lundi 25 février 2013

GRAVES & Co, facteur d'instruments de Musique à Winchester(USA) entre 1824 et 1845.


 José Daniel TOUROUDE.

Biographies et contexte :

Dans cette première moitié du XIXème siècle, les récents États Unis d’Amérique sont passés assez rapidement d’une facture naissante et artisanale à une production industrielle florissante.
Graves est emblématique de cette évolution car il créa la 1ère manufacture d’instruments à vent aux États Unis.

Signature sur un Trombacello du National Music Museum de Vermillion.
Beaucoup d’instruments à vent, notamment les clarinettes, étaient importées à cette époque, surtout d’Angleterre (puissance coloniale puis fournisseur principal des USA) et dans une moindre mesure d’Allemagne qui  exportait vers les USA. (la ville de Markneukirchen regroupait à cette époque le collectif de facteurs le plus important au monde; ainsi en 1800, il y avait déjà 27 facteurs).
Néanmoins avant Graves, il existait quelques artisans américains regroupés dans les grandes villes de la Côte Est (Philadelphie, New york, Baltimore…) qui fabriquaient localement des belles clarinettes comme Eisenbrandt etc…

Signature sur une clarinette en do du MET Museum.

Samuel Graves junior se démarque de ses contemporains car il fut un facteur talentueux mais aussi un entrepreneur dynamique dans la fabrication d’instruments à vent aux Etats Unis.
Né en 1794 à Boston dans un contexte favorable (un pays juste indépendant et voulant se developper, dirigé par le 1er président Georges Washington), Samuel Graves va créer son entreprise d’instruments à vent en regroupant divers associés (son frère Cyrus, Charles Alexander, Henry Anderson, S.W. Richardson, J. Keat).
 Il fondera l’entreprise Graves and Co entre 1824 et 1845 permettant d’une part des regroupements de fonds permettant une industrialisation mais d’autre part des synergies de savoir-faire différents (exemple : Keat était un spécialiste des cuivres).
Graves a été aussi un des premiers américains à mécaniser la fabrication d’instruments à vent, grâce à l’énergie de la rivière Ashuelot (affluent de la rivière Connecticut), où il avait installé ses ateliers dans une petite ville du New Hampshire : Winchester.
Winchester est une petite ville du New Hampshire, proche du Québec fondé par des canadiens français (1/4 de la population ancestrale) et par des puritains anglais.

Le centre de Winchester à l'époque de Graves and Co.
La demande d’instruments est importante car la musique est partout présente aux USA.
En effet, les clarinettes jouaient de la musique de chambre vers 1820-1830 notamment au Haendel - Haydn Society à Boston. De plus elles étaient indispensables aussi dans la musique symphonique (l’orchestre symphonique de New York date de 1842 suivi de celui de Boston peu après). Enfin elles étaient omniprésentes, d’une part dans la musique populaire des villages et des villes naissantes et d’autre part dans les musiques militaires des armées. Vu la demande, Il fallait passer de l’artisanat à la production industrielle et Graves fut le premier américain de cette jeune nation, à être un grand facteur industriel diversifiant les instruments à vent.
Cornet en Eb de Graves and Co. Nat. Music Museum de Vermillion.
Ses nombreux collègues contemporains (Catlin, Pfaff, Christman, Firth Hall & Pond, Ashton, Prentiss etc…) étaient plus artisans qu’ industriels. La facture américaine au départ n’était pas innovante car elle a reproduit avec talent les factures existantes (facteurs immigrés venant d’Europe, copies des instruments importés existants).
Malgré la demande importante d’instruments à vent, peu à peu les facteurs américains par la qualité et la quantité de leurs instruments satisfaisaient en grande partie le marché intérieur et pouvaient rivaliser avec les meilleurs d'Europe. Ce fut le cas de Samuel Graves.

 Analyse des clarinettes Graves & C0 à partir de deux clarinettes de notre collection.

Marque d'une clarinette en Si b.
 
L’estampille montre l’aigle américain, qui est un pyrargue ou aigle pécheur aux ailes déployées avec dans ses pattes des flèches et la branche d’olivier. Il est le sceau et le symbole officiel, adopté par le Congrès des Etats Unis d’Amérique en 1789. Il est inscrit sur les dollars et sur tous les papiers officiels. Il est le signe affiché du patriotisme. De plus le New Hampshire fut le 1er Etat à se déclarer indépendant de l’Angleterre et fut un des Etats fondateurs des Etats Unis d’Amérique.
Samuel Graves voulait montrer que c’était une clarinette « made in USA », surtout quand on a un homonyme Samuel Graves qui fut l’amiral ennemi commandant la flotte anglaise contre les indépendantistes américains ! 



