Affichage des articles dont le libellé est Roth. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Roth. Afficher tous les articles

lundi 19 février 2024

L'histoire d'une flûte strasbourgeoise de Jean Chrétien Roth

L'un des plaisirs du collectionneur d'instruments de musique est qu'après avoir regardé l'instrument sous toutes ses coutures pour déterminer sa facture, son diapason, l'atelier qui l'a fabriqué.......c'est de connaître ses propriétaires, les artistes qui l'ont joué.

Encore mieux s'il a appartenu à un personnage prestigieux, où un célèbre musicien, comme c'est le cas pour cette pochette de Maître à danser réalisée par le luthier parisien Romain Cheron en 1681 pour Nicolas Varin Maître à danser des pages de la Grande Ecurie de Louis XIV, qui sera en vente à Vichy le 13 avril de cette année.






C'est également le cas pour une flûte de ma collection reçue par le lauréat d'un premier prix de flûte en 1844, Gustave LEMOUX (1828-1875) éléve de Jean Louis Tulou.
             



Portrait de Gustave Lemoux (propriété de B.Duplaix)

Cette flûte restaurée par Charles Henri SUN, a pu retrouver vie grace à Anne PUSTLAUK qui interprète le morceau de concours : "Tulou 10ème Grand solo op. 92" que G. Lemoux a joué en 1844 pour son premier prix de flûte du conservatoire de Paris.

 
Et puis il y a d'autres instruments plus modestes, sans grand intérêt organologique qui ont appartenu à des personnes plus modestes.......mais qui peuvent dévoiler une histoire passionnante. 

C'est le cas de notre petite flûte en buis de Jean Chrétien ROTH (1816-1881) installé au 18 place Kléber à Strasbourg.


Même si elle est très sympathique, en parfait état, faite dans un beau buis ondé et très bien fabriquée, jouant bien, on ne peut pas "s'extasier ", crier à "l'exceptionnel ".
Alors pourquoi s'intéresser à cet instrument?

La boite d'origine !!!! comporte des noms : sur le couvercle " Amann chef de Section à Longjumeau "


Et sur l'intérieur du couvercle : " CHRISTOPHEL Alphonse N 136 "
" Mais qui c'est ces mecs là ? "

Alors c'est là que commence le plaisir DU CHERCHEUR....ou plutôt du fouineur. C'est mieux qu'un Agatha Christie ou un James Hadley Chase. Mais il faut trouver.....tant pis si le Président Macron explique sa politique à la télé.
Première étape, les sites de généalogie préférés Généanet, Filae. Une chance le nom n'est pas Martin ou Lefèvre ......j'ai déjà donné. Alors je cherche avec Alphonse Christophel, qui n'est pas courant et bingo.

Alphonse Xavier Christophel né le 28 2 1860 à Haguenau dans le Bas-Rhin, sergent au 1er régiment étranger. Mort en 1883 à Hué au Vietnam. Et en plus sa mère s'appelait Anne Catherine Amann (1827-1875). 
Il suffit alors de "tirer le fil ".......et puis voici l'Histoire.

Notre flûte a sans doute été achetée chez Roth à Strasbourg vers 1860 par Bernard Auguste AMANN, né à Haguenau dans le Bas Rhin le 5 juin 1839. Toute sa famille était de Haguenau. 
Magasin C. ROTH en 1868 au 18 place Kléber à Strasbourg.
(Col. RP)


B. A. AMANN était conducteur de travaux aux ponts et chaussées et c'est la raison pour laquelle lorsque la guerre fût déclarée entre la France et l'Allemagne en 1870, on le retrouve comme employé aux travaux de génie de la place de Belfort à partir  du 1 octobre 1870 jusqu'au 18 février 1871 date d'évacuation de Belfort, attaché depuis le bombardement au service du fort de Bellevue.
La rédition du siége de Belfort en 1871


Auguste AMANN a été blessé à la tête par un éclat d'obus, c'est la raison pour laquelle il fût décoré de la légion d'honneur en avril 1872. 
A fin de la guerre il est nommé par les ponts et chaussées à Rethel dans les Ardennes et choisi de rester français 30 septembre 1872. Il épouse en novembre 1872 Marie Louise CHRISTOPHEL née elle aussi à Haguenau en 1849, sans doute une cousine et soeur d'Alphonse Xavier CHRISTOPHEL.
Leur fille Gabrielle AMANN est né à Longjumeau le 25 septembre 1876, Auguste AMANN étant alors conducteur de travaux, chef de section au chemin de fer dit de la grande ceinture. (voir le libellé du couvercle de la boîte de flûte)

Bernard Auguste AMANN fit une brillante carrière dans les Ponts et Chaussées. Après Longjumeau, ce fût Mauriac, Brive et Limoges. Il décéda le 14 juillet 1909, date prédestinée pour ce patriote.

