jeudi 28 septembre 2023

Le son et la musique. Sound and music.

 La musique est l’art de combiner des sons, mais qu’est-ce qu’un son ?

 exposé / échanges avec José-Daniel Touroude.



La demande : Nous sommes un orchestre, surtout composé d’instrumentistes à vent et nous aimerions comprendre un minimum de concepts et d’éléments de l’acoustique en musique, simplement, sans mathématiques, afin de mieux comprendre la musique que nous jouons. C’est pourquoi nous demandons à un musicien, et non à un physicien, de nous donner les bases sur les notions du son, du bruit et de la musique. 

JDT : Vaste sujet ! Commençons par la définition : La musique est l’art de combiner des sons qui constituent la matière de base que nous devons modeler pour faire de la musique. Nous sommes tous d’accord mais qu’est-ce qu’un son ? Un bruit ? La musique est-elle une succession de bruits donc de sons agréables organisés ? Et les bruits faits par certains sont-ils considérés comme de la musique pour d’autres, montrant ainsi que la musique est surtout culturelle… Mais rappelons les bases de l'acoustique musicale qui est la science qui étudie les sons. Nous connaissons tous les 3 caractéristiques d’un son apprises à l’école :

Les enfants dès la maternelle savent régler le volume sonore des appareils, chantent et reconnaissent des hauteurs de notes différentes, pourtant sans les connaître, et savent identifier intuitivement aussi le timbre du son et le caractériser en joli, doux, chaud ou nasillard… les dessins animés utilisent beaucoup de sons différents selon les personnages et les situations et certains enfants déjà reconnaissent les instruments grâce à piccolo saxo et Cie, Pierre et le loup, le carnaval des animaux etc…

 Les 3 composantes du son musical sont donc :

1°) Le volume du son (forte, piano pour nous), c’est à dire un son avec une intensité plus ou moins forte d’où la notion de mesure en décibels.

2°) La hauteur du son (d’une note pour nous), c’est à dire un son plus ou moins grave ou aigu d’une gamme d’où la notion de fréquence qui se mesure en Herz.

3°) Le timbre du son (c’est à dire pour nous un son plus ou moins riche, brillant ou pauvre et étouffé)… d’où la notion d’harmoniques, qui est une succession de fréquences.

D’autres paramètres importent bien sûr : la durée (car des sons obsédants deviennent vite pénibles et s’apparentent aux nuisances du bruit) et puis bien sûr le rythme, le tempo, la direction de la source sonore etc… mais restons sur le son proprement dit. C’est pourquoi, dès que vous prenez votre instrument, il faut commencer par s’écouter et travailler le son avant de jouer vos musiques car la qualité des sons varient tous les jours selon plusieurs paramètres.

Q: Qu’est ce qui différencie les bruits qui sont aussi des sons avec la musique ? Quoique certaines musiques sont pénibles et pires que certains bruits acceptables.

JDT : l n'y a pas de différences, en physique, entre un son produit par la parole, la musique ou le bruit. Le son devient un bruit lorsqu'il produit une sensation auditive négative, désagréable, gênante ou dangereuse pour la santé selon la définition de l’OMS.

En fait c’est l’excès qui nuit : un son trop long, avec une fréquence trop aiguë, trop de volume sonore, un timbre qui vous fatigue vite, une musique étrangère à votre culture qui dure et vous vrille le cerveau qui n’a plus envie de décoder ce que l’oreille entend et tout devient alors déplaisant voire stressant. Pour moi la musique, ce sont des sons organisés qui ont un sens.     

Q: Mais tous les bruits peuvent figurer dans une musique de film par exemple le cri du coyote pour Morricone etc..

Oui, ainsi B. Coulais nous a montré pour le film animalier Microcosmos, la mobilisation de différentes musiques, des sons et bruits divers pour adopter ceux qui vont coller à telle séquence ou à tel personnage … Chocs des cultures et des musiques, chocs des sons et des bruits, des atmosphères pour finir en osmose, en un ensemble construit que l’on peut figer dans une partition.  

Cliquez : Musique de films

Q: Et le silence ? C’est l’absence de sons et la plus belle musique selon les sages taoïstes.

Le silence absolu n’existe pas vraiment sur terre alors qu’il est essentiel pour la musique mais en fait il peut être aussi stressant (le silence au secret peut être une torture) que les bruits obsédants (autre technique des tortionnaires). Demandez à votre docteur, qui avec son stéthoscope entend les bruits internes    de votre corps avec des fréquences basses (digestion, respiration, battement cardiaque… et les bruits externes dès que vous bougez. En fait nous vivons dans un univers sonore permanent mais peu perceptible heureusement pour nous, car ce serait invivable si notre audition était meilleure. Quand au respect des silences dans la musique, il est fondamental pour nous « les soufflants » car ainsi, en plus de la ponctuation, on sait quand on peut respirer.

Q: Pouvez vous analyser les caractéristiques du son simplement, afin de comprendre l’essentiel. (pour les matheux il y a des cours de fac d’acoustique musicale en ligne)

Voyons les 3 éléments nécessaires:1°) Au départ, pour l’émission du son, il faut une énergie qui va générer une pression : un souffle, un choc, un raclement, un mouvement etc… On classera ainsi les instruments selon cette source d’énergie primordiale : aérophones pour la plupart d’entre nous, instrumentistes à vent.

2°) Puis pour la propagation du son, il faut que cette pression s’exerce dans un environnement compressible élastique, par exemple l’air, (le son ne se propage pas dans le vide contrairement à la lumière) et cette pression va créer des vibrations, des perturbations, des déformations de cette matière créant des ondes. 

Donc la matière, air et eau par exemples, ne se déplacent pas mais c'est la perturbation, la compression qui se déplace et forme des ondes et des sons le plus souvent dans l’air (exemples : cris, chant des oiseaux) ou dans l’eau (exemple : chant des baleines). Chaque son crée des vibrations, des ondes, des pressions dans l’air par la vibration des cordes d’un violon par exemple ou la vibration des lèvres pour nous et se transmettent à l’air ambiant. C’est pour cela aussi que chanter ensemble en chorale est jouissif !  


 le son, il faut que ces vibrations soient reçues et audibles par une oreille. Le son est perçu par l'oreille comme une succession d’ondes, de pressions, des vagues avec des surpressions (des hauteurs, des sinus) et des sous-pressions (des creux), si on peut les entendre. Ainsi lorsqu'un objet vibre, il pousse contre l'air ambiant des vibrations et entraine la compression de l'air. Cela provoque des zones de hautes et de basses pressions à mesure que le son s'approche de nos oreilles sous la forme d’ondes, de vagues et ce son a toujours permis dans le temps et l’espace de retranscrire des messages, des ambiances et des émotions. La réception des sons est donc captée par nos oreilles et transmise au cerveau qui l’analyse et la décode. Les ondes sonores se déplacent à environ 344 mètres par seconde dans l'air qu'on peut arrondir à environ un kilomètre toutes les trois secondes. Il y a alors production d'une onde acoustique c'est-à-dire une succession de surpressions et de dépressions momentanées. L’homme entend mal par rapport à beaucoup d’animaux (ni les infrasons aux fréquences trop basses (comme les baleines), ni les ultra sons aux fréquences trop élevées (comme les chauves-souris). 









Q: Mais mon son est différent selon les jours et les endroits ! cela est perturbant. Et quand je vais au concert selon ma place, je n’entends pas la même sonorité malgré les micros.

En effet le souffle émis dans notre instrument, que nous appelons la colonne d’air, sort par les trous et le pavillon et met en pression l’air tout autour, et beaucoup de choses vibrent : tout votre instrument, voire d’autres instruments si vous jouez près d’instruments à cordes, vibreront un peu malgré eux, et le son sera différent chez vous, dans une église qui résonne, en plein air ou dans une salle de concert vide ou pleine avec les sons qui sont absorbés ou réfléchis. C’est pour cela qu’il faut reconnaitre les lieux avant de jouer ! Pour nous, les anches ne seront pas les mêmes selon les jours, l’humidité et la chaleur, les endroits etc…

Le son se propage moins bien à l'horizontal que sous des angles montants à cause du changement de densité. Cette propriété est prise en compte dans la conception des amphithéâtres en plein air depuis l'antiquité. Certaines salles avec tapis, tentures et fauteuils sont de véritables éteignoirs de sons et ne valorisent pas les musiciens. Pour analyser la sonorisation d’une salle de concert ou d’un studio d’enregistrement, il faudra faire venir un ingénieur du son pour vous faire un exposé car c’est un autre sujet passionnant.

Mais rentrons dans le vif du sujet, en étudiant les 3 composantes du son.

Analysons d’abord le volume sonore ou l’intensité sonore.

L’intensité ou volume sonore a fait l’objet de nombreuses études en musique, mais aussi en droit du travail dans les usines, dans l’univers urbain et environnemental, dans les lieux de loisirs etc…. L'oreille interne est fragile et on prévoit à terme avec la manie des écouteurs, des problèmes auditifs pour les oreilles malmenées. Le son est une vibration se propageant dans l’air et provoque une sensation auditive qui peut être agréable ou devenir désagréable, voire dangereuse si son niveau est excessif. Il se mesure et on classe le niveau sonore en décibels (db), du nom de Bell l’inventeur du téléphone.Tout bruit (donc aussi la musique) se mesure sur une échelle allant de 0 à 130 décibels (db) mais la plupart des sons de la vie courante sont compris entre 30 et 90 db.

