Reprise
de l’exposé, lors de la visite de la collection de José-Daniel Touroude
|
Clarinette à 10 clés en Ré avec corps de rechange en ré. |
Pourquoi cette clarinette est intéressante ? Pour au
moins 5 raisons.
1. Cette clarinette à 10 clés fait partie des clarinettes de
transition du début du XIXème siècle :
à Le romantisme submerge l'Europe et la
musique.
L'évolution
de l'écriture musicale avec l'utilisation du chromatisme et la recherche
permanente de briller par la virtuosité sont exigés par cette musique nouvelle.
Les
pianistes avec Beethoven, Chopin, Liszt..., le violon avec Paganini...
sublimaient la technique instrumentale et frustraient les clarinettistes, à
part quelques virtuoses.
En
effet les clarinettistes ne pouvaient rivaliser avec leur clarinette à six
clés.
Alors
tous les instruments à vent vont se doter de nouvelles clés, notamment la clarinette
afin d'atteindre le nouvel objectif : rendre l'instrument plus véloce, plus
homogène et plus juste.
Les
compositeurs veulent une clarinette qui permet de jouer plus
facilement dans les 3 registres aux couleurs si différentes.
Les
facteurs
vont alors accélérer leurs recherches et expérimentations pour atteindre
ce but.
Les
musiciens vont appliquer et demander toujours plus aux
facteurs en jouant les musiques modernes écrites pour eux. Ce sera une période de transition où
la clarinette évolue pratiquement chaque année avec des nouveaux trous, des
nouvelles clés, des possibilités aussitôt traduites par les compositeurs, des
innovations aussitôt appliquées par les différents facteurs, car l'évolution
de la clarinette passe par le nombre de clés et cela créée une émulation
permanente.
Ainsi la clarinette va évoluer en quelques années en augmentant le
nombre de trous et de clés et ainsi trouver la solution pour faire toute la gamme chromatique plus rapidement, pour profiter de toute la tessiture, pour simplifier les doigtés mal commodes et enfin pour limiter le jeu d'embouchure complexe et peu aisé.
à
En 1809, le grand clarinettiste Heinrich Joseph BAERMANN,
adopte une clarinette à dix clés (il se produit notamment à Paris en 1818 avec
cette clarinette).
Il joue les œuvres
écrites à son intention (les 2 concertos, le concertino, les variations, le
quintette...) de C.-M. VON WEBER avec une clarinette fabriquée
par GRIESSLING et SCHLOTT de Berlin.
En 1810, le grand
facteur H.GRENSER de Dresde fait une 11 clés en buis pour le
virtuose H.B.CRUSELL pour
jouer ses œuvres.
La
même année ROSSINI écrit pour
la clarinette ses variations puis son introduction thème et variations etc... Vers 1811, la clarinette possède une 12ème clé.
Toutes ces clés ont permis de supprimer en partie les doigtés
fourchus et de laisser peu à peu l'héritage du chalumeau aux oubliettes !
à
Ainsi la clarinette en quelques années est devenu un instrument reconnu grâce
à :
-
des compositeurs qui
vont faire reculer les possibilités de la clarinette et lui donner un
répertoire.
-
des facteurs ingénieux qui ont réussi par
l'adjonction de clés à perfectionner et amener la clarinette au niveau des autres instruments de
l'orchestre,
-
des clarinettistes virtuoses
itinérants, qui de ville en ville ont montré à toute l'Europe
les possibilités de la clarinette comme
instrument soliste.
La
conjonction de ces 3 acteurs a accéléré l'évolution de la clarinette et son
intégration dans l'orchestre.
On
avait déjà connu cette association féconde de ces 3 acteurs (compositeur,
facteur, musicien avec Mozart, Stadler, Lotz).
On retrouvera plusieurs fois cette combinaison dans l’histoire de la
clarinette.Mais revenons à notre clarinette, sa date de
fabrication tourne autour de 1840-1850.
A cette époque, tout change : la clarinette était en buis avec des clés en laiton.
Désormais de nouveaux matériaux apparaissaient, c’est
l’intérêt historique de notre clarinette. C’est une
époque charnière où la clarinette ayant de 6 à 12 clés clefs côtoie la nouvelle
clarinette de MÜLLER à 13 clés et où se prépare déjà le lancement de la
clarinette moderne système Boehm.
Pourtant pendant
des décennies, ce genre de clarinette à 10 et 12 clés continuera à être
fabriquée pour des amateurs en Allemagne.