Son beau frère Alphonse Xavier CHRISTOPHEL, qui hérita de la flûte, à son adolescence, pour s'essayer à la musique était beaucoup plus jeune (21 ans de différence) puisqu'il était né le 28 février 1860 lui aussi à Haguenau. Il eu un destin beaucoup plus tragique, puisque engagé dans la légion étrangère (sergent au premier régiment étranger, il fût tué en 1883, à 23 ans au cours du siège de Hué.














 B.A. AMANN avait un frère aîné luis aussi né à Haguenau, patriote et musicien : Henri AMANN (1835-1900). Engagé dans l'armée dès l'age de 12 ans.(il devait avoir admirer les beaux militaires du 7éme régiment de cavalerie qui étaient en garnison à Haguenau dans les années 1845) Trompette au 7éme régiment de chasseur il participa aux campagnes d'Algérie (1858-1859), à l'armée d'Italie 1868-1869, à la guerre contre les allemand de 1870-1871 et fut libéré en 1874 après 27 ans de bons et loyaux services qui lui  valurent d'être décoré de la médaille militaire en 1868 et d'être fait chevalier de la légion d'honneur en 1871.
Trompette du 7éme régiment de chasseur à cheval.
A côté de sa carrière militaire il obtint un premier prix de sax horn au Conservatoire Impérial de Paris en 1863.
  
















Alors elle pourrait en dire cette petite flûte de Roth !!!!!!!

mercredi 13 septembre 2017

"La famille Kretzschmann de Strasbourg facteurs d'instruments de musique, à vent en cuivre". "The Kretzschmann family from Strasbourg, brass wind music instruments makers".

Karl Gottlob KRETZSCHMANN est né en Allemagne, à Markneukirchen (Saxe) le 19 avril 1777. Il était le fils du facteur Johann Gottfried KRETZSCHMANN de Markneukirchen et d’Eva Rosina GOETZ et appartenait à la célèbre famille du « Vogtland » qui a donné de nombreux facteurs d’instruments de musique. Il est arrivé vers 1809 à Strasbourg, sans doute accompagné d’un neveu, Charles Gottlob KRETZSCHMANN, facteur d’instruments, né à Neukirchen, décédé à 25 ans le14 juin 1813 à Strasbourg. Le père de ce neveu, Adam KRETZSCHMANN, était aussi facteur en Saxe.
Marque de Charles Kretzschmann.
Karl (Charles) Gottlob, qui avait francisé son prénom, épousa vers 1810 Suzanne ANNECKER (1790-1855), fille d’un boucher installé à Wasselonne en Alsace. Ils eurent quatre enfants dont les deux premiers  décédèrent en bas âge : Charles Gottlob (1812-1814) et Caroline (1813-1817).
Signature de Charles Kretzschmann père.
Le second  fils, Charles Auguste KRETZSCHMANN, né à Strasbourg le 16 octobre 1818 prendra la succession de la Maison en 1842 à la mort de son père. Quant à Frédérique Wilhelmine (Guillemette) KRETZSCHMANN, née le 23 décembre 1821 à Strasbourg, célibataire,  elle décédera le 12 septembre 1860 à Scharrachbergheim dans le Bas Rhin. Dès son arrivée à Strasbourg en 1809, Charles Kretzschmann père se déclara fabricant d’instruments à vent et s’établira au N° 5 de la rue Saint Hélène, adresse des Kretzschmann père et fils pendant toute leur activité. La fabrication de l’atelier comportait tous les instruments à vent en cuivre : cornets, trompettes, cors, trombones, ophicléides et utilisait exclusivement le système allemand de barillets rotatifs.
Pavillon d'un cor naturel de Charles KRETZSCHMANN père.
(Collection R. Charbit)
Même si la production de Charles Kretzschmann fût très influencée par la facture allemande, elle restera par sa diversité et sa créativité d’esprit français : les trompettes à clés, circulaires, demi-lune, les buccins, ophicléides  montrent que ce facteur de province était au niveau des meilleurs facteurs parisiens. A l’exception peut-être d’un ou deux facteurs lyonnais, aucun facteur de cuivres de province, ne produisait une telle variété d’instruments en ce début du XIXe siècle.
Petit cor de poste (Vente de Vichy juin 2006) 
 Grand bugle à 7 clés en Fa en forme de demi lune de Charles KRETZSCHMANN
à Strasbourg. (Collection Richard Charbit)
 