Q : Nous travaillons les sons de fortissimo à pianissimo ! pouvez vous nous préciser ce qui concerne l’intensité du son car cela parait subjectif certains préférant jouer et écouter la musique assez fort alors que cela casse les oreilles à d’autres. Et dans notre orchestre, nous pensons tous que le voisin joue trop fort et nuit à nos nuances, à notre musicalité, à notre sonorité !

JDT : Je ne vais pas rentrer dans les problèmes de la musique d’ensemble…Mais un pianissimo tourne autour de 40 db et il faut apprendre à jouer toutes les notes à cette intensité pour pouvoir maitriser les nuances qui sont essentielles en musique mais a contrario il faut aussi apprendre les fortissimo à 110 db (utiliser le bouchon antibruit pour les oreilles surtout pour l’aigu quand vous travaillez). Son intensité ou volume dépend de la variation de la pression acoustique créée par la source sonore, c’est à dire du nombre de particules déplacées qui occasionnent des ondes dans le milieu ambiant, l’air pour nous, qui est mesurée en décibels. Ces ondes se présentent, lorsqu’on les analysent, en sinusoïdes dont l’amplitude varient et se présentent ainsi : un son fort et puissant = des sinusoïdes élevées. A contrario un son faible = des petites vaguelettes de sinusoïdes écrasées.

Quand on s’éloigne de la source, les ondes sonores s’étalent de plus en plus et l'intensité sonore perd vite de l’énergie et ainsi plus on est loin, plus la pression acoustique et les ondes diminuent et le son est faible (sensation 2 fois moins forte à 40 mètres qu'à 10 mètres) et se propage dans toutes les directions. Ce n'est pas la nature du son qui peut engendrer un risque auditif, mais son intensité surtout dans les notes aiguës qui ont des fréquences élevées. L’amplitude plus ou moins grande de l’onde par une pression importante est donc une autre caractéristique importante d'un son. L'intensité perçue dépend du milieu mais aussi de l’amplitude. La psycho-acoustique étudie l'intensité sonore ressentie en présence d'un son, qui dépend principalement de la pression acoustique, d’une petite variation de pression atmosphérique et la déformation du milieu (de l’air pour nous) qui définit le son qui ainsi se propage comme une onde. Mais le son à part son intensité ou volume sonore a une deuxième composante car le son est combiné avec d’autres sons de hauteurs différentes 

" Comme on jette une pierre dans l'eau vive d'un ruisseau et qui laisse derrière elle, des milliers de ronds dans l'eau "

Analysons la deuxième composante du son, sa hauteur donc sa fréquence.

D'abord la hauteur du son (grave, aigu) est relative à sa fréquence qui se mesure en Hertz (Hz) (plus un son est grave, plus sa fréquence est basse (exemple note grave jouée par votre tuba), plus il est aigu, plus sa fréquence est élevée (exemple votre flutiste qui joue au piccolo sa note la plus aigüe). La fréquence est le nombre d’oscillations périodiques par seconde. Elle sert pour qualifier la hauteur d’un son, d’une note. Une fréquence de 440 Hz correspondra donc à 440 oscillations par seconde et la note La 3. Avant d’arriver à cette définition universelle, différents pays ont été en conflits houleux !

Les oreilles humaines perçoivent théoriquement des sons de 15 Hz pour les basses (en dessous ce sont des infrasons inaudibles pour nous mais pas pour certains animaux) et 15 000 Hz pour les aigus mais cela varient un peu selon l’âge et les individus (nous perdons 1000 Hz tous les dix ans en moyenne à partir de 20 ans et on entend plus mal les basses). A 20 000 Hz et plus, ce sont les ultrasons. (Mon chat est moins sourd que moi ! Il entend jusqu’à 65 000 Hz et moi seulement 10 000 Hz théoriquement et encore car avec l’âge cela baisse !) Mais pratiquement l'oreille humaine entend souvent moins que cela car elle est adaptée aux voix humaines, aux chants surtout entre 30 Hz et 5000 Hz et à la musique. En fait l’oreille humaine entend 8 octaves environ.

Q: Pourquoi dites vous un La 3 à 440 Hz ?

Tout l’orchestre s’accorde actuellement (car avant le diapason était mouvant) sur un La 3 à 440 Hz, souvent donné par le hautbois, où tous doivent s’accorder. Les baroqueux eux, ont des diapasons plus bas (La 3 de 415 à 435 Hz.) Mozart avait l’oreille absolue à 422 Hz ! parait-il …

Cliquez pour lire article sur le diapason.

Article sur les baroqueux. Cliquez

Je peux produire avec ma clarinette quatre La à 4 octaves différentes, donc à différentes hauteurs donc avec différentes fréquences que l’on double à chaque octave. Ainsi un La grave ou La 2 = 220Hz, un La 3 = 440Hz, un La 4 = 880 Hz, un La5 aigu = 1760 Hz. Donc la clarinette soprano joue surtout dans les sons gravesmédium ! (150 à 2000 Hz) mais la petite clarinette en Mib a des sons plus hauts et la clarinette basse plus bas. Le piano lui en fait beaucoup plus…Une fréquence de 440 Hz veut dire que 440 fois par seconde, les molécules de l’air vibrent et s’excitent dans la perce (la fameuse colonne d’air), vont et viennent dans ma clarinette et le son se propage grâce à la compression qui se déplace au milieu des molécules d’air de plus en plus vibrantes avant de sortir par les trous, entendus par nos tympans avec plus ou moins d’ampleur, déclenchant une sensation plus ou moins forte et que j’espère agréable. La vitesse du son est de 334 m/s dans l’air (elle va 4 fois plus vite dans l’eau mais je ne fais pas de sons dans l’eau quoique…. ) ce qui est à la fois très rapide mais lent par rapport à la lumière (300 000 km /s) mais cette vitesse dépend aussi de la température. C’est pourquoi le diapason indique La 3 à 440 Hz, à 20°Celsius et avec une humidité normale soit entre 40-60% .

L’hygrométrie de l’air est essentielle pour la conservation de nos instruments car selon les saisons, le chauffage, l’air ambiant peut être trop sec et abimer les bois qui dans ce cas sèchent et influent sur la sonorité. C’est pourquoi il faut toujours souffler (on dit chauffer) l’instrument avant de jouer afin que la vitesse du son et la hauteur du son augmente et arrive au La 3 à 440Hz. Quand j’ai joué en Afrique noire à plus de 35°et une humidité de 95%, la vitesse du son a augmenté de quelques mètres par seconde ce qui a influé sur la fréquence des ondes et de plus ma clarinette en ébène et mon anche ont absorbé l’humidité extérieure de l’air. Le son a été légèrement différent et la vitesse plus rapide. La psycho-acoustique étudie la perception et l’interprétation des sons.

José Daniel Touroude en concert à Abidjan en 1986
 avec la garde présidentielle ivoirienne.
Direction Robert Antoine.


Donc chaque demi ton dans la gamme chromatique a une fréquence différente !

Oui ! notre gamme tempérée est formée de 12 demi tons égaux que nous appelons la gamme chromatique, crée par un mathématicien flamand, repris par JS Bach qui a composé systématiquement dans « le clavecin bien tempéré » préludes et fugues pour les 12 tonalités de la gamme occidentale. Mais il faut noter que plusieurs civilisations ont partagées les sons avec des intervalles différents, pas forcément divisées en parties égales, en excluant certaines hauteurs ou en rajoutant d’autres : exemples : les gammes pentatoniques, les modes grecs, les gammes orientales en quarts de tons etc…  et chaque hauteur de son a une fréquence spécifique. 

Certains arnaqueurs sur internet font croire que les fréquences soignent toutes sortes de maladies et des centaines de milliers de naïfs les croient : écouter un CD avec des fa# 3 (acheté 47 € !) et hop plus de problème intestinaux etc… avec les milliards de notes que j’ai joué depuis 70 ans, je devrais avoir une santé en acier trempé ! Mais redevenons sérieux même si le monde est parfois délirant. Maintenant décomposons cette fréquence fondamentale de la note jouée.

Analysons maintenant la 3ème composante : le Timbre

Le timbre constitue l’identité personnelle du son, sa caractéristique, sa spécificité, sa signature. Nous pouvons tous reconnaitre dans la famille des bois un son de flûte, de hautbois, de clarinette ou de saxophone… et pourtant tous jouent la même note donc avec la même fréquence, à la même intensité, au même endroit. Le timbre est donné, par le nombre et l’intensité des harmoniques, qui compose le son et permet de reconnaître la personne qui parle ou l’instrument qui est joué. Une seule note de Miles Davis et on le reconnait !

La fréquence fondamentale (c’est à dire la note) est la même, mais le nombre et l’intensité de leurs harmoniques respectives sont différents et l’oreille facilement distingue deux instruments différents, voire même deux musiciens différents jouant le même instrument . Pour nous clarinettistes, une simple anche peut étouffer les harmoniques ! Un harmonique (c’est masculin ! ou partiel harmonique) est en acoustique un des composants d’un son complexe. (Il n’y a que le son unique du diapason dans le silence environnant qui est un son pur et simple)

Q: D’accord mais pourquoi deux mêmes instruments ne sonnent pas vraiment pareils entre eux, même quand nous sommes à l’unisson ? Et puis autre question, nous avons discuté entre nous sur cette focalisation de certaines lignes mélodiques voire enchainements harmoniques alors que nous écoutons la même musique. Nous avons fait cette expérience en travaillant la Gran partita de Mozart.

