d’instruments à vent commence par cet évènement est plausible car pour un tourneur sur bois, habitué par exemple à faire des robinets en bois pour les tonneaux de vin, il est possible de reproduire des instruments simples si on a des exemplaires comme modèles, ou tourner des bagues en os ou en corne. Sur ce fait historique, est-ce qu’on n’a pas greffé une explication plus romanesque sur l’origine de la facture à la Couture Boussey et de ses environs ?

Ces exemples nous montrent que tous les pôles ont des histoires qui embellissent et donnent une explication possible et qui répondent à l’interrogation sur les origines.

Après les origines, étudions l’évolution au début modeste mais qui va déboucher sur des pôles qui vont inonder le monde entier de ses instruments. On peut distinguer trois étapes qui parfois se sont enchevêtrées selon la rapidité de cette évolution linéaire.

1ère étape : Quels furent réellement les déclencheurs de cette première étape vers l’activité artisanale instrumentale qui ont permis de passer des champs à un atelier sommaire d’abord ponctuel puis installé ? Cette première matrice d’une facture, était certes élémentaire et sous-traitante, mais elle a généré la première proto-industrialisation. 

D’abord les avantages naturels évidents comme, par exemple, la présence pour l’énergie des moulins à eau ou à vent, les matières premières locales (transformation des terres comme la porcelaine ou la poterie, des minéraux comme le fer créant la métallurgie, des produits agricoles à transformer notamment le lin et la laine engendrant les tissages, des arbres et du bois adéquats pour les instruments de musique etc…) 

Thibouville à Ivry (Coll RP)








Souvent il y avait aussi des traditions artisanales ou un savoir-faire spécifique antérieur (ainsi les luths, violes de gambe, rebecs en Italie notamment à Crémone qui vont évoluer vers le violon), ou les chalumeaux, hautbois, flageolets et flûtes baroques vers des instruments à vent plus sophistiqués. En fait, le progrès technique n’était pas si lent à se diffuser grâce à la mobilité des musiciens et des compositeurs exigeants, des facteurs compagnons mobiles (tour de France) et le brassage des populations dû aux guerres et aux immigrations permanentes.

Fabricant de boites à musique à Mirecourt. (Coll. RP)









L’organisation du travail était flexible, saisonnière selon le tempo des agriculteurs basé sur le rythme de la nature. Les moyens de production et les outils étaient simples et appartenaient aux producteurs. Fiscalement, ils restaient paysans et non pas artisans (avec leurs taxes spécifiques). Les activités artisanales domestiques (de domus = maison) étaient faites avec toute la famille dans la ferme (avec les femmes et les enfants, les ouvriers agricoles et domestiques), et ce travail complémentaire et discontinu pendant les temps libres des travaux agricoles, permettait un appoint de revenus additionnels. Mais l’autonomie, la mobilisation et la motivation dépendaient de chacun. 

Atelier d'un canut à Lyon, lieu d'une multi-activités
Parfois fabrication d'instruments de musique.










La pluriactivité existe encore dans certaines régions (montagne, bord de mer…) où certains ont plusieurs métiers, selon les besoins et les saisons, et l’activité principale ou la plus lucrative sont parfois difficiles à distinguer.

La position avantageuse sur des axes routiers ou des voies navigables, reliant des grandes villes proches et des marchés, permettait de se lier à des marchands - facteurs qui écoulaient la production. Ceci a été démontré pour la plupart des biens (tissage notamment). Le succès venant, les demandes augmentaient et créaient des liens solides entre donneurs d’ordres de la ville et producteurs ruraux sous-traitants. Ainsi Brescia et Crémone en Italie sont proches de Milan, Mittenwald est situé sur la vieille route commerciale entre Venise et Augsbourg, Markt Neukirchhen en Saxe pas trop loin de Dresden sa capitale, la Couture Boussey de Paris etc… Mais le fait qu’une partie d’un village ou d’une petite ville ait pu se mobiliser et se spécialiser pour un type d’activité spécifique, à savoir la facture d’instruments de musique, avec ses leaders entrepreneurs et une main d’œuvre disponible à faible coût, est quand même rare.
Le colporteur (Coll. Musée du Louvre)

L’impulsion pouvait venir aussi de personnalités entreprenantes parfois endogènes (un menuisier, tourneur talentueux et motivé par la musique, qui décidait de se spécialiser sur ces objets, se formant à l’extérieur (apprentissage, tour de France) et qui venait s’installer, créant une dynamique villageoise et des emplois voire une notoriété internationale. (Exemple le luthier Vuillaume à Mirecourt)

Jean Baptiste Vuillaume de Mirecourt.

