Première Partie.
Par José-Daniel Touroude, Docteur en
sciences sociales
Ce document est la synthèse d’une enquête et se veut être une
réflexion effectuée et vécue par des collectionneurs avec pour objectif de
comprendre leur passion par des introspections honnêtes.Nous avons structuré notre synthèse autour de 12 questions.
Les réponses ne sont que la transcription des introspections ressenties des collectionneurs interrogés et non une analyse qui se veut scientifique et exhaustive.
Question N°1 : Depuis longtemps, je suis en
relation avec des collectionneurs et ce qui me surprend toujours c’est leur
passion intacte pour leur collection.
Le collectionneur est avant tout un passionné actif,
toujours en mouvement, et comme toute passion,
elle n’est pas facile à vivre avec des sentiments divers qui se succèdent.
Mais ce n’est pas une
personne qui est l’objet de la passion comme dans le sentiment amoureux, mais c’est
une catégorie d’objets. Pourtant les sentiments sont proches : désir, coup
de foudre, attachement, déception, lassitude… Bien que la collection le stimule vers de nouvelles
activités car une collection bien menée ouvre
énormément de portes très différentes et mobilise des formes d’intelligences
variées, la collection constitue aussi pour beaucoup un
havre de paix, une bulle, un refuge personnel. Rechercher avec avidité des objets anciens peut
être une façon de se réfugier dans le passé pour s’isoler et oublier un peu le
temps présent, ce qui procure un grand délassement. Le collectionneur dans son refuge, a l’air comme toute personne passionnée et polarisée, de se désintéresser du monde. Mais en fait la quête lui permet de s’impliquer dans le monde des objets et dans un réseau de personnes initiées. Le collectionneur solitaire est un cliché véhiculé sur les collectionneurs.
Certains collectionneurs cherchent du réconfort dans les objets, dans l’art, notamment la musique, et moins dans les personnes qui sont trop stressantes car ils ont eu des relations avec le monde extérieur pas toujours positives.
Le collectionneur se crée un loisir intelligent car mis à part ceux qui en font leur profession (antiquaires, facteurs, commissaires-priseurs, experts...), le collectionneur est un amateur, dans le sens étymologique «qui aime», qui se crée un dérivatif soit pour se calmer d’une vie professionnelle trop stressante, soit pour s’occuper en situation d’inactivité professionnelle.
Parfois le collectionneur subit aussi l’influence extérieure et dépend de l’entourage dans lequel le collectionneur évolue, influencé par les modes ou l’opinion de leur environnement même de façon inconsciente. (Collections d’autres personnes admirées, collection familiale que l’on continue, mode des objets qu’on échange, pur hasard au gré des brocantes, beauté esthétiques de certains objets…).
Pour nous, notre champ est la collection d’instruments de musique à vent.
Mais le plus souvent le collectionneur choisit librement le champ où va s’exercer sa passion, la collection étant un choix intime et personnel ! Certains sont attirés parfois de façon irrépressible par leur inconscient, par la recherche et l’accumulation de certains objets bien précis parce que ce champ a un intérêt, un sens particulier et profond pour eux.
Le collectionneur se polarise alors sur la consommation d’une catégorie d’objets. Ce qui est visible et simple, c’est que le collectionneur est souvent très motivé par sa collection mais les raisons de sa passion sont par contre multiples et complexes, peu explicités car très personnels.
L’homme est un éternel insatisfait et c’est ce manque d’autre chose qu’il n’a pas, qui le pousse à désirer, à créer un besoin à satisfaire qui le pousse à agir. Le collectionneur s’inscrit dans cette démarche.
Collectionner, c'est réunir des objets
sur un même thème. Souvent c’est le hasard qui intervient
et c’est en chinant que l’opportunité, l’occasion d’une bonne affaire (dès fois
il en est le seul convaincu !) active ce grand chasseur d’objet qu’est le
collectionneur.
L’objet
acquiert alors une valeur subjective qui dépasse de loin sa qualité
ordinaire de simple objet. Le collectionneur achète en recherchant certains types d’objets intéressants de manière subjective avec ses critères : objets rares, curieux, beaux, de telle origine, de telle époque… Le collectionneur recherche surtout l'accumulation d'une catégorie d'objets qu’il a choisie avec des critères précis et tous les collectionneurs n’ont pas les mêmes heureusement !