L’intérêt de cette clarinette est aussi
qu’elle n’a jamais eu aucune restauration à part les lièges des tenons et
qu’elle est dans un état exceptionnel et qu’elle joue bien.
En effet le bois des instruments à vent s’use
avec le temps et la pratique contrairement aux bois des cordes qui se bonifient
s’ils sont bien traités.
|
2 Clarinettes allemandes en Ré à 12 clés de la
même époque :
Berthold à Speyer et Kayser à Hambourg en buis avec clés en laiton comparée avec la
clarinette en ébène 10 clés de
Markneukirchen avec clés en maillechort.
|
2
C’est une clarinette en Ré# (DIS) avec un corps de rechange
en Ré (D), ce qui est assez rare.
à
La petite clarinette en Ré a un son aigu et fut une de premières clarinettes
fabriquées.
En
effet, le facteur I. Scherer en fera une à 3 clés selon le modèle de Denner,
l’inventeur génial de la clarinette. D’autre part le compositeur Molter
fera plusieurs concerti pour clarinette en Ré vers 1750 où il montrera les
possibilités dans l'aigu.
à Vers 1815, la clarinette en
Mi bémol se généralise en Allemagne puis en France
20 ans après.
La popularisation de la petite clarinette s'effectua avec
l'adjonction de la 6èmeclé. Les orchestres, les harmonies, les musiques militaires ont
désormais souvent une clarinette Mib aigu dans leurs rangs. Une demande
importante de fabrication s'en suivit. Mais petite nuance, cette clarinette est en Ré# et
non en Mib !Cette clarinette en Ré# (DIS) a un
corps de rechange en Ré (D) gravés plusieurs fois. Rappelons que le ton majeur
est constitué de 9 commas. Ainsi entre Ré et Mi, il y a
9 commas (4 + 5) décomposé comme suit : Ré à Ré# = 4 commas et de Ré#
à Mi = 5 commas. Mais entre Ré# et Mib il y a 1 comma de différence. (Ré# et
Mib ne sont pas identiques). D’autre part 1 comma possède
une fréquence de 6 Hz. Mais faut-il savoir encore pour
quel diapason l’instrument a été fabriqué ? Ainsi jouer un La au diapason
moderne 440 Hz sonne presque comme un La # baroque au diapason 415 Hz.
C’est pourquoi, à cette époque où le diapason était
mouvant selon les pays et les orchestres, le clarinettiste avait plusieurs
clarinettes dans différentes tonalités : Ut (C), Sib (Bb), La (A), Ré(D), Mib (Eb) et on utilisait des
corps de rechange pour rallonger l’instrument et changer de tonalité
(exemple : Sib / La).
Ainsi la clarinette montée en Ré fait 5,5 cm
de plus (2,5 cm du barillet et 2 cm pour le corps du haut + 1 cm du corps
central de la clarinette) que la clarinette en Ré#. Les corps du bas, pavillon et bec sont
utilisables dans les deux cas (Ré et Ré#).
Le barillet d'origine est classique
avec un renflement à la base typique de la facture allemande de la même époque
(le barillet à la française lui est renflé au milieu, symétrie
oblige !). Avec 2 barillets
différents, on arrivait aussi à s’accorder à un diapason qui à l’époque variait
beaucoup.
3
C’est
une clarinette estampillée : Un
S est gravé plusieurs fois.
|
Timbre de Markneukirchen |
|
Marque du S. |
|
Marque du D (ré). |
Le S
montre qu’elle est à la fois anonyme et identifiable. En effet le S marqué sur les
clarinettes, n'est pas l'estampille d'un facteur particulier mais la marque
d’un collectif de facteurs de Markneukirchen pour le marché allemand et pour
l'exportation notamment vers les USA. (cf. Enrico Weller en 2004:
"Der Blasinstrumentenbau im Vogtland...)
En effet de nombreux tourneurs sur bois et de facteurs
d'instruments à vent se regroupèrent dès le milieu du 18ème siècle
dans cette ville pour faire le premier pôle mondial en quantité et en qualité
de ce nouvel instrument qu'était la clarinette. (En 1880, il y avait 27 facteurs). La clarinette ayant été inventée en Allemagne, ce pays a eu la
facture de clarinette la plus importante du monde, avant une concurrence
sérieuse de la France, de l’Autriche et de l'Angleterre. La France fera de même plus tard avec le village de la Couture-
Boussey regroupant nombre de tourneurs et facteurs d’instruments à vent.
4 C’est
une des premières clarinettes en ébène avec des clés en maillechort.