Parfois ce sont des personnes extérieures (par exemple les immigrés tourneurs - facteurs allemands amenant un savoir- faire (Amlingue, Geist, Keller etc…) ou d’autres provenant d’autres régions de France (l’alsacien Proff qui se fixe à Tours, Kreitszchmann de Markneukirchen qui se fixe à Strasbourg etc... ou les 12 luthiers de Graslitz en Bohème autrichienne émigrant en Saxe qui créent le principal pôle d’instruments de musique du monde à Markt Neukirchen.)

Ces premiers artisans professionnels s’installaient comme facteurs à temps complet, souvent liés entre eux (par exemple les familles entrecroisées de facteurs à Lyon ou à la Couture Boussey) et se différenciaient du monde agricole mais restaient liés au monde rural pour des travaux simples de sous-traitance. C’est cette symbiose entre artisans professionnels (luthiers, facteurs) et la mobilisation d’agriculteurs- artisans ponctuels qui va permettre de créer et développer ces pôles de fabrication.

Certains au départ sous-traitants vont devenir de plus en plus professionnels et ces nombreux artisans spécialisés, qui auparavant ne faisaient qu’une partie de l’instrument et qui donnaient la finition donc l’estampille et la vente (et les profits !) à d’autres, vont s’établir à leur compte réalisant entièrement les instruments avec une diversification des produits de plus en plus qualitatifs qui garantissaient la crédibilité, l’expansion et l’évolution des pôles instrumentaux.

Nous connaitrons ainsi une multitude d’artisans facteurs locaux liés entre eux souvent par mariages (les collectionneurs raffolent de ces estampilles différentes entrecroisées). Ces activités artisanales de qualité vont créer de la richesse et les conditions pour une évolution.


2ème étape : De l’atelier artisanal à la manufacture : une pré-industrialisation



Cette évolution s’est intensifiée et a été possible grâce à une demande civile et militaire qui évoluait quantitativement (par exemple avec l’expansion des clarinettes) et qualitativement (nombre de clés…). Certains facteurs et marchands des grandes villes intervenaient pour accélérer la production des parties basiques des instruments, grâce à un financement (par des avances et des crédits), par l’achat de matériels (forges plus modernes, tours à bois…) et d’outils (célèbres pour les métiers à tisser dans d’autres régions), fournissant des machines de plus en plus efficaces, mais aussi des matières premières (des produits importés comme des soieries et cotonnades, ou de l’ébène et laiton. (Ainsi pour les clétiers, on leur apportait des plaques de laiton pour les clarinettes ou d’argent pour les flûtes et les modèles à reproduire pour fabriquer les clefs) pour faire à façon, avec un paiement à la pièce du travail fini après un contrôle qualité.



Cette collaboration se formalise de plus en plus avec des contrats précis (cahiers de charges sur la production) et les luthiers et facteurs se réservaient certaines tâches techniques spécialisées complexes (finisseurs et régleurs, essayeurs des instruments par des musiciens confirmés) pour satisfaire la qualité demandée.

Cette activité a permis une véritable transformation de la vie locale. Les habitants commencèrent à traquer le temps libre pour travailler plus, pour épargner afin d’améliorer leurs conditions de vie, pour pouvoir se marier et élever leurs enfants correctement (ascenseur social) et surtout pour consommer (il y avait beaucoup de nouveaux produits importés (tabac, thé, sucre, café créant des besoins addictifs dans les campagnes, des dépenses aussi afin d’améliorer son statut social avec des vêtements plus pratiques ou pour affirmer son identité, un confort domestique amélioré avec de nombreux objets etc…). En effet il fallait se distinguer des autres, se positionner dans le village pour se différencier du prolétariat rural et des domestiques mais pour avoir tout cela, il fallait avoir soit des activités lucratives artisanales et/ou commerciales, soit une belle exploitation agricole soit d’autres métiers lucratifs…

Usine Couesnon en 1891. (Coll. RP)


Bien sûr les caractéristiques de la 1ère étape antérieure de la proto-industrialisation vont encore parfois subsister (organisation rurale afin de générer des revenus complémentaires et d’utiliser les temps morts des saisons non agricoles à domicile avec paiement à la pièce) mais cela va vite évoluer et se complexifier.

