Interview de Jose-Daniel
Touroude
par René Pierre
(Tous
nos remerciements à Denis Watel pour
la relecture de cette réflexion et de nous avoir montré sa superbe
collection de petites clarinettes qui mérite un autre article)
Quel
est l’historique des petites clarinettes ?
La
clarinette a été inventée par Denner vers
1700 à Nuremberg en perfectionnant le chalumeau. Il existait plusieurs sortes
de chalumeaux, de longueurs et de tonalités différentes, qui étaient utilisés
par la musique populaire mais aussi par les compositeurs comme Vivaldi, Telemann, Graupner, Haendel,
Rameau … Ces
musiciens et bien d’autres après vont utiliser la clarinette qui apparaît dans
les orchestres dès 1710. Les
chalumeaux ont continués à coexister avec ce nouvel instrument qu’était la
clarinette puis vont disparaître, au fur et à mesure du perfectionnement de la
clarinette.
chalumeaux aux tonalités différentes copies
de chalumeaux anciens du facteur et clarinettiste Gilles Thomé qui joue dans des orchestres baroques |
Comme
les mêmes facteurs fabriquaient les chalumeaux et les clarinettes, il a été
logique qu’ils créent des clarinettes de longueurs et de tonalités
différentes notamment la
clarinette en Ut pour jouer avec les autres instruments qui sont souvent de
cette tonalité et la
petite clarinette en Ré qui fut aussi rapidement réalisée à cause de son timbre
aigu et qui remplaçait la trompette en Ré fort utilisée (d’où le nom de
clarinette : clarino = petite trompette). Les
facteurs de cette époque étaient rares et sont localisés en
Allemagne : Denner père et
fils, Scherer, Oberlender, Zencker…, Rottenburg en Belgique, Boekhout aux Pays Bas, Friderich à Prague … puis la facture de
clarinette va s’étendre plus tard vers l’Autriche, l’Angleterre et la France.
La
clarinette, malgré ses imperfections, va rapidement trouver sa place dans
l’orchestre vu son timbre nouveau et particulier, mais aussi comme instrument
soliste avec les premiers concertos (Rathgeber
en 1728, Paganelli en 1733… ) et les
premiers virtuoses qui commencent à sillonner l’Europe. La
clarinette va aussi s‘implanter dans la musique de chambre prisée par les
aristocrates et les bourgeois (par exemple les trios de Kölbel avant bien sûr Stamitz
et l’influence de l’orchestre de Mannheim qui a eu tant d’impact sur le
jeune Mozart).
L’entrée
de la petite clarinette dans le répertoire musical a débuté par des traits en
orchestres avant une consécration car entre 1745 et 1755, J.M. Molter écrit 6 concertos pour
clarinette en Ré sur le modèle des concertos grosso de Vivaldi et ce sont parmi
les premiers concertos pour clarinette, toujours joués actuellement. Mais
la clarinette va devenir rapidement aussi un instrument pour les musiques des
armées et ceci va entraîner sa diffusion à travers les pays vu les guerres
incessantes en Europe.
Avec
les démobilisations des clarinettistes survivants, les orchestres villageois vont
s’enrichir de ce nouvel instrument.
Quel
est le rôle des petites clarinettes dans la musique militaire ?
Son
rôle est essentiel. La musique militaire l’utilise abondamment mais il faut
revenir à un point d’histoire fondamental.
La guerre de Sept Ans (1756-1763) est une
guerre mondiale qui a ravagé l’Europe, l‘Amérique du nord et l’Asie et qui a
modifié l’équilibre géopolitique des pays concernés.
La
connaître est essentiel pour comprendre l’histoire postérieure du monde mais
aussi pour la clarinette ! En effet pour entraîner les armées aux combats
incessants et meurtriers, la musique militaire devient incontournable. Il
faut savoir que les musiciens des régiments étaient souvent des gagistes, c’est
à dire des contractuels qui passaient de régiments en régiments selon la solde
et quelque soit le pays ! (il n’était pas rare de trouver des collègues et
amis dans les musiques de tel régiment, se trouver plus tard ennemis face à
face au combat ! ) De plus le renversement des alliances de cette guerre
et la multiplicité des batailles dans de nombreux pays va diffuser la
clarinette à travers l’Europe.