L’enchainement des lignes mélodiques, la pulsation et l’utilisation des différents timbres des instruments font de cette oeuvre instrumentale un des sommets de la musique de chambre. Il y a plusieurs facteurs mais par exemple les hommes et les femmes n’ont pas la même cochlée (oreille interne) et nous avons tous des cochlées différentes comme nos empreintes digitales et certains seront plus attirés par les fréquences aiguës comme les femmes généralement, d’autres par le médium, d’autres par les fréquences basses. Cela peut expliquer pourquoi certains privilégient tel instrument ou tel type de musique.

Il y a aussi la forme de l’instrument, le type de bois utilisé, la qualité d’assemblage et la lutherie de manière générale qui influent sur la capacité de l’instrument à faire résonner certains harmoniques et en étouffent d’autres. Chaque matériau conduit plus ou moins bien certaines fréquences du son et les combinaisons de matériaux et de formes produisent des sonorités particulières. Clarinettes en buis, ébène, palissandre, ébonite, bakélite, métal … avec le même bec, la même anche et le même clarinettiste sur la même note offriront des sonorités différentes plus ou moins ronde, brillantes, avec des projections plus ou moins fortes à cause des harmoniques des sons.

D’autre part pour votre deuxième question, les musiciens peuvent suivre et se concentrer sur une ligne mélodique horizontale ou sur un seul instrument, ou sur des accords s’il a fait de l’harmonie alors que tout l’orchestre joue. (C’est l’effet « cocktail party » bien utile dans les réceptions et dans l’écoute de disques). Il est normal que dans votre exemple mozartien, chacun écoute ce que joue son instrument tout en écoutant l’ensemble. Dans mon article sur l’interview des intermittents, je relate le cas d’un bassiste qui s’est focalisé toute sa vie que sur les basses et qui pouvait relever la partie de basse dans n’importe quel morceau.

Article sur les musiciens intermittents

Q: Alors si je comprends bien quand j’essaie une anche et fait un simple son, ce n’est pas un son simple  !

JDT : Bravo pour le jeu de mots ! lorsque vous produisez une note, donc un son complexe avec un instrument exemple un La 3 nous l’appelons note fondamentale, l’air s’agite propulsant la vibration vers l’extérieur. Mais ce son, ce La 3 est composé également de plusieurs autres sons de fréquences plus hautes qu’on n’entend pas ou peu qui sont d'autres notes (les partiels) mais qui résonnent et décroissent en intensités différentes. Ces sons additionnels se nomment les harmoniques au pluriel car il y a au moins les 5 premiers harmoniques qui sont importants et basiques pour nous musiciens. Notre oreille entend toujours la même note, c'est-à-dire la fréquence fondamentale, mais elle va également percevoir toutes les plus hautes fréquences qui s'ajoutent et enrichissent la fondamentale : ce sont les harmoniques et c’est le nombre et la nature de ces harmoniques qui vont colorer le son et lui donner une richesse, un timbre caractéristique. L’intelligence artificielle peut désormais imiter vos intonations avec vos harmoniques spécifiques et faire croire à vos proches que c’est vous qui parlez.

Les sons musicaux sont donc des sons complexes, mélanges de sons graves et aigus. Le son musical est la superposition d’un son fondamental et d’harmoniques dont les fréquences sont des multiples de la fréquence fondamentale (double (x2), triple (x3) etc…  L’ensemble de ces fréquences hauteur et timbre constitueront la qualité de votre son.

Q: Nous avons appris au lycée que les ondes sont des sinusoïdes. Donc quand je joue un La 3 avec ma trompette, ce sont des vagues de sinusoïdes que j’envoie qui font des va et vient et dans la flûte de mon amie c’est pire que les embouteillages parisiens avec des ondes sinusoïdales de grandeurs différentes qui vont et viennent…

Oui ! mais ce sont des sinusoïdes de plusieurs tailles, des subdivisions en fait de l’onde fondamentale qui en même temps s’additionnent car chaque harmonique est différent… De plus les sinusoïdes de la flûte sont particulières, très différentes de la clarinette qui elles ont des sinusoïdes presque carrées ! Et pourtant nous faisons la même note à l’unisson en jouant des instruments qui ont des harmoniques impairs et pourtant les sons ont un timbre particulier. Quand à votre collègue qui joue du hautbois avec des harmoniques pairs, les sinusoïdes de son son deviennent presque des triangles !  Et pourtant ce sont les mêmes notes et la même fréquence mais pas le même timbre ! C’est pour cela que l’on reconnait un son brillant riche en harmoniques et un son sourd pauvre, mais aussi un instrument d'un autre. Un son est riche, agréable à entendre, lorsqu’il contient de nombreux harmoniques (piano par exemple). Un son pauvre en harmoniques paraîtra terne en comparaison à notre oreille (clavecin).

Q: Parce qu’il y a des harmoniques pairs et impairs selon les instruments dans notre orchestre ? Pouvez vous nous préciser.

La même note fondamentale jouée par des flûtes et des clarinettes ont des harmoniques impairs (1, 3, 5, 7, 9.)… Pourquoi ? à cause notamment de leurs perces cylindriques. Ainsi si je joue un Do (fondamentale Harmonique1 dit H1) il y aura dans ce Do aussi un Sol H3 (quinte juste) et un Mi H5 (tierce majeure) puis un La# H7(septième mineure) et un Ré H9 (neuvième majeure) … soit un son complexe : dosolmila#ré mais il y a une décroissance au fur et à mesure des fréquences… les harmoniques qui suivent peuvent être identifiés et mesurés qu’avec des appareils adéquats. 

Mais quand nous jouons un Do, on entend pratiquement que lui et pas tellement les autres pourquoi  ?

Parce qu’il est reproduit plusieurs fois ! car il y a aussi des harmoniques pairs entre mes harmoniques impairs qui sont plus faibles quoique présents. Ainsi reprenons notre exemple pour les flûtes et clarinettes et autres instruments à harmoniques impairs : Do note fondamentale dit H1 très fort, puis Do en octave avec un H2 faible, puis un Sol avec un H3 mesuré haut, puis un Do encore avec un H4 faible, puis un Mi avec un H5 fort puis encore un H6 Do faible, puis un La# (H7fort), et encore Do (H8 faible), puis un Ré (H9fort) etc….

Mais d’autres instruments ont donc des harmoniques pairs. Lesquels ?

En effet si je joue un Do au saxophone qui a une perce conique, la fréquence est la même mais le son est différent car les harmoniques sont pairs et fort (1, 2, 4, 6 , 8.)… Le son du saxophone sera donc fondamentale Do (H1), Sol quinte juste (H2 fort), Do (H3 faible), Mi tierce majeure (H4 fort), Do (H5 faible), La# (H6 septième mineure forte, Do (H7 faible), Ré (H8 neuvième majeure forte)… ce qui fera un timbre pour la même note très différent. Ainsi les harmoniques pairs du saxophone ont des sons avec un timbre chaud alors que les harmoniques de la clarinette sont impairs et ont un timbre plus froid. D’autre part le saxophone possède une intensité sonore naturelle au moins double voire triple de la clarinette… c’est pourquoi un pupitre de saxophones dans un big band est redoutable pour les autres bois ! Benny Goodman, Artie Shaw, Woody Herman… jouaient 2 m devant leurs orchestres et dans l’aigu voire le suraigu pour se faire entendre ! Les hautbois et bassons ont aussi des sons à harmoniques pairs.

Nous les cuivres, nous avons des sons parfois chauds parfois sombres selon les instruments. Quelles sont nos harmoniques : pairs ou impairs ?

Les deux ! certains instruments ont des perces cylindriques comme les trompettes avec des sons brillants donc des harmoniques impairs et d’autres coniques comme les cors avec des sons plus sombres avec des harmoniques pairs. Un orchestre doit donc mélanger les timbres de ses instruments pour donner un son riche et global qui va avec la musique jouée. 

Et moi le percussionniste je fais aussi des sons ?

Dans votre harmonie, vous avez des cuivres mais aussi des percussions. Votre mission principale est de marquer le rythme essentiel en musique et aussi de cadrer les autres sur le même rythme mais vous produisez aussi des sons avec des instruments sonores comme le xylophone, le triangle, les cymbales, le gong  etc… qui eux aussi font des sons complexes. D’ailleurs un bon solo de batterie fait alterner les différents harmoniques de vos percussions. 



Q : je suis clarinettiste comme vous et j’ai entendu que les sons de la clarinette faisait des sinusoïdes carrées ! C’est une blague ou non ? Au lycée nous avons vu des sinusoïdes mais jamais carrées !

Pas du tout c’est vrai. On en déduit donc que toute onde peut être écrite comme une somme de sinus et de cosinus, de fréquences de plus en plus élevées. Par exemple, la note La 3 est la résultante d’une vibration de l’air à 440 cycles par secondes. Si nous décomposons cette onde (L’équation de Fourier nous donnent les intensités de chacune des fréquences qui composent le son et on appelle cela le spectre du son), on obtient la fondamentale représentée en une sinusoïde comme vous la connaissez, puis H3, H5, H7 qui ressemblent de plus en plus à une tour crénelée de château vaguement carrée. Plus on ajoute des ondes de hautes fréquences, plus on se rapproche de la sinusoïde carrée et plus le son est riche.