La proto-industrialisation était très flexible, suivant les marchés, donnant du travail et des revenus ou non aux sous-traitants qui faisaient l’essentiel du travail selon les commandes, les paiements étant fixés à la pièce. Grace à cette flexibilité, les artisans et leurs sous-traitants constituaient les amortisseurs de ce système et subissaient les aléas de la conjoncture à savoir pics d’expansion et de commandes et crises cycliques (par exemple dues aux guerres en Europe)

Avec le succès et la demande accrue, l’extension des activités artisanales diversifiées à la communauté villageoise était logique et a mobilisé une partie de plus en plus grandissante de la population sur ces activités. Cela demandait une organisation et une division du travail qui allait s’opérer en fonction des aptitudes et formations des ouvriers spécialisés. Les lieux de fabrication éclatés des sous-traitants artisanaux sont d’abord regroupés dans le même village puis dans un même lieu à savoir la manufacture (de manu = main montrant la part importante encore du travail manuel). 

Usine Julliot à La Couture-Boussey. (Source RP)








Car fabriquer un instrument devient de plus en plus complexe et demande des savoir-faire différents (par exemple la fabrication d’une clarinette à 13 clés puis la clarinette moderne système Boehm en ébène faite en série n’a plus rien à voir avec la fabrication artisanale d’une clarinette en buis à 5 clés).

Cette organisation du travail, avec des outillages, des machines et des matériaux différents, engendrait plus d’efficacité et devenait moins aléatoire car elle intégrait peu à peu des sous-traitants mieux formés, plus spécialisés et professionnels grâce à l’amélioration générale des savoir-faire par la pratique et les apprentissages.

D’autres moins formés seront cantonnés à des tâches plus simples et resteront ouvriers, tâcherons, sous-traitants pour les facteurs. 




Mais les bénéficiaires de ces activités étaient surtout les facteurs finisseurs qui connaissaient l’emplacement des trous et des clés, connaissant l’acoustique, et bien sûr aussi où se situaient les débouchés, les clients et devenaient ainsi plus ou moins marchands ou facteurs reconnus avec pignons sur rue. Ces bénéfices allaient permettre soit de vivre mieux comme un bourgeois pour certains facteurs, soit se diversifier dans d’autres branches (certains facteurs abandonnant la facture pour d’autres activités), soit de générer du capital et des investissements plus importants et réaliser une évolution du modèle artisanal vers la manufacture pré-industrielle.

Exemple : la manufacture d'Adolphe Sax. (Source RP)

En fait, ils constituaient souvent un groupe plus riche et dominant économiquement, socialement et même politiquement (notables, créateurs d’emplois, apprentissage des jeunes vers un avenir artisanal puis industriel limitant l’exode rural, en liaisons commerciales avec les grandes villes et les marchands puis surtout l’export…).

Ainsi les facteurs d’instruments à vent de la Couture Boussey étaient liés souvent à un magasin de vente à Paris (estampilles de presque tous mettant A Paris, d’autres Wien (Vienne), Dresden, Prague…). Certains facteurs locaux ont aussi fait connaitre leur ville avec une notoriété internationale de leur lieu de production (Mirecourt, Crémone, Markneukirchen, Graslitz, la Couture Boussey…)  

 

Atelier Couesnon à Garenne en 1890. (Source RP)










Ces activités allaient avoir des répercussions importantes dans les sociétés rurales, car l’autarcie reculait et ces activités non agricoles permettaient de se procurer plus de ressources et de consommation. Ceci va favoriser la croissance démographique et paradoxalement freiner l’exode rural car il y avait des emplois sur place. Certains pouvaient s’enrichir un peu et élaborer une accumulation primitive de capital qui allait engendrer des investissements et la création d’ateliers plus conséquents voire à terme des manufactures.

