Ce Blog est destiné à favoriser la réalisation d'articles sur les facteurs, marchands de musique, luthiers, en mettant à disposition une collection de documents sur ces sujets.
This Blog is intended to facilitate the realization of articles on music instruments makers, music goods sellers, stringed-instrument makers, by giving a collection of documents on these subjects.
José Daniel TOUROUDE interview René PIERRE sur la parution du " dictionnaire des poinçons d'or et d'argent relevés sur les instruments de musique à vent français et belges ".
JDT : Pourquoi consacrer un ouvrage aussi important sur les
poinçons d'or et d'argent qui ne sont
pas si fréquemment présents sur les
instruments de musique et à quoi cela peut-il servir à un collectionneur d'instruments à vent ?
Why devote such an important book to
gold and silver hallmarks, which are not so frequently present on musical
instruments? And what advantage is it to a collector of wind instruments?
Tout d'abord
ce sujet n'avait jamais été abordé sérieusement et personne ne tenait compte de
cette information qui peut parfois être précieuse pour dater l'instrument. Si je me
suis intéressé à ce sujet, c'est parce que la présence de poinçons sur les clés d'une flûte de Tulou m' a permis
de résoudre une énigme. On pouvait lire sur les poinçons les initiales "
PG ", ce n'était pas Pierre Godfroy, comme le prétendait certain mais Pierre Gautrot, information très
importante qui m'a permis de comprendre et d'écrire cet article sur
Tulou, Nonon et Gautrot :
First of all this subject had never
been approached seriously and nobody took account of this information which can
sometimes be invaluable to date the instrument. If I was interested in this
subject, it is because the presence of Hallmarks on the keys of a Tulou flute
allowed me to solve an enigma. You could read the initials "PG" on
the hallmarks, it was not Pierre Godfroy, as some claimed, but Pierre Gautrot,
very important information that allowed me to understand and write this article
on Tulou, Nonon and Gautrot:
Interview de 7 musiciens
professionnels intermittents
ayant
la passionde la
musique, sans être passés par la voie des conservatoires.
par José-Daniel
Touroude
Tous
m’ont dit « La musique c’est notre vie, c’est la vie »
Tous
les hommes écoutent de la musique (à part ceux frappés d’amusie), vivant dans
une ambiance musicale permanente (magasins, fêtes, pub, médias, disques…) et tous
ont la capacité d’en faire et en ont fait (chansons de sa mère, dès l’école
la flûte à bec et le xylophone, rythmes du corps et les danses, hymne national
dans le stade ou chant sous la douche…)
L’homme a peur du silence, parce qu’il est un être d’émotions et la musique est un bon
support, parce qu'il est aussi un esprit abstrait et la musique peut créer
intellectuellement de grandes joies et la musique relie les hommes dans une
même culture identitaire.
En
Occident, la musique classique a évolué et ne sert plus pour danser ou
s’exprimer en groupe mais devient compassé, figé dans un concert où on ne peut
plus bouger et participer sans avoir la réprobation des autres. Le concert est
un marqueur social, quasi religieux, on s’habille et on écoute la musique
sérieusement, conscient de faire partie d’une élite. La
boite de jazz c’est l’inverse comme les festivals de musique populaire assez
festifs, et de ces deux conceptions de la musique, les musiciens ne seront pas
les mêmes souvent. Mais
si les hommes ont besoin de musique pour accompagner leurs vies, la majorité
sont passifs seulement à l’écoute. Ils ne participent plus et sont devenus des
observateurs laissant à d’autres d’être acteurs.
Ainsi
certains sont actifs et pratiquent plus ou moins la musique avec un instrument. On
peut classer ces musiciens en 3 catégories : d’abord les professionnels issus
des conservatoires nationaux qui jouent dans les orchestres les plus
prestigieux surtout du classique, puis ceux qui sont intermittents
professionnels qui jouent différentes musiques et cet article leur est consacré
et enfin il y a la grande majorité d’amateurs dont c’est le hobby et qui
s’expriment pour leur plaisir et le plaisir des autres bénévolement.
Certains
musiciens, ayant eu une formation moins élitiste et linéaire, m’ont demandé
aussi de raconter leurs parcours. Nous avons donc échangé avec ces musiciens passionnés,
souvent aussi doués mais différents, aussi méritants mais souvent avec une
autre psychologie. Ils ne sont pas autodidactes, ni passés par le moule des
conservatoires régionaux et nationaux pour de multiples raisons mais ils sont
devenus quand même des professionnels talentueux dans des musiques souvent
différentes que la musique classique.
Les
trois thèmes abordés ont été les suivants :
1)Est-ce
que votre milieu social était composé de musiciens/mélomanes ou non etquand s’est produite la découverte de
votre passion musicale et vos débuts d’apprentissage ?
2)Comment
s’est déroulé les débuts de votre carrière et votre vie de musicien,
professionnel intermittent ou « semi pro » cumulant ou non avec une
autre activité ?
3)Quelles
sont les relations avec les musiciens classiques issus des conservatoires
régionaux et nationaux et vos réflexions sur la musique et/ou votre vie
musicale ?
Et
choisissez un morceau de musique qui a du sens pour vous.
Laissons
les musiciens s’exprimer franchement :
A :
Personne ne jouait, ni n’écoutait de la musique chez moi et il n’y avait même
pas de disques, seulement la radio de temps en temps pour des variétés.
Mes
premiers contacts avec la musique fut l’harmonie municipale. J’y suis rentré gamin
pour le prestige du défilé en uniforme, pour participer à tous les évènements importants
de ma ville, pour avoir les applaudissements du public etc… Mais surtout ce qui
m’impressionnait, c’était de jouer beaucoup de musiques différentes, souvent de
la musique enlevée, de l’opérette, la musique de film, des airs à la mode,
jazzy, latino... Et
puis l’harmonie c’était un groupe, une ambiance conviviale où nous fêtions
Sainte Cécile la patronne de la musique, des repas ensemble, une entraide d’un
groupe amical et soudé dans la vie avec des ainés qui transmettaient ce qu’ils
savaient bénévolement à des jeunes et qui à chaque fois avaient un plaisir
évident de jouer ensemble mais avec discipline (il y avait des anciens
militaires !)
Je
voulais faire du saxophone mais tous les gamins voulaient en faire, le chef
m’ausculta les lèvres et m’indiqua que je n’avais pas les lèvres minces d’un
hautboïste, ni les lèvres normales d’un clarinettiste ou d’un saxophoniste mais
des lèvres un peu ourlées bonnes pour les baisers ! et le tuba. (En fait
après coup, j’ai su qu’ils avaient besoin d’urgence d’un tuba !) Donc
j’ai appris le tuba tous les jours avec un vieux musicien qui m’a transmis tout
ce qu’il savait et que j’ai vite remplacé et surprise, je me suis passionné pour
les basses et rapidement j’étais devenu incontournable à chaque prestation.
Mes
parents étaient fiers de me voir à chaque concert, car être musicien amateur
pour les milieux ouvriers d’une petite ville était la marque d’une ascension
sociale surtout quand l’harmonie se concentra sur les concerts et créa dans son
sein, une section fanfare inaugurant et défilant à toutes occasions mais aussi un
orchestre de bals où j’étais aussi le bassiste. Rappelons que la fanfare est
composée de cuivres et percussions et l’harmonie plus large rajoute les bois à
la fanfare.
En
effet passionné par les cuivres et les basses, dès le collège, je travaillais
2h par jour plus toutes les prestations. J’aimais bien déchiffrer toutes les
partitions des uns et des autres. J’étais un initié sachant lire les notes et
qui avait un sens du rythme, une énigme incompréhensible pour ma famille !
Mais ce que je préférais, c’était de faire les relevés des parties de basses
aussi bien des morceaux classiques que de toute musique d’ensemble. J’ai
appris aussi beaucoup tout seul.
Rapidement
avec la pratique intensive au tuba, à 15 ans j’ai gagné mon premier cachet et
il fut consacré à l’achat un électrophone avec un disque du grand Chaliapine et
un disque de Gerry Mulligan ! J’ai
fait des stages chez un bon musicien qui me donnait chaque année un programme à
travailler, des partitions de solos, des corrections de mes pratiques parfois
originales.
Je
devins donc dans mon harmonie le spécialiste des basses à vent et de la
section rythmique : tubas, ophicléide, saxhorn, soubassophone (toujours
spectaculaire et impressionnant), et même ponctuellement pour rigoler et cela
faisait toujours son effet un serpent (j’en avais découvert un aux puces qui
jouait plus ou moins juste). J’enchainais
rapidement les cachetons d’orchestres de variétés, de jazz, de musiques
diverses, maitrisant de plus en plus des instruments demandés dans les orchestres
de cuivres, des fanfares, des orchestres divers. J’avais au moins 3 orchestres
de styles et d’instruments différents en permanence d’où des problèmes pour
assurer ! J’ai tout de suite compris que de choisir une famille d’instruments
rares et incontournables était la bonne stratégie et allait me propulser dans
la vie de musicien professionnel.