Le timbre est constitué de toutes les fréquences du son et l'oreille est capable d'identifier et de mémoriser les sons. Le timbre est donc très important. L’oreille va décomposer le son (comme le prisme décompose la lumière blanche en couleurs de l’arc-en -ciel : merci Newton ! ). Le cerveau analyse ce mélange de fréquences et d’intensité et va distinguer chaque instrument car certaines couleurs seront valorisées au dépens d’autres pour chaque instrument et cela pour un seul son.

Avoir une belle sonorité, un beau timbre de son est essentiel pour le musicien. Le clarinettiste va donc essayer et classer des dizaines d’anches pour trouver celles qui convient selon les jours ! Un obstacle perturbe évidemment le son et peut le dévier voire le disperser d’où ne pas trop bouger sur scène et s’éloigner du micro ! (Les micros fixés sur les instruments pallient plus ou moins ce problème) La répartition différente des fréquences dans le spectre sonore produit un timbre particulier et permet d’identifier d’où vient le son, la source sonore, l’instrument.

Comment travaille t-on pour avoir un beau son ? 

D’abord le souffle doit venir du ventre, qui permet en sortant d’ouvrir le diaphragme et la gorge. Mais la compétence d’instrumentiste à vent (les chanteurs aussi) est de contrôler parfaitement le souffle en faisant des notes tenues le plus longtemps possible mais régulières et c’est cela qui est difficile en gardant la note juste. Il est intéressant de travailler avec un accordeur électronique pour stabiliser le son. Puis ensuite jouer avec des sons doux ou fort dans une gamme.

L’autre exercice quotidien est de maitriser les nuances avec des sons filés du pianissimo au fortissimo mais régulièrement aussi puis faire des gammes ou une phrase musicale. Alfred Prinz clarinette solo au Philharmonique de Vienne à une master class supérieure à Salzbourg nous avait demandé en arrivant : « faites chacun l’un après l’autre une gamme musicale de Réb en tierces ! » Évidemment la plupart sont tombés dans le piège jouant le plus rapidement possible pour impressionner les autres…. « les gammes doivent être jouées comme du Mozart !» s’écria - t-il et on a tous travaillé pendant 3h toutes les gammes le 1er jour ! avec tous les timbres et sonorités, à toutes les vitesses, toutes les intensités, legato et détaché (sauf vibrato interdit!). G de Peyer autre grand professeur que j’ai eu, lui nous faisait tenir chaque son sans faiblir et sans que le son descende… maintenant on travaille la respiration circulaire… Pour tous les grands clarinettistes que j’ai connu, la maitrise du son était la 1ère qualité de l’instrumentiste. Sidney Bechet avait coutume et certains font encore cette ruse de tenir le même son longtemps pendant que l’orchestre joue le thème et le public adore à chaque fois !

 Plongée au coeur d'une academie-reconnue.html

Et le vibrato ? Quand je chante je l’ai naturellement et j’aime bien quand Pavarotti en rajoute une couche sur des notes tenues mais mon professeur au conservatoire me l’a toujours interdit quand je jouais de mon instrument.

Le vibrato comme son nom l’indique est une vibration, une oscillation légère de la fondamentale et sa vitesse et la largeur vont avoir des répercussions sur le timbre du son. Son amplitude est variable. Pour un La 3 à 440 Hz le vibrato léger sera de 5 Hz environ de part et d’autre soit oscillant entre 435 et 445 Hz par seconde . Evidemment le vibrato de certains, ont des oscillations plus importantes et le son devient instable, c’est souvent voulu mais parfois oscillant jusqu’au quart de tons, jusqu’à « chevroter ». 

Le vibrato est aussi une affaire de mode et de culture, et peut être ample ou rapide. Le jazz et les variétés utilisent le vibrato mais peu le classique sauf les violons et violoncelles qui vibrent certaines notes pour colorer et « faire chanter » le son. Jouer ensemble est donc difficile si vous faites du vibrato et si votre voisin qui double votre partie joue sans vibrato, vos fréquences, donc la hauteur de vos notes, ne sont pas exactement en phase. Vous devez travailler les sons en intensités différentes, mais avec ou sans vibrato, vibrato léger et vibrato plus ample, rapide et lent car selon les musiques vous en aurez besoin surtout si vous êtes en solo. Mais il ne faut pas confondre avec la trille qui va osciller entre deux notes. Ainsi par exemple sur un demi ton, le La3 à 440Hz oscillera de 25 Hz de part et d’autre entre le La3 et le Lab3, qui est à 415 Hz. Quand je commence à jouer le matin, j’ai un merle qui aime la compétition dans mon jardin qui trille bien et me nargue et remporte le challenge à chaque fois… 



Q: Donc des chants d’oiseaux sont pour vous des musiques avec le timbre d’un son plus ou moins riche ou pauvre en harmoniques. Je comprends pourquoi des sons de la nature sont appréciés dans la musique relaxante. Tout écologiste est alors un mélomane et inversement !

JDT : Je suis assez dubitatif sur votre dernière phrase ! Par contre beaucoup de musiciens ont été inspirés par les sons produits par des animaux. Ainsi Messiaen a beaucoup travaillé et a été inspiré par les oiseaux… En fait combiner des sons, constituer des bouts de mélodies, c’est faire de la musique. Ces chants sont composés de plusieurs notes de la gamme chromatique voire même de quarts de tons ! même intégrer des bruits…Le timbre est essentiel aussi pour les animaux. Ainsi des petits, dès leur naissance, vont reconnaitre malgré une multitude de leurs congénères au même endroit le son, « la voix » de leur mère grâce à son timbre spécifique. Mais selon les timbres et intonations tous les cris animaux constituent un langage et un comportement qu’ils doivent suivre (fuir, venir.)…La musique contemporaine, en voulant faire table du passé, va reproduire tous les sons naturels ou industriels, et électroniques pour faire une nouvelle combinaison des sons, une nouvelle grammaire avec des succès divers.

Festival de musique contemporaine de Royan

Vous avez répondu à notre demande et nous vous en remercions et vous avez bien parlé et simplement, alors une dernière question : quelle est la différence entre la parole et la musique ? Certaines phrases, certains accents ou personnes ont des phrases chantantes avec des timbres spécifiques voire envoutantes ou insupportables, et les récitatifs dans la musique classique sont parfois essentiels, ce sont des sons musicaux avec des fréquences alors ?

La parole est comme la musique, une combinaison de sons qui doit transmettre quelque chose (messages, émotions etc…) Pensez y quand vous jouez… ne pas faire succéder les notes écrites sur la partition sans vous concentrer dessus, y mettre quelque chose !

Nous avons tous en parlant une intensité sonore, des fréquences particulières de sons plus ou moins graves, un timbre particulier reconnaissable même au téléphone, un rythme ou un débit qui peut être plus ou moins rapide et saccadé (les imitateurs se régalent …) et une durée qui peut être un peu trop longue pour certains bavards n’est-ce pas ? En fait, nous n’entendons pas les mots séparés comme à l’écrit, nous percevons le sens d’une phrase par des groupes de sons et par l’utilisation des silences. En musique la note dépend de la note précédente et de la note qui va suivre et la phrase doit avoir un sens comme pour la parole et pas une juxtaposition de sons.

Les sons de la parole sont composés de phonèmes qui forment l’unité minimale de la parole. On ne peut pas diviser les 36 phonèmes du français qui sont classés en deux groupes : les voyelles et les consonnes, on ne peut que les combiner. Les consonnes sont des bruits produits par la bouche, les lèvres, la langue ; elles ont besoin de l’énergie des voyelles pour « sonner ». Comme pour la musique, chaque phonème est composé d’un spectre de fréquences, et les consonnes sont constituées surtout de fréquences aiguës. Ce qui fait que vous les entendez moins bien dès que votre audition baisse. Comme vous avez été attentifs, et pour vous détendre une petite anecdote sur l’écho : Au cours d’un diner, la discussion s’orienta sur l’utilisation de l’écho en musique et sur le phénomène de l’écho. Pour prouver que chez lui, il y avait un écho extraordinaire, il fit venir ses amis et chanta quelques notes… et l’écho répondit. Tout le monde était bluffé ! Puis continuant sur sa lancée il cria : écho, comment te portes tu ? et l’écho (le domestique caché au fond du jardin ) répondit : je me porte bien ! Comme il est temps de déjeuner, je pense à un cuisinier étoilé qui disait : tous les ingrédients avant tout doivent être de qualité séparément comme les sons de chaque note, puis cuit à part avec des intensités de chaleurs différentes pour magnifier et faire ressortir leurs saveurs particulières puis la recette ou la partition indiquent dans quel ordre vous allez les combiner : la note d’avant, la note d’après afin de faire un plat ou une phrase musicale…. mais l’orateur ou l’écrivain feront de même avec les mots.

