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lundi 18 janvier 2016

"Organisation des métiers du bois notamment des facteurs d’instruments de musique au XVIII et XIXème siècle". "Organization of the wood crafts, in particular the woodwind musical instruments makers in the 18th and 19th centuries".


par José-Daniel TOUROUDE

Q : quand on admire votre collection, vous faites souvent référence à des facteurs compagnons et maîtres, à une certaine noblesse de la facture des métiers du bois et avec votre ami René Pierre dans votre blog, vous recherchez et redonnez vie à ces illustres inconnus qui ont été oubliés, à part le monde des collectionneurs. De quand date l’organisation de ces métiers ? c’est très ancien.

JDT : Oui et la première preuve écrite existe déjà en 1268 dans « le livre des métiers » d’Etienne Boileau qui recensait 121 métiers organisés en corporations dont celui des tourneurs sur bois.  Souvent encore au XVIIIème siècle on identifiait le facteur comme tourneur sur bois car il faisait aussi bien des pieds de chaises, des bondes de tonneaux de vin que des flûtes ! Puis vint la corporation des joueurs de musique en 1321, reconnaissance du statut de musicien professionnel. Plus tard en 1599 naissait la corporation des faiseurs d’instruments de musique ou luthiers. En effet les musiciens fabriquaient le plus souvent leurs instruments à l’époque. L’école allemande prônait encore il y a peu de temps que le clarinettiste devait savoir fabriquer ses anches, changer les tampons et lièges, démonter son instrument. Les instruments devenant plus complexes et artistiques, seuls des professionnels pourront les fabriquer. 
Atelier du tourneur sur bois. (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
Pouvez  vous me  préciser le cadre historique et organisationnel de ces métiers à l’origine ?

Beaucoup de métiers dont celui du bois étaient organisés en corps ou corporations permettant le regroupement de tous les membres d’un même métier avec 3 niveaux  et des mots - clés attachés à ces dénominations : l’apprenti apprenait (pendant plusieurs années durement son métier et faisait les tâches rebutantes) puis le compagnon fabriquait (ouvrier qualifié voire hautement qualifié lié à l’image souvent du tour de France) puis le maître dirigeait (patron de l’atelier souvent respecté, ayant fait un chef d’œuvre, détenteur de l’estampille, organisateur de la profession). Ces corporations, personnes morales, avaient un grand pouvoir et étaient soient des jurandes reconnues par le pouvoir royal (exemple à  Paris), soient  des corporations réglées par les municipalités (exemple à Lyon). Les guildes corporatives en Allemagne et dans l’Est étaient aussi des corporations ou des jurandes (dont les représentants se nommaient jurés). 

Mais quels étaient leurs objectifs ?

Leurs objectifs étaient de s’entraider, former des professionnels mais aussi défendre leurs intérêts (tendant parfois vers un monopole), de contrôler le marché du travail de fixer les prix, et exercer un contrôle de la qualité voire du marché, organiser et discipliner la profession avec des usages codifiés, des rituels, des règlements, des contraintes toujours plus complexes. Elles étaient dirigées collégialement par les maîtres et patrons d’ateliers qui élisaient leurs chefs et représentants. Ils fixaient les formes, les styles et les modes, les techniques et devenaient de plus en plus conservateurs mais reproduisaient parfaitement ce qu’ils avaient fixés. Il était fondamental pour travailler d’être accepté par ses pairs donc suivre les usages codifiés et la hiérarchie de la communauté, être un professionnel reconnu, avoir une éthique adéquate de l’amour du travail bien fait, des capitaux nécessaires pour payer les taxes importantes (source importante pour le pouvoir) et pour monter un atelier et régaler ses pairs. Depuis Henri IV s’installer dans les ateliers royaux du Louvre ou à l’Arsenal, était la consécration des meilleurs maîtres. Or les migrations européennes continues attirées par la France, pays riche et important, aspirateur de talents vont entraîner de nouvelles techniques et idées, de nouveaux savoir-faire (après la renaissance italienne, notamment les tourneurs sur bois flamands et allemands). Ceux qui n’étaient pas acceptés par leurs pairs organisés (souvent des étrangers ou des provinciaux (ex : les lorrains meurtris par les guerres) devenaient ouvriers libres, protégés par d’autres puissances mais à la périphérie des villes . Ainsi à Paris, ils s’installèrent dans les villages avoisinants c’est à dire les faubourgs (exemple les métiers du bois regroupés au Faubourg Saint Antoine par l’abbaye) ou la cour du temple ou l’enclos de St Germain des près, les faubourgs St Marcel et St Jacques… Et ces ouvriers en marge dans ces lieux privilégiés n’avaient pas toujours bonne réputation, étant sans cesse critiqués par les jurandes et corporations officielles auprès des autorités, garant de la réputation et du contrôle des métiers.
 