J’étendis
ainsi mes instruments pour être un bassiste demandé régionalement et je me suis
mis ainsi à la guitare basse pour les orchestres à la mode pop, rock, jazz… Pour moi la musique c’était les basses, la clé
de fa, l’analyse harmonique de la basse etc… un ami acousticien m’a indiqué que
j’étais en phase avec les basses fréquences. D’ailleurs j’apprécie
surtout le violoncelle, les barytons, le basson et les basses chantées comme
instrumentales. Et
tout naturellement en jouant sans cesse, j’ai appris mon métier de musicien sur
le tas, enchainant des bals, les concerts, les boites de jazz avant de finir péniblement
le lycée car je dormais peu. J’étais l’artiste local, je jouais tous les samedi
soir pour des bals, des concerts avec l’harmonie, une boite de temps en temps
et je faisais la saison l’été dans une brasserie sur les bords de mer tous les
soirs. Je faisais déjà plus que les 507 h de cachets obligatoires par an actuellement
pour bénéficier du statut d’intermittent !
Je
gagnais plus d’argent que mon père ouvrier au smic, j’étais sur scène et
valorisé, les filles admiratives et accessibles surtout quand on jouait avec
leurs idoles car j’ai intégré rapidement des orchestres plus célèbres
accompagnant des « stars ». Je
ne me suis jamais posé des questions : j’étais un jeune et bon musicien expérimenté
et pas du tout impressionné, même si mon niveau technique était moindre, par des
étudiants du conservatoire national qui enchainaient les concerti mais à 20 ans, j’étais
doté d’une expérience solide, rompu aux scènes diverses et aux prestations
musicales en tout genre ! Cela correspondait à mon caractère car je soutenais
les solistes (mais en faisant aussi des impros en solo) tout en étant
indispensable. Pour moi la vie était tracée : je serai musicien dans un
rôle de bassiste, ce qui me comblait.
Et
puis peu à peu reconnu, j’ai « bouché les trous » et j’ai appris en
fait ce qui me manquait en harmonie, déchiffrage rapide. Grace à ces efforts, j’ai
fait quelques incursions avec les musiciens d’orchestres symphoniques et de
l’Opéra, les « requins » des studios d’enregistrement pour des
disques de variétés, pour faire des musiques de film et de publicité et même
fait quelques remplacements en orchestre pour jouer de la musique d’avant-garde
ouvertes. Mes
réflexions sur mon métier, la passion et faire ce qu’on a envie, et
choisir la convivialité avec des collègues-amis, et de donner du plaisir…
jamais je n’ai eu envie d’abandonner ce métier car je me suis bien amusé et
jamais ennuyé. Parfois c’est dur car les contrats ne s’enchainent pas
facilement ou ils arrivent en même temps ! Heureusement le statut d’intermittent permet
de réguler un peu cet état de fait. Il
faut être polyvalent et flexible, s’adapter à toutes les occasions,
accompagnant toutes sortes de musiques et de solistes et parfois ce sont de
vrais défis car certaines « stars » ne savent pas chanter en
mesure ou respecter les grilles d’accords ! J’ai beaucoup voyagé en France
d’abord puis un peu partout (les clubs de vacances, les croisières…) et j’ai
connu beaucoup de musiciens de tous niveaux et j’ai engrangé des souvenirs par
centaines. Je vais prendre ma retraite prochainement mais je vais continuer à
jouer….
Mon
projet est de former des jeunes dans des stages, car je ne l’ai jamais fait,
occupé à cachetonner toute ma vie, afin de transmettre moi aussi mon expérience
et le goût des basses comme on me l’a transmise quand j’étais jeune et
transmettre aussi la passion de la musique que je porte toujours en moi. Et
puis j’ai envie d’apprendre à jouer du basson que je ne connais pas et de jouer
du baroque ! « vous avez dit
bizarre … »
B :
Toute ma famille écoutait de la musique classique et chantait en chorale
et certains étaient de bons musiciens. J’ai donc vécu tous les jours dans une
ambiance musicale de qualité. Moi je suis une clarinettiste. J’ai toujours
voulu en jouer depuis mon enfance quand j’ai entendu le concerto de Mozart et
Piccolo saxo et Cie !
J’ai
commencé par le solfège et la flûte à bec à l’école de musique puis enfin la
clarinette.
Puis
à l’adolescence, j’ai découvert les clarinettistes de jazz en lisant la rage de
vivre de Mezz Mezzrow avec une passion pour Benny Goodman, Barney Bigard,
Hubert Rostaing. Je n’avais pas fini mon parcours de 3ème cycle au
conservatoire et la technique me manquait encore pour jouer comme eux !
Alors j’avais le choix, comme mon ami, de reprendre des études classiques afin
de maitriser mon instrument et de m’enchainer les morceaux de concours, les
concertis de Weber, Copland, Debussy etc… et de jouer ponctuellement aussi du
jazz pour me détendre.
Après
Sabine Meyer, Sharon Kahn, mon modèle a été Anat Cohen prouvant que les femmes
peuvent rivaliser avec les meilleurs mondiaux. J’ai décidé d’apprendre aussi
sur le tas ! Mon ami est devenu un vrai clarinettiste classique (et nous
jouons les 2 trios de Mendelssohn en concert parfois !), mais moi j’ai
bricolé dans l’éclectisme passant du latino (quand j’ai découvert Paquito de
Rivera) et la bossa de Jobim, essayant du klezmer (plus Berrot que Krakauer),
puis des variétés, de la musique tzigane et des balkans, jouant souvent du jazz
manouche enfin la musique du monde quoi.
C’est
toujours la même chose et dans tous les métiers : on est soit généraliste,
curieux et touchant à tout, soit spécialiste se concentrant sur un niveau
d’exigences maximum sur un répertoire limité. Moi j’ai préféré aborder toutes
les musiques qui m’interpellaient. Des amis ayant la même conception sont en
plus poly-instrumentistes. Est-ce que je suis une clarinettiste ? Oui mais
en entendant M. Fröst, P. Meyer, N. Baldeyrou etc… et beaucoup d’autres, je
suis admirative et modeste. Heureusement
j’ai fait un autre métier (mais pas dans la musique !) même si j’ai joué
dans ma vie « en semi pro», j’ai gardé mon envie de jouer, ce qui est pour moi
fondamentale, car j’ai vu des professionnels blasés qui n’aimaient plus la
musique, en overdose !
Je
pense que je jouerais toute ma vie, retraite comprise, de la clarinette car
c’est ma passion. Je joue souvent dans un quatuor de clarinettes. Par contre, j’ai
refusé de passer au saxophone pour cachetonner car la clarinette n’est plus à la
mode pour les musiques nouvelles et le jazz moderne. Je travaille en ce moment
que des transcriptions pour clarinette des partitas et suites de JS Bach, mais
aussi du Buddy de Franco et Eddie Daniels et Anat bien sûr.
C :
Pour moi cela relève presque de la psychanalyse ! J’avais un oncle qui
était trompettiste amateur doué et qui est décédé jeune et ma famille vivait
dans son souvenir avec la trompette trônant dans le salon dans une vitrine. Et
cet instrument quand j’étais enfant me fascinait. Quand mes parents travaillaient,
et que je restais seul, je sortais la trompette et je soufflais dedans et à ma
grande surprise des sons en sortaient ! j’ai tâtonné seul, essayant de
reproduire certains airs à la mode. Une fois mes parents m’ont surpris, j’ai reçu
une gifle d’avoir profané le souvenir de mon oncle et le lendemain après une dispute
entre mes parents, on m’a demandé de rejouer. Mon père était en larmes revoyant
son frère décédé, ma mère plus pragmatique m’a dit qu’à la rentrée elle
m’inscrirait à l’école de musique et que j’avais intérêt à travailler pour
faire honneur au trompettiste disparu et à entretenir son instrument - relique.
Ce jour-là j’ai compris que jouer pouvait générer des émotions (c’est la seule
fois que j’ai vu mon père pleurer), qu’il fallait travailler pour jouer
correctement (et ma mère suivait mes progrès tous les jours comme pour les
devoirs d’école), et que la musique serait un fil rouge, une passion dans ma
vie quand j’ai entendu mon prof jouer au cornet Singing The Blues de Bix Beiderbecke,
quel choc ! et quand il m’a prêté un disque de Maurice André jouant du
baroque, autre choc. Au
lycée nous avions monté un orchestre de jazz et je suis devenu trompettiste de
jazz avec les bases apprises à l’école de musique locale mais j’ai progressé
surtout à l’oreille « à la feuille » et non en déchiffrant des partitions.