Je vous remercie de votre attention et travaillez votre sonorité, c’est fondamental car n’oubliez pas que les sons sont votre matériau de base que vous devez sculpter comme le marbre ou combiner les nuances des peintures, des mots ou des aliments. C’est cela être un artiste !


mardi 20 juin 2023

Quizz 5 et anecdotes musicales véridiques



Pour faciliter vos siestes sur la plage, un peu de lecture, de détente et d’humour avec un petit quizz et des anecdotes musicales par José-Daniel Touroude.
Vous pouvez revoir le précédent quizz  : Le QUIZZ et pour les plus sérieux relire le conte de Noël pour clarinettistes pacifistes : Le conte de Noël pour Clarinettistes

Un conseil du grand William valable encore pour cette nouvelle année : « Méfiez vous de ceux qui n’aiment pas la musique, ils ont tous les défauts » (W. Shakespeare).

1°) Question : Je suis un jeune pianiste polonais surdoué montré dans tous les salons par mon maitre le baron Keiserling. A 10 ans, je fus l’élève du Cantor de Leipzig puis celui ci me composa en 1740 une aria pour clavecin avec 30  variations (une par jour sur cet air mais en utilisant différents styles avec un savoir-faire contrapunctique prodigieux afin que tous les soirs je puisse endormir le baron, mon maître insomniaque. Ces variations ont immortalisé mon nom (même si on n’a pas trouvé de dédicace). Qui suis-je ? 

Indice : 2 siècles plus tard un autre pianiste talentueux Glen Gould enregistrera ce morceau (notamment en 1955 et en 1981) et se fera connaître au monde entier. C’est facile pour les pianistes !

Illustration picturale.
Martin Luther.
Illustration musicale :


Réponse : les variations Goldberg BWV 988

Anecdotes musicales : Le jeune chanteur Dieter Fischer Diskau enregistrait du Bach avec Klemperer mais trouvaient les tempi trop lents. Mais comment le dire au grand Klemperer ?  il lui dit  alors humblement : "Maître, j'ai rêvé de Bach cette nuit et il m'a dit que vos tempi étaient un peu lents. " Klemperer ne répondit pas et la session se poursuivit sans accélération notable. Le lendemain, avant d'enregistrer, Klemperer fit s'approcher DFD et lui dit : "J'ai rêvé de Bach cette nuit moi aussi et il m'a dit qu'il ne vous connaissait pas."

2°) Question : Le chevalier John Taylor médecin anglais « spécialiste des yeux » a réussi à rendre aveugle deux des plus grands génies de la musique au XVIIIème siècle. Quels sont ces deux musiciens dont un devenu aveugle en est mort et l’autre est resté aveugle ?

Indice : ce sont deux compositeurs et musiciens allemands amis d’un autre allemand talentueux Telemann.

Illustration picturale.


Illustration musicale :


Réponse :  Haendel et JS Bach (qui est mort peu après cette opération).

Anecdotes musicales : JS Bach devait enseigner et faire passer les tests à des élèves et il n’aimait guère cela. Il n’avait pas toujours des élèves doués. Cela me rappelle une histoire. Au conservatoire le jury épuisé par une journée d’auditions appelle le dernier concurrent : « Et vous qu’allez vous nous jouer ? demande le Président du Jury. Le candidat répond "un mouvement perpétuel de ma composition". Le Président soupire : "perpétuel  ! pouvez vous plutôt nous jouer une valse minute?"

Rossini lui, n’était pas aveugle, mais une fois il joua du Wagner (qu’il détestait ) en massacrant la partition. Maestro dit un de ses élèves vous tenez la partition à l’envers. Je sais mais j’ai essayé dans l’autre sens c’était pire ! répondit Rossini.

La chanteuse et actrice Marlène Dietrich fermant ses yeux prise par les paroles de sa chanson, s’est cassé le bras lors d’un récital en tombant dans la fosse d’orchestre alors qu’elle chantait « I’ll never  fall in love again » 

3°) Question : Quel est le roi de France qui faisait des poèmes et des chansons, grand protecteur des arts et amateur de femmes qui composa « mes belles amourettes ». Il a gravé à Chambord cette phrase amère devenue célèbre : « Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie »

Indice : il protégea Guillaume Budet pour créer la bibliothèque nationale, ainsi que le poète Clément Marot, Benvenuto Cellini… et construisit de nombreux châteaux au bord de la Loire et à Fontainebleau. 

Illustration picturale.

"La vierge au rocher" : Léonard de Vinci.
Illustration musicale :

   Nana Mouskouri chante en 1979 ‘Mes belles amourettes.

 Réponse : François 1er.

Anecdotes musicales Le grand chef d’orchestre anglais Beecham dirigeait La Bohème de Puccini et indiqua qu’il n’entendait pas bien la chanteuse dans le rôle de Mimi qui agonisait sur sa couche. La chanteuse répondit : "vous croyez que c’est facile de chanter allongée ! » Sir Beecham répondit : "Ma chère, j'ai connu quelques uns de mes plus grandes réussites dans cette position."

Le duo d’amour de Tristan est long, très long et s’éternise… Toscanini soupire : si les héros étaient italiens, ils auraient déjà des enfants mais là ce sont des allemands …ils chantent encore !

Enfin le test  du mélomane : privilégiez vous quel sens : l’œil ou l’oreille ? « Le mélomane est l’homme lorsqu’il entend une femme chanter dans une salle de bain, s’approche du trou de la serrure et y colle seulement son oreille ». (Francis Blanche)

Pour vous dynamiser, relisez : Vivre vieux mieux grâce à la musique.
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samedi 8 avril 2023

Old musical instruments: knowing and dating. Instruments de musique anciens : Connaitre et dater ?

José Daniel TOUROUDE interview René PIERRE sur la parution du " dictionnaire des poinçons d'or et d'argent relevés sur les instruments de musique à vent français et belges ".

JDT : Pourquoi consacrer un ouvrage aussi important sur les poinçons d'or  et d'argent qui ne sont pas si fréquemment présents  sur les instruments de musique et à quoi cela peut-il servir à un collectionneur d'instruments à vent ?
Why devote such an important book to gold and silver hallmarks, which are not so frequently present on musical instruments? And what advantage is it to a collector of wind instruments?

Tout d'abord ce sujet n'avait jamais été abordé sérieusement et personne ne tenait compte de cette information qui peut parfois être précieuse pour dater l'instrument. Si je me suis intéressé à ce sujet, c'est parce que la présence de poinçons  sur les clés d'une flûte de Tulou m' a permis de résoudre une énigme. On pouvait lire sur les poinçons les initiales " PG ", ce n'était pas Pierre Godfroy,  comme le prétendait certain  mais Pierre Gautrot, information très importante qui m'a  permis  de comprendre et d'écrire cet article sur Tulou, Nonon et Gautrot :

First of all this subject had never been approached seriously and nobody took account of this information which can sometimes be invaluable to date the instrument. If I was interested in this subject, it is because the presence of Hallmarks on the keys of a Tulou flute allowed me to solve an enigma. You could read the initials "PG" on the hallmarks, it was not Pierre Godfroy, as some claimed, but Pierre Gautrot, very important information that allowed me to understand and write this article on Tulou, Nonon and Gautrot:

Poinçon de Pierre Louis GAUTROT 
1853













dimanche 5 mars 2023

Interview de 7 musiciens professionnels intermittents.....

 Interview de 7 musiciens professionnels intermittents

 ayant la passionde la musique, sans être passés par la voie des conservatoires.

par José-Daniel Touroude

 


Tous m’ont dit « La musique c’est notre vie, c’est la vie » 

Tous les hommes écoutent de la musique (à part ceux frappés d’amusie), vivant dans une ambiance musicale permanente (magasins, fêtes, pub, médias, disques…) et tous ont la capacité d’en faire et en ont fait (chansons de sa mère, dès l’école la flûte à bec et le xylophone, rythmes du corps et les danses, hymne national dans le stade ou chant sous la douche…)

L’homme a peur du silence, parce qu’il est un être d’émotions et la musique est un bon support, parce qu'il est aussi un esprit abstrait et la musique peut créer intellectuellement de grandes joies et la musique relie les hommes dans une même culture identitaire.

En Occident, la musique classique a évolué et ne sert plus pour danser ou s’exprimer en groupe mais devient compassé, figé dans un concert où on ne peut plus bouger et participer sans avoir la réprobation des autres. Le concert est un marqueur social, quasi religieux, on s’habille et on écoute la musique sérieusement, conscient de faire partie d’une élite. La boite de jazz c’est l’inverse comme les festivals de musique populaire assez festifs, et de ces deux conceptions de la musique, les musiciens ne seront pas les mêmes souvent. Mais si les hommes ont besoin de musique pour accompagner leurs vies, la majorité sont passifs seulement à l’écoute. Ils ne participent plus et sont devenus des observateurs laissant à d’autres d’être acteurs.

 Ainsi certains sont actifs et pratiquent plus ou moins la musique avec un instrument. On peut classer ces musiciens en 3 catégories : d’abord les professionnels issus des conservatoires nationaux qui jouent dans les orchestres les plus prestigieux surtout du classique, puis ceux qui sont intermittents professionnels qui jouent différentes musiques et cet article leur est consacré et enfin il y a la grande majorité d’amateurs dont c’est le hobby et qui s’expriment pour leur plaisir et le plaisir des autres bénévolement.