Trompette demi-lune (collection B. Kampmann)
Jean FINCK (1807-1858), autre facteur de cuivre installé à Strasbourg, a sans doute été formé dans l’atelier Kretzschmann, puisque il ne quitta pas Strasbourg et se déclarera tourneur de 1807 à 1817, puis seulement à partir de cette date, fabricant d’instruments à vent. Seul Kretzschmann avait la compétence à Strasbourg pour former un élève. La collaboration entre les différents facteurs strasbourgeois ne s’arrêtera pas là, comme le montrent ces deux cors naturels marqués « Bühner et Keller » et « Dobner », visiblement fabriqués par Kretzschmann.
Cor naturel de Bühner et Keller fait par Charles Kretzschmann (collection RP)

Cor naturel marqué Dobner à Strasbourg sans doute fabriqué
 par Kretzschmann (Collection Richard PICK)
A la mort de Charles Gottlob KRETZSCHMANN, le 18 février 1842 à Strasbourg, son fils unique Charles Auguste KRETZSCHMANN, âgé de 23 ans prit logiquement la suite de son père. Il devait avoir été formé très tôt dans l’affaire, puisque que dès 1844 il participa à l’Exposition de Paris, où il présenta des bugles à Cylindres, un bugle basse et un bombardon.
Signature de Charles Auguste Kretzschmann (1818-1888)

Cornet à pistons en ut/mi b (N° 625 de la collection Bruno KAMPMANN)
Il obtiendra le 1 mai 1850 un brevet de 15 ans N° 9850  « Améliorations et changements apportés au mécanisme des cylindres rodiques qui sont applicables à tous les instruments de musique tels que cornets, clairons etc…. » En fait C.A Kretzschmann était un partisan « du système à cylindres rodiques » auquel il trouvait de multiples avantages, dont celui de laisser passer l’air d’une façon plus naturelle et sans obstruction ; en revanche il voulait améliorer son inconvénient majeur, la fragilité et avait conçu un « couvercle manivelle»  qui fonctionnait sans friction. Selon Bruno KAMPMANN « ….l’idée est très proche de la walzenmaschine brevetée par CERVENY postérieurement en 1873. La particularité unique est que les ressorts de rappel sont inclus dans les barillets, et non situés dans un rotor extérieur ». Si vous voulez en savoir plus (et si vous parlez allemand) ce système est détaillé à la page  35 de l’ouvrage de Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».
Trompette en sol à trois barillets et ton de sol, 
appliquant ce brevet, en particulier le couvercle manivelle
(N° 528 de la collection Bruno KAMPMANN)
Il récidivera en 1856 et obtiendra le 23 juin un brevet de 15 ans (N° 28038) pour la fabrication d’un « système de pistons à mouvement horizontal avec pression verticale, applicable à tous les instruments de musique en cuivre ».


















« Clairon chromatique baryton en si utilisant ce nouveau brevet » (Musée de la Musique à Paris) et schéma expliquant ce nouveau système  à pression verticale et mouvement horizontal. Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».

A cette date, il faisait partie de la coalition des facteurs d’instruments qui luttera contre l’hégémonie du grand Adolphe SAX. Nous n’allons pas « répéter » ces procès fastidieux entre la coalition et le « pauvre Adolphe Sax martyr de tous ces cupides facteurs d’instruments », discours convenus et entretenus par des écrivains bien connus, comme Oscar Comettant et le Comte Ad de Pontécoulant, discours repris en cœur dans tous les documents publiés sur Sax, même actuellement ; ouvrages dans lesquels KRETSCHMANN est cité très rarement, sinon pour souligner « sa cupidité » et son « incompétence ».  Pourtant il existe un nombre impressionnant d’ouvrages reprenant l’ensemble des procès opposant Kretzschmann à Sax, disponibles à la Bibliothèque Nationale de France, montrant que le combat fût long, âpre et que l’issue ne fût pas si favorable pour Sax, puisque en appel, Kretzschmann fut condamné non pas pour contrefaçon, mais pour…recel de 4 instruments produits par Kretzschmann comme preuve d’antériorité au brevet Sax de 1845 et pour les avoir introduit en France. 
Le Grand Adolphe Sax.
Les procès entre A. Sax et C.A. Kretzschmann : procès longs et pas particulièrement flatteurs pour le "Grand Sax".