J’aimais improviser en suivant mes modèles Satchmo, Chet Baker, Bix etc… une
faim insatiable pour tous les trompettistes de jazz où je reprenais toutes
leurs impros et puis « monté » à Paris, j’ai rapidement passé mes
nuits à jouer dans les boites de jazz et à gagner ma vie délaissant ma vie
d’étudiant.
Je
devins donc intermittent et jazzman et j’ai joué avec des bons musiciens de
jazz que je pensais autodidactes (cela fait partie du mythe ! mais en fait,
ils avaient une solide formation musicale, pas conventionnelle certes, mais
réelle enchainant les grilles d’accords complexes, les patterns…) dans des
endroits selects et dans des endroits miteux, avec des publics mélomanes qui
appréciaient mes solos et d’autres ignares mais c’est la vie de musicien… Après
plusieurs années de cette vie que j’appréciais, j’ai exercé en parallèle un
autre métier car je ne pouvais pas faire vivre ma famille qu’avec la musique
mais je cachetonne encore souvent et c’est bien ainsi car je joue toujours avec
plaisir à chaque prestation. Mes
réflexions : je regrette de ne pas avoir travaillé mon instrument
sérieusement mais socialement modeste et dans une petite ville de province, je
n’ai pas eu les conditions optimales. Ainsi il y a eu un plafond de verre qui
m’a empêché de faire du studio, de la musique de film, de rentrer dans des
orchestres plus prestigieux, d’enseigner etc…
Mes
enfants par contre ont fini le conservatoire régional et le comble, c’est
qu’ils sont arrivés à un niveau supérieur, me dépassant techniquement mais ils
ne veulent jamais devenir musiciens professionnels, jouer seulement pour le
plaisir du baroque mais pas de jazz !
(Overdose familial ?) A la maison c’est Bach ou Telemann contre
Miles ou Dizzy !
D :
Je viens d’un milieu aisé où la musique classique était omniprésente, concert à
la radio puis à la TV, disques avec la chaine Hi-Fi dernier modèle qui trônait
dans le salon, le piano de ma mère, la flûte de mon père et leurs sonates… je
crois que je connais l’essentiel du répertoire flute/piano ! et j’avais
droit à quelques festivals de musique classique l’été.
Moi
j’étais un enfant un peu rebelle et l’école de musique avec le solfège m’ennuyait,
la flûte douce à l’école et le classique ne m’attiraient pas ! Mes parents
voulaient que je joue du violon ou du violoncelle ! moi du
saxophone ! pour eux, seule la musique classique comptait et s’arrêtait à Debussy
et Ravel. En réaction, moi j’écoutais en douce chez un ami Lester Young et Coleman
Hawkins.
J’ai
donc suivi au conservatoire municipal la classe de clarinette car le saxophone n’était
pas alors enseigné mais le professeur m’avait dit que je passerais vite au saxo
plus facile !! J’ai
appris donc la clarinette pendant plusieurs années et avec un ami qui avait un
saxophone soprano, nous avons monté un orchestre et repris les duos Bechet/Mezzrow,
puis plus tard Luter/Bigard… et on a commencé à cachetonner. Plus
tard, j’ai acheté un ténor d’occasion Selmer mark 6, et j’ai appris comme j’ai
pu le saxo en transférant mes connaissances de clarinettiste et écouté et joué du
jazz toute ma vie !
Je
suis devenu donc saxophoniste jouant du soprano, alto, ténor, baryton un
peu en autodidacte au départ. Mes parents me faisaient écouter « pour me
former ou me rééduquer ? » M. Mule et Deffayet en classique et
leurs quatuors de saxophones, mais moi je jouais du jazz en stages et en
boites. J’apprenais l’harmonie pour lire les grilles du répertoire des
standards. Ce qui m’attirait, c’était les musiciens de la West Coast, la Bossa de
Jobim avec Stan Getz, m’inspirant selon l’époque de Dexter Gordon, Desmond, Mulligan,
bien sûr Parker et Coltrane etc…J’ai
cachetonné toute ma vie avec mes Mark 6, je suis intermittent et j’aime cela, et
j’ai accumulé beaucoup de souvenirs… quand je vois des jeunes sortant de la
classe de saxophone du conservatoire de Paris, ayant fait la classe de jazz
avec une technique éblouissante, je me sens expérimenté certes mais j’aurai
tellement aimé faire ce parcours mais à mon époque cela n’existait pas.
J’ai
assez peu rencontré des professionnels ayant fait « la voie royale »,
nos mondes ne se croisant pas. Ceux qui ont fait du studio d’enregistrement,
des musiques de film le peuvent mais moi je suis un jazzman avant d’être un
technicien virtuose de mon instrument et de la musique (déchiffrage rapide et
transposition).
E : La culture de ma famille tournait autour
des sports ! la musique était peu présente sauf à la radio avec de la
variété et mon père aimait, comme De Gaulle, les marches militaires !
J’étais
en vacances au bord de mer et j’écoutais de la musique sans penser à en faire
activement. Jeune adolescent j’étais fasciné par deux choses : les filles
sur la plage et un orchestre de variétés qui faisait les bals et qui jouaient à
une terrasse de café. Je
passais mon temps à les écouter et un des musiciens s’aperçut que j’étais toujours
devant la scène, à l’écoute, passionné avec un air extatique ! et il
devint mon mentor. Tous les jours pendant deux mois, j’assistais aux concerts,
bals, puis répétitions et ce qui me fascinait, car ils jouaient toutes les
sortes de musique (latinos, jazzy, variétés langoureuses lors des thés dansants
des séniors au Casino, bals le soir pour les ados avec les airs à la mode avec
tous les rythmes.)
C’est
le rythme qui me fascinait. Et mon mentor m’a appris le solfège en se promenant
tous les jours sur la plage en faisant des pas réguliers métronomiques et à
chaque pas en intégrant blanches, noires décomposant croches, doubles, triolets,
syncopes, contre - temps etc… et comme il adorait marcher, je me suis avalé les
rythmes de plus en plus complexes en marchant et en chantonnant avec lui !
On nous prenait pour des originaux ! et à la fin de la saison je suis
devenu batteur, portant surtout le matériel, de concerts en bals, mais accompagnant
parfois des slows, des rythmes et morceaux simples. Et
je me suis aperçu que j’atteignais mon deuxième objectif : les
nanas ! A la rentrée j’étais inscrit en percussions au conservatoire local
et je me défoulais dans le garage avec mes disques et la batterie… chose
bizarre les voisins avaient une certaine indulgence, mais j’ai toujours joué en
mesure naturellement. « J’avais le rythme dans la peau » selon la
formule maintes fois répétée.
En fait par l’expérience, j’ai appris le
solfège, entendre les grilles harmoniques d’accords et écouter les autres, être
à l’aise sur scène et me familiariser avec d’autres percussions etc… Puis j’ai
vu en concert les percussions de Strasbourg en musique moderne, et des batteurs
de Jazz, surtout Kenny Clarke ! le pied ! Alors j’ai décidé que je
serais musicien après le bac ! Puis j’ai intégré différents orchestres,
petits et grands. J’ai joué avec des musiciens « sérieux » provenant
des conservatoires, ce qu’on appelait la voie royale. Tout ce qu’apprend un
musicien dans les conservatoires par des professeurs réputés, nous on l’apprend
sur le tas, et si on déchiffre moins bien, on a d’autres qualités, l’oreille,
mais surtout l’improvisation qui est trop délaissée (à part les organistes) alors
qu’elle était le fondement de tous les grands musiciens classiques : Bach,
Mozart, Beethoven etc…
Et puis il y a la diversité de toutes les musiques
rythmées…rien qu’avec la musique latine on a quoi faire ! J’ai étendu mes
compétences dans différentes percussions notamment le xylophone. J’aime toutes
sortes de musiques, aucune n’est mineure si le rythme est présent et varié, par
contre j’exècre la boite à rythmes des orgues portatifs. J’ai enseigné aussi en
école de musique et fait beaucoup de musique contemporaine.
Actuellement je suis en fin de carrière mais
je joue encore souvent, pour cachetonner bien sûr mais aussi pour le plaisir de
montrer aux jeunes ce que papy fait avec une batterie.
F :
Mon père était professeur de maths au lycée et musicien amateur. Il m’a appris
très jeune le solfège comme les maths tous les jours ! Glen Gould jouant
Bach tournait en boucle puis il m’a inscrit enfant au cours de piano et en
parallèle j’ai été recruté dans une chorale réputée d’enfants catholiques qui enchainait
les concerts avec une vie musicale stricte et professionnelle. On me prédisait
un avenir de musicien.