Le livre de François Icher sur les compagnons.
Il est vrai que le travail était assez aléatoire, sensibles aux périodes d’inactivité et aux troubles politiques, ou aux euphories après guerres avec des commandes importantes. Il était difficile de réguler le marché du travail. D’où les combats parfois meurtriers et les villes réservées entre compagnons faisant leur tour de France entre dévorants catholiques et gavots protestants, entre compagnons fixes et compagnons itinérants, entre les corporations officielles et les ouvriers libres des lieux privilégiés mais aussi entre les métiers et les chantiers à réaliser… les libertés d’exercer et de circuler n’existaient pas beaucoup sous l’ancien régime et il fallait trouver une protection (corporation, maître réputé, noble ou religieux puissants, entraide compagnonnique, recommandations diverses...)
Scène de rixe sur le diplôme de Languedoc le victorieux,
compagnon charron du S
t Devoir de Dieu et de Ste Catherine
 reçu à Nantes le 6 avril 1828. Collection privée.
La promotion était-elle fondée exclusivement sur le talent ?

Oui au début et c’est l’image véhiculée mais en fait des stratégies complémentaires à la méritocratie vont apparaître rapidement. D’abord chaque métier vivait dans un monde assez fermé avec ses valeurs, son langage, ses quartiers, ses outils, sa solidarité : on se côtoyait, on vivait ensemble, on se copiait, s’aimait, se jalousait dans une communauté étroite et on se mariait entre soi. (exemple des mariages croisés entre les familles de facteurs à la Couture-Boussey). Les apprentis et compagnons couchaient souvent chez le maître ou à côté et cette promiscuité resserrait les liens. Ainsi la plupart du temps le compagnon talentueux, devenant chef d’atelier épousait la fille du maître pour prendre la suite ou souvent la veuve du maître afin de continuer l’atelier et devenir maître à son tour et quand la veuve mourrait, il reprenait une autre femme jeune qui vivait entouré de jeunes compagnons qui remplaceraient le maître etc….  donc méritocratie assurément mais pas seulement . Ce qui importait c’était de continuer l’atelier (comme les paysans leur exploitation). Cette promotion sociale et l’accès à la maîtrise était courant car s’installer était vraiment difficile. Alors les compagnons en faisant leur tour de France multipliaient les chances de trouver maître, atelier et femme qui convenaient à leurs ambitions…Bien sûr quand le maître avait un fils talentueux, il reprenait l’atelier (et certains en adoptait un pour éviter les taxes). Mais la maîtrise qui est l’apogée d’un savoir-faire devint aussi un statut de patron de plus en plus héréditaire bloquant l’ascenseur social du compagnon qui, faute d’argent, ne pouvait pas s’installer. La concurrence et la liberté de s’installer étaient alors entravées. Les jurandes vont empêcher ainsi certains de prospérer fixant le nombre d’apprentis et de compagnons par atelier. Quand le maître était reconnu, il devenait bourgeois et ses enfants scolarisés pouvaient changer de classes sociales. Beaucoup d’inventaires après décès montrent que certains compagnons pauvres avaient fini dans l’aisance et la reconnaissance.
Roth successeur de Dobner à Strasbourg
vers 1844


