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samedi 8 septembre 2018

Edmé COLLINET le père et Hubert Collinet le fils, virtuoses du flageolet au XIXème siècle. COLLINET father and son, virtuoso flageolet in the nineteenth century.


La découverte d'un beau flageolet en ébène et ivoire, sans clé d'un certain COLLINET nous a incité à faire des recherches sur ce facteur ou marchand ?




































C'est un très grand flageolet puisqu'il mesure : longueur totale 506 mm et longueur du sifflet à l'extrémité inférieure 312 mm La note obtenue tout ouvert est Si (440) et Si (octave inférieur) tous les trous bouchés. En fait, le père Edme COLLINET et le fils Hubert COLLINET étaient très connus dans la première moitié du XIXe siècle comme virtuoses du flageolet. Edme COLLINET est né à Semur en Auxois en Côte d'or le 10 novembre 1765. Son père Edme COLLINET (1741-1798) était perruquier à Semur. On ne sait pas si le jeune Edme jouait de la flûte à Semur, mais lors de son mariage le 22 avril 1793 avec Reyne JUBIN (1767-?) il se déclare perruquier. 
Signatures de Edmé Collinet et de son épouse à leur mariage


Son fils Hubert COLLINET est né lui aussi à Semur en 1797. En 1798 après la mort du père d'Edmé COLLINET toute la famille est "montée à la capitale" puisque l'on trouve dans les archives de Paris la naissance de Charles COLLINET le 26 novembre 1808, baptisé à l'église Saint Eustache.
François Joseph FETIS nous explique dans sa biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique : "....Edmé COLLINET fut d'abord admis comme flûtiste au théâtre des Variétés, puis se livra à l'étude du flageolet, perfectionna cet instrument en y ajoutant des clefs et parvint à en jouer avec une habileté inconnue avant lui. Julien CLARCHIES, directeur pour orchestres de contredanses, engagea COLLINET à appliquer son instrument à ce genre de musique. Le succès et bientôt la vogue dont il jouit fut elle qu'on ne voulait plus danser à Paris qu'au son du flageolet de COLLINET".



Reine JUBIN première épouse d'Edmé COLLINET décède vers 1810 ; ce dernier se remarie le 17 juillet 1817 à Paris avec Marie Madeleine DUBOIS. Cette même année il figure dans l'annuaire Bottin : "Collinet : Marchand de musique 90 rue Saint Honoré".

Flageolet à deux clés du musée de la Couture Boussey.
De 1820 à 1825 il figure régulièrement dans le Bottin de Paris. " Collinet, flageolets d'orchestre, 90 rue Saint Honoré" et "Collinet, marchand de musique, directeur des orchestres des bals du Duc de Berry, professeur de flageolet et musique, tient des contre-danses connues sous le nom de soirée de famille, pour piano, violon, guitare, flûte, flageolet etc..., 90 rue Saint Honoré".
L'art de danser édité par Collinet
Le XIXe siècle est très festif. En 1790 il y avait environ quatre cents bals à Paris. L'aristocratie et la bourgeoisie organisaient de nombreux bals dans leurs hôtels particuliers. On y pratiquait la contre danse c'est à dire la "country danse" d'origine anglaise introduite en France au XVIIIe siècle, dans laquelle les danseurs se positionnaient en cercle ou sur deux lignes en vis-à-vis et exécutaient des figures définies très élaborées. Il fallait selon certains auteurs deux ans de pratique avant de pouvoir s'y intégrer. Au début du XIXe né le quadrille, forme simplifiée de cette contredanse qui fera fureur pendant ce siècle. On peut citer le quadrille français composé du Pantalon, l’Été, la Poule, la Pastourelle, le Galop, le fameux quadrille des lanciers, le quadrille des variétés parisiennes.
Une des forme du quadrille : l'été. 