Nous avons traité la première catégorie en plusieurs articles " Qu'as tu fait de tes talents "

puis « Analogie entre les musiciens professionnels et les sportifs de haut niveau.  » 

enfin «  Plongée au coeur d'une Académie US » 

Certains musiciens, ayant eu une formation moins élitiste et linéaire, m’ont demandé aussi de raconter leurs parcours. Nous avons donc échangé avec ces musiciens passionnés, souvent aussi doués mais différents, aussi méritants mais souvent avec une autre psychologie. Ils ne sont pas autodidactes, ni passés par le moule des conservatoires régionaux et nationaux pour de multiples raisons mais ils sont devenus quand même des professionnels talentueux dans des musiques souvent différentes que la musique classique.

Les trois thèmes abordés ont été les suivants :

1)    Est-ce que votre milieu social était composé de musiciens/mélomanes ou non et quand s’est produite la découverte de votre passion musicale et vos débuts d’apprentissage ?

2)    Comment s’est déroulé les débuts de votre carrière et votre vie de musicien, professionnel intermittent ou « semi pro » cumulant ou non avec une autre activité ?

3)    Quelles sont les relations avec les musiciens classiques issus des conservatoires régionaux et nationaux et vos réflexions sur la musique et/ou votre vie musicale ?

Et choisissez un morceau de musique qui a du sens pour vous.

Laissons les musiciens s’exprimer franchement :

A : Personne ne jouait, ni n’écoutait de la musique chez moi et il n’y avait même pas de disques, seulement la radio de temps en temps pour des variétés.

Mes premiers contacts avec la musique fut l’harmonie municipale. J’y suis rentré gamin pour le prestige du défilé en uniforme, pour participer à tous les évènements importants de ma ville, pour avoir les applaudissements du public etc… Mais surtout ce qui m’impressionnait, c’était de jouer beaucoup de musiques différentes, souvent de la musique enlevée, de l’opérette, la musique de film, des airs à la mode, jazzy, latino... Et puis l’harmonie c’était un groupe, une ambiance conviviale où nous fêtions Sainte Cécile la patronne de la musique, des repas ensemble, une entraide d’un groupe amical et soudé dans la vie avec des ainés qui transmettaient ce qu’ils savaient bénévolement à des jeunes et qui à chaque fois avaient un plaisir évident de jouer ensemble mais avec discipline (il y avait des anciens militaires !)


Je voulais faire du saxophone mais tous les gamins voulaient en faire, le chef m’ausculta les lèvres et m’indiqua que je n’avais pas les lèvres minces d’un hautboïste, ni les lèvres normales d’un clarinettiste ou d’un saxophoniste mais des lèvres un peu ourlées bonnes pour les baisers ! et le tuba. (En fait après coup, j’ai su qu’ils avaient besoin d’urgence d’un tuba !) Donc j’ai appris le tuba tous les jours avec un vieux musicien qui m’a transmis tout ce qu’il savait et que j’ai vite remplacé et surprise, je me suis passionné pour les basses et rapidement j’étais devenu incontournable à chaque prestation.

Mes parents étaient fiers de me voir à chaque concert, car être musicien amateur pour les milieux ouvriers d’une petite ville était la marque d’une ascension sociale surtout quand l’harmonie se concentra sur les concerts et créa dans son sein, une section fanfare inaugurant et défilant à toutes occasions mais aussi un orchestre de bals où j’étais aussi le bassiste. Rappelons que la fanfare est composée de cuivres et percussions et l’harmonie plus large rajoute les bois à la fanfare.

En effet passionné par les cuivres et les basses, dès le collège, je travaillais 2h par jour plus toutes les prestations. J’aimais bien déchiffrer toutes les partitions des uns et des autres. J’étais un initié sachant lire les notes et qui avait un sens du rythme, une énigme incompréhensible pour ma famille ! Mais ce que je préférais, c’était de faire les relevés des parties de basses aussi bien des morceaux classiques que de toute musique d’ensemble. J’ai appris aussi beaucoup tout seul.

Rapidement avec la pratique intensive au tuba, à 15 ans j’ai gagné mon premier cachet et il fut consacré à l’achat un électrophone avec un disque du grand Chaliapine et un disque de Gerry Mulligan ! J’ai fait des stages chez un bon musicien qui me donnait chaque année un programme à travailler, des partitions de solos, des corrections de mes pratiques parfois originales.

Je devins donc dans mon harmonie le spécialiste des basses à vent et de la section rythmique : tubas, ophicléide, saxhorn, soubassophone (toujours spectaculaire et impressionnant), et même ponctuellement pour rigoler et cela faisait toujours son effet un serpent (j’en avais découvert un aux puces qui jouait plus ou moins juste). J’enchainais rapidement les cachetons d’orchestres de variétés, de jazz, de musiques diverses, maitrisant de plus en plus des instruments demandés dans les orchestres de cuivres, des fanfares, des orchestres divers. J’avais au moins 3 orchestres de styles et d’instruments différents en permanence d’où des problèmes pour assurer ! J’ai tout de suite compris que de choisir une famille d’instruments rares et incontournables était la bonne stratégie et allait me propulser dans la vie de musicien professionnel.

J’étendis ainsi mes instruments pour être un bassiste demandé régionalement et je me suis mis ainsi à la guitare basse pour les orchestres à la mode pop, rock, jazz…   Pour moi la musique c’était les basses, la clé de fa, l’analyse harmonique de la basse etc… un ami acousticien m’a indiqué que j’étais en phase avec les basses fréquences. D’ailleurs j’apprécie surtout le violoncelle, les barytons, le basson et les basses chantées comme instrumentales. Et tout naturellement en jouant sans cesse, j’ai appris mon métier de musicien sur le tas, enchainant des bals, les concerts, les boites de jazz avant de finir péniblement le lycée car je dormais peu. J’étais l’artiste local, je jouais tous les samedi soir pour des bals, des concerts avec l’harmonie, une boite de temps en temps et je faisais la saison l’été dans une brasserie sur les bords de mer tous les soirs. Je faisais déjà plus que les 507 h de cachets obligatoires par an actuellement pour bénéficier du statut d’intermittent !

Je gagnais plus d’argent que mon père ouvrier au smic, j’étais sur scène et valorisé, les filles admiratives et accessibles surtout quand on jouait avec leurs idoles car j’ai intégré rapidement des orchestres plus célèbres accompagnant des « stars ». Je ne me suis jamais posé des questions : j’étais un jeune et bon musicien expérimenté et pas du tout impressionné, même si mon niveau technique était moindre, par des étudiants du conservatoire national qui enchainaient les concerti mais à 20 ans, j’étais doté d’une expérience solide, rompu aux scènes diverses et aux prestations musicales en tout genre ! Cela correspondait à mon caractère car je soutenais les solistes (mais en faisant aussi des impros en solo) tout en étant indispensable. Pour moi la vie était tracée : je serai musicien dans un rôle de bassiste, ce qui me comblait.

Et puis peu à peu reconnu, j’ai « bouché les trous » et j’ai appris en fait ce qui me manquait en harmonie, déchiffrage rapide. Grace à ces efforts, j’ai fait quelques incursions avec les musiciens d’orchestres symphoniques et de l’Opéra, les « requins » des studios d’enregistrement pour des disques de variétés, pour faire des musiques de film et de publicité et même fait quelques remplacements en orchestre pour jouer de la musique d’avant-garde ouvertes. Mes réflexions sur mon métier, la passion et faire ce qu’on a envie, et choisir la convivialité avec des collègues-amis, et de donner du plaisir… jamais je n’ai eu envie d’abandonner ce métier car je me suis bien amusé et jamais ennuyé. Parfois c’est dur car les contrats ne s’enchainent pas facilement ou ils arrivent en même temps !  Heureusement le statut d’intermittent permet de réguler un peu cet état de fait. Il faut être polyvalent et flexible, s’adapter à toutes les occasions, accompagnant toutes sortes de musiques et de solistes et parfois ce sont de vrais défis car certaines « stars » ne savent pas chanter en mesure ou respecter les grilles d’accords ! J’ai beaucoup voyagé en France d’abord puis un peu partout (les clubs de vacances, les croisières…) et j’ai connu beaucoup de musiciens de tous niveaux et j’ai engrangé des souvenirs par centaines. Je vais prendre ma retraite prochainement mais je vais continuer à jouer…. 

Mon projet est de former des jeunes dans des stages, car je ne l’ai jamais fait, occupé à cachetonner toute ma vie, afin de transmettre moi aussi mon expérience et le goût des basses comme on me l’a transmise quand j’étais jeune et transmettre aussi la passion de la musique que je porte toujours en moi. Et puis j’ai envie d’apprendre à jouer du basson que je ne connais pas et de jouer du baroque !  « vous avez dit bizarre … »

 B : Toute ma famille écoutait de la musique classique et chantait en chorale et certains étaient de bons musiciens. J’ai donc vécu tous les jours dans une ambiance musicale de qualité. Moi je suis une clarinettiste. J’ai toujours voulu en jouer depuis mon enfance quand j’ai entendu le concerto de Mozart et Piccolo saxo et Cie ! 

J’ai commencé par le solfège et la flûte à bec à l’école de musique puis enfin la clarinette.

Puis à l’adolescence, j’ai découvert les clarinettistes de jazz en lisant la rage de vivre de Mezz Mezzrow avec une passion pour Benny Goodman, Barney Bigard, Hubert Rostaing. Je n’avais pas fini mon parcours de 3ème cycle au conservatoire et la technique me manquait encore pour jouer comme eux ! Alors j’avais le choix, comme mon ami, de reprendre des études classiques afin de maitriser mon instrument et de m’enchainer les morceaux de concours, les concertis de Weber, Copland, Debussy etc… et de jouer ponctuellement aussi du jazz pour me détendre.