L’objet est alors sublimé car il n’est plus isolé mais se positionne dans un ensemble cohérent et homogène à savoir une collection qui possède un fil rouge rationnel et explicite.
Ces objets précieux et disparates voire hétéroclites n’ont du sens que pour le collectionneur (les anciens cabinets de curiosités) et possèdent un lien entre eux, pas toujours visible, qui relie des objets en une série, une collection organisée.
Le collectionneur a pour but de regrouper des objets qui étaient dispersés et pour cela effectue un ensemble d’actions qu’il fait avec passion (recherche, achat, accumulation, échange, classement, restauration, exposition, vente …). Il cherche à constituer une série complète, un ensemble homogène, remettre tous les objets en cohérence autour de lui.
La plupart des collectionneurs réfléchissent sur le lien entre les objets de leur trésor. La collection est circonscrite à un sujet et les objets sont classés en séries, en familles, en sous-ensembles. La collection lie une personne à des objets pour des raisons très variées. Les pièces de collection sont des témoignages car l’objet n’a d’intérêt que s’il s’intègre dans une vie, une histoire. Au collectionneur de faire l’enquête pour reconstituer l’histoire de l’instrument, notamment de son fabricant. Certains vont privilégier tel facteur, tel système, telle provenance, telle époque… et l’objet convoité n’est alors qu’un objet manquant pour compléter la série.
Certains objets collectionnés avaient une valeur utilitaire et souvent le visiteur demande si on les utilise encore. On joue rarement avec des pièces de collection mais par exemple la plupart des collectionneurs d’instruments de musique analysés aiment avoir des instruments jouables et même ponctuellement les faire sonner voire exceptionnellement les prêter pour un enregistrement ou un concert. Une collection est faite avant tout pour parler de la vie passée des objets présentés, pour être exposée dans le présent, mais rarement pour leur redonner une vie utilitaire dans le futur. La collection n’est pas faite pour être utile, même si elle est constituée d’objets fonctionnels. Le détournement de la valeur fonctionnelle de l'objet est banal dans les collections.
Le collectionneur est un chasseur ou un pécheur d’objets car il sait être patient et sait qu’il peut revenir bredouille mais s’il se trouve en présence d’un objet intéressant pour lui, alors il se laisse emporter. Souvent les chineurs parlent de chasse au trésor et retrouve le plaisir des rêves d’enfant.
Question N°2 Pour beaucoup de collectionneurs,
leurs collections n’arrivent pas à
aboutir ? et pourtant ils se démènent…..
On n’arrête jamais de chercher tant que
la collection n’est pas finie mais une collection en fait n‘est jamais finie.
Souvent les collectionneurs prennent inconsciemment des
champs spécialisés suffisamment larges où il est impossible de terminer une
collection. La quête est alors infinie
et si on arrête, on sait que d’autres collectionneurs ou musées reprendront le
flambeau et continueront la collection… Le collectionneur devient alors un passeur
de témoin à travers le temps, ce qui est important pour beaucoup d’entre
eux.Décréter sa collection terminée relève souvent plus de la lassitude que d'un but atteint (sauf si le sujet choisi est très étroit) car les musées et autres collectionneurs empêchent cette réalisation. S’ils ne peuvent plus acquérir les pièces manquantes (plus d’objets sur le marché, ou manque de moyens pour les acquérir), alors ils estiment que leur collection sera toujours inachevée, incomplète et que leur trésor si souvent contemplé ne leur donne plus de plaisir car il devient statique. Déçus, ils s’en débarrassent pour entamer souvent une nouvelle collection d’autres objets !
C’est toujours l’objet que l’on n’a pas qui est le plus désiré ! Ainsi, le collectionneur se situe toujours à la croisée entre ce qu’il a déjà acquis, ce qui le rend fier de ses trésors et ce qui lui reste à acquérir, ce qui constitue sa quête afin de compléter sa collection.
Apparemment pour les autres, la collection mise en valeur, rangée et contemplée parait le moteur de l'activité du collectionneur et le rend heureux, mais en fait il est toujours motivé et ce qui le pousse à agir c’est ce qu'il rêve de posséder, un objet bien précis qu’il n’a pas encore ! Apparemment pour les autres, le collectionneur paraît déraisonnable et pourtant il est souvent plus raisonnable que beaucoup d’acheteurs compulsifs et conditionnés qui suivent les injonctions publicitaires et les modes.