Dès le XVème siècle pour limiter l’accession à la maîtrise, afin que leurs compagnons ne deviennent des Maîtres donc des concurrents, les corporations augmentèrent le nombre d’années de travail de compagnons chez un patron, demandèrent la réalisation d’un chef d’œuvre accepté par les pairs, de payer des banquets coûteux ... A la mort du Maître, il y avait donc : un atelier connu, des compagnons et apprentis, des commandes à réaliser, des outils (les outils pratiquement sacrés souvent gravés étaient donnés aux successeurs méritants) et surtout une réputation à continuer et pour cela la marque était essentielle pour la veuve. La loi permettait aux veuves de Maîtres d’exploiter la marque de feu leur mari et certaines estampilles étaient réputées. Mais comme toute entreprise familiale basée sur la technicité, il fallait à la fois un nouveau patron reconnu pour son expertise dans le métier mais aussi pour son esprit d’entreprise et accepté par la veuve !  et c’était quand même rare. C’est ainsi que parfois, bien après le décès d’un facteur, la veuve et ses compagnons continuaient à fabriquer des instruments sous l’estampille du Maître décédé depuis longtemps ! (ce fait donne des discussions passionnées sur les datations possibles entre collectionneurs d’instruments).
La veuve de Sautermeister épouse son neveu  Louis Müller.
et

Si un compagnon devenait le nouveau maître, il avait vite envie et l’ambition de marquer sa trace avec sa propre estampille en accolant son nom à celui de son maître ou en mettant successeur de …, voire en mettant seulement le sien s’il était déjà connu dans un marché régional. Souvent aussi faute de successeur, l’atelier fermait, le métier demandant des dons certains et n’étant pas si lucratif (sauf pour quelques uns réputés). Il y aussi a contrario de véritables dynasties (ex : Thibouville, Noblet …) où on faisait le même métier pendant plusieurs générations .
Marque de Martin Thibouville père et
 Martin Thibouville fils.
Mais certains pouvaient s’échapper des contraintes et autorités des corporations ? Ce protectionnisme était de garantir le travail et les privilèges aux français  air connu  non ?

En effet, être exclu de votre corporation ne rendait pas la vie facile, ni l’accession aux chantiers et aux commandes. Dès 1471 une ordonnance de louis XI permet aux métiers du bois de vivre libres par exemple sur le territoire de l’abbaye St Antoine sans s’affilier aux jurandes et corporations régissant les métiers du bois, ce qui permit de suite la naissance d’un noyau d’ouvriers talentueux mais aussi une lutte permanente entre corporations ou jurandes conservatrices et ouvriers libres créatifs pendant 3 siècles, l’abbaye attirant les meilleurs des métiers du bois étrangers et français (cf le livre de J. Diwo « les dames du faubourg »). Les corporations luttaient sans cesse pour maintenir leurs privilèges voire leurs monopoles d’une part contre d’autres corporations pour protéger les limites de leurs compétences souvent empiétées. Mais elles luttaient d’autre part contre les ouvriers libres étrangers et talentueux pour les métiers du bois qui par vagues venaient bouleverser le métier par d’autres techniques et prendre les marchés. Les maîtres des corporations luttaient aussi à l’interne contre les compagnons qui voulaient accéder à la maîtrise donc s’installer en concurrents et qui étaient freinés par des usages tatillons et des barrières d’entrées financières les excluant. Beaucoup d’ouvriers libres des métiers du bois étaient allemands ou de l’Est de la France et étaient luthériens. Être à la fois concurrents et hérétiques créent toujours un mélange explosif. Malgré cela il y eut pendant des siècles une arrivée permanente d’étrangers (hollandais, mais surtout allemands après la guerre de 30 ans…émigration de qualité vivifiant l’artisanat du bois, donnant à la France des grands ébénistes et menuisiers du roi et des puissants (Habermann, Oppenhoort, Oeben, Riesener…) et des grands facteurs d’instruments (pour la clarinette : Amlingue, Geist, Winnen, Baumann, Mousseter, Keller….)

Estampille de Jean Henri Riesener (1734-1806)
Commode Riesener
L’aventure des instruments à vent va alors se développer, la clarinette est née en Allemagne vers 1700 et l’estampille va devenir fondamentale mais de quand date cette idée de marquer au fer un objet en bois ?