Les clarinettes en ébène sont
apparues vraiment sur le marché à partir de 1828 (à part quelques exceptions) avant
de se généraliser jusqu’à maintenant. L’ébène est un bois d’Afrique beaucoup
plus dur que le buis et qui risque moins de se fendre. L'ébène, étant à l'époque
beaucoup plus cher que le buis (6 fois plus cher dans certains catalogues),
prouve que c'était un instrument d'orchestre de gamme élevée.
En effet l'ébène va commencer à
remplacer le buis trop fragile. Les 10
clés sont rondes et plates
assez classiques en maillechort. Les clés en maillechort,
inventées à Lyon en 1820, se diffusent rapidement en Allemagne et Autriche. Le Bai tong chinois existait
depuis des siècles mais le secret était gardé jalousement.
Dans les années 1820, Maillot
et Chorier deux ouvriers de Lyon réinventent cet alliage composé de 60%
de cuivre, 20% de Nickel et 20% de Zinc qu’ils dénomment « Maillechort »
contraction de leurs noms. Ce Maillechort est solide, ne se
ternit pas, est facile à travailler et devient le matériau idéal notamment pour
les clés d’instruments de musique depuis près de deux siècles.
Le poids de l'instrument sans le bec est de 300 g, ce qui est plus
lourd que les autres clarinettes Mib et Ré qui tournent autour de 220 g. Ceci provient de la densité du bois supérieure à 1, l’ébène coule dans
l’eau et fait 1/3 de poids de plus que le buis.
5 Le
repose - pouce est taillé dans la masse.
Ce qui n’est pas évident à tourner mais important pour le confort
du clarinettiste. Les supports de pouce ont été tout d'abord
été utilisés en Allemagne et en Angleterre vers 1830, pour les instruments
lourds possédant des clés (8 à 12 clés) et/ou fabriqués en ébène. Par contre il y a relativement peu d'exemples
en France car à la même époque Müller inventait à Paris pour sa clarinette13
clés, le repose pouce vissé métallique qui sera de suite et jusqu’à maintenant
utilisé par tous.
|
Reposes pouce taillés dans la masse et repose pouce en métal. |
Le reste est plus classique :
6 C’est une clarinette avec
des lièges pour les tenons.
Auparavant depuis le XVIe siècle, les tenons
d'instruments à vent étaient recouverts de fil, généralement ciré, et les
chalumeaux et les clarinettes ont reçu ces mêmes techniques. Mais vers
1840, on
remplaça le fil par un morceau de liège graissé pour fixer les parties de
clarinettes et cela perdure désormais.
Les allemands préféraient garder le fil. Mais
cette clarinette avait à la fois des lièges sur les
tenons mais aussi du fil ciré.
7 Ressorts et
tampons.
La clarinette possède des ressorts d’origine en
laiton (ce qui est curieux et non en maillechort, montrant ainsi que le
maillechort était encore peu usité et à ses débuts). Ils sont rivetés avec des clous soit en
laiton soit en maillechort et non vissés. Par contre les tiges de fixation sont en
maillechort et transpercent des blocs en bois taillés dans la masse, ce que les
allemands garderont assez longtemps conservant la technique des anciennes
clarinettes, (La facture française, quant à elle préfèrera utiliser les vis). Les tampons sont en cuir de chevreau
vraisemblablement d’origine.
8 Les bagues d’origine aussi sont en
ivoire et non en os.
L'instrument est composé de 5 parties : barillet, corps supérieur, corps
central, corps inférieur, pavillon. La composition générale de cette clarinette
est classique comme la plupart des clarinettes de cette époque.
Le bulbe renforcement caractéristique des
clarinettes anciennes constitue un bloc. Un seul bloc en anneau est situé
dans le corps du haut et un autre bloc discret qui permet de guider la clé
n’est plus que l’héritage de l’ancien deuxième anneau. Nous irons de plus en plus vers
une réduction et un allégement des blocs en bois jusqu’à leur disparition dans
les clarinettes 13 clés. Cette clarinette montre cette
évolution de transition.
Le bec en ébène est d'origine, strié pour
recevoir une ficelle et non une ligature métallique qui sera inventée par
Müller à la même époque mais peu utilisée par les allemands.
Etat et restaurations : l'état
est excellent. C'était un bel instrument de concert, bien entretenu.Tout est
d'origine et bien conservé par des collectionneurs successifs.
Il n'y a pas eu de restaurations anciennes, ni modernes.