Certains marchands et facteurs plus riches s’installèrent dans la région au plus près de leurs sous-traitants et investirent pour devenir chef d’entreprise. Le rôle des marchands était crucial créant au départ un troc avec des produits, organisant des prêts et l’endettement de certains pour les inciter à consommer plus afin qu’ils produisent plus encore…

Le salariat au départ modeste va se développer. La manufacture était donc un mode mixte de production à mi-chemin entre la proto-industrialisation de la période précédente et la production industrielle à grande échelle de la 3ème étape du XX° siècle.

Atelier Buffet-Crampon en 1890. (Source RP)





3ème étape : De la manufacture à l’usine : l’industrialisation

Lors de la première étape, nous avons vu que les paysans contrôlaient leur travail ponctuel artisanal avec leurs outils, les facteurs-marchands commandaient des parties d’instruments, parfois fournissaient des matières premières et achetaient la production, ce qui constituait un appoint de revenus mais les paysans -producteurs restaient maitres de leur organisation et de leur temps productif artisanal.

Puis dans une deuxième étape, les facteurs-marchands demandaient d’accélérer et de fournir plus de production. Pour cela, ils vont intensifier des prêts, faire acheter des moyens de production plus performants, procurer des matières premières, fournir des investissements importants. Ainsi ils organisaient et contrôlaient mieux la spécialisation du travail. Les ateliers s’agrandirent et on regroupait différents métiers dans un même endroit. Le chef d’entreprise fixait alors l’organisation et le temps de travail.

Nous arrivons aussi à la 3ème étape plus capitaliste où certains vont regrouper des ouvriers spécialisés en quelques tâches, des sous- traitants et artisans déclassés dans un même lieu de travail appelé usine, en divisant le travail en tâches plus simples et répétitives, en fixant le temps de travail, augmentant les cadences et subissant une hiérarchie avec un salaire.

La facture artisanale devenait industrielle, avec des outils et des machines plus modernes et performantes, une formation et un savoir-faire plus spécialisé à certaines parties de l’instrument… Le taylorisme envahissait tous les secteurs de la production de masse industrielle (des automobiles Ford à la cuisine élaborée d’Escoffier dans les palaces…) Ceci entrainait une plus grande efficacité, une économie d’échelle et une production plus régulière et normative dans les instruments permettant d’améliorer la qualité, la rapidité d’honorer certains marchés notamment l’export en pleine expansion mais constituait un prolétariat ouvrier détaché du monde agricole et domestique de la proto-industrialisation et même de l’artisanat de la période précédente. Ces usines se mécanisaient de plus en plus et captaient la valeur produite (la plus-value) ce qui permettait des investissements pour une production de masse demandées pour les harmonies civiles et militaires et l’export.



Puis la facture instrumentale va connaitre, après sa période d’évolution et d’expansion, une série de crises liées à la conjoncture (la guerre civile de sécession aux USA) puis un déclin voire pour certains un arrêt pratiquement complet. La première guerre mondiale et ses millions de morts, puis la crise économique des années trente, les conflits sociaux. Ainsi les exportations massives à l’étranger (par exemples un pic de 80% de sa production pour la Couture Boussey notamment aux USA, le même phénomène à Markneukirchen) vont se tarir, d’autant plus qu’il y avait de nouveaux concurrents d’autres pays produisant aussi... (exemple la facture américaine)

Pour contrer la baisse des profits et la concurrence industrielle, comme dans les autres secteurs d’activités, une des solutions avec l’augmentation de la productivité est la concentration d’entreprises par des fusions-acquisitions. Ainsi la plupart des manufactures ayant eu leur période de gloire se sont fait racheter pour s’intégrer à des groupes productifs plus performants. Seuls les collectionneurs connaissent leurs aventures, les successions, les fusions etc….

Avec la 2ème guerre mondiale et la difficile reconstruction, quelques entreprises vont surnager et profiter du boom vers l’exportation des trente glorieuses et le marché mondialisé, certains vont continuer (exemple : Leblanc à la Couture Boussey …) avant de disparaitre à leur tour. Nous connaitrons le même phénomène dans les autres pôles étrangers.