Après
la guerre, vu la ruine de tous les pays belligérants, les musiciens et les
facteurs d’instruments vont émigrer à la recherche de travail. Or la France,
malgré la guerre ruineuse est un grand pays, le centre culturel mondial aux ressources
importantes et la France est curieuse de ce nouvel instrument. Ceci
va entraîner l’afflux de musiciens, civils et militaires, et de facteurs
allemands notamment de clarinettistes. Cet instrument va être copié par les
facteurs français puis se généraliser rapidement dans les armées françaises,
dans les orchestres villageois, dans les orchestres symphoniques. A
la fin du 18ème siècle lors de la révolution française et de
l’empire, la France comptera énormément de clarinettistes (Napoléon 1er
et les 1000 clarinettistes de son armée !)
Collection Jean Luc Matte.
Et dans
la musique populaire ?
Dans
certains orchestres populaires (harmonies, bandas … ) la petite clarinette
trouve aussi sa place notamment dans la musique bretonne, la musique italienne surtout
à Venise.
La facture française va aussi exporter beaucoup en Espagne et en
Amérique du sud la petite clarinette Mib qui sera appelée «Requinto» utilisé par les « piteros »
dans la musique folklorique et qui privilégie le registre aigu et qui est
toujours accompagné d’une caisse claire.
Piteros espagnols.
Collection D. Watel.
Quelle est la définition des petites clarinettes, les
différentes tonalités ?
Dans
le Lavignac par exemple, les
clarinettes de La à Mib sont des clarinettes "sopranos" et celles de
Fa à Lab aigu comme clarinette "piccolos".
Au
18ème siècle, les clarinettistes avaient plusieurs clarinettes dans
des tonalités différentes et les premières méthodes du milieu du 18ème
siècle pour clarinettes font des longs développement sur les utilisations des
clarinettes en usage. D’ailleurs au fil du temps certaines tonalités de
clarinettes vont disparaître des méthodes et des orchestres (Si, Mi, Sol, Sib
aigu et Ut aigu) alors que d’autres vont apparaître (Fa, Si b, Mi b, La b). Le
clarinettiste pouvait jouer dans toutes tonalités et les méthodes du 18ème
siècle (Blasius, Van der Hagen, Yost,
Vanderbrock, Francoeur…etc ) prouvaient qu’en changeant de clarinettes, on
pouvait jouer qu’en tonalités faciles soit Ut, Fa et Sol et éviter de
transposer, ce rappel historique est surprenant pour l’instrument transpositeur
par excellence actuel !
Petites clarinettes (Gauche à droite) : Ré à 12 clés de Kayser à Hambourg, anonyme Mi bémol à 10 clés, Mib à 6 clés de Noblet, Fa à 12 clés anonymes de Markneukirchen.
(Collection J.D. Touroude)
La
clarinette en Fa :
La petite clarinette en Fa joue à la quarte avec la clarinette en Ut dans
les harmonies et musiques militaires (traits aigus et puissants). Au
18ème siècle la clarinette était souvent associée au cor ou basson en duos (le
cor étant en Fa, la clarinette était de la même tonalité pour éviter de
transposer).
Les
clarinettes en Sib aigu et Ut aigu : elles sont très rares.
La
clarinette Lab : elle est plus tardive et on trouve la petite clarinette
Lab aigu dans certaines harmonies surtout les bandas en Italie. Il y a aussi du répertoire dans les musiques
militaires anglaises et italiennes. C’est la clarinette la plus aigûe et la
plus petite et jouer avec n’est pas aisé vu la grosseur des trous et des
clés !
Pourquoi
l’hégémonie de la clarinette en Mib ?
La
clarinette Mib :
aigüe, brillante, projetant plus le son que sa sœur en Ré est née au début du
XIXème siècle et se répandra surtout dans les musiques militaires et les
harmonies en Allemagne puis en France.