En 1830 Edmé COLLINET, père continue son activité : "Collinet, flageolet 4 place de l'oratoire du Louvre au coin de la rue du Coq" et "Collinet direction des orchestres des bals de la cour et de la ville, et instruments, contredanses nouvelles, musiques de flageolet", apparaît le fils comme marchand de musique : "Collinet fils N°37 rue Saint Augustin", mais aussi comme artiste jouant du flageolet dans les orchestres célèbres de l'époque. Voilà ce qu'en dit Fétis : " Hubert Collinet a surpassé son père dans l'art de jouer du flageolet. Il y a dans son jeu plus de goût, plus d'élégance, sinon plus d'habileté dans l'exécution des traits difficiles. Il joue les solos de flageolet dans le bel orchestre de danse organisé par Mr Musard, et dans les bals de la cour. Il est aussi marchand de musique et d'instruments".
Hubert Collinet vers 1844 par Thomas Wingate.
(Source Sydney Living Museums)
Portrait de Philippe Musard.

Philippe MUSARD (1792-1859) est un des plus illustres représentants de la musique festive de danses de Paris au XIXe. La première partie de sa carrière a pour cadre Londres où il dirige des concerts promenades et dirige les orchestres des bals de la reine Victoria. Il poursuit sa carrière en France où il est surnommé "le roi du quadrille", "le Napoléon du quadrille". Il remporte un grand succès durant le carnaval de Paris, aux bals de l'opéra. Ses orchestres comptent jusqu'à cent musiciens et des solistes réputés comme DUFRESNE au cornet, COLLINET au flageolet
Musique composée par Musard.


A cette époque des concerts MUSARD, Hubert COLLINET est une "vedette" et Jean Pierre DANTAN (1800-1860), sculpteur surtout connu pour ses portraits-charges de personnages connus de l'époque (Paganini, Tulou, Musard etc...), en avait fait un portrait peu flatteur.  


















Cette caricature était atténuée par quelques "billets" plus réalistes.

Article de presse.
Pendant ce temps, son père Edmé COLLINET se consacrait à son travail d'édition de musique pour flageolets et contredanses. " Collinet, flageolets, quadrilles par abonnement au journal de la contredanse pour piano, duo, septuor, et orchestre, musiques nouvelles pour flageolet et piston, méthode genre moderne pour violon, flûte, flageolet, clarinette, piston, guitare etc...rue du Coq Saint Honoré 4 au premier".
Méthode de clarinette. (Source Gallica)


Il existe peu d'instruments portant la marque Collinet ; outre les deux flageolets déjà décrits nous connaissons une clarinette du musée de La Couture et une flûte de la collection Dayton Miller.

Flûte à 1 clé portant la marque de Collinet. (D.C.M.)
Clarinette à six clés du musée de La Couture.
Mais Edmé COLLINET était simplement revendeur car dans l'inventaire après décès que nous avons trouvé aux Archives Nationales de Paris (Maître BOUCLIER MC/RE/LXVI/28), il devait 150 frs 50 à BUFFET CRAMPON, 113 frs 60 à VUILLAUME, 437 frs 65 à MARTIN frères, 30 frs à GUICHARD. D'ailleurs dans l'inventaire de son appartement 11 rue Vavin et de son magasin 4 rue du Coq, il n'est signalé qu'un flageolet dans son appartement. Sa boutique n'était consacrée qu'à l'édition musicale. Au niveau de l'anecdote, le commissaire priseur chargé de cet inventaire était assisté de Jean Jules JANET, marchand de musique N°47 rue Vivienne (Janet frères éditeurs de musique), et Jean Etienne MASSET marchand de musique N°40 rue Vivienne.
Edmé COLLINET est décédé le 18 décembre 1841 dans son appartement du 11 rue Vavin;

Son fils Hubert pour toute la succession se fera représenter par son épouse Thomassine Antoinette BYRNE avant de renoncé finalement à son héritage au profit de sa belle-mère. A cette époque il habitait à Londres N°32 Exenton Street, Hay Marked, car depuis 1841, il avait rejoint l'orchestre de Louis Antoine JULLIEN (1812-1860), compositeur et chef d'orchestre, rival de MUSARD, et qui avait dû quitter Paris à la suite de problèmes financiers.