Mais à Mantes, deux groupes financiers français d’importance (Selmer et Buffet Crampon) vont peu à peu se diversifier en rachetant d’autres entreprises en France et à l’étranger et prendre la quasi-totalité des marchés intérieurs des harmonies civiles et militaires, les orchestres prestigieux, les conservatoires et se positionner comme leaders d’un marché mondialisé pour les instruments à vent.

Beaucoup d’anciens pôles de fabrication autrefois renommés et fondamentaux n’ont pas pu suivre les évolutions modernes. Pourtant il existe encore des entreprises qui s’accrochent avec des niches comme les fameux hautbois de Marigaux à la Couture Boussey ou certains luthiers toujours en activité par exemple à Markneukirchen…

Mais ces anciens pôles de production appartiennent au passé et rappellent leurs apogées et les péripéties de leurs histoires dans des musées (exemples : les Musées de Markneukirchen, de la Couture Boussey, de Mirecourt etc…), pour que le patrimoine soit montré avec des instruments témoins, et devenir un lieu privilégié et nostalgique pour les musiciens, mélomanes et collectionneurs curieux du patrimoine. 



lundi 13 janvier 2020

François Jude GAULARD (1787-1852) archetier à Mirecourt. François Jude GAULARD (1787-1852) bow maker at Mirecourt.

François Jude GAULARD est né à Mirecourt le 28 octobre 1787. Il était le fils de Louis GAULARD (1753-1828) lui aussi archetier et fils du luthier Joseph GAULARD, tous nés à Mirecourt. . "Il est fort probable qu'il débute son apprentissage dans l'atelier paternel mais le style de François Jude GAULARD est fortement inspiré de Louis Simon PAGEOT (dit PAJEOT) avec qui il a probablement collaboré". (Source atelier Sandrine RAFFIN)
Signature de Louis GAULARD en 1787.

Archet de Louis Simon PAGEOT (Musée de la musique de La Villette)
F.J. GAULARD  épouse le 6 juin 1810 à Mirecourt Ursule FETIQUE (1785-1855), la sœur du luthier Joseph FETIQUE (1786-1854), fondateur d'une famille de luthiers et d'archetiers. Un autre beau-frère de F.J. GAULARD, Charles VALANCE (1794-1841) était lui aussi luthier à Mirecourt.
Signature de François Jude GAULARD.
" La majorité des baguettes d'archet de F.J. GAULARD est réalisé en bois de fer mais il utilisera aussi d'autres bois comme le bois d'amourette et le pernambouc. Parfois signé de la marque "GAULARD. M"., la signature "GAULARD" reste la plus distinctive de la production de cet archetier. La hausse souvent en ébène ou en ivoire, reste dépourvue de passant et reçoit une parure à motifs étoilés". (Source Atelier Sandrine RAFFIN)  
Archet de F.J. GAULARD en pernambouc
et hausse en ivoire avec motif étoilé.
Archet de violon en pernambouc vers 1820.
F.J. GAULARD avait un frère luthier Louis GAULARD (1784-1824) dont on ne sait rien. Notre archetier a eu trois enfants : Louis Auguste GAULARD (1812-1888) dont on reparlera, Anne Marie Joséphine GAULARD (1813-1831) décédée à 17 ans, Nicolas Alexandre GAULARD (1818-1850) qui sera également luthier et qui décédera à 32 ans à Alger
Archet de Violon de François Jude GAULARD;
(Atelier Sandrine RAFFIN)
A la suite du décès de son épouse Ursule Fétique le 18 janvier 1855 à Mirecourt F.J. GAULARD quitte sa ville pour venir habiter chez son fils à Troyes. C'est là qu'il décède le 24 février 1857 à 69 ans.
Archet de violon de François Jude GAULARD vers 1835.
Louis Auguste GAULARD s'installe à Troyes en 1835 comme luthier et marchand de musique. Il épouse le 16 mars 1839 à Troyes Marguerite Augustine BEZANCON native de cette ville.
Signature de Louis Auguste GAULARD en 1839.
Ils ont eu cinq enfants : Louis Auguste GAULARD (1839-1848), Marie Mélanie GAULARD (1842-1865), René Eudox Jules GAULARD (1844-1878) qui fut professeur de musique à Troyes et décéda à 34 ans ; ses amis de l'Orphéon de Troyes lui offre ce monument funéraire avec une superbe lyre.
Monument funéraire de René GAULARD à Troyes
Le quatrième enfant Jules Alexis GAULARD (1845-1861) est aussi décédé très jeune à 16 ans. Lorsqu'il fallut reprendre l'atelier et le magasin, vers 1880 c'est donc le gendre de Louis Auguste GAULARD qui s'en chargea. Charles Aimé VOIRIOT (1843- ) avait épousé la dernière fille Angéle Augustine GAULARD (1847- ) le 15 septembre 1868 à Troyes. A cette époque il était pianiste à Paris et habitait 47 boulevard Poissonnière. Son père Jean Joseph VOIRIOT (1803-1854) était facteur d'orgues à Mirecourt. Ils ont eu quatre enfants dont , Henri Eugéne Auguste VOIRIOT (1869- ) et Marcel VOIRIOT (1888- ). Charles Aimé VOIRIOT est pianiste à Chatillon sur Seine en Côte d'or en 1879 et est installé comme marchand de musique en 1881 au 2 rue Champeaux.
Signature de Charles Aimé VOIRIOT en 1869.
Louis Auguste GAULARD était installé de 1837 à 1855, rue Moyenne, puis 2 rue Champeaux à Troyes, c'est là qu'il décède le 19 mars 1888 à 76 ans. Le magasin passe au 2 rue de la Monnaie et devient Voiriot Gaulard. En 1896 Charles Aimée VOIRIOT travaille au 22 rue des Quinze Vingt avec son fils Henry VOIRIOT qui se déclare tour à tour, facteur de pianos et luthier. C'est lui qui prendra la succession jusqu'en 1947 au 2 rue de la Monnaie.
Interview de Sandrine Raffin