Reprenons les éléments essentiels de ces procès. Ch. A. KRETZSCHMANN fut d’abord cité comme témoin dans le procès qui opposa GAUTROT à SAX, mais son témoignage ne fût pas retenu. Aussi, lorsqu’il fut cité comme témoin dans le procès  qui opposa BESSON à SAX, il produisit trois instruments, fabriqués par son père (3 ophicléides altos à 3 pistons parallèles vendus en 1839 et 1841 dont les propriétaires étaient suisses, et vosgiens) et un quatrième, vendu par Kretzschmann fils en 1843 (ophicléide alto à trois pistons), fabriqué avant le brevet Sax du 13 octobre 1845, qui revendiquait l’invention :
« Des instruments ayant le pavillon en l’air et les pistons parallèles au tube de l’instrument ». 
Sax fait saisir ces quatre instruments, ainsi que les documents prouvant la vente à la date indiquée, pour contrefaçons. Comme il était difficile de contredire les dates, en particulier celles qui concernaient les instruments de Kretzschmann père décédé en 1842, le tribunal décida que les instruments auraient été modifiés après 1845 mais par qui ? Le tribunal n’osa accuser ni Besson, ni Kretzschmann, puisque les instruments étaient arrivés au tribunal dans des conditions particulières. Nous voudrions décrire avec quels soins les propriétaires avaient fait parvenir au tribunal les instruments, propriétaires qui c’étaient même déplacés durant les procès pour témoigner en faveur de Kretzschmann.
Prenons le cas de «  l’ophicléide alto à trois pistons parallèles, fabriqué par feu Mr KRETZSCHMANN père et vendu par lui le 19 octobre 1841 à Mr Louis Hoffmann-Vulliemoz à Lausanne, canton de Vaud (Suisse). Cet instrument a été produit en justice par son propriétaire actuel, Mr François Blanc, huissier à Lausanne, à l’appui de sa déposition du 30 juillet 1858. Pour établir l’origine et la date exacte de cet instrument, Mr KRETZSCHMANN fils avait produit :
·         Les livres de commerce de feu son père.
·         Les lettres relatives à cet instrument de Mr Louis Hoffmann-Vulliemoz.
·         Une déclaration notariée du 26 mai 1858 de MM Louis Hoffmann-Vulliemoz, François Blanc propriétaire de l’instrument, David Thuillard, Philippe Pflüger, Frédéric Allamand, Jacques Lauffen, Jacques Hoffman, Henri Blanc.
Les signataires de cet acte ont déclaré « qu’étant tous membres du corps de musique militaire de Lausanne, dirigé par le lieutenant Hoffman, ils ont vu cet instrument dans leur musique dès l’année 1841. Cet instrument alors nouveau pour eux, fut de leur part l’objet d’un examen particulier et leur a laissé un souvenir parfaitement distinct, notamment par la position des pistons placés tous trois ensemble dans la même direction parallèle au tube du pavillon ». Ledit instrument reconnu cacheté par un notaire ». (5)
Le même traitement étant fait pour les trois autres instruments, il faut croire que Mrs Kretzschmann et Besson bénéficiaient d’un solide réseau de « complices », puisque le 19 juin 1862 ils étaient accusés « non pas d’avoir contrefait les quatre instruments, mais de les avoir introduits en France et recélés, sachant qu’ils étaient contrefaits ». (5)
On comprend mieux, pourquoi Constant PIERRE fut aussi sévère avec A. SAX  dans son ouvrage « Les facteurs d’instruments de musique ».
« A. SAX déposa de nouveau son bilan en 1873, après une période particulièrement brillante, pendant laquelle il avait certainement vendu beaucoup d’instruments, reçu plus de 500 000 frs d’indemnité du procès Gautrot, encaissé nombre de primes des facteurs qui avaient sa licence pour faire des instruments imposés sous son nom dans l’armée. Comment donc s’il n’y eut des dépenses excessives, des remises exagérées, des frais de publicité énormes, des panégyristes largement rémunérés, s’expliquer un tel désastre. Avec le nouveau régime, Ad. SAX ne retrouva pas l’appui que lui avaient prêté les fonctionnaires de l’Empire, la lutte redevint égale et toute pression officielle cessant, les facteurs purent écouler les instruments de leurs systèmes, sans être contraints comme auparavant, de se borner à la confection des types réglementaires imposés et dénommés à l’instigation d’Ad. SAX ». (7)
Quant à Ch. A. KRETZSCHMANN, il se retira des affaires vers 1860 : « Mr KRETZSCHMANN s’est retiré des affaires ; mis en possession par son père d’une fortune relativement considérable, augmentée encore par sa propre industrie et suffisante aux besoins de son existence ». (5)