 Après Sabine Meyer, Sharon Kahn, mon modèle a été Anat Cohen prouvant que les femmes peuvent rivaliser avec les meilleurs mondiaux. J’ai décidé d’apprendre aussi sur le tas ! Mon ami est devenu un vrai clarinettiste classique (et nous jouons les 2 trios de Mendelssohn en concert parfois !), mais moi j’ai bricolé dans l’éclectisme passant du latino (quand j’ai découvert Paquito de Rivera) et la bossa de Jobim, essayant du klezmer (plus Berrot que Krakauer), puis des variétés, de la musique tzigane et des balkans, jouant souvent du jazz manouche enfin la musique du monde quoi.

C’est toujours la même chose et dans tous les métiers : on est soit généraliste, curieux et touchant à tout, soit spécialiste se concentrant sur un niveau d’exigences maximum sur un répertoire limité. Moi j’ai préféré aborder toutes les musiques qui m’interpellaient. Des amis ayant la même conception sont en plus poly-instrumentistes. Est-ce que je suis une clarinettiste ? Oui mais en entendant M. Fröst, P. Meyer, N. Baldeyrou etc… et beaucoup d’autres, je suis admirative et modeste. Heureusement j’ai fait un autre métier (mais pas dans la musique !) même si j’ai joué dans ma vie « en semi pro», j’ai gardé mon envie de jouer, ce qui est pour moi fondamentale, car j’ai vu des professionnels blasés qui n’aimaient plus la musique, en overdose !

Je pense que je jouerais toute ma vie, retraite comprise, de la clarinette car c’est ma passion. Je joue souvent dans un quatuor de clarinettes. Par contre, j’ai refusé de passer au saxophone pour cachetonner car la clarinette n’est plus à la mode pour les musiques nouvelles et le jazz moderne. Je travaille en ce moment que des transcriptions pour clarinette des partitas et suites de JS Bach, mais aussi du Buddy de Franco et Eddie Daniels et Anat bien sûr.  


C : Pour moi cela relève presque de la psychanalyse ! J’avais un oncle qui était trompettiste amateur doué et qui est décédé jeune et ma famille vivait dans son souvenir avec la trompette trônant dans le salon dans une vitrine. Et cet instrument quand j’étais enfant me fascinait. Quand mes parents travaillaient, et que je restais seul, je sortais la trompette et je soufflais dedans et à ma grande surprise des sons en sortaient ! j’ai tâtonné seul, essayant de reproduire certains airs à la mode. Une fois mes parents m’ont surpris, j’ai reçu une gifle d’avoir profané le souvenir de mon oncle et le lendemain après une dispute entre mes parents, on m’a demandé de rejouer. Mon père était en larmes revoyant son frère décédé, ma mère plus pragmatique m’a dit qu’à la rentrée elle m’inscrirait à l’école de musique et que j’avais intérêt à travailler pour faire honneur au trompettiste disparu et à entretenir son instrument - relique.
Ce jour-là j’ai compris que jouer pouvait générer des émotions (c’est la seule fois que j’ai vu mon père pleurer), qu’il fallait travailler pour jouer correctement (et ma mère suivait mes progrès tous les jours comme pour les devoirs d’école), et que la musique serait un fil rouge, une passion dans ma vie quand j’ai entendu mon prof jouer au cornet Singing The Blues de Bix Beiderbecke, quel choc ! et quand il m’a prêté un disque de Maurice André jouant du baroque, autre choc. Au lycée nous avions monté un orchestre de jazz et je suis devenu trompettiste de jazz avec les bases apprises à l’école de musique locale mais j’ai progressé surtout à l’oreille « à la feuille » et non en déchiffrant des partitions. J’aimais improviser en suivant mes modèles Satchmo, Chet Baker, Bix etc… une faim insatiable pour tous les trompettistes de jazz où je reprenais toutes leurs impros et puis « monté » à Paris, j’ai rapidement passé mes nuits à jouer dans les boites de jazz et à gagner ma vie délaissant ma vie d’étudiant.

Je devins donc intermittent et jazzman et j’ai joué avec des bons musiciens de jazz que je pensais autodidactes (cela fait partie du mythe ! mais en fait, ils avaient une solide formation musicale, pas conventionnelle certes, mais réelle enchainant les grilles d’accords complexes, les patterns…) dans des endroits selects et dans des endroits miteux, avec des publics mélomanes qui appréciaient mes solos et d’autres ignares mais c’est la vie de musicien… Après plusieurs années de cette vie que j’appréciais, j’ai exercé en parallèle un autre métier car je ne pouvais pas faire vivre ma famille qu’avec la musique mais je cachetonne encore souvent et c’est bien ainsi car je joue toujours avec plaisir à chaque prestation. Mes réflexions : je regrette de ne pas avoir travaillé mon instrument sérieusement mais socialement modeste et dans une petite ville de province, je n’ai pas eu les conditions optimales. Ainsi il y a eu un plafond de verre qui m’a empêché de faire du studio, de la musique de film, de rentrer dans des orchestres plus prestigieux, d’enseigner etc…

Mes enfants par contre ont fini le conservatoire régional et le comble, c’est qu’ils sont arrivés à un niveau supérieur, me dépassant techniquement mais ils ne veulent jamais devenir musiciens professionnels, jouer seulement pour le plaisir du baroque mais pas de jazz !  (Overdose familial ?) A la maison c’est Bach ou Telemann contre Miles ou Dizzy ! 


D : Je viens d’un milieu aisé où la musique classique était omniprésente, concert à la radio puis à la TV, disques avec la chaine Hi-Fi dernier modèle qui trônait dans le salon, le piano de ma mère, la flûte de mon père et leurs sonates… je crois que je connais l’essentiel du répertoire flute/piano ! et j’avais droit à quelques festivals de musique classique l’été.

Moi j’étais un enfant un peu rebelle et l’école de musique avec le solfège m’ennuyait, la flûte douce à l’école et le classique ne m’attiraient pas ! Mes parents voulaient que je joue du violon ou du violoncelle ! moi du saxophone ! pour eux, seule la musique classique comptait et s’arrêtait à Debussy et Ravel. En réaction, moi j’écoutais en douce chez un ami Lester Young et Coleman Hawkins.

J’ai donc suivi au conservatoire municipal la classe de clarinette car le saxophone n’était pas alors enseigné mais le professeur m’avait dit que je passerais vite au saxo plus facile !!  J’ai appris donc la clarinette pendant plusieurs années et avec un ami qui avait un saxophone soprano, nous avons monté un orchestre et repris les duos Bechet/Mezzrow, puis plus tard Luter/Bigard… et on a commencé à cachetonner. Plus tard, j’ai acheté un ténor d’occasion Selmer mark 6, et j’ai appris comme j’ai pu le saxo en transférant mes connaissances de clarinettiste et écouté et joué du jazz toute ma vie !

Je suis devenu donc saxophoniste jouant du soprano, alto, ténor, baryton un peu en autodidacte au départ. Mes parents me faisaient écouter « pour me former ou me rééduquer ? » M. Mule et Deffayet en classique et leurs quatuors de saxophones, mais moi je jouais du jazz en stages et en boites. J’apprenais l’harmonie pour lire les grilles du répertoire des standards. Ce qui m’attirait, c’était les musiciens de la West Coast, la Bossa de Jobim avec Stan Getz, m’inspirant selon l’époque de Dexter Gordon, Desmond, Mulligan, bien sûr Parker et Coltrane etc…J’ai cachetonné toute ma vie avec mes Mark 6, je suis intermittent et j’aime cela, et j’ai accumulé beaucoup de souvenirs… quand je vois des jeunes sortant de la classe de saxophone du conservatoire de Paris, ayant fait la classe de jazz avec une technique éblouissante, je me sens expérimenté certes mais j’aurai tellement aimé faire ce parcours mais à mon époque cela n’existait pas.

J’ai assez peu rencontré des professionnels ayant fait « la voie royale », nos mondes ne se croisant pas. Ceux qui ont fait du studio d’enregistrement, des musiques de film le peuvent mais moi je suis un jazzman avant d’être un technicien virtuose de mon instrument et de la musique (déchiffrage rapide et transposition). 

E : La culture de ma famille tournait autour des sports ! la musique était peu présente sauf à la radio avec de la variété et mon père aimait, comme De Gaulle, les marches militaires !

J’étais en vacances au bord de mer et j’écoutais de la musique sans penser à en faire activement. Jeune adolescent j’étais fasciné par deux choses : les filles sur la plage et un orchestre de variétés qui faisait les bals et qui jouaient à une terrasse de café. Je passais mon temps à les écouter et un des musiciens s’aperçut que j’étais toujours devant la scène, à l’écoute, passionné avec un air extatique ! et il devint mon mentor. Tous les jours pendant deux mois, j’assistais aux concerts, bals, puis répétitions et ce qui me fascinait, car ils jouaient toutes les sortes de musique (latinos, jazzy, variétés langoureuses lors des thés dansants des séniors au Casino, bals le soir pour les ados avec les airs à la mode avec tous les rythmes.)