Puis
à l’adolescence j’ai mué (heureusement quelques siècles avant on m’aurait
castré !). Le
répertoire de Chopin (qui était obligatoire pour ma prof) m’ennuyait un peu car
moi je voulais jouer de l’orgue portatif et accompagner les autres solistes,
chanteurs (euses), poètes, musiciens de tous genres, jouer en groupes…. A
l’adolescence, j’ai arrêté le piano et le chant classique mais j’ai eu en
cadeau, le plus beau de ma vie, un orgue portatif d’occasion d’un bon professionnel
avec des boites à rythmes … le nirvana ! J’ai donc travaillé les
possibilités de mon instrument seul, ponctuellement avec des musiciens, en
stage aussi, et surtout en jouant sans cesse car je n’ai jamais arrêté d’accompagner,
d’animer…En
fait avec un orgue on n’a pas besoin obligatoirement de jouer avec d’autres car
je chantais aussi les chansons, pas la musique sacrée apprise jeune mais les
variétés.
Puis
on arrive à des limites et j’ai repris en fait des études musicales de façon
discontinue en croisant le programme des études classiques de conservatoires
(gammes, arpèges, harmonie, rythmes, phrasé, etc…) car en fait, même si on
prend des chemins de traverses, on retombe sur l’enseignement rationnel des conservatoires
et on arrive peu ou prou au même résultat.
En
fait je suis convaincu que l’on peut être un bon musicien soit en suivant la formation
initiale des conservatoires avec des études rationnelles rapides et
rébarbatives mais efficaces et valables si on est docile (car motivés nous le
sommes tous), soit en formation continue par expérience et en alternance si on
est un peu plus rebelle et si on privilégie de jouer sur scène avant la
maitrise de son instrument ! et si on aime d’autres musiques que le classique. Mais
à 30 ans nous avons sensiblement les mêmes niveaux même si nos voies pour y
arriver ont été différentes mais uniquement pour toutes les musiques (car la
musique classique et contemporaine demande des efforts plus importants.)
J’adore jouer des variétés, du latino, des standards de jazz, de la musique de
film…. J’ai eu plusieurs orchestres de variétés car en fait les musiciens comme
nous, ce n’est pas le niveau, les émotions transmises qui nous différencient avec
les musiciens classiques mais surtout le style de musique. Je peux jouer toutes
sortes de musique mais pas les concertos difficiles au piano ! Nous
faisons le même métier mais pas la même musique.
G :
« Moi je chante soir et matin, je chante ça m’fait du bien …. et ma vie
est émaillée de chansons. Je suis issue d’une famille où la musique se résumait
aux variétés chantées.
J’ai
donc commencé à chanter « comme un rossignol disait ma mère), gamine, les
chants des idoles de mes parents. Comme je chante juste naturellement, même a
capella , ayant l’oreille absolue, on a décidé que j’avais un don et que je
n’avais pas besoin d’aller à l’école de musique faire du solfège et chanter des
airs d’opéras ! donc je suis une véritable autodidacte au départ, faisant tout
à l’instinct et à l’oreille et j’ai une excellente mémoire me permettant
d’avoir un répertoire étendu. J’adore l’émission de Nagui « n’oubliez pas
les paroles » car je retrouve « des sœurs de chants ».
Et
puis au collège notre prof de musique, qui m’avait entendue lors d’une fête et
qui dirigeait une chorale, m’a prise en main. Quel décalage avec un motet
de Palestrina ! j’imitais à l’oreille sans être capable de lire une partition.
Elle me faisait entendre des vraies chanteuses classiques mais leurs vocalises
ne m’attiraient pas (sauf le concerto pour une voix de Saint Preux que j’ai
chanté pendant longtemps) et puis il y a eu les chanteuses de Jazz et le Gospel !
les double six, les swingle singers…chantant du Bach comme modèles à imiter. Ma
voix était belle, pure, naturelle mais je ne travaillais pas. Ma prof consternée
me répétait : « quel gâchis ! » ce qui était peut-être la vérité
mais pas stimulant ! J’ai donc appris un peu les bases de la musique sans
enthousiasme et j’ai chanté dans des groupes de variétés les airs à la mode
surtout dans les bals et fêtes diverses avec plaisir.
J’ai
chanté des cantiques, des arias à l’église avec orgue, chanté lors des mariages
avec l’incontournable Oh happy day et des services funèbres avec the Upper Room
en Gospel. A chaque évènement je poussais la chansonnette et comme je chantais
un peu de tout, je m’adaptais aux demandes du public sans efforts du petit vin
blanc à Barbara, de la bohème d’Aznavour à l’aria de Bach, du besame mucho pour
les anniversaires de mariage etc… et c’est la variété de la musique qui me
plaisait, le coté naturel, sans travail technique. Je demandais rarement un
cachet mais « le chapeau » (où le public donnait la somme qu’il
voulait selon sa satisfaction, ce qui est plus conforme à ma conception de la
vie de musicien.) En fait je n’arrêtais pas et je n’ai jamais eu la sensation
de travailler, ni de me forcer à jouer. Puis
comme beaucoup de femmes, j’ai consacré ma vie à ma famille, j’ai limité les
prestations en public, mais je me suis intéressée à d’autres musiques à savoir
les lieder de Schubert et de Schumann, à quelques airs d’héroïnes d’opérettes
puis de Mozart toujours en imitation, à l’oreille surtout, et bien sûr des airs
entendus à la radio…
Je
suis surprise que tu me demandes de raconter ma vie car pour moi je ne suis pas
une musicienne de métier, n’ayant aucun diplôme, j’ai été une chanteuse de
variétés. Je ne peux pas me passer de chanter, c’est plus fort que moi, et
encore souvent en public. Pour moi la musique est avant tout de transmettre des
émotions diverses et j’ai un répertoire varié et étendu pour les illustrer
toutes.
Mes
enfants sont grands et je suis devenue intermittente car je m’accompagne à la
guitare et je joue souvent pour égayer et animer les maisons de retraite !
c’est un public tellement attentif car les chansons jouées rappellent leurs
souvenirs, leurs amours, leurs chagrins… et puis je chante depuis longtemps
dans une chorale de gospel, chanter en groupe et faire des concerts, chanter
encore et encore…. A toutes les périodes de ma vie, des musiques différentes
m’ont accompagnée. En ce moment, c’est Oum Khalsoum une des plus grandes avec
Ella et La Callas bien sûr ! pour moi la musique c’est la voix, c’est la
vie.
Illustration
musicale choisie : The man I love avec Billie Holiday car c’est en
chantant cela sur scène que j’ai accroché l’homme de ma vie ! et rituel
familial obligé, je lui chante à tous ses anniversaires…
Si certains ont des expériences différentes, ils
sont les bienvenus pour continuer cet article
JDT : Nous avons la
chance d’interviewer Alain Declert, l’ancien directeur des programmes d’une
académie d’été américaine réputée internationalement, située à Round Top au
Texas, qui s’est spécialisée dans le perfectionnement d’étudiants pour les
orchestres et qui a un festival renommé. Comment a débuté ce projet ?
AD : Ce projet commence il y a
50 ans avec James Dick, un pianiste concertiste formé à Austin puis à Londres
par deux élèves d’Arthur Schnabel, Dalies Frantz et Clifford Curzon. Il obtient
des récompenses aux Concours Tchaïkovsky et Busoni et fut invité par Miss Ima
Hogg (fondatrice du Houston Symphony) à donner un récital près de Round Top.
James Dick eut alors l’idée de créer une académie dans ce lieu, en plus de sa
vie de concertiste. Round Top n’était alors qu’un hameau en dehors des axes
routiers avec un seul café-épicerie. Aujourd’hui c’est un lieu incontournable
du circuit des Antiquités attirant deux fois par an des milliers de chineurs et
collectionneurs et des milliers de mélomanes !
JDT : Cette idée peut
paraître bizarre, vu la qualité à cette époque des orchestres symphoniques américains
qui étaient parmi les meilleurs du monde.
AD : Les “Big Five” (New York,
Boston, Chicago, Cleveland et Philadelphie) étaient composés la plupart du
temps par des émigrés et peu par des musiciens américains. Pour former les
nouvelles générations d’après-guerre, les conservatoires ont dû hausser leurs
niveaux (Juilliard School, Manhattan School, Mannes School, Eastman School,
Cleveland Institute, Oberlin, San Francisco Conservatory, Colburn School, USC
Thornton School, UCLA, New England Conservatory, De Paul University, The Shepherd School of Music, Northwestern
University, Bloomington, Denton…) mais aussi créer des académies d’été pour professionnaliser
de jeunes américains prometteurs afin de garder l’exigence d’excellence.