On remarque également que son brevet de 1856 : « nouveau système à pression verticale et mouvement horizontal » avait pour but de répondre au brevet SAX de 1845, même s’il ne rencontra pas un franc succès.
Il se retira à Scharrachbergheim, petite commune du Bas Rhin de 1000 habitants, située à 21 kms de Strasbourg. C’est là qu’il décédera le 12 octobre 1888 à l’âge de 70 ans, sans descendance. (*)
C’est Achille (François Pascal) GALLICE qui prendra la succession de la Maison KRETZSCHMANN dans les années 1860. Achille GALLICE était né à Briançon le 5 décembre 1832, il était le fils de Pascal GALLICE ébéniste à Lyon. Avant son installation rue des Frères, il devait travailler pour Jean Chrétien ROTH (Successeur de Dobner et de la Maison Bühner et Keller), puisque lors de son mariage le 19 juillet 1856 à Strasbourg avec Pauline SCHATZ, fille d’un brossier de Strasbourg, « J.C. ROTH, 40 ans facteur d’instruments et Jacques ROTH, 33 ans amis de la famille » en furent les témoins.

Achille GALLICE exerça son métier de « facteur d’instruments en bois et en cuivre » de 1867 à 1886 à la même adresse, 14 rue des Frères qui deviendra en 1880 la « Brüderhofgasse ».

Bibliographie :

(1) : Comte Ad de Pontécoulant : Organographie. Essai sur la facture instrumentale. Art, Industrie et commerce. Paris 1861.
(2) : Oscar Comettant : Histoire d’un inventeur au XIX° siècle. Adolphe Sax, ses ouvrages et ses luttes. Paris 1860.
(3) : Malou Haine : Adolphe Sax (1814-1894) Bruxelles.
(4) : Jean Pierre Rorive : Adolphe Sax (1814-1894), Inventeur de génie. Edition Racine.
(5) : Cour de Cassation. Mémoire ampliatif pour Mr Ch. A. Kretzschmann contre M. A. Sax. 1863 chez
Silbermann.
(6) : Cour de Cassation, chambre criminelle : Besson, Kretzschmann contre Sax : BNF 4 FM 16527.
(7) : Constant Pierre. Les facteurs d’instruments de musique. Paris 1893.
·         Larigot : Catalogues de la collection de Bruno Kampmann.
·         Site de Richard Charbit : http://www.orpheemusic.com.
·         Anthony Baines: Brass Instruments. Their History and Development.
·         Waterhouse William: “The New Langwill Index. A dictionary of Musical Wind Instrument Makers and Inventors”.
·         Archives départementales du Bas Rhin à Strasbourg. Etat civil, recensements, annuaires, almanachs.
·         Günter DULLAT « Metallblasinstrumentenbau ».
·         Enrico WELLER « Der Blasintrumentenbau in Vogtland von den Anfängen bis zum Beginn des 20
Jahrhunderts ».
·         Site de Richard Pick : http://www.pick-et-boch.com/

·         Brevets : Archives de l’INPI : 26 bis rue de Saint Petersbourg, Paris 75008.

lundi 18 janvier 2016

"Organisation des métiers du bois notamment des facteurs d’instruments de musique au XVIII et XIXème siècle". "Organization of the wood crafts, in particular the woodwind musical instruments makers in the 18th and 19th centuries".


par José-Daniel TOUROUDE

Q : quand on admire votre collection, vous faites souvent référence à des facteurs compagnons et maîtres, à une certaine noblesse de la facture des métiers du bois et avec votre ami René Pierre dans votre blog, vous recherchez et redonnez vie à ces illustres inconnus qui ont été oubliés, à part le monde des collectionneurs. De quand date l’organisation de ces métiers ? c’est très ancien.

JDT : Oui et la première preuve écrite existe déjà en 1268 dans « le livre des métiers » d’Etienne Boileau qui recensait 121 métiers organisés en corporations dont celui des tourneurs sur bois.  Souvent encore au XVIIIème siècle on identifiait le facteur comme tourneur sur bois car il faisait aussi bien des pieds de chaises, des bondes de tonneaux de vin que des flûtes ! Puis vint la corporation des joueurs de musique en 1321, reconnaissance du statut de musicien professionnel. Plus tard en 1599 naissait la corporation des faiseurs d’instruments de musique ou luthiers. En effet les musiciens fabriquaient le plus souvent leurs instruments à l’époque. L’école allemande prônait encore il y a peu de temps que le clarinettiste devait savoir fabriquer ses anches, changer les tampons et lièges, démonter son instrument. Les instruments devenant plus complexes et artistiques, seuls des professionnels pourront les fabriquer. 
Atelier du tourneur sur bois. (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
Pouvez  vous me  préciser le cadre historique et organisationnel de ces métiers à l’origine ?