En 1467 une lettre patente demandait qu’une estampille soit marquée au fer chaud sur les meubles pour authentifier l’origine et leur qualité sous l’égide des corporations mais elle fut peu appliquée. En 1751 un Édit royal rend obligatoire l’estampille de maîtrise. C’est une offensive des jurandes : l’Estampille est réservée aux maîtres donc soumis aux règles des jurandes et corporations. Ce marqueur social et de prestige permet aux Maîtres qui ont ce sésame d’avoir recours à la sous-traitance des compagnons d’autres ateliers et surtout de se différencier des ateliers considérés comme inférieurs en qualité car anonymes. Entravant la créativité et la liberté et figeant les métiers, les corporations seront supprimées avec la loi le chapelier en 1791. Pendant tout le XIXème siècle, les corporations étant abolies, les compagnons auront la liberté de s’installer et les estampilles si convoitées et qui étaient un privilège visible interdit à la majorité vont se généraliser. Il y aura alors une véritable éclosion d’estampilles de toutes sortes et comme ce sera l’époque des instruments à vent, beaucoup d’instruments auront des marques variées et pas toujours évidentes à décrypter. 
Loi le Chapelier de 1791 supprimant les corporations.

Mais pour les meubles comme pour les instruments de musique, il y a bien de différences entre celui qui signe et celui qui fait ! mais la recherche de l’estampille demeure quand même le moteur de tout collectionneur…  La révolution industrielle en France en ce début du XIXème siècle va bouleverser tous les métiers du bois et les artisans vont utiliser d’autres outils, faire d’autres instruments et pour certains devenir de véritables entrepreneurs industriels (Gautrot, Thibouville.. Graves aux USA, les facteurs de Markneukirchen en Allemagne  …). Puis la grande époque des instruments à vent et notamment de la clarinette est liée aux armées napoléoniennes, et à la révolution industrielle qui modifie le travail de l’artisan par des outils mécaniques, donc à une augmentation considérable de productivité réalisant ainsi des flûtes et clarinettes par milliers et à prix réduit donc rendant ces instruments accessibles et donc populaires.
Bien sûr il y a toujours même actuellement une part de travail à la main mais de plus en plus réduite.

Après cette mise en perspective historique approfondissons maintenant la vie d’un apprenti et d’un compagnon faisant son tour de France au XIXème siècle puisque l’essentiel s’est déroulé dans ce siècle pour les instruments à vent. Nous avons des mémoires entre autres de celui d’un facteur Jean Daniel HOLTZAPFFEL. Ce sera l’objet d’un autre article.

A suivre......



mardi 5 février 2013

Quels bois à tourner pour faire une clarinette ?


Entretien José Daniel Touroude.
 
José Daniel TOUROUDE.
 
Les tourneurs sur bois pour fabriquer des instruments à vent avaient besoin de bois.
Si tous les bois se tournent, certains se fendent, se coupent mieux, se polissent mieux, certains éclatent… il faut donc choisir un bois dur, c’est à dire qui a une forte densité.
Et puis certains bois sonnent mieux que d’autres : les flûtes, chalumeaux, hautbois, bassons avaient ouvert la voie…
Dans tous les cas il fallait un bois dur.
Le bois dur a une densité de 0,80 en moyenne et le bois très dur autour de 1.
Cela veut dire que si on utilise par exemple de l’ébène bois très dur de densité 1,1  il sera lourd et pèsera 1100 kg pour 1 m3 et coulera dans l’eau (rappelons que 1m3 d’eau = 1000 kg)

 Le premier postulat du tourneur sur bois est : Plus le bois est dur donc de densité élevée, plus il se travaille facilement et tiendra longtemps.
Le deuxième postulat est qu’il faut que le bois tienne la fibre et donc sa texture est essentielle. Cela ne se mesure pas mais le professionnel du bois sait reconnaître la structure du bois avant de le travailler.
Le troisième postulat est le grain, la grosseur des pores du bois et l’espace entre les fibres d’automne et du printemps.

Ebéne.

L’ébène est un bois très dur de 1,1 ou 1,2 à texture fine, au grain serré tellement siliceux qui ne fera pas des copeaux comme les bois plus tendres mais de la sciure.
Cette qualité lui donnera la possibilité d’un excellent poli et d’une couleur homogène, et comme tous les bois très durs, il est facile à travailler, se fend surtout difficilement.
Toutes ces qualités en feront le bois de prédilection du tourneur de clarinette depuis un siècle et demi.

Palissandre.