JDT : Les académies
répondaient donc à un besoin de perfectionnement de la relève des anciens, vu
la concurrence mondiale accrue entre les orchestres symphoniques ?
AD : En effet ce besoin
d’excellence, complété par les académies d’été, était essentiel pour tous les
pays et notamment aux USA, mais celles ci étaient rares. On peut citer
Tanglewood fondé en 1940 par Serge Koussevitzky, Aspen fondé par un homme
d’affaires de Chicago en1949, Marlboro fondé par Adolph Busch et Rudolf Serkin
en1950 et Academy of the Westavecla présence de la célèbre soprano allemande
Lotte Lehmann. Plusieurs académies d’été vont donc se créer pour pallier à
cette insuffisance et le Festival Institute de Round Top entre dans ce cadre,
avec en ligne rouge un programme éducatif de niveau supérieur complet et
exigeant qui permettra, comme les autres académies, le perfectionnement des
musiciens d’orchestres symphoniques avec, toutefois, quelques différences entre
elles. D’autres
académies d’été ont aussi vu le jour telles que le National Repertory Orchestra
(Colorado), le National Orchestra Institute (Maryland), le Brevard Music Center
(Caroline du Nord)
qui sont nos concurrents. Signalons aussi des centres de formation permanente
comme le New World Symphony créé par Michael Tilson Thomas à Miami, en 1987
avec l’aide financière de “Carnaval Cruise Lines” (Stéphane Deneve prend la
direction artistique en 2022) ou Orchestra Now fondé par Leon Botstein à Bard
Collège en 2015. Les étudiants américains vont aussi dans d’autres pays se
perfectionner. (notamment Verbier en Suisse crée par James Levine et
l’orchestre du Metropolitan Opéra ou Pacific Festival crée par Leonard Bernstein au Japon).
JDT : Alain tu viens de
prendre enfin ta retraite à 84 ans ! et j’aimerais que tu retraces ton
parcours dans cet établissement pendant 40 ans avec les différentes étapes et
coulisses de ton métier dans cette académie. Comment un ingénieur
électromécanicien français et excellent pianiste, avec qui j’ai joué si
souvent, arrive à gérer et développer aux USA un centre culturel musical
reconnu qui dure et qui regroupe chaque année une pépinière de jeunes étudiants
issus des conservatoires de musique .
AD : J’ai fait des études supérieures parallèles,
comme toi, et j’ai travaillé le piano, la musique de chambre et l’orgue avec
d’excellents professeurs, qui m’ont donné aussi l’envie de lire et d’écouter
énormément de musique. Parallèlement à ma carrière d’ingénieur, je jouais donc
en concert régulièrement avec différents musiciens professionnels ou
d'excellents amateurs, ce qui m’a permis d’étendre mon répertoire de musique de
chambre, d’analyser nombre de partitions et d’accompagner donc de connaître la
plupart des instruments. Puis je décidai de m’installer à Houston au Texas et
de changer de carrière en me reconvertissant dans un des métiers de la
musique qui est et qui demeure ma passion. C’est ainsi que je devins
organisateur de concerts en invitant des artistes français avec l’objectif de
mieux faire connaitre la musique française aux USA. Mon projet était
ambitieux et j’ai dû apprendre toutes les facettes de ce métier :
réservation de salles, markéting, sélection des musiciens, choix des
programmes, contrat avec les agents de musiciens …. et surtout comment
attirer le public avec Ravel ou le groupe des six, ce qui n’était pas évident
et en fait peu rentable…. et c’est ainsi que j’ai découvert une jeune équipe
passionnée à Round Top qui débutait leur académie et ce fut un coup de cœur !
JDT : Mais qu’est que
vous vouliez construire ? Un projet pédagogique pour étudiants comme
beaucoup d’académies dans chaque pays comme Salzbourg, Assisi, Prades, Sion
etc…avec les concerts de fin de stages ou alors un vivier plus élitiste de
musiciens talentueux qui désirent passer leurs vacances dans un stage difficile
et beaucoup plus exigeant pour leur permettre d’accéder à une carrière musicale
professionnelle ? Qu’est-ce qui fait l’originalité de Round Top et comment
expliquer son évolution et son rayonnement international ?
AD : Notre objectif était
et demeure de former des bons musiciens d’orchestres. Matériellement le
démarrage fut modeste. A sa création, la superficie du campus s’étendait sur
2,5 hectares avec deux bâtiments à savoir une ancienne école et une maison en
bois à un étage datant du 19eme siècle, propriété d’une famille devenant
d’ailleurs une des premières à aider financièrement le projet de James Dick.
JDT : Comme dans tous les
démarrages de projet, il faut tout faire à la fois et avoir la foi ?
AD : Oh oui ! Nous
étions peu nombreux mais motivés. Les concerts de musique de chambre se
donnaient dans la cour de cette maison mais avec des invités de qualité comme
le Tokyo Quartet, le Cleveland Quartet, Lili Krauss, Maureen Forrester, le
jeune Yo-Yo Ma… En 1977, sous l’impulsion de Leon Fleisher, un orchestre se
créait avec des professionnels comme Isidore Saslav, premier violon du
Baltimore Symphony, ou Frank Cohen première clarinette du Cleveland Orchestra entre
autres avec des étudiants curieux qui venaient de tous les USA pour participer
à cette expérience. Nous avions récupéré une scène mobile qui avait été
utilisée par le New York Symphony pour ses concerts au Central Park à New York
et qui rouillait dans le Minnesota et qui permit de faire des concerts en plein
air avec ses aléas (bruits divers d’animaux, orages) mais le public texan
répondait présent malgré tout.
Concert en
plein air avec musiciens et public motivés et orages menaçants. Yo-Yo Ma à Round Top en 1977
JDT :
Au départ l’équipe étant réduite, je suppose que vous avez dû faire autre chose
que de la musique ?
AD : En effet, je me rappelle
que nous étions mobilisés sur beaucoup d’actions nécessaires au fonctionnement:
maintenir et developper la bibliothèque musicale, location des partitions,
contrats d’engagement, transports des stagiaires, des chefs d’orchestre, des
professeurs, remplacement de musiciens empêchés pour des raisons diverses, sans
oublier les accidents et les courses aux services d’urgence hospitaliers… Il fallait
être de véritables couteaux suisses ! J’ai même participé aux cuisines …
JDT : C’était l’époque
héroïque et peu connue de la construction de ce projet ! et maintenant ?
AD : Aujourd’hui le campus
compte plus de 80 hectares avec plusieurs constructions pour accueillir les
chefs d’orchestres (7 par saison), les professeurs (environ 40 par saison) et
les étudiants participants (entre 90 et 95), des salles de répétition
nombreuses, une chapelle (transportée d’une ville voisine) pour les cours de
maitres et les concerts intimes (capacité 150 places) et surtout une salle de
concert de 1 000 places : le Festival Concert Halldont l’élaboration et la
construction démarrée en 1982 s’est étalée sur une trentaine d’années. Celui ci
est recouvert entièrement
à l’intérieur de panneaux de bois décorés de motifs gothiques entre autres, et a
été salué par la presse internationale comme une réussite acoustique de premier
ordre. Pendant la saison estivale, en semaine, le public peut assister à la
répétition quotidienne de 2 heures et demie de l’orchestre, puis suivre et profiter
d’une master-class à la chapelle et revenir le samedi pour apprécier le travail
fini avec deux concerts de musique de chambre puis écouter le concert avec
l’orchestre. La formation du public est aussi notre objectif et nous parait
indispensable, si on veut sortir des programmes habituels
JDT : Cela est original !
former des étudiants futurs professionnels est une chose mais former aussi le
public en est une autre et c’est intéressant. Le public connaissant peu ou prou
la partition avec les différentes voix et difficultés des instrumentistes,
demandant au final une interprétation de qualité, c’est formidable mais assez
stressant pour le musicien. La moindre imperfection devient visible ! Round top
est devenu une belle réussite qui s’est construite peu à peu avec beaucoup d‘efforts
pour devenir incontournable. Quel bel écrin pour les étudiants musiciens !
AD : Dès le départ nous étions exigeants, la “master-class cool" pendant les vacances n’était pas notre objectif. Nous voulions constituer une académie de jeunes diplômés des meilleurs conservatoires américains, asiatiques et européens et qui voulaient construire une expérience en orchestre. En conséquence, nous avons répliqué l’emploi du temps hebdomadaire d’un musicien d’orchestre symphonique.
JDT : C’est un véritable stage
de professionnalisation complet mais quel est le déroulement précis ?
AD : En 6 semaines, nous
réalisons ce que les conservatoires font en une année d’études. Les journées sont intenses.