Beaucoup de métiers dont celui du bois étaient organisés en corps ou corporations permettant le regroupement de tous les membres d’un même métier avec 3 niveaux  et des mots - clés attachés à ces dénominations : l’apprenti apprenait (pendant plusieurs années durement son métier et faisait les tâches rebutantes) puis le compagnon fabriquait (ouvrier qualifié voire hautement qualifié lié à l’image souvent du tour de France) puis le maître dirigeait (patron de l’atelier souvent respecté, ayant fait un chef d’œuvre, détenteur de l’estampille, organisateur de la profession). Ces corporations, personnes morales, avaient un grand pouvoir et étaient soient des jurandes reconnues par le pouvoir royal (exemple à  Paris), soient  des corporations réglées par les municipalités (exemple à Lyon). Les guildes corporatives en Allemagne et dans l’Est étaient aussi des corporations ou des jurandes (dont les représentants se nommaient jurés). 

Mais quels étaient leurs objectifs ?

Leurs objectifs étaient de s’entraider, former des professionnels mais aussi défendre leurs intérêts (tendant parfois vers un monopole), de contrôler le marché du travail de fixer les prix, et exercer un contrôle de la qualité voire du marché, organiser et discipliner la profession avec des usages codifiés, des rituels, des règlements, des contraintes toujours plus complexes. Elles étaient dirigées collégialement par les maîtres et patrons d’ateliers qui élisaient leurs chefs et représentants. Ils fixaient les formes, les styles et les modes, les techniques et devenaient de plus en plus conservateurs mais reproduisaient parfaitement ce qu’ils avaient fixés. Il était fondamental pour travailler d’être accepté par ses pairs donc suivre les usages codifiés et la hiérarchie de la communauté, être un professionnel reconnu, avoir une éthique adéquate de l’amour du travail bien fait, des capitaux nécessaires pour payer les taxes importantes (source importante pour le pouvoir) et pour monter un atelier et régaler ses pairs. Depuis Henri IV s’installer dans les ateliers royaux du Louvre ou à l’Arsenal, était la consécration des meilleurs maîtres. Or les migrations européennes continues attirées par la France, pays riche et important, aspirateur de talents vont entraîner de nouvelles techniques et idées, de nouveaux savoir-faire (après la renaissance italienne, notamment les tourneurs sur bois flamands et allemands). Ceux qui n’étaient pas acceptés par leurs pairs organisés (souvent des étrangers ou des provinciaux (ex : les lorrains meurtris par les guerres) devenaient ouvriers libres, protégés par d’autres puissances mais à la périphérie des villes . Ainsi à Paris, ils s’installèrent dans les villages avoisinants c’est à dire les faubourgs (exemple les métiers du bois regroupés au Faubourg Saint Antoine par l’abbaye) ou la cour du temple ou l’enclos de St Germain des près, les faubourgs St Marcel et St Jacques… Et ces ouvriers en marge dans ces lieux privilégiés n’avaient pas toujours bonne réputation, étant sans cesse critiqués par les jurandes et corporations officielles auprès des autorités, garant de la réputation et du contrôle des métiers.
 
Le livre de François Icher sur les compagnons.
Il est vrai que le travail était assez aléatoire, sensibles aux périodes d’inactivité et aux troubles politiques, ou aux euphories après guerres avec des commandes importantes. Il était difficile de réguler le marché du travail. D’où les combats parfois meurtriers et les villes réservées entre compagnons faisant leur tour de France entre dévorants catholiques et gavots protestants, entre compagnons fixes et compagnons itinérants, entre les corporations officielles et les ouvriers libres des lieux privilégiés mais aussi entre les métiers et les chantiers à réaliser… les libertés d’exercer et de circuler n’existaient pas beaucoup sous l’ancien régime et il fallait trouver une protection (corporation, maître réputé, noble ou religieux puissants, entraide compagnonnique, recommandations diverses...)
Scène de rixe sur le diplôme de Languedoc le victorieux,
compagnon charron du S
t Devoir de Dieu et de Ste Catherine
 reçu à Nantes le 6 avril 1828. Collection privée.
La promotion était-elle fondée exclusivement sur le talent ?