C’est le rythme qui me fascinait. Et mon mentor m’a appris le solfège en se promenant tous les jours sur la plage en faisant des pas réguliers métronomiques et à chaque pas en intégrant blanches, noires décomposant croches, doubles, triolets, syncopes, contre - temps etc… et comme il adorait marcher, je me suis avalé les rythmes de plus en plus complexes en marchant et en chantonnant avec lui ! On nous prenait pour des originaux ! et à la fin de la saison je suis devenu batteur, portant surtout le matériel, de concerts en bals, mais accompagnant parfois des slows, des rythmes et morceaux simples. Et je me suis aperçu que j’atteignais mon deuxième objectif : les nanas ! A la rentrée j’étais inscrit en percussions au conservatoire local et je me défoulais dans le garage avec mes disques et la batterie… chose bizarre les voisins avaient une certaine indulgence, mais j’ai toujours joué en mesure naturellement. « J’avais le rythme dans la peau » selon la formule maintes fois répétée.

En fait par l’expérience, j’ai appris le solfège, entendre les grilles harmoniques d’accords et écouter les autres, être à l’aise sur scène et me familiariser avec d’autres percussions etc… Puis j’ai vu en concert les percussions de Strasbourg en musique moderne, et des batteurs de Jazz, surtout Kenny Clarke ! le pied ! Alors j’ai décidé que je serais musicien après le bac ! Puis j’ai intégré différents orchestres, petits et grands. J’ai joué avec des musiciens « sérieux » provenant des conservatoires, ce qu’on appelait la voie royale. Tout ce qu’apprend un musicien dans les conservatoires par des professeurs réputés, nous on l’apprend sur le tas, et si on déchiffre moins bien, on a d’autres qualités, l’oreille, mais surtout l’improvisation qui est trop délaissée (à part les organistes) alors qu’elle était le fondement de tous les grands musiciens classiques : Bach, Mozart, Beethoven etc…

Et puis il y a la diversité de toutes les musiques rythmées…rien qu’avec la musique latine on a quoi faire ! J’ai étendu mes compétences dans différentes percussions notamment le xylophone. J’aime toutes sortes de musiques, aucune n’est mineure si le rythme est présent et varié, par contre j’exècre la boite à rythmes des orgues portatifs. J’ai enseigné aussi en école de musique et fait beaucoup de musique contemporaine.

Actuellement je suis en fin de carrière mais je joue encore souvent, pour cachetonner bien sûr mais aussi pour le plaisir de montrer aux jeunes ce que papy fait avec une batterie.


F : Mon père était professeur de maths au lycée et musicien amateur. Il m’a appris très jeune le solfège comme les maths tous les jours ! Glen Gould jouant Bach tournait en boucle puis il m’a inscrit enfant au cours de piano et en parallèle j’ai été recruté dans une chorale réputée d’enfants catholiques qui enchainait les concerts avec une vie musicale stricte et professionnelle. On me prédisait un avenir de musicien.

Puis à l’adolescence j’ai mué (heureusement quelques siècles avant on m’aurait castré !). Le répertoire de Chopin (qui était obligatoire pour ma prof) m’ennuyait un peu car moi je voulais jouer de l’orgue portatif et accompagner les autres solistes, chanteurs (euses), poètes, musiciens de tous genres, jouer en groupes…. A l’adolescence, j’ai arrêté le piano et le chant classique mais j’ai eu en cadeau, le plus beau de ma vie, un orgue portatif d’occasion d’un bon professionnel avec des boites à rythmes … le nirvana ! J’ai donc travaillé les possibilités de mon instrument seul, ponctuellement avec des musiciens, en stage aussi, et surtout en jouant sans cesse car je n’ai jamais arrêté d’accompagner, d’animer…En fait avec un orgue on n’a pas besoin obligatoirement de jouer avec d’autres car je chantais aussi les chansons, pas la musique sacrée apprise jeune mais les variétés.

Puis on arrive à des limites et j’ai repris en fait des études musicales de façon discontinue en croisant le programme des études classiques de conservatoires (gammes, arpèges, harmonie, rythmes, phrasé, etc…) car en fait, même si on prend des chemins de traverses, on retombe sur l’enseignement rationnel des conservatoires et on arrive peu ou prou au même résultat.

En fait je suis convaincu que l’on peut être un bon musicien soit en suivant la formation initiale des conservatoires avec des études rationnelles rapides et rébarbatives mais efficaces et valables si on est docile (car motivés nous le sommes tous), soit en formation continue par expérience et en alternance si on est un peu plus rebelle et si on privilégie de jouer sur scène avant la maitrise de son instrument ! et si on aime d’autres musiques que le classique. Mais à 30 ans nous avons sensiblement les mêmes niveaux même si nos voies pour y arriver ont été différentes mais uniquement pour toutes les musiques (car la musique classique et contemporaine demande des efforts plus importants.) J’adore jouer des variétés, du latino, des standards de jazz, de la musique de film…. J’ai eu plusieurs orchestres de variétés car en fait les musiciens comme nous, ce n’est pas le niveau, les émotions transmises qui nous différencient avec les musiciens classiques mais surtout le style de musique. Je peux jouer toutes sortes de musique mais pas les concertos difficiles au piano ! Nous faisons le même métier mais pas la même musique.

G : « Moi je chante soir et matin, je chante ça m’fait du bien …. et ma vie est émaillée de chansons. Je suis issue d’une famille où la musique se résumait aux variétés chantées.

J’ai donc commencé à chanter « comme un rossignol disait ma mère), gamine, les chants des idoles de mes parents. Comme je chante juste naturellement, même a capella , ayant l’oreille absolue, on a décidé que j’avais un don et que je n’avais pas besoin d’aller à l’école de musique faire du solfège et chanter des airs d’opéras ! donc je suis une véritable autodidacte au départ, faisant tout à l’instinct et à l’oreille et j’ai une excellente mémoire me permettant d’avoir un répertoire étendu. J’adore l’émission de Nagui « n’oubliez pas les paroles » car je retrouve « des sœurs de chants ».

Et puis au collège notre prof de musique, qui m’avait entendue lors d’une fête et qui dirigeait une chorale, m’a prise en main. Quel décalage avec un motet de Palestrina ! j’imitais à l’oreille sans être capable de lire une partition. Elle me faisait entendre des vraies chanteuses classiques mais leurs vocalises ne m’attiraient pas (sauf le concerto pour une voix de Saint Preux que j’ai chanté pendant longtemps) et puis il y a eu les chanteuses de Jazz et le Gospel ! les double six, les swingle singers…chantant du Bach comme modèles à imiter. Ma voix était belle, pure, naturelle mais je ne travaillais pas. Ma prof consternée me répétait : « quel gâchis ! » ce qui était peut-être la vérité mais pas stimulant ! J’ai donc appris un peu les bases de la musique sans enthousiasme et j’ai chanté dans des groupes de variétés les airs à la mode surtout dans les bals et fêtes diverses avec plaisir.

J’ai chanté des cantiques, des arias à l’église avec orgue, chanté lors des mariages avec l’incontournable Oh happy day et des services funèbres avec the Upper Room en Gospel. A chaque évènement je poussais la chansonnette et comme je chantais un peu de tout, je m’adaptais aux demandes du public sans efforts du petit vin blanc à Barbara, de la bohème d’Aznavour à l’aria de Bach, du besame mucho pour les anniversaires de mariage etc… et c’est la variété de la musique qui me plaisait, le coté naturel, sans travail technique. Je demandais rarement un cachet mais « le chapeau » (où le public donnait la somme qu’il voulait selon sa satisfaction, ce qui est plus conforme à ma conception de la vie de musicien.) En fait je n’arrêtais pas et je n’ai jamais eu la sensation de travailler, ni de me forcer à jouer. Puis comme beaucoup de femmes, j’ai consacré ma vie à ma famille, j’ai limité les prestations en public, mais je me suis intéressée à d’autres musiques à savoir les lieder de Schubert et de Schumann, à quelques airs d’héroïnes d’opérettes puis de Mozart toujours en imitation, à l’oreille surtout, et bien sûr des airs entendus à la radio…  

Je suis surprise que tu me demandes de raconter ma vie car pour moi je ne suis pas une musicienne de métier, n’ayant aucun diplôme, j’ai été une chanteuse de variétés. Je ne peux pas me passer de chanter, c’est plus fort que moi, et encore souvent en public. Pour moi la musique est avant tout de transmettre des émotions diverses et j’ai un répertoire varié et étendu pour les illustrer toutes.

Mes enfants sont grands et je suis devenue intermittente car je m’accompagne à la guitare et je joue souvent pour égayer et animer les maisons de retraite ! c’est un public tellement attentif car les chansons jouées rappellent leurs souvenirs, leurs amours, leurs chagrins… et puis je chante depuis longtemps dans une chorale de gospel, chanter en groupe et faire des concerts, chanter encore et encore…. A toutes les périodes de ma vie, des musiques différentes m’ont accompagnée. En ce moment, c’est Oum Khalsoum une des plus grandes avec Ella et La Callas bien sûr ! pour moi la musique c’est la voix, c’est la vie.

Illustration musicale choisie : The man I love avec Billie Holiday car c’est en chantant cela sur scène que j’ai accroché l’homme de ma vie ! et rituel familial obligé, je lui chante à tous ses anniversaires

 

Si certains ont des expériences différentes, ils sont les bienvenus pour continuer cet article