samedi 30 mars 2019

Nicolas SULOT (1780-1858) inventeur de violons "ondulés" à Dijon. Nicolas SULOT (1780-1858) inventor of "wavy" violins in Dijon.

Signature de Nicolas Sulot en 1818.

Nicolas SULOT est né le 19 juillet 1780 à Châtillon sur Seine (21). Il était le fils de Pierre SULOT employé. Violoniste et professeur de musique à Dijon il épousa Jeanne NAUDET  (1791-1868), le 9 juillet 1818 à Dijon et reconnaissent quatre enfants : Jean Hubert (1813), Louis Robert (1815), Bernarde (1816), François (1817). Ils auront 14 enfants dont la plupart seront musiciens à Dijon et à Paris. Il s’intéressa à la lutherie dès 1828 et obtient  le 17 décembre 1829 un brevet d’invention de 15 ans pour « une table d’harmonie à ondulations qui peut être adaptée à tous instruments à cordes de quelque nature qu’ils soient ».

Dessin du Brevet de Sulot. (Source INPI)


































Pourquoi des tables ondulées ? « ….mon moyen nouveau permet d’augmenter le volume d’air renfermé dans l’instrument et par conséquent d’en augmenter les proportions ». Mais ses recherches ne se bornaient pas aux « tables ondulées », il étudiait également toutes les solutions pour améliorer la sonorité : « Éclisses droites, table plane avec éclisses droites, table convexe à ondulations horizontales sur éclisses courbes, table à courbures progressives convexes et à ondulations…… » Il essayait de trouver la meilleure combinaison.
Violon Sulot à table ondulée. (Vente de Vichy 2008)
Tous les instruments de Nicolas SULOT étaient en fait fabriqués par Claude Raymond HENRY (1799-1850) de Dijon, luthier de Mirecourt qu’il avait convaincu de s’installer à Dijon en 1829. C’est d’ailleurs chez lui que son treizième enfant, Bernarde Mélanie SULOT née le vendredi 13 novembre 1829, décède onze jours plus tard. Bien souvent on attribue ces violons à Henry LAPOSTOLET ou Claude Henry LAPOSTOLET, erreur résultant du dictionnaire de René Vannes qui confond le père et le fils. En effet Joseph HENRY-LAPOSTOLET (1828-1894) professeur de contrebasse et marchand de musique, qui avait repris la boutique de son père Claude Raymond HENRY à sa mort le 10 septembre 1850, avait épousé le 12 mai 1851 à Sombernon (21) Philiberte Marie LAPOSTOLET et pour se différencier de son père avait associé son nom à celui de son épouse : HENRY-LAPOSTOLET  d’où ces nombreuses confusions entre nom et prénom.
Étiquette de Joseph HENRY-LAPOSTOLET de 1851 postérieur à l'activité de SULOT à Dijon
Dans son dossier de brevet de 1829, il ne décrit que les violons : « ….Mais je n’ai mis sur mon plan que le violon parce que je ne m’occupe maintenant que de de cet instrument. J’aurai donc soin selon que je perfectionnerai les autres instruments d’en envoyer le plan et la description des courbes des éclisses….. ».
Il existe une table de contrebasse avec ondulations au Musée de la lutherie de Mirecourt signée de Claude Raymond HENRY  daté de 1830. (Information Anne Sophie Benoit)
Table de Contrebasse modèle Sulot réalisée par Claude Raymond Henry.
(Musée de la lutherie de Mirecourt)