(11/09/2018) : Notre ami Marc Wouters nous signale qu'il est en possession d'un flageolet tout à fait intéressant à 5 clés dont une manquante portant la marque " Visage rayonnant/Collinet Fils./Guerre/ A Paris/ Etoile 5 branches".
Effectivement " Collinet flageolets, 4 r. du Coq Saint-Honoré" figure dans le Bottin de 1842 à 1844, c'est à dire après le décès du père en 1841 et le départ du fils pour Londres. Sans doute l'activité du magasin a dû continuer  tenu par l'épouse d'Hubert Collinet. A noter que ce flageolet réalisé par le facteur Georges Guerre porte une marque "tarabiscotée" dans laquelle l'espace manque pour le mot fils. Donc on peut dater cette instrument : autour de 1842.

En 1853 l'orchestre de JULLIEN part pour une tournée aux États Unis, et triomphe à New York. COLLINET fait partie de l'orchestre qu'il ne quitte qu'à la fin en 1859 lorsque JULLIEN rentrant à Paris se fera arrêter pour faillite et sera mis en prison.

Hubert COLLINET est décédé à 70 ans à l'hôpital Fernand Widal, le 22 juin 1867. Il habitait à cette époque au N°20 rue Lacépéde, son épouse quant à elle vivait au 66 rue Truffaut.

Pour conclure en musique cet article écoutez l'orchestre les pantalons de notre ami Géry Dumoulin au piston.







dimanche 8 janvier 2017

"Musique et clarinettes militaires du XIXème siècle (de 1835 à 1870)". "Music and military clarinets of the XIXth century (from 1835 to 1870)".

 Par José-Daniel Touroude

A  travers 3 clarinettes militaires de ma collection nous abordons la vie mouvementée de leurs régiments.

 1. La musique militaire est intimement liée à la vie militaire.

La musique militaire a toujours accompagné les soldats et cela dès l’antiquité. En France dès 1762 la première musique militaire composée de 16 musiciens est créée par De Biron puis s’étend à tous les régiments d’infanterie en 1766. Cette obligation royale est fondamentale car elle entraîne une demande d’instruments et de musiciens très importante. D’ailleurs la clarinette et le cor y ont font leurs entrées et cela va doper la facture d’instruments à vent. Le capitaine Bernard Sarrette lors de la révolution de 1789 fonde la musique de la garde nationale (qui est gratuite) et qui deviendra le conservatoire de musique de Paris. (Anecdote musicale sur Sarrette face à  Robespierre dans le quizz cf. lien)
Bernard Sarrette par Isabey.
Le quizz avec l'anecdote sur Sarette.