Oui au début et c’est l’image véhiculée mais en fait des stratégies complémentaires à la méritocratie vont apparaître rapidement. D’abord chaque métier vivait dans un monde assez fermé avec ses valeurs, son langage, ses quartiers, ses outils, sa solidarité : on se côtoyait, on vivait ensemble, on se copiait, s’aimait, se jalousait dans une communauté étroite et on se mariait entre soi. (exemple des mariages croisés entre les familles de facteurs à la Couture-Boussey). Les apprentis et compagnons couchaient souvent chez le maître ou à côté et cette promiscuité resserrait les liens. Ainsi la plupart du temps le compagnon talentueux, devenant chef d’atelier épousait la fille du maître pour prendre la suite ou souvent la veuve du maître afin de continuer l’atelier et devenir maître à son tour et quand la veuve mourrait, il reprenait une autre femme jeune qui vivait entouré de jeunes compagnons qui remplaceraient le maître etc….  donc méritocratie assurément mais pas seulement . Ce qui importait c’était de continuer l’atelier (comme les paysans leur exploitation). Cette promotion sociale et l’accès à la maîtrise était courant car s’installer était vraiment difficile. Alors les compagnons en faisant leur tour de France multipliaient les chances de trouver maître, atelier et femme qui convenaient à leurs ambitions…Bien sûr quand le maître avait un fils talentueux, il reprenait l’atelier (et certains en adoptait un pour éviter les taxes). Mais la maîtrise qui est l’apogée d’un savoir-faire devint aussi un statut de patron de plus en plus héréditaire bloquant l’ascenseur social du compagnon qui, faute d’argent, ne pouvait pas s’installer. La concurrence et la liberté de s’installer étaient alors entravées. Les jurandes vont empêcher ainsi certains de prospérer fixant le nombre d’apprentis et de compagnons par atelier. Quand le maître était reconnu, il devenait bourgeois et ses enfants scolarisés pouvaient changer de classes sociales. Beaucoup d’inventaires après décès montrent que certains compagnons pauvres avaient fini dans l’aisance et la reconnaissance.
Roth successeur de Dobner à Strasbourg
vers 1844


Dès le XVème siècle pour limiter l’accession à la maîtrise, afin que leurs compagnons ne deviennent des Maîtres donc des concurrents, les corporations augmentèrent le nombre d’années de travail de compagnons chez un patron, demandèrent la réalisation d’un chef d’œuvre accepté par les pairs, de payer des banquets coûteux ... A la mort du Maître, il y avait donc : un atelier connu, des compagnons et apprentis, des commandes à réaliser, des outils (les outils pratiquement sacrés souvent gravés étaient donnés aux successeurs méritants) et surtout une réputation à continuer et pour cela la marque était essentielle pour la veuve. La loi permettait aux veuves de Maîtres d’exploiter la marque de feu leur mari et certaines estampilles étaient réputées. Mais comme toute entreprise familiale basée sur la technicité, il fallait à la fois un nouveau patron reconnu pour son expertise dans le métier mais aussi pour son esprit d’entreprise et accepté par la veuve !  et c’était quand même rare. C’est ainsi que parfois, bien après le décès d’un facteur, la veuve et ses compagnons continuaient à fabriquer des instruments sous l’estampille du Maître décédé depuis longtemps ! (ce fait donne des discussions passionnées sur les datations possibles entre collectionneurs d’instruments).
La veuve de Sautermeister épouse son neveu  Louis Müller.
et

Si un compagnon devenait le nouveau maître, il avait vite envie et l’ambition de marquer sa trace avec sa propre estampille en accolant son nom à celui de son maître ou en mettant successeur de …, voire en mettant seulement le sien s’il était déjà connu dans un marché régional. Souvent aussi faute de successeur, l’atelier fermait, le métier demandant des dons certains et n’étant pas si lucratif (sauf pour quelques uns réputés). Il y aussi a contrario de véritables dynasties (ex : Thibouville, Noblet …) où on faisait le même métier pendant plusieurs générations .
Marque de Martin Thibouville père et
 Martin Thibouville fils.
Mais certains pouvaient s’échapper des contraintes et autorités des corporations ? Ce protectionnisme était de garantir le travail et les privilèges aux français  air connu  non ?