Violon expérimental de N. SULOT. (Musée de Bruxelles).
Mais Nicolas SULOT ne préconisait pas seulement l'ondulation pour les instruments du quatuor, mais également pour les instruments à vent. Il obtient une addition à son brevet pour les instruments à vent le 27 mai 1830.
Schéma pour l'addition du 27 mai 1830 des instruments
 à vent au brevet de N. Sulot. (source INPI)

Nicolas Sulot continua de demander des additions à son brevet dans lesquelles il précisait « son invention »  comme en 1830.
Détails de descriptions des tables d'harmonies à ondulations. (Brevet 1830 Inpi)
Mais il semble avoir été  obnubilé par le fait que l’on puisse lui « prendre » son invention.  C’est ainsi qu’il agrémente ses demandes de souhaits originaux : « Lorsque j’ai demandé le brevet d’invention, je ne connaissais pas les lois et ne pouvais pas penser qu’il existât un article pareil à celui qui concerne les déchéances : Section VII. 7° cas : déchéance de tout brevet qui prendrait hors de France un titre analogue au sien et pour le même objet »
Donc en conséquence il demande que l’on change la loi …  « Car dans le cas contraire je prendrais mes brevets à l’étranger et on m’accorderait ensuite l’importation que nos lois permettent sans scrupule… »
« PS : Les observations que j’ai l’honneur de vous faire d’autre part sont tellement vraies qu’un individu vient d’arriver tout exprès de Mirecourt pour tâcher de séduire mes ouvriers afin d’obtenir des renseignements sur mon système et les porter hors de France ».
Il obtiendra le 31 mars 1841 un brevet de 10 ans « Pour un système général double, triple pour tous les instruments à cordes et à table d’harmonie »….préconisant de doubler les tables pour augmenter le son.
Même chose le 8 décembre 1847, pour : « Perfectionnements apportés aux pianos grâce à un système à double voix ou double jeu de cordes ». Système consistant par un double sillet et deux chevalets, l’un inférieur et l’autre supérieur, fixés sur deux tables d’harmonies supérieure et inférieure. Nicolas Sulot était depuis 1840 installé à Paris avec sa famille et était premier violon au théâtre de la Porte Saint Martin à Paris. Trois de ses fils étaient restés à Dijon et étaient musiciens, les autres l’avait suivi à Paris, c’est le cas de Jean Alexandre Sulot né en 1824 à Dijon qui sera violoniste et se déclarera facteur de pianos au 14 rue des Saints Pères à Paris à la mort de sa mère Jeanne Naudet (1791-1868).
N. Sulot est décédé à 77 ans le 21 mars 1858 à Paris.
Ajouté le 20 février 2013 : Anne Sophie Benoit du Musée de la lutherie de Mirecourt nous signale qu'un violon de type Sulot existe au Palais Lascaris de Nice, daté de 1834 il a été réalisé par Charles Victor HEUREAUX (1807-1848) luthier à Mirecourt. Ce qui montrerait que Claude Raymond HENRY n'a pas été le seul luthier à réaliser des instruments pour Nicolas Sulot.
Violon de C.V Heureaux selon le modèle de N. Sulot.
(Palais Lascaris de Nice)