Après le petit déjeuner servi à 8 heures, la 1ère étape commence par la pratique
individuelle de l’instrument (exercices et études des oeuvres programmées.) De
plus des cours privés d’une heure par semaine sont offerts à chaque participant
pour cerner les difficultés et pallier les faiblesses. La 2ème étape débute à 11 heures
avec un partiel c’est à dire une répétition par pupitre (violons, altos,
violoncelles, contrebasses, bois, cuivres en différents lieux de travail sous
la responsabilité de professeurs), puis déjeuner à midi. La 3ème
étape est une classe de maître à 13h30. Si certains instrumentistes sont non
mobilisés, ils doivent néanmoins assister aux leçons des autres instruments car
un violoniste peut apprendre d’un professeur de clarinette, la respiration dans
la musique etc…) et il est impératif de savoir ce que font leurs collègues. La
4ème étape est une répétition en tutti de l’orchestre de 15h30 à 18h des
oeuvres fixées au programme hebdomadaire. Après le diner à 18h, la 5ème étape
est le travail de musique de chambre de19h00 à 22h00 car tous les participants doivent
jouer au moins à une oeuvre de musique de chambre majeure (quatuors à cordes, quintettes
à vent, orchestre de chambre). Les dimanches sont supposés libres (bien que beaucoup
d’étudiants répètent en groupes ou essayent d’obtenir un cours privé supplémentaire…)
Tout le campus baigne dans la musique non stop pendant 6 semaines. Les dimanches sont supposés
libres (bien que beaucoup d’étudiants répètent en groupes ou essayent d’obtenir
un cours privé supplémentaire…) Tout le campus baigne dans la musique non stop pendant 6 semaines.
Master class par Regis Pasquier (June 2022)
JDT : C’est une tension et une
rigueur vraiment intense et sous les yeux permanents des professeurs, des
commentaires plus ou moins critiques des autres musiciens… il faut être
vraiment motivé et je comprends aussi qu’avec ce rythme, on arrive à progresser
rapidement.! Mais les professeurs sont
aussi fortement sollicités ?
AD : Oui ils sont constamment
mobilisés, vivant sur place et partageant leurs repas avec les étudiants. La
plupart des professeurs assistent aux répétitions d’orchestre pour assimiler
l’interprétation des chefs d’orchestre, apprécier le niveau sonore de chaque
instrument et rectifier le tir à la partielle du jour suivant. C’est vraiment
du travail de professionnel comme en orchestre symphonique. Pour éviter de
perdre du temps en partiel, je demande aux professeurs de rencontrer le chef
d’orchestre après la première répétition en tutti afin de déterminer les
passages à travailler plus spécialement et non de répéter intégralement
l’oeuvre, analyser ce que font les autres parties instrumentales (cf le livre
éclairant de Hermann Scherchen “Manuel du chef d’Orchestre”). Ce programme bien
organisé permet de transformer un groupe d’individualités en UN Instrument:
l’Orchestre.
JDT : Comment recrutez-vous
tous ces jeunes instrumentistes, car ce stage est quand même élitiste.
AD : Pas tellement en fait.
Round top est axé sur la formation de bons musiciens d’orchestres pouvant être
ponctuellement solistes, pas des solistes internationaux…. Parce que là c’est
vraiment encore plus dur ! Donc j’ai unetâche essentielle, celle de ratisser
largement et systématiquement tous les talents.
Ainsi je visite d’abord sur
internet les 250 départements de musique existants chaque année, et les quelques
5.500 enseignants aux Etats Unis, Canada et Mexique. Puis je trie et je
contacte alors certains professeurs choisis pour avoir les meilleurs de leurs
classes. Avec le temps, j’ai fait ma sélection des bons professeurs, ayant
principalement une longue expérience de musiciens d’orchestre, et des
conservatoires qui ont envoyé des personnes motivées et performantes. Puis nous
fixons le répertoire des auditions (environ 10 minutes par instrument)
comportant des extraits orchestraux imposés pour chaque instrument, publié sur
notre site internet début Octobre. La date de clôture des inscriptions est
généralement mi-Février et les auditions (vidéos anonymes) sont chargées par les inscrits sur notre site
internet.
JDT : Un bon musicien, c’est
10 000 heures de formation et de travail minimum (soit environ 9 à 10 ans de
pratique), pour maitriser son instrument (10h/semaine pour 1er cycle de 3 ans,
20h/s pour le 2ème cycle, 30 h/ s pour le 3eme cycle) et accéder au niveau
supérieur et se préparer au perfectionnement. Évidemment certains vont moins
vite ou ont d’autres objectifs musicaux, la maitrise instrumentale étant alors
plus ludique, une source de plaisir et non un futur métier et c’est très bien
aussi. Mais pour devenir de vrais
professionnels d’orchestres, il faut en plus des milliers d’heures de
perfectionnement (comme d’ailleurs dans les autres études supérieures d’autres
matières) car la concurrence est de plus en plus mondiale. On le voit lors les
concours internationaux et dans les orchestres où les femmes et les étudiants
étrangers, qui étaient absents à mon époque, sont de plus en plus présents.
AD : Lorsqu’une position est
ouverte dans un orchestre de classe internationale, les candidatures se
comptent par centaines ! Je recommande le très intéressant documentaire réalisé
par John Beder (un alumnus de Round Top): “Composed”.
AD : Il faut noter que les dates du
festival (début Juin- mi Juillet) ne sont pas favorables au recrutement en
Europe où les examens de fin d’année scolaire sont début Juin, mais nous avons
des élèves européens et asiatiques ayant fini les conservatoires nationaux et
commençant leur carrière et qui veulent avoir « fait » Round Top pour
leur CV. Désormais, mais il fallu du temps et beaucoup d’efforts, il est facile
d'attirer des jeunes talents du monde avides de se perfectionner et qui
constitueront l’élite musicale classique, car Round Top est devenu une référence.
JDT : Mais gérer une
centaine d’étudiants (es) qu’il faut nourrir et héberger dans un campus avec un
rythme de travail intense sous la tutelle de professeurs exigeants et
enfermé(es) 6 semaines avec des concerts à réaliser ne doit pas être facile à
organiser ? Comment cela se passe concrètement pour toi ?
AD : D’abord j’établis le
programme des concerts symphoniques incluant les chefs d’orchestres et les solistes
choisis parmi le corps professoral. Nous invitons peu de stars. Nous avons peu
à peu monté en puissance. Au départ, le programme orchestral était de 3
semaines sous la direction d’Heiichiro Ohyama (assistant de Carlo Maria Giulini
à Los Angeles et fondateur du Festival de Musique de Chambre de Santa Fé) En
1991, nous ajoutâmes une semaine supplémentaire en invitant Pascal Verrot
(alors jeune assistant de Seiji Ozawa à Boston et Tanglewood et devenu un
habitué de Round Top pendant 22 ans !). De 1992 a 1999, nous invitions 4 chefs
par saison. En 1999, vu notre extension matérielle aussi, nous sommes passés à
6 semaines et 6 chefs.
JDT : C’est très important
pour la formation de pouvoir s’adapter à différentes conceptions d’une oeuvre,
de tempo, mais aussi à plusieurs chefs qui ont des manières différentes de
diriger.
AD : Bien sûr mais nous
travaillons aussi différentes dispositions d’orchestres. Je demandais toujours
aux chefs invités de me dire le placement, en particulier, des cordes. Le
public ne comprend pas toujours cet important détail en fonction du répertoire !
Au cours de ma carrière, nous avons invité plus de 50 chefs d’orchestre de
nationalités diverses (Américains, Canadiens, Anglais, Portugais, Français,
Autrichiens, Hongrois, Tchèques, Polonais, Russes, Japonais, Chinois,
Brésiliens, Argentins, Péruviens, Colombiens, Vénézuéliens…) Chacun a une
vision de la musique ou d’une oeuvre et les échanges sont passionnants.
JDT : Mais comme responsable, tu
dois proposer la saison autour d’un thème et recevoir l’approbation des chefs d’orchestre
pour les programmes que tu as suggérés. Peux tu nous donner des exemples?