Clarinette en Ré # (DIS) de Dobner et Felklin à Strasbourg
(Collection R. Pierre)
Quand
la clarinette en Sib va remplacer peu à peu la clarinette en Ut, la petite
clarinette qui joue à la quarte au dessus va passer logiquement de Fa à Mib
pour respecter les concordances entre les clarinettes. Elle
sera fabriquée en France ponctuellement mais c’est vers 1830 que les facteurs
vont commencer à l’inclure dans leurs productions. A partir de 1850, elle va se
généraliser dans les musiques militaires, dans les orchestres symphoniques et
les harmonies surtout quand elle aura 13 clés et la possibilité de faire toute
la gamme chromatique.
Registre de la clarinette Mib.
Avec
le système Boehm, elle pourra effectuer des traits de virtuosité au même titre
que les petites flutes. Dans les orchestres surtout militaires et les harmonies
avec les clarinettes Sib et les saxos en sib et Mib, la petite clarinette sera
exclusivement en Mib.
Quelle
est l’utilisation des clarinettes en Ré et Mib dans l’orchestre
symphonique et pour quel répertoire. ?
Le
succès de la clarinette en Ut à 5 clés puis celle en Sib avec une palette
sonore plus grande va éclipser la petite clarinette puis la cantonner plus tard
dans l’orchestre symphonique à réaliser des traits aigus, voire satirique. La
symphonie fantastique de Berlioz en
1830 l’utilisera pour la première fois dans l’orchestre symphonique. Ainsi
en 1870, Wagner, avec Tannhäuser
puis la chevauchée des Walkyries, réutilisera la clarinette en Ré. D’autres
l’utiliseront ponctuellement dans l’orchestre symphonique mais elle tombera en
désuétude peu à peu. Ainsi le Sacre du Printemps et Till l'espiègle, les
partitions d'origines sont écrites pour clarinette en Ré mais transposées pour
clarinette en Mib.
Aujourd’hui
personne n’écrit plus pour clarinette en Ré. Les
grands compositeurs l’utiliseront dans leurs orchestrations. Citons par
exemple : Ravel dans le Boléro et
Daphnis et Chloé, Mahler dans sa
symphonie Titan, Stravinsky dans le
sacre du printemps et l’oiseau de feu, Richard
Strauss dans Till l’espiègle, Bartok
dans le mandarin merveilleux, Britten
dans le prince des pagodes, Copland,
Janacek, Messiaen, Dallapiccola, Bério et nombre de compositeurs
contemporains.
On
peut écouter des clarinettistes comme Arrignon,
Merrer etc… et la Garde Républicaine pour se rendre compte des possibilités et de la
beauté de la clarinette Mib. La
petite clarinette Mib devient un instrument à part entière avec sa vélocité,
son suraigu, sa couleur spécifique pour toute orchestration et remplace peu ou
prou les autres petites clarinettes.
Quels
étaient les grands facteurs de petites clarinettes (allemands,
français…) ?
Souvent
les mêmes facteurs que les clarinettes en Ut et Sib car il n’y a pas de
spécificités techniques particulières à réaliser une clarinette en Mib . Elles
sont les copies conformes des clarinettes en Ut et Sib mais en plus petites. La
composition est la même : bec, barillet, corps du haut, corps central,
corps inférieur, pavillon. Les
matériaux sont les mêmes : d’abord le buis puis l’ébène pour le bois avant
l’ébonite voire le métal. Les
clés sont d’abord en laiton puis en maillechort. Les formes des clés sont les
mêmes que les autres clarinettes selon les facteurs, les pays et les époques. Les
viroles ou bagues sont en corne ou en ivoire puis en laiton et en maillechort
comme les autres clarinettes.
Comment
reconnait-on la tonalité des petites clarinettes : Ré, Ré#, Mib, Fa,
Lab ?
Un
doute existe quand on voit les petites clarinettes et que la tonalité n’est pas
marquée.
Sont-elles
en Ré, Mib ou Fa ? quels sont les critères d’analyse ?
Au milieu de toutes ces clarinettes, une petite clarinette en Mib en métal à double parois.
(Photo de Peter Portner- Historical Museum Basel)
- La longueur est souvent un
critère majeur pour catégoriser les clarinettes en Mib, en Ré ou en Fa.
En
comparant la vingtaine de petites clarinettes de ma collection, nous pouvons
avoir une différence de 5 cm (hors becs) entre 2 petites clarinettes en Mib.