Alors que le consommateur de notre société moderne zappe d'un achat à l'autre, espérant sans trop y croire que ses acquisitions calmeront ses frustrations, le collectionneur lui sait ce qui lui manque ! Certains ont même des listes toujours renouvelées d'objets à rechercher, liste informelle qui est évidemment secrète ! Son désir est toujours ciblé contrairement à la frénésie d’achat du consommateur qui accumule sans réfléchir à ses besoins réels.
Ce désir permanent se renouvelle et maintient une tension constante. Une nouvelle acquisition va calmer la tension pendant un certain temps puis la recherche d'un nouvel objet relancera la dynamique. Tout collectionneur à en tête la pièce dont il rêve.
Ce qui importe c’est la quête, la recherche d’un trésor spécifique tant que la collection n’est pas finie et si on arrive vers l’objectif, on étend alors le champ par des objets secondaires mais liés à la collection. Ainsi d’un instrument à vent précis d’une époque, d’une région ce qui est assez limitatif, la collection évolue alors vers d’autres instruments ou vers d’autres régions… et on étend son champ et ses possibilités de trouver des objets.
Question N°3 : le collectionneur accumule
des objets mais a parfois une relation bizarre avec eux, non ?
Le collectionneur
accumule des objets qui ont du sens pour lui et ne choisit pas des objets par
hasard.
Le collectionneur n'est pas fétichiste, il ne recherche pas l'objet comme une finalité car
il ne vénère pas l'objet pour lui-même. L'objet est simplement un élément qui
prend tout son sens seulement à côté des autres constituant une série, une
pièce supplémentaire d’un ensemble homogène appelé collection.
Beaucoup de collectionneurs d’instruments de
musique ne sont pas musiciens, des collectionneurs de pipes ne fument pas, des
collectionneurs de montres n’utilisent jamais leurs montres de collection… Les objets collectionnés sont plus que
des objets !
L’objet collectionné est sublimé et en conséquence, il est admiré, aimé
et renvoie sans altération à l’intérêt qu’on leur donne, une sorte de miroir
positif. L’objet collectionné est toujours
beaucoup plus que l’objet décrit et montré, il est chargé affectivement (une
peluche déchirée est pour un enfant son doudou, un carré dentelé vieux et
affreux est la merveille rare de la collection d’un philatéliste, une vieille
clarinette 5 clés renvoie à Mozart, à l’histoire du facteur, à l’histoire de la
clarinette mais aussi à l’histoire vécue de son acquisition par le
collectionneur… l’objet devient un symbole.
«Objet inanimé avez-vous une âme ? » écrivait Lamartine, ils ont au moins une histoire avant vous puis avec vous et sans doute après vous. Il y a eu des films où la vie de certains objets est racontée passant de mains en mains, vivant des histoires différentes, dans des pays différents. Le collectionneur le pense aussi car l’objet collectionné est souvent chargé affectivement et devient alors plus qu’un objet banal. Le collectionneur vit en partie aussi à travers eux. Toutefois, certains se demandent si cette quête perpétuelle d’acquisition n’est pas une tentative de restaurer l’image de soi en la complétant sans cesse d’éléments nouveaux.
Nous avons tous accumulé des objets (on le voit lors de déménagements) qui n'ont d'autres fonctions que d'être des supports de notre mémoire, de notre existence, sorte de prolongement de nous mêmes. Ainsi qui ne garde pas un vieux livre qui rappelle un plaisir nostalgique, un coquillage donné par un être aimé, un objet relique porte-bonheur qui réactive la mémoire dans notre histoire personnelle et qui ne seront jamais jetés. Ces objets sont alors très personnels et chargés affectivement.