AD : Nous avons inscrit de
2009 à 2013 à raison d’un programme chaque saison, la musique des Grands
Ballets Russes de Diaghilev pour fêter le centenaire de cet unique événement
culturel donnant naissance à des chefs d’oeuvre signés Stravinsky, Ravel,
Debussy, Rimsky-Korsakov, Richard Strauss… Un anniversaire important peut donc être
le point de départ (1999 le centenaire de la naissance de Francis Poulenc, 2000
le centenaire d’Aaron Copland, 2017 le 80ème anniversaire de la disparition de
Maurice Ravel, 2020 les 80 ans de Joan Tower…)
Nous avons également présenté
en version de concert “Pelléas et Mélisande” de Claude Debussy pour célébrer le
centenaire de sa création en 1902 (à ma stupéfaction, non seulement nous
réalisions la première texane de l’ouvrage mais aussi le seul endroit aux USA à
le présenter en 2002… on a fait salle comble devant une audience venant de tout
les USA avec une fort belle distribution contractée 2 ans en avance et avec deux
répétitions par jour en une semaine ! Les jeunes participants ne le rejoueront
probablement plus dans leur vie … En dehors des programmes symphoniques, nous
programmons des oeuvres pour orchestre de chambre (Arnold Shoenberg op. 9,
Bohuslav Martinu Double Concerto pour cordes, piano et timpani, Bela Bartok
Musique pour cordes, percussion et célesta, Aaron Copland Appalachian Springs,
Francis Poulenc Aubade….)
JDT : Quelles expériences pour
ces étudiants ! On sort des sentiers battus et c’est varié mais les étudiants
ne connaissent pas toutes ces oeuvres et ils doivent bien déchiffrer et
travailler en amont.
AD : En effet, les
participants doivent pouvoir jouer les oeuvres dès la première répétition
d’orchestre. Le premier lundi du stage, la matinée est réservée aux auditions
des stagiaires par le corps professoral afin de fixer les positions dans
l’orchestre. Ils ont dû donc travailler techniquement en amont du stage. Il est
de règle à Round Top de faire jouer les premiers pupitres à tout le monde
durant le stage. Donc, au cours du même concert, le ou la première clarinette
d’une des oeuvres inscrites au programme peut se retrouver troisième clarinette
dans une autre oeuvre du même programme. Les stagiaires expérimentent toutes
les positions possibles. Ajoutons que les professeurs ne jouent pas en principe
dans l’orchestre, afin de le renforcer, à la différence d’autres académies
d’été… le challenge est ainsi plus élevé.
JDT : Mais comment choisis-tutes professeurs ?recruter
des musiciens professionnels qui sont libres, qui veulent et qui peuvent venir
passer plusieurs semaines pour enseigner ne doit pas être évident ?.
AD : C’est une des
facettes de ce métier de convaincre des solistes et des professeurs de
conservatoires prestigieux de venir enseigner et jouer entre eux bien sûr mais
aussi répéter avec des étudiants et au départ ce n’était pas facile. Depuis le
festival est connu internationalement, les demandes affluent. Nous recherchons des
professeurs reconnus pour leur expérience de chefs de pupitre de sections de
l’orchestre. Nous avons désormais d’anciens
élèves de l’académie qui ont fait leurs chemins (en 2022,13 professeurs sur 40, ravis de revenir)Les professeurs doivent
résider au moins une semaine. Je crois que nous sommes peu nombreux parmi les
festivals concurrents à offrir aux jeunes stagiaires la présence permanente
d’un enseignant pour chaque instrument. Chaque semaine nous accueillons au
moins 17 enseignants (flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trompette,
trombone, tuba, percussion, harpe, piano, violon, alto, violoncelle,
contrebasse). Les programmes de musique de chambre que nous leur proposons sont
rarement des duos avec piano mais plutôt trios, quatuors … jusqu’au dixtuors
(quintette à cordes + quintette a vents) avec ou sans la participation des
étudiants.
JDT : Donc une fois le
programme fixé, le corps professoral choisi, les étudiants avertis ayant envoyé
leurs CV et enregistrements, que se passe t-il ? Toute la vie de musiciens se
passe par des sélections, concours, prestations.
AD : Les professeurs les
écoutent, les jugent et nous font parvenir leurs choix (475 auditions en 2022)
avec plusieurs
critères dont le rythme, l’intonation, et l’articulation musicale. Avec de l’expérience, on peut
juger en quelques minutes. Une fois la sélection effectuée, nous envoyons des
invitations aux étudiants choisis à suivre le stage. Certains ne les acceptent
pas, ayant été invites à une autre académie ou pour des raisons financières. On
peut, le cas échant, donner la chance à une liste d’attente existante pour
chaque instrument.
JDT : Tu mentionnes “les
raisons financières.” Peux-tu nous dire ce que doit débourser un stagiaire?
AD : Les frais d’inscription du
dossier et audition sont de $80. Une fois l’invitation reçue et acceptée, le
stagiaire doit régler l’enregistrement de sa position soit $250 non
remboursable (une sorte d’assurance de sa bonne foi) et, plus tard, la
participation aux frais de logement et de cantine ($1,100 en 2023). Nous
offrons environ une quinzaine de “workstudies” (positions de marqueurs de coups
d’archet sur les parties de cordes et préparation de la scène de la salle de
concert, constamment utilisée dans diverses utilisations) estimées à la moitié
des frais de logement et de cantine.
JDT : A part la musique
baroque très spécialisée avec les instruments d’époque que d’autres académies
font, vous avez programmé pratiquement la majeure partie du répertoire
classique, romantique, moderne et avec même des créations mondiales de musique
contemporaine.
AD : Oui notamment de Dan
Welcher, Shiva’s Drum (piano et orchestre), Malcom Hawkins, Rasmandala (piano
et orchestre), Chinary Ung, Rising Light (piano, choeurs et orchestre), Christophe
Looten, Kammerkonzert (orchestre) et The Book of Angels (violon, alto et
orchestre), Frank Ticheli, Concerto pour clarinette et orchestre, Jonathan
Leshnof, Concerto pour orchestre et 2 percussionnistes, Gregory Vajda Duevoe,
pour piano et orchestre …. et de nombreuses oeuvres de musique de chambre.
JDT :
Faire un festival une fois qui marche avec des têtes d’affiches et de la
musique connue c’est relativement facile si on a les financements. Mais durer
dans la qualité avec des oeuvres peu connues c’est autre chose.
AD : Qu’appelle-ton
“têtes d’affiche”? Le même menu servi jusqu’à satiété. Il faut être créatif
dans les programmes, les enseignements, les professeurs et developper la
curiosité. Le Domaine Musical de Pierre Boulez et le Festival de Royan (cf ton
article) ont donné au public des occasions de rencontres avec une musique
différente de leur éducation et leur milieu sociétal. Pour les musiciens, il
est nécessaire de poser des questions à la partition pour qu’elle livre ses
secrets. Trop souvent, le jeune musicien se réfère à ce qu’il entendu ou à la
tradition, “l’illusion de la permanence” fait dire à l’un de ses personnages
l’imaginatif Woody Allen.
Ainsi
par exemple, pendant 5 ans, nous avons présenté chaque année un concert consacré
à la seconde école viennoise (Schönberg, Berg et Webern). La première année la salle
était clairsemée et dubitative, peu habituée à entendre ce genre de musique
mais la dernière année plus de 500 personnes étaient au rendez-vous !
JDT : Il y a aussi un autre
défi : Round Top est en pleine campagne, il faut faire venir le public et donc
avoir un markéting important. Peux tu nous préciser ton action ?
AD : Nous avons plusieurs contraintes : d’abord géographique
car nous sommes quasiment au centre du Texas (plus grand que la France) à
mi-chemin entre Austin et Houston, et notre public n’hésite pas à franchir 300
km (on ne fait rien au Texas sans voiture). Puis une contrainte culturelle car
le pourcentage du public intéressé par la musique dite classique est d’à peine
1% aux USA. Il est donc impératif de cibler les médias spécialisés qui sont de
plus en plus rares en plus. En 40 ans, l’arrivée d’internet (depuis 2001), les
grandes villes texanes ont réduit leurs journaux et surtout ce qui est
fondamental pour nous, iIs se sont séparés de tous leurs critiques musicaux.
Il n’y en a plus qu’une petite
vingtaine dans tous les USA ! Certains ont des “blogs” qui font peu de compte
rendus de concerts mais plutôt des annonces publicitaires ! Il reste bien sûr
quelques magazines mensuels spécialisés assez confidentiels. Les réseaux
sociaux annoncent toutes sortes de concerts et de musiques aussi… Tout ceci
amène un peu de visiteurs mais en fait, ce qui compte le plus, demeure la liste
des anciens visiteurs et des amis de l’académie qui font du « bouche à
oreille ». Nous avons ainsi réussi à fidéliser des auditeurs. Et puis il y
a Youtube. J’ai créé un canal en Janvier 2006. Il a fallu16 ans pour atteindre
2 millions de visiteurs ! Le programme radiodiffusé quotidiennement
“Performance Today” par American Public Media basé à St. Paul, Minnesota (2
heures de concerts enregistrés quotidiennement) relayé par 220 radios aux Etats
Unis (il y en avait 480 en 1994!) prétend être entendu par 2 millions
d’auditeurs aux USA (population 380 millions.) Nos concerts sont tous enregistrés
et je leur fait parvenir les plus réussis musicalement depuis 1994. En 2022, 22
oeuvres enregistrées à Round Top ont été programmées, ce qui est une bonne
promotion mais c’est un combat permanent pour nous imposer dans notre niche de
la musique classique etcontemporaine. (https://www.yourclassical.org/performance-today)
JDT : Comment composes tu un programme? Es
tu libre ou as tu des suggestions de ton conseil d’administration ?