Les régiments ont donc tous une musique (1000 clarinettistes sous Napoléon 1er) plus ou moins élaborée basée sur les réflexes pavloviens mais qui ont plusieurs fonctions : 1°) rythmer la vie militaire dans le quotidien appelée musique d’ordonnance : le réveil, les repas (la soupe), les rassemblements, l’extinction des feux…), 2°) commander les troupes dans les combats (au début c’était pour faire du bruit et faire peur puis rapidement pour donner des ordres dans la bataille lors des moments clefs : rassemblement, en avant, chargez, feu, cessez le feu, retraite…), 3°)  accompagner les cérémonies (honneur aux drapeaux, aux morts, accueils de personnalités, prises d’armes, messes militaires, célébrations de triomphes, anniversaires divers…). Si vous voulez entendre toutes ces musiques militaires… (cf le site interactif de théatrum belli). Pour vous rappeler votre service militaire écouter ces sonneries.
La musique est omniprésente, souvent simple, elle possède un rôle social, intégrateur facilitant le lien entre les différentes régions et classes sociales de la République, créant un esprit d’équipe (chants communs), une cohésion sociale du groupe avec un répertoire de musiques identifiées (chant de marche, chant du régiment beuglé tous les jours, chansons de détente nostalgiques voire poétiques, chansons à boire paillardes qui permettent d’être soudés aussi bien dans le combat que pour tromper l’ennui du casernement, les réjouissances étant rares. Les chants sont appris et répétés pour créer un fonds culturel commun dès le début des classes pour les conscrits qui sont pour la plupart analphabètes et qui ne connaissent pas bien sûr la musique. La transmission du répertoire était uniquement orale,  par répétitions, « à l’oreille ». La musique militaire est très variée , reprenant des musiques existantes connues «civiles» et des chants plus spécifiquement militaires. Ainsi les soldats répètent les chansons populaires du XVIIIème siècle qui  accompagnent les longues marches (« sur la route de Louviers », « Auprès de ma blonde », « Malbrough s’en va en guerre », « Cadet Rousselle » « trois jeunes tambours »…   et qui ont été chantées pendant deux siècles ! Il y a toujours eu une tradition d’emprunt à des chants populaires par les soldats et ces chants et musiques varient avec le temps. Mais Chaque régiment possède aussi ses chants spécifiques (« Au trente et un du mois d’août » pour la marine la «Royale» , les chants spécifiques de la légion étrangère…)

Il y avait aussi les chants révolutionnaires, politiques et guerriers. De nombreux grands compositeurs ont crée des musiques militaires à commencer par Lulli et Couperin qui firent les premières marches militaires pour les armées de louis XIV. N’oublions pas que notre hymne national «la Marseillaise» est un chant militaire révolutionnaire (contrairement à beaucoup d’autres pays) mais aussi les populaires « ça ira, ça ira », « le chant du départ », « Sambre et Meuse » …Il y avait aussi les chants de distraction pour le bivouac afin de se détendre, chansons nostalgiques, chansons à boire, chansons paillardes populaires dans la tradition des fêtes paysannes rabelaisiennes qui donneront plus tard les musiques des comiques troupiers (le fameux « boire un petit coup c’est agréable » venant du Canada au XIXème siècle : c’est vrai qu’il faut se réchauffer à Quebec !) , et bien sûr « Fanchon » la chanson culte qui accompagna toutes les armées durant le XIXème siècle. Tous ces chants et musiques permettent de surmonter l’ennui et les épreuves de la guerre, voire redonner le moral (et encore plus pour les prisonniers de guerre pour faire oublier la détention ou pire.)  


     2 . La diffusion et la notoriété des instruments à vent sont intimement liés à la musique militaire.

Mais les musiques militaires ne sont pas seulement basiques avec roulement de tambour et cuivres et une troupe chantant des airs divers. Rapidement elle va de plus en plus se doter de véritables orchestres avec l’aide de la plupart des instruments à vent. Certains régiments possédaient des orchestres militaires de qualité qui permettaient de valoriser le régiment par des défilés de prestige (avec des uniformes seyants et chamarrés),  exécuter de beaux concerts publics régulièrement qui amélioraient les  relations publiques  avec l’environnement, voire faire des tournées ou participer à des manifestations importantes (hymnes nationaux pour l’accueil d’un chef d’état étranger, manifestations protocolaires…). La musique des équipages de la flotte fut le plus ancien orchestre militaire. (hommage au talentueux Désiré Dondeyne). Ainsi dans ces années 1830-1870, ces concerts sont nombreux, gratuits et admirés et nul doute que nos 3 clarinettes, objet de cet article, y ont participé régulièrement.
Défilé des grenadiers de la Garde aux Tuileries en 1810 par Hyppolyte Béllangé. 
3. Le rôle social et culturel de la musique militaire.