Les palissandres d’Amérique (Dalbergia) : bois de rose, bois de violette, Cocobolo d’Amérique centrale, palissandre de Rio seront utilisés ponctuellement pour des clarinettes car ces bois vont avoir aussi de nombreuses qualités avec des veines très appréciées face à l’uniformité de couleur du buis ou de l’ébène.
Mais avant l’arrivée des bois exotiques, les tourneurs allemands, français ou anglais du 18ème siècle et de la première moitié du 19ème siècle avaient à leur disposition quelques bois indigènes durs :
Ces bois malgré leurs qualités ne seront pas utilisés par les tourneurs et facteurs :
Ainsi l’olivier, bois très dur de 1 à 1,2 de densité mais qui se fend, a trop de tanin huileux.
Le citronnier et l’oranger bois dur de 0,80 à grain serré mais qui se trouvaient en Espagne et Italie, pays où les tourneurs de clarinettes étaient rares.

Le houx de densité de 0,80 à grain fin mais pas utilisé malgré sa facilité de tournage peut être à cause des diamètres insuffisants dans les forêts.
Le charme avec une densité de 0,85 et avec un veinage tourmenté se travaille bien et est utilisé pour les jouets mais pas pour les instruments.

L’acacia ou robinier de densité 0,80 siliceux, facile à travailler mais difficile à creuser.
Le chêne le roi des bois pour les ébénistes, est peu utilisé par les tourneurs malgré sa densité dure de 0,80 car peut être il a tendance à éclater.

Poirier.

Le poirier parmi les fruitiers est le bois le plus dur à 0,75 de densité avec de belles veines et facile à travailler avec un grain très serré et une couleur brun - rosé qui se polit très bien.
Certaines clarinettes seront en poirier.  

Buis

Mais le bois qui sera choisi pour ses qualités sera le buis.
En effet il a une densité très dure de 0,9 à 1,1.
Il est facile à tourner et à creuser, se coupe bien, a un grain serré, ne se fend pas facilement, a un beau poli.
Il a une couleur homogène quoique parfois il peut être ondé avec des veines en vague très appréciées et ce bois est réservé pour les clarinettes de haute gamme.
Le buis n’a pas d’odeur et a la possibilité de se colorer avec des cires, acides et vernis…
Il sera pendant un siècle (avant que les bois exotiques notamment l’ébène et accessoirement les palissandres le supplantent) pratiquement le seul bois employé pour les clarinettes.

Carrelets ébène, palissandre pour fabriquer des clarinettes.

Le règne de la clarinette en buis

 Tourneur et facteur constituaient, au 18ème siècle, 2 métiers complémentaires mais différenciés.

Clarinette en Buis de Gardet à Besançon.

 
Le tourneur sur bois :
Au départ, les clarinettes étaient faites par des tourneurs sur bois et menuisiers qui faisaient le même gabarit que pour des pieds de chaise ou de table avec le même «tour en l'air» à pédale
Tour en l’air.

Ils devaient préparer le bois : d'abord trouver un bon buis assez gros puis le faire sécher 5 ans minimum ! puis le scier en évitant les nœuds pour en faire des carrelets.
Enfin réaliser un perçage d'ébauche et une immersion dans l'huile de lin chaude pendant 24 heures minimum. Il faut laisser sécher un an ! Alors on peut tourner une clarinette.



Le facteur de clarinette :

Le facteur intervenait au finissage et ne devait pas tourner ! Il y a eu des conflits importants avec les corporations des tourneurs pour la répartition des rôles !
Clarinette encyclopédie de Diderot.



Ce qui est délicat, c'est la qualité de la perce et des trous et c'était le travail du facteur.
Les trous ralentissent les vibrations et les sons sortent plus bas que prévus.
En conséquence, le facteur a dû remonter les trous vers la tête de l'instrument pour avoir les sons justes et de diamètres plus petits car les trous étaient gros et les doigts les bouchaient mal avec des fuites d'air.
Le morceau de bois était transpercé en un cylindre sur toute sa longueur pour en faire une clarinette par le maître ouvrier qui perçait aussi les trous dans ce tuyau de bois.
Au départ on creusait les trous en fonction de l'écartement des doigts du futur instrumentiste ou du maître ouvrier !