En effet, être exclu de votre corporation ne rendait pas la vie facile, ni l’accession aux chantiers et aux commandes. Dès 1471 une ordonnance de louis XI permet aux métiers du bois de vivre libres par exemple sur le territoire de l’abbaye St Antoine sans s’affilier aux jurandes et corporations régissant les métiers du bois, ce qui permit de suite la naissance d’un noyau d’ouvriers talentueux mais aussi une lutte permanente entre corporations ou jurandes conservatrices et ouvriers libres créatifs pendant 3 siècles, l’abbaye attirant les meilleurs des métiers du bois étrangers et français (cf le livre de J. Diwo « les dames du faubourg »). Les corporations luttaient sans cesse pour maintenir leurs privilèges voire leurs monopoles d’une part contre d’autres corporations pour protéger les limites de leurs compétences souvent empiétées. Mais elles luttaient d’autre part contre les ouvriers libres étrangers et talentueux pour les métiers du bois qui par vagues venaient bouleverser le métier par d’autres techniques et prendre les marchés. Les maîtres des corporations luttaient aussi à l’interne contre les compagnons qui voulaient accéder à la maîtrise donc s’installer en concurrents et qui étaient freinés par des usages tatillons et des barrières d’entrées financières les excluant. Beaucoup d’ouvriers libres des métiers du bois étaient allemands ou de l’Est de la France et étaient luthériens. Être à la fois concurrents et hérétiques créent toujours un mélange explosif. Malgré cela il y eut pendant des siècles une arrivée permanente d’étrangers (hollandais, mais surtout allemands après la guerre de 30 ans…émigration de qualité vivifiant l’artisanat du bois, donnant à la France des grands ébénistes et menuisiers du roi et des puissants (Habermann, Oppenhoort, Oeben, Riesener…) et des grands facteurs d’instruments (pour la clarinette : Amlingue, Geist, Winnen, Baumann, Mousseter, Keller….)

Estampille de Jean Henri Riesener (1734-1806)
Commode Riesener
L’aventure des instruments à vent va alors se développer, la clarinette est née en Allemagne vers 1700 et l’estampille va devenir fondamentale mais de quand date cette idée de marquer au fer un objet en bois ?

En 1467 une lettre patente demandait qu’une estampille soit marquée au fer chaud sur les meubles pour authentifier l’origine et leur qualité sous l’égide des corporations mais elle fut peu appliquée. En 1751 un Édit royal rend obligatoire l’estampille de maîtrise. C’est une offensive des jurandes : l’Estampille est réservée aux maîtres donc soumis aux règles des jurandes et corporations. Ce marqueur social et de prestige permet aux Maîtres qui ont ce sésame d’avoir recours à la sous-traitance des compagnons d’autres ateliers et surtout de se différencier des ateliers considérés comme inférieurs en qualité car anonymes. Entravant la créativité et la liberté et figeant les métiers, les corporations seront supprimées avec la loi le chapelier en 1791. Pendant tout le XIXème siècle, les corporations étant abolies, les compagnons auront la liberté de s’installer et les estampilles si convoitées et qui étaient un privilège visible interdit à la majorité vont se généraliser. Il y aura alors une véritable éclosion d’estampilles de toutes sortes et comme ce sera l’époque des instruments à vent, beaucoup d’instruments auront des marques variées et pas toujours évidentes à décrypter. 
Loi le Chapelier de 1791 supprimant les corporations.

Mais pour les meubles comme pour les instruments de musique, il y a bien de différences entre celui qui signe et celui qui fait ! mais la recherche de l’estampille demeure quand même le moteur de tout collectionneur…  La révolution industrielle en France en ce début du XIXème siècle va bouleverser tous les métiers du bois et les artisans vont utiliser d’autres outils, faire d’autres instruments et pour certains devenir de véritables entrepreneurs industriels (Gautrot, Thibouville.. Graves aux USA, les facteurs de Markneukirchen en Allemagne  …). Puis la grande époque des instruments à vent et notamment de la clarinette est liée aux armées napoléoniennes, et à la révolution industrielle qui modifie le travail de l’artisan par des outils mécaniques, donc à une augmentation considérable de productivité réalisant ainsi des flûtes et clarinettes par milliers et à prix réduit donc rendant ces instruments accessibles et donc populaires.
Bien sûr il y a toujours même actuellement une part de travail à la main mais de plus en plus réduite.

Après cette mise en perspective historique approfondissons maintenant la vie d’un apprenti et d’un compagnon faisant son tour de France au XIXème siècle puisque l’essentiel s’est déroulé dans ce siècle pour les instruments à vent. Nous avons des mémoires entre autres de celui d’un facteur Jean Daniel HOLTZAPFFEL. Ce sera l’objet d’un autre article.

A suivre......