Les occasions d’entendre de la musique pour le peuple à cette époque est relativement rare. Bien sûr il y avait la musique religieuse (grégorien, cantiques, messes et l’orgue), et lors des festivités la musique de danse par des musiciens de rue ou de village de faible qualité, et enfin la musique militaire, qui était d’un tout autre niveau, dans les villes de garnisons. Ces bons musiciens en orchestres interprétaient aussi des airs d’opéra, de musique classique, ou d’opérettes, des valses, des chansons à la mode orchestrées avec talent et offraient ainsi gratuitement des concerts et une culture musicale pour tous. Par des défilés entraînants et de nombreux concerts, la musique militaire créait un lien social entre les militaires et la société de la ville qui l’hébergeait. Elle contribuait ainsi à inculquer une culture musicale au peuple avec un répertoire varié allant par exemple de l’incontournable air martial des trompettes d’Aïda de Verdi (1872) à la chanson nostalgique « Plaisir d’amour » vieille chanson de 1785 toujours actuelle ! Le peuple à l’époque ne pouvait jamais aller dans les salles de concert payantes des élites aisées. Issus du peuple, les musiciens militaires jouaient pour le peuple avec des instruments en plein air.  Mais pour assurer un répertoire varié et de qualité les musiciens militaires furent de plus en plus choisis parmi les meilleurs et  ainsi le musicien sorti du conservatoire avait un travail assuré.

3. La professionnalisation des musiciens militaires.
Les armées se fournissent alors parmi les meilleurs facteurs et souvent être lauréat d’une exposition nationale ouvrait la possibilité d’avoir des commandes des marchés publics  (listes restreintes habilitées à présenter leurs offres) aussi bien pour les conservatoires et écoles de musique publiques que pour l’armée. (C’est le cas pour nos 3 facteurs de clarinettes exposées). L’armée française est grande consommatrice d’instruments à vent, la plupart des régiments ayant une fanfare (cuivres et percussions) mais aussi une  harmonie (fanfare + les bois).
En 1836, la professionnalisation se renforce : diapason fixé, utilisation du métronome, liste des partitions officielles constituant un répertoire, rangement des instruments dans des étuis et boites, attribution d’un facteur par musique de régiment pour réparer les instruments, concours sélectifs difficiles pour entrer, chef de musique compétent...Si l’armée achetait des bons instruments, c’est que l’armée recrutait et recrute toujours parmi les meilleurs instrumentistes à vent (garde républicaine, musique de la flotte, musique de l’armée de l’air etc….). Ces musiciens assurent des services régulièrement et exécutent des concerts de prestige mais jouent aussi dans les meilleurs orchestres symphoniques, enseignent dans les conservatoires. Ceci est toujours vrai aujourd’hui et certains même sont connus comme «requins»  dans les studios  d’enregistrement de disques de variétés.
Après la défaite de 1870, date fondamentale car les musiques des régiments chutèrent rapidement, des centaines de bons musiciens furent démobilisés et continuèrent  dans la musique civile de plein air. Ainsi  les harmonies municipales civiles deviennent fort nombreuses, calquées sur les musiques militaires (voire paramilitaires avec leurs uniformes, marchant au pas…) Elles reprennent le flambeau (défilés, manifestations diverses, concerts dans les kiosques…), pérennisent le succès des instruments à vent et continuent à éduquer gratuitement le peuple à la pratique des instruments à vent et à la culture musicale dans des villes et campagnes (beaucoup d’entre nous ont commencé ainsi et non des moindres !)
Si vous agrandissez la photo vous pourrez reconnaître, le grand père,
le père, et la tante de René Pierre vers 1925 dans l'harmonie
la Renaissance de Woippy près de Metz.
Enfin les meilleurs musiciens continuent dans les orchestres de musique classique et font progresser le répertoire des instruments à vent grâce à leur virtuosité.  Ces instruments à vent, moins chers et plus faciles à maîtriser, ont aussi une connotation sociale plus populaire (surtout la clarinette) par rapport aux cordes et au piano réservés aux classes sociales aisées. Les harmonies municipales civiles sont essentielles jusqu’à l’arrivée des disques, radio, TV …. Qui vont banaliser et généraliser la musique sous toutes ses formes en continu. Mais les instrumentistes à vent vont se généraliser en dehors de l’orchestre militaire et les harmonies surtout dans la musique populaire variée (d’où le nom de variétés) puis plus tard dans le Jazz et toutes sortes de musiques de danse qu’ils vont devenir incontournables. 
3. Analysons 3 clarinettes militaires de 3 grands facteurs : Tabard, Buffet Crampon, Guerre 