AD: Plusieurs composantes non musicales
existent : d’abord remplir les salles, l’aspect financier étant essentiel donc
jouer de la musique accessible, les oeuvres connues du public, les grands
compositeurs enfin le grand répertoire…. et la facilité ! et tous les festivals
font cela. Moi j’ai cherché en plus, et c’est ce qui fait notre originalité, l’éclectisme
dans les programmes des concerts. J’ai bien sûr fait la part belle à la musique
française, j’ai programmé des compositeurs peu connus (Albert Roussel, Florent
Schmitt, André Jolivet, Guillaume Lekeu, Jean Cras, Adolphe Blanc, Jean
Cartan…) qui me semblaient importants dans le répertoire. Mais le maître mot
est innover sans cesse et se démarquer des autres mais avec une exigence de
qualité. Rappelons nous le dicton célèbre «La maitrise du métier sans
innovation et l’innovation sans maitrise du métier sont sans avenir ! » Mais j’ai encore un double défi : tenir
compte de la capacité d’absorption et de répétition des stagiaires d’une part et
d’autre part maintenir l’attention du public donc ne pas dépasser 1h20 de
musique par concert. Je dois avouer avoir reçu constamment l’appui
de James Dick, pourtant occupé par sa carrière, l’administration financière et
le développement du campus.
JDT : Moi je pense à certains (es) qui ont
à la fois le métier et l’innovation… Mais l’innovation en musique, c’est une
prise de risques avec l’objectif voire l’obligation de remplir une salle de
1000 places !
AD : Oui il y a des prises de risques voire
des transgressions. Ainsi j’ai programmé le Concerto pour Orchestre de
Lutoslawski alors que l’oeuvre était interdite de séjour à Austin par le
conseil d’administration de l’orchestre symphonique local qui ne connaissait
pas le compositeur… mais succès à Round Top ! et nous l’avons programmé trois
fois. Tous répertoires orchestraux confondus, le Round Top Festival Institute a
programmé environ 500 oeuvres différentes. Autre exemple : Il faut aussi trouver des
oeuvres ou des événements que les autres académies et festivals n’ont pas car
les USA vivent dans la concurrence permanente ! c’est à la fois stimulant mais
stressant. Ainsi nous avons invité Walter Thompson, résident en Suède, créateur
du ‘soundpainting’ dont tu es un partisan et que tu m’avais décrit comme ayant un
certain succès en Europe. Peu connu et accepté aux USA, pays pourtant créateur
du free jazz et des improvisations collectives, nous avons pu éviter la cacophonie
et ensemble réaliser avec de bons musiciens classiques avec une palette de sons
inspirantes un vrai concert soundpainting de qualité car j’avais pris 20
stagiaires motivés pour participer à ce programme (15 jours de répétitions
avant le concert qui fut très bien reçu par les participants et le public. Tu
aurais adoré faire cette expérience ! Malheureusement, mon successeur ne réinvitera
pas Walter pour des raisons financières (environ coût : $8,000)
Mais si parfois on accepte mes transgressions
et innovations, il faut revenir à d’autres choses plus rentables ! Ainsi le
conseil d’administration du festival m’a aussi fortement suggéré de programmer
de la “pop music”. Hormis quelques 5 ou 6 orchestres aux USA, qui refusent tenant
à la qualité de leur “son”, les autres orchestres programment ce type de
musique car cela remplit les salles. Ainsi j’ai donc démarré en Juillet 2001 (mois
anniversaire de l’indépendance américaine) des programmes incluant en première
partie de la musique américaine de grands compositeurs américains (Copland,
Barber, Joan Tower, Gershwin, Bernstein, McDowell, Heggie, Corigliano, Morton
Gould, Howard Hanson… ) cela c’est pour l’aspect culturel
« classique » et après l’entracte une collection d’arrangements de
musique « populaire » américaine en face d’un public vêtu de couleurs
nationales et brandissant des drapeaux US et texans. Salle comble…. et en plus
des panneaux publicitaires, le public etait invité après le concert à déguster
les crèmes glacées locales de Blue Bell Icecreams, concoctées dans l’usine près
de Round Top.
La grande flutiste Carol Wincenc se préparant au piccolo “Stars and Stripes
Forever” de John Philip Sousa
Concert sound painting avec Walter
Thomson à Round Top (appuyez sur la photo pour écouter)
Alain Declert avec James Dick et
le violoniste Chen Zhao (ancien alumnus et devenu enseignant au San Francisco
Conservatory of Music et membre du San Francisco Symphony) (Juillet 2022)
JDT : Avez vous des injonctions politiques
car vous vivez actuellement dans un climat idéologique et culturel nouveau qui
arrive aussi chez nous.
AD : Oui et cela entraine encore une
complexification de notre métier. Ainsi par exemple la Ligue des Orchestres Américains
demandent fortement l’application de « Equity, Diversity, and Inclusion
in Artistic Planning ». Nous devons nous plier aux exigences
actuelles et à cette polyvalence : il faut donc concilier à la fois former des
étudiants vers l’excellence et donc avec un certain niveau professionnel
forcément élitiste mais en même temps suivre des quotas sur des critères
politiques et sociologiques.
JDT : C’est un sujet politique actuel pour
beaucoup de pays : équité ou égalité donc obligation de la discrimination
positive ce qui est nécessaire si on ne veut pas reproduire les ghettos sociaux
mais forger une véritable culture transversale et nationale en empruntant
plusieurs cultures musicales. C’est difficile car chaque communauté baigne dans
sa musique et souvent, une fois leur formation technique réalisée, des jeunes
musiciens talentueux ont une propension à aller vers des master-class qui les
concernent plus culturellement (jazz, latino, klezmer, country, musiques
populaires etc…). Je sais qu’en jazz certaines académies sont prisées et de
haut niveau aux USA et certains saxophonistes que je connais en rêvent ! Tu as mentionné le sponsor de ce concert «patriotique».
Qu’en est-il des autres concerts? Comment arrive-t-on financièrement à
maintenir une organisation comme le Festival Institute à Round Top ? Ce qui
m’impressionne, c’est la montée en puissance qualitative régulière pendant si
longtemps. Faire durer un festival et une master class internationale sans
subvention des états. Les spectacles sont payants mais génèrent peu de
bénéfices. Quelles sont vos sources financières ? tout ceci coûte une fortune,
il faut trouver des fonds et trouver des sponsors fidèles pour durer ! Qui
s’occupe de la recherche des financements ?
AD : Le budget annuel dépasse les 2 millions
de $. L’entretien des installations et leur coût de fonctionnement représentent
plus de 60% du total. Les aides financières parviennent des fondations privées
ou des compagnies dans des secteurs très variés (industries, assurances,
banques, tourisme,…) Nous avons aussi l’aide gouvernementale qui s’effectue
nationalement à partir de Washington (National Endowment for the Arts) et dans chaque
état (Arts Councils) mais qui subventionnent que 2% du budget ! Donc ce sont
les entreprises et les fondations privées qui nous permettent de continuer
difficilement car l’argent pour le style de musique pratiqué à Round Top
n’attire pas facilement les foules, ni les supports financiers.
JDT : Peux tu préciser ? Qui va à la
recherche des financements ?
AD : Les fondations privées à buts
charitables sont créées par de riches familles américaines et associations
charitables. Chaque année, je fournis des documents appropriés à présenter dans
les demandes de fonds, questionnaires, paperasses….mais je m’en occupe peu personnellement
car c’est un job à temps complet.
JDT : Et puis vous faites aussi beaucoup d’enregistrements.
La salle de concert et la chapelle sont de
merveilleux studios d’enregistrement. Nous les louons fréquemment à des
solistes ou ensembles variés. Nos archives sonores des concerts remontent à
1983. Elles contiennent quelques joyaux!
Conclusion : tu as consacré
une grande partie de ta vie à l’élaboration d’une structure essentielle et tu
as répondu à la question d’un de mes précédents articles sur ce blog : qu’as tu
fait de tes talents musicaux ? Nous avons la réponse. Merci Alain et bonne
retraite (en sachant que tu resteras consultant, habitant toujours sur le
campus !)
Souvenirs, souvenirs …..José Daniel Touroude (jouant le
quintette de Brahms) et Alain Declert à l’orgue jouant Bach …au siècle dernier
!
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