Avec Iwan Muller et sa 13 clés, ces trous furent normalisés pour faire des clarinettes plus justes afin que toute la colonne d'air s'échappe.
Les trous seront préparés pour améliorer l'adhérence des tampons.

On créa plus tard les tampons qui reproduisait la texture de la pulpe du doigt avec du feutre et de la baudruche, du cuir de chevreau.
Chaque facteur avait son gabarit, ses secrets de fabrication pour positionner ses trous, qui était un compromis entre la justesse et la possibilité de boucher les trous sans faire des contorsions pour jouer. Ce compromis a été fait pas tâtonnements.
Pour augmenter la solidité de l'instrument et son esthétisme, on garnissait de viroles

·         d'ivoire (éléphant, phacochère, hippopotame, os..) pour les instruments de prestige,

·         de corne d'animaux africains (buffle, antilope, zébu...) pour les instruments de qualité,

·         de laiton pour les instruments populaires.


Pavillon de clarinette en buis avec des bagues d’ivoire.

Puis le facteur devint tourneur de ses clarinettes et utilisa le tour à perche ou tour en l'air.
Les clarinettes pendant un siècle et demi seront en buis, voire en bois fruitier, en cèdre.
La couleur miel des clarinettes anciennes en buis (qui est blanc) vient simplement par le vieillissement et la cire. Pour des teintes plus foncées dans les rouges ou les bruns, les teintes se faisaient à l'acide, comme actuellement pour les copies d'instruments. 
Le buis sera supplanté par l'ébène, bois tropical dense et résistant dès 1828.
En effet le buis se fendait souvent, sensible aux écarts de températures et à l'hygrométrie.
La dimension de la perce, qui est essentielle, était aussi difficile à maintenir.

Et puis la mode était à la clarinette en ébène, symbole de l'instrument moderne et abouti, contrairement à celles en buis qui montraient l'évolution historique de cet instrument.



Le règne de la clarinette en ébène

 
L'ébène (dalbergia melanoxylon) d'Afrique tropicale ou grenadille est un bois dur, qui dispose de qualités qui entraînera rapidement le remplacement du buis  voire du palissandre (qui est un bois d'Amérique) voire les arbres fruitiers.



L'ébène dispose de certaines qualités supérieures aux autres bois :

* il est dur, dense, peu poreux et pourtant facile à travailler ne se fendant pas facilement.

* Il est résistant aux variations de température et hygrométriques et à l'acidité de la salive.

* il est peu sujet aux fissures 

* c'est est un bois précieux doté d'une esthétique appréciée une fois cirée et d'une sonorité douce et chaude.
Vernir le bois est uniquement esthétique et ne joue pas sur la sonorité comme on le pense souvent, ce qui compte c'est la qualité de la perce avant tout et avec l'ébène la perce ne varie pas et ne se creuse pas avec les nettoyages.

Les inconvénients de l'ébène sont :

* un prix plus élevé. En conséquence, la clarinette en buis sera réservée pendant longtemps encore aux musiciens populaires jusqu’en 1914.
L'ébène avec les clarinettes Muller puis Boehm seront réservées aux militaires et aux bons musiciens amateurs et professionnels.
La marque du facteur permettra de positionner la richesse de l'instrumentiste voire sa valeur.

* un poids plus lourd que le buis.
La clarinette en bois dense et dur comme l'ébène avec l'adjonction en plus des clés et des anneaux en maillechort avec Boehm est plus lourde (1/3 de plus soit de 400 à 600 g) et va entraîner obligatoirement la fixation d'un support pour le pouce droit que l'on avait déjà inventé auparavant déjà pour quelques clarinettes en buis de luxe.

 Mais il y a ébène et ébène :

L'ébène commun ou ébony en anglais (diospyros spp.) provient de Madagascar, de Tanzanie, du Gabon. Il produit des instruments très moyens à cause de la porosité du bois qui est assez importante et à sa sensibilité à l'acidité de la salive.
L'ébène des clarinettes des grands facteurs provient exclusivement du Mozambique (dalbergia melanoxylon) et ce sont des ébènes de grande qualité, très denses et serrés qui entraînent une absence de porosité.
Maintenant le Mopane (colophospermum) est une autre espèce d'ébène de qualité utilisé.
Les billes de bois sont dégrossies, séchées à l'étuve, puis tournées pour fixer la place des cheminées, les tenons et les emboîtures puis les trous sont percés.
Une fois poncée, on dispose des viroles, on vernit le bois, on met les clés....