Dans ma collection j’ai des clarinettes avec des numéros militaires de régiments prestigieux qui ont participés à des batailles communes (entre autres la conquête de l’Algérie (1830-47), la guerre de Crimée dont Sébastopol (1855), la campagne d’Italie dont Solferino (1859), la défaite à Sedan (1870.) puis après une vie mouvementée, et plein de cicatrices elles se reposent enfin chez un collectionneur ! Les régiments avaient l’habitude de marquer leurs instruments et cette marque disgracieuse est pour les collectionneurs bien pratiques pour connaître la traçabilité de l’instrument. Les facteurs mettaient rarement les dates de fabrication sur leurs instruments. Par contre l’armée a toujours aimé identifier et classer armes, vêtements, instruments divers…


A. JB Tabard père : clarinette Sib en buis, 6 clés laiton, bagues ivoire, datée de 1835 ayant appartenu au 33ème RI.

Le facteur : Jean Baptiste Tabard (II) père : est né à Lyon en 1779. Formé dans les différents ateliers lyonnais il est d’abord ouvrier luthier en 1809, puis tourneur en métaux et mécanicien en 1811, avant d’épouser en 1812 Emilie Reyne Simiot (1794-1875) la fille du célèbre facteur de clarinettes Jacques François Simiot (1769-1844). Associé avec son beau-père de 1812 à 1815, il prend son indépendance vers 1817 et fonde au 30 rue Mercière l’entreprise  lyonnaise la plus importante de la première moitié du XIXème spécialisée dans la fabrication des instruments de musique  à vent en bois et en cuivre. A sa mort à 66 ans en 1845 il fournissait les musiques de l’armée  en instruments et employait à cette époque plus de 10 ouvriers. Son fils Jean Baptiste Tabard (III) (1826-1870) n’avait que 19 ans à la mort de son père, trop jeune il ne put continuer de développer l’atelier, même s’il exerçait le métier de facteur d’instruments de musique comme son père.     
Marque Tabard de la clarinette avec
le numéro du régiment et l'année.
La clarinette et sa vie militaire : 







Le régiment :
Le chiffre 33 : prouve qu’elle appartenait au 33ème régiment d’infanterie de ligne basé à Lyon. Le 33ème RI est un régiment auréolé de grandes victoires (Fontenoy, Austerlitz, Wagram…) et a  participé à différentes guerres (notamment la conquête de l’Algérie (1830-1847), la guerre contre les autrichiens en Italie notamment la bataille de Solférino en 1859, la défaite à Sedan en 1870). Plus tard le 33èmeRI fut aussi célèbre, pas seulement pour ma clarinette ! , mais parce que le jeune De Gaulle et Pétain y servirent. La monarchie de Louis Philippe de 1830 à 1848 a connu certes des troubles internes (canuts de Lyon, barricades entre autres) mais fut relativement pacifique à l’extérieur à part la conquête de l’Algérie. Les musiques militaires sous la 2ème république de courte durée et l’empire de Napoléon III ont surtout plus défiler dans les villes de garnison, jouer du Offenbach dans les kiosques des jardins publics que se battre à l’extérieur. (sauf les guerres coloniales comme  au Maroc notamment à Mogador devenue Essaouira, à la guerre de Crimée à Sébastopol…)
Prise de la smalah d’Abdel Kader
(Si vous trouvez le clarinettiste dans cette mêlée vous avez gagné !)
Peut être au niveau du cercle rouge?
La clarinette :
Cette clarinette est classique, de qualité et robuste comme l’étaient les clarinettes en buis et clefs en laiton depuis l’épopée napoléonienne.  La clarinette 6 clés courante sous le 1er empire, a été fabriquée longtemps car d’une part elle était moins chère que la clarinette à 13 clés (cf. catalogue) et d’autre part les clarinettistes étaient encore formés en 1835 souvent avec la clarinette à 6 clés, la pratique de la clarinette  à 13 clés omnitonique d’I. Müller n’étant pas encore très répandue. Cette Tabard reprend la 6ème clef traditionnelle de Baumann do#/sol# sur le corps du haut et non la 6ème clé sur le corps du bas comme le font d’autres lyonnais (Simiot, Sautermeister).