L’objet possède la force que vous lui
donnez : objet utilitaire, objet jetable,
objet attaché à un sentiment amoureux, nostalgique, précieux, objet porte
bonheur, médaille religieuse pour conjurer le mauvais sort et pour vous
soutenir lors des stress. «Objet inanimé avez-vous une âme ? » écrivait Lamartine, ils ont au moins une histoire avant vous puis avec vous et sans doute après vous. Il y a eu des films où la vie de certains objets est racontée passant de mains en mains, vivant des histoires différentes, dans des pays différents. Le collectionneur le pense aussi car l’objet collectionné est souvent chargé affectivement et devient alors plus qu’un objet banal. Le collectionneur vit en partie aussi à travers eux. Toutefois, certains se demandent si cette quête perpétuelle d’acquisition n’est pas une tentative de restaurer l’image de soi en la complétant sans cesse d’éléments nouveaux.
Nous avons tous accumulé des objets (on le voit lors de déménagements) qui n'ont d'autres fonctions que d'être des supports de notre mémoire, de notre existence, sorte de prolongement de nous mêmes. Ainsi qui ne garde pas un vieux livre qui rappelle un plaisir nostalgique, un coquillage donné par un être aimé, un objet relique porte-bonheur qui réactive la mémoire dans notre histoire personnelle et qui ne seront jamais jetés. Ces objets sont alors très personnels et chargés affectivement.
L’objet sublimé, admiré déclenche des recherches, des histoires, des analyses et stimule le collectionneur à approfondir et chercher des informations. En cela la collection toujours en progression est vivante et rend le collectionneur plus dynamique, plus compétent, plus vivant, plus heureux.
C’est pourquoi la ferveur qu’il attache aux objets n’a pas forcément de rapport avec leur rareté ou leur valeur marchande.
La collection vous rend différent, atypique, original et extraordinaire au sens étymologique du mot, vous démarque des autres, peut être avec un certain élitisme.
Avec votre musée personnel, vous acquérez une connaissance pointue du sujet qui vous permet d’enrichir et d’impressionner le visiteur par votre savoir, parfois même faire avancer la connaissance sur vos objets par des articles spécialisés valorisants.
(cf. les différents blogs et articles des adhérents de l’ACIMV)
La collection grandit et s’améliore par un investissement personnel constant.
Le collectionneur passionné, vit une alternance de sentiments mais qui est source de plaisir.
En fait, il faut comparer la passion du collectionneur avec d’autres passions.
La collection d’objets est quelque part un substitut à des choses qui vous manquent (même s’il ne faut pas exagérer), et le fait de constituer sa collection, de la voir, la toucher, la posséder, la compléter, d’avoir créé une œuvre qui donne du plaisir voire un soutien affectif.
Tous les adultes, à des degrés différents, cherchent à être reconnus. Ils ont différentes stratégies par exemples en se consacrant à ceux qui ont besoin de soins et de protection, en s’enrichissant ou en cherchant des postes de pouvoir, en s’investissant dans une cause ou un objectif à défendre qui demande du militantisme, en pratiquant quotidiennement un sport ou en devenant collectionneur…
Le comportement du collectionneur est traversé par l’alternance de sentiments divers : tension quand l’objet est choisi et désiré, phase d’allégresse quand il a réussi à l’obtenir après une stratégie subtile, mais aussi tristesse voire frustration d’avoir raté un objet qui devient encore plus attrayant car manquant.
On se reproche de ne pas avoir pris la bonne décision, et frustrés quand on loupe un objet qui devient avec le temps pour certains «l’affaire du siècle» ratée.
Lorsque l’acquisition a été réalisée, des sentiments surviennent, parfois fugitifs, parfois plus installés, comme le doute sur la valeur réelle de l’objet obtenu, la peur de découvrir des défauts cachés, de culpabilité égoïste d’avoir acheté un objet, souvent cher, exclusivement pour soi au lieu d’offrir un cadeau à sa famille etc….Ces sentiments mélangés sont souvent présents chez les collectionneurs.
Mais le plus souvent c’est la joie de voir arriver un nouvel instrument rejoindre ses semblables qui est courant. Ils deviennent des consommateurs heureux quand ils atteignent leurs buts.
Les collectionneurs recherchent souvent la série complète ou au moins une série homogène.
Car collectionner rend heureux.
Imaginez-vous un collectionneur qui n'aurait pas fait peu à peu sa collection ? Acheter une collection toute faite sans y participer n’a aucun intérêt, sauf pour un musée.
C'est dans l'action libre et non imposée que l’homme est heureux, même s’il se fixe des règles strictes et des obligations et qui apparaissent aux autres comme contraignantes
A suivre.........
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