Le facteur de clarinette utilisa le tour à perche ou tour en l'air, lui même remplacé par le tour de précision avec l'ère industrielle avec des machines mû par l'électricité ou la vapeur, ce qui permettait un travail plus rapide et plus précis.
 
 

Désormais le règne de la clarinette moulée.

Au lieu de tourner des bois, l’ère industrielle permettra de faire des moules et de couler différentes matières pour faire des becs puis des clarinettes entières ce qui abaissera les coûts et fera des instruments d’étude ou de bas gamme permettant une démocratisation de cet instrument dans le monde entier.



A part quelques matériaux expérimentaux, les clarinettes en plastique de couleur variée actuellement ou pour mémoire la clarinette au musée de Markneukirchen en plexiglas !  des clarinettes en métal vont être utilisées.
Mais les réussites seront les becs en verre-cristal notamment de Pomarico, les clarinettes métal notamment américaines entre les deux guerres mondiales et le règne de l’ébonite.
Jeu de clarinettes en métal.
 

Bec cristal.

Certains becs en ébonite avaient fait leur apparition dans les années 1850 et avaient montré leurs qualités jamais démenties puisque la plupart des becs sont encore en ébonite (sonorité, facilité de fabrication, coût peu élevé) Mais d’où vient l’ébonite ?
 
Charles Goodyear (1800-1860) inventeur génial et malheureux ayant dédié sa vie au caoutchouc va inventer après bien des déboires la vulcanisation du caoutchouc pour en faire un matériau essentiel au monde moderne.
Il mélange le latex de l’hévéa connu depuis des siècles par les indiens d’Amérique et essaie de donner de la cohésion à ce liquide en ajoutant du soufre (20 à 40%) 
 
Mais selon la température, le caoutchouc se ramollit ou devient dur et pour cela il est pratiquement abandonné.
En 1842, Goodyear va le stabiliser en le mettant sous un jet de vapeur à 270° Fahrenheit et ce procédé s’appellera la vulcanisation (de Vulcain dieu du feu) et comme le caoutchouc vulcanisé sera noir comme l’ébène, il sera appelé ébonite.
Avec peu de soufre, le caoutchouc est souple pour les pneumatiques mais avec beaucoup de soufre, il sera dur comme l’ébonite.
Les applications sont nombreuses : vêtements imperméables, isolants électriques, canots de sauvetage et combinaison de plongée…
Rapidement Goodyear fera des applications (1844 à 1860) sur des instruments de musique et tuyaux de pipe montrant que l’ébonite est un magnifique substitut du bois.
A l’exposition universelle de Paris dans les années 1850, Goodyear érigea un pavillon où tout était en caoutchouc, habillé de la cravate à ses chaussures avec tous ses vêtements utilisant du caoutchouc, il fut décoré de la légion d’honneur par Napoléon III puis ira en prison pour dettes ! Grandeur et misère de l’inventeur génial mais peu pragmatique.
Mais, inventeur avant tout, Goodyear n’est pas vigilant pour déposer ses brevets et se fera piller toutes ses inventions et mourra dans la misère et les dettes.
En 1870 des usines de caoutchouc vulcanisé s’implantent en Europe.
En 1888 Dunlop lance ses fameux pneumatiques et Macintosh ses vêtements imperméables….et les becs en clarinette puis les clarinettes vont se fabriquer.
Le caoutchouc vulcanisé sera l’ancêtre des résines artificielles qui entourent notre vie.
Aujourd’hui il y a 1 hévéa pour 2 personnes sur terre même si le caoutchouc artificiel synthétique est aussi utilisé. Il est partout autour de nous.
A noter que la multinationale qui a pris le nom prestigieux de Goodyear n’a rien à voir avec lui. Même son nom lui a été piqué ! ou est-ce un hommage ?
Toute collection possède les différents matériaux montrant l’évolution aussi de la clarinette à travers le temps.