1835 
Si le numéro du régiment n’est guère contestable, une interrogation demeure : la date inscrite est-elle la date de sa fabrication ou de sa vente par le facteur ou de son intégration comme fournitures de l’armée ?  Il peut y avoir une différence de quelques années notamment si c’est un achat d’occasion.  (Je penche plus pour un numéro d’inscription dans l’armée.) Cette clarinette en excellent état (y compris les bagues en ivoire fragiles) a servi pour les défilés et les concerts et non dans les combats (d’ailleurs les musiciens étaient souvent brancardiers). Vite démodée, cette clarinette a été remisée rapidement et vendue après 1870 lorsque les musiques militaires ont été en partie supprimées. Elle a peut être continué à jouer dans les harmonies civiles comme beaucoup d’instruments. Puis retrouvée, elle a été vendue à des antiquaires de Lyon Pick et Boch. Un article existe sur cette clarinette écrit en 2000 par V. Pussiau (revue larigot mars 2000). Achetée aux enchères à Vichy en 2015, elle fait partie désormais de ma collection. 


B. Clarinette en buis 13 clés en laiton de Buffet Crampon :

Le facteur : Jean Louis Buffet né en 1813. Il se marie avec Zoé Crampon, quitte son père Buffet Auger et se met à son compte au passage du grand cerf à Paris en 1842. La clarinette à cette époque est en pleine mutation avec le modèle omnitonique d’Iwan Müller à 13 clés et l’invention du système Boehm qui arrive ! JL Buffet gagne des concours lors des expositions nationales, reconnu par ses pairs et les musiciens, il fournit beaucoup d’instruments à vent (bois) aux conservatoires et à l’armée notamment des clarinettes Sib 13 clés (système Müller simple) en buis, clefs laiton , bagues ivoire  de 1842  à 1850. A partir de 1850 il s’associera avec d’autres facteurs pour créer la marque Buffet Crampon & Cie. Ainsi cette clarinette est facile à dater.













La clarinette et sa vie militaire :

Le régiment :
Le 47ème  régiment d’infanterie de ligne est un vieux régiment de Louis XIV. Il participe aux guerres révolutionnaires (Fleurus) et napoléoniennes (notamment la guerre d’Espagne). Puis en 1830 il fait la guerre d’Algérie (notamment la prise de Constantine en 1837). Cette clarinette a intégré le 47ème RI vers 1845 et le chiffre 47 y a été apposé. Le 47ème a participé à la guerre de Crimée et la prise de Sébastopol en 1855 puis a connu la défaite à Sedan et la capitulation de Napoléon III en 1870. Ce régiment est dissous et la clarinette remisée. Elle réapparaît en 1890 au 7ème Régiment d’Infanterie de Marine où est apposé le chiffre 7 ainsi qu’au dos l’ancre marine des « marsouins ». (J’ai fait mon service militaire dans les RIMA ! Le 7èmeRIM  est basé à Rochefort, et un brocanteur vient de la trouver près de Rochefort en Charente Maritime (17) (ma région d’origine !) et me l’a vendu en 2015. 
Étendard du 47éme de ligne en 1812.
La clarinette :
La vie mouvementée de ces régiments a causé quelques dégâts à cette clarinette  : fente ancienne réparée par un flipot, bagues ivoire remplacée par des bagues en laiton, pavillon disparu remplacé par un pavillon d’un autre grand facteur contemporain : Guerre. Le bec , ligature et couvre bec sont légèrement postérieur et sont signés de « Buffet Crampon et Compagnie »  sans doute pour le clarinettiste du RIM qui l’a rejouée en 1890.  Les armées après cette époque vont se doter de clarinettes moins fragiles (ébène, clés et bagues en maillechort) et plus modernes (système Boehm). Vendue par les domaines, elle a jouée apparemment jusqu’à la 1ère guerre mondiale en Charente Maritime dans un orchestre populaire avant d’échouer dans un grenier,  puis dans ma collection.