On
s‘aperçoit que les longueurs des becs, des barillets, des corps de
l’instrument, des pavillons varient. Mais en fait ce critère nécessaire n’est
pas suffisant et d’autres composantes doivent être analysées.
- La perce est un deuxième
critère fondamental puisque c’est la forme cylindrique de celle ci et son
diamètre qui crée le timbre particulier de la clarinette. Le
matériau de la clarinette est secondaire. Dans notre collection les perces
varient de 10 mm à 13 mm
- La grosseur des trous est un troisième critère. Les gros trous permettent de projeter le son plus fort mais la place des trous et leur grosseur sont essentiels pour la justesse et le diapason. Ils varient de 5,5 mm à 8,5 mm (corps central de clarinette en buis de la même époque). La perce et la grosseur des trous sont plus petits dans les petites clarinettes mais sont en proportion avec la grandeur des différents corps de la clarinette qui sont eux mêmes plus petits que les clarinettes en Ut et Sib.
Dans notre collection les diapasons varient de 425 à 440.
- La grosseur des trous est un troisième critère. Les gros trous permettent de projeter le son plus fort mais la place des trous et leur grosseur sont essentiels pour la justesse et le diapason. Ils varient de 5,5 mm à 8,5 mm (corps central de clarinette en buis de la même époque). La perce et la grosseur des trous sont plus petits dans les petites clarinettes mais sont en proportion avec la grandeur des différents corps de la clarinette qui sont eux mêmes plus petits que les clarinettes en Ut et Sib.
Ainsi
prenons un exemple :
la
longueur du barillet qui en moyenne fait 40 mm pour la Mib et 44 mm pour la Ré,
fera 50 mm pour la clarinette en Ut et 60 mm voire 63 mm pour la Sib et 65 mm
pour la clarinette en La.
Clarinette anonyme en Ré et corps de Rê #. (Collection J.D Touroude)
Mais
certains facteurs feront des barillets plus allongés d’autres plus courts
s’adaptant aux autres corps de l’instrument. Par contre la forme extérieure,
plus ou moins bombée du barillet selon les facteurs n’apporte strictement rien,
sauf sur le plan esthétique. C’est
la combinaison de ces 3 différents éléments (longueur, perce, trous) qui font
la justesse et le diapason de la clarinette et nous montre par exemple si elle
est en Mib ou en Ré. Le bec et l’anche interviendront surtout pour le son.
Mais
faut-il savoir encore pour quel diapason l’instrument a été fabriqué car
entre le 415 baroque du 18ème siècle et le diapason à 440 du 20ème
siècle, il y a une différence pratiquement d’un demi ton ! Dans notre collection les diapasons varient de 425 à 440.
Pourquoi
fabriquer des clarinettes en Ré au milieu du XIXème siècle et pourquoi
fabriquer des cl en Ré# (DIS) :
Alors
que l’hégémonie de la clarinette Mib s’ implante, certains facteurs
continuent à fabriquer des clarinettes en Ré et Ré # . La
clarinette en Ré ancienne, très populaire en Allemagne accompagnait souvent
le violon au 18èmes siècle et au 19ème et avec l’émigration
européenne aux USA cette tendance a continué. Ainsi Les facteurs Martin frères vers 1840 feront des
clarinettes en Ré pour l’exportation aux USA souvent utilisés dans les bals
villageois. Le
diapason s’élevant de plus en plus, la clarinette exclusivement en Allemagne passa
de Ré (D) à Ré # (marqué DIS) mais tombèrent rapidement en désuétude car
certaines Mib font un son identique (toujours le diapason mouvant)
Le Schrammel quartet de Vienne et sa petite clarinette jouée par Georg Dänzer.
Comment
passer de la clarinette Sib à la Mib ? Quelles sont les difficultés et les
spécificités de jeu.
La
clarinette étant plus petite (de 20 cm) la position habituelle des doigts est
différente et cause nombre d’accidents et on entend en Mib et non plus en Sib
ce qui est gênant. Puis
il faut jouer avec le bout des doigts et ne pas avoir les doigts trop gros et
changer les doigtés pour l’aigu et le suraigu par rapport aux doigtés appris
sur la Sib. En
fait il faut vraiment se spécialiser sur la petite clarinette pour bien en
jouer.
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