C.  clarinette en buis 13 clés en laiton de Guerre:  
Le facteur : Georges Antoine Guerre
Spécialiste réputé de la clarinette entre 1825-1855 à Paris ayant reçu des médailles d’honneur en 1827 et 1834. Il fournit aussi les armées. Son estampille face rayonnante montre sans doute son grade dans la franc maçonnerie. Il est connu par les collectionneurs pour la qualité de ses instruments mais aussi  pour avoir essayé  de reprendre et de s’attribuer l’innovation de la 14ème clé de JF Simiot. 
















La clarinette et sa vie militaire :

Les régiments :

Chiffre 8  et  1839 :  8ème RI : régiment de l’ancien régime, il participe à des batailles importantes (Valmy, Friedland, guerre d’Espagne, guerre d’Algérie aussi) et en 1859 à Solferino et lui aussi à Sedan pour la défaite de 1870.


On voit les trompettes dans cette bataille lors de la campagne d’Italie mais point de clarinettiste car les ordres de combat se faisaient avec des cuivres pour se faire entendre dans le tumulte de la bataille ! La clarinette a un son trop doux et servait plus pour séduire lors des défilés. Les clarinettistes étaient soient combattants soient surtout brancardiers. Chiffre 97 : Après 1870, on supprima beaucoup de régiments et encore plus de musiques militaires (certains instruments vont être recyclés dans d’autres régiments comme nous l’avons déjà vu précédemment et d’autres vendus). Cette décision réduira considérablement la demande et le métier de facteur d’instruments à vent perdant ainsi leur principal débouché. Beaucoup de musiciens seront ainsi démobilisés et créeront les orchestres de village, les harmonies à travers la France. Apparemment cette clarinette après 1870, quitte le 8me RI et intègre le 97ème RI qui est aussi un ancien régiment réputé (Rivoli, campagne d’Egypte, Sébastopol aussi) et qui va être connu pour la qualité de ses chausseurs alpins.










La clarinette :
Elle a aussi beaucoup vécue et a eu une vie mouvementée, subissant de nombreux chocs (bagues en ivoire du pavillon cassée, une clé manquante). Devenue obsolète (remplacée par les clarinettes en ébène système Boehm ,elle sera remisée et vendue. Lors de l’exode de 1940 cette clarinette arrive à Bordeaux où elle sera dans une boite double avec une clarinette Dobner en Ut. Clarinettes achetées à un brocanteur bordelais en 2014. Mais on ne peut pas oublier lorsqu’on analyse cette période et les instruments à vent militaires sans évoquer le grand Adolphe Sax qui remania le choix des instruments et l’organisation de la musique militaire...mais ceci est une histoire et il a fait l’objet d‘autres articles. Enfin  mentionnons un autre article sur une clarinette militaire, qui raconte la vie de deux clarinettistes, l’un allemand jouant une Mib Schuster du 133èmeRIR de Zwickau en Saxe et l’autre français jouant une Margueritat du 125RI de Poitiers dans les tranchées)
Cliquez pour lire l'article sur les deux clarinettistes face à face.