2 clarinettes, une en Sib à 8 clés l'autre en Do à 13 clés. (Collection J.D. Touroude).
Clarinette Sib  8 clés :
Sa facture est anglaise, la plupart des clarinettes existantes provenant de l’armée coloniale anglaise, des immigrants, des revendeurs d’instruments importés étant de ce style. En conséquence, les facteurs et réparateurs ne connaissaient que ces instruments et il est donc logique que le jeune Samuel Graves ait fait son apprentissage et ait connu surtout la facture anglaise qui était réputée à l’époque.
Les spécificités de la facture anglaise ont des caractéristiques originales par rapport aux autres clarinettes européennes de la même époque, ce qui permet de les reconnaître de suite, en voici quelques unes :
Le bec dispose d'un tenon beaucoup plus long (le double) rentrant dans le barillet et qui permet, en le tirant, de s'accorder.
Les deux clarinettes Graves disposent d'un bec à long tenon d'origine quoique non signé comme souvent à cette époque.
Les deux becs à long tenon entoure un bec européen de la même époque.
La forme du barillet est différent car il est creusé au centre et non bombé comme les barillets continentaux et très renflé à l'extrémité en bas se terminant par une bague en ivoire très large.
Les 2  clarinettes Graves disposent d’un barillet typiquement anglais.
Les deux barillets.
Les clés sont montées sur des blocs tournés dans la masse du buis (anneaux et bulbes), ce qui permet de mettre des tiges en laiton pour fixer les clés. Le bulbe anglais est caractéristique car il est coupé. Il s’allégera de plus en plus.
Nous en avons un exemple en comparant les deux clarinettes Graves qui ont moins de 20 ans de différence.
Clés montées sur blocs, avec bulbe anglais typique.
Les trous fermés par les clés sont creusés pour améliorer l'adhérence des tampons. En France seuls les facteurs lyonnais faisaient de même (Simiot, Sautermeister, Tabard).  De plus certains trous sont chemisés en laiton, les anglais ayant inventés cette technique.
La grande clé de fa# est en zig zag, formant un angle caractéristique.
La clarinette Graves à 8 clés a cette spécificité, mais plus la clarinette 13 clés.

Clé de Fa diése en zig zag.







Le montage des clés se font sur des blocs et des guides sculptés dans la masse en buis et non
avec des pièces métalliques rajoutées comme les autres clarinettes même quand elles auront 13 clés.
Les clarinettes Graves, comme les anglaises ont cette spécificité.


Blocs et guides en bois qui vont passer de l’anneau en 1825 à des blocs plus légers en 1845 chez Graves.
Le pavillon anglais est assez droit alors que les autres évasent plus leurs pavillons de clarinettes.
Pavillon évasé autrichien Schemmel comparé au pavillon Graves de type anglais à la même époque.
Notre clarinette 8 clés de Graves and Co, peut être comparée à une clarinette 5 clés en Si bémol du Métropolitan Museum. Elles sont pratiquement identique. Ce qui diffère est minime étant lié à l’adjonction de 3 clés supplémentaires : le deuxième anneau du haut présent chez la 5 clés s’est réduit à un bloc en bois et trois autres blocs en bois apparaissent et permettent de fixer et guider les 3 clés supplémentaires du corps du haut chez la 8 clés. Si on la compare avec d’autres clarinettes Sib de la même époque et anglaises, on voit que la clarinette Graves Sib à 8 clés est tournée de façon assez rustique, lourde (400 g avec le bec) par rapport aux autres clarinettes anglaises (dont l’épaisseur du buis est plus fin, faisant des instruments plus légers et fragiles, comme sera la 13 clés quelques années après.)

Clarinette 5 clés en Si bémol du Met de Ney York.
Clarinette en Ut à 13 clés :
Graves en partant du modèle anglais a su faire évoluer la clarinette en quelques années en empruntant ce qui se faisait de mieux en Europe. Ce qui reste de la facture anglaise : le bec à long tenon, le barillet bombé à l’anglaise, la bague large du barillet, la forme des blocs en bois, le bulbe coupé… mais incorpore des innovations : lièges des tenons, rouleaux dans les clés… 

Les rouleaux pour glisser d’une clé à l’autre ont été inventés par le clarinettiste français César Janssens en 1823 (exposition de Paris) et les allemands l’utiliseront beaucoup. Les français avec l’apparition du système Boehm quelques années après n’en n’auront plus l’utilité.
On peut même voir sur une autre clarinette célèbre de Graves avec une clé inversée à la Simiot.


Clarinette en grenadille avec 13 clés en argent, avec les rouleaux Janssens et clé à la Simiot (Métropolitan Museum de NY)
Après 1840 une des caractéristiques des clarinettes anglaises sera la grande clé de sol#.  
La  clarinette Graves en Ut à 13 clés dispose de cette clé.  


De gauche à droite : Clé Sol# Graves puis anglaise fin XIXème siècle ou la clé s’allonge encore, comparées avec la clé allemande parallèle et la clé Sol# croisée française de la même époque.

L’entreprise fabriquait surtout des bois dans les années 1830 puis après 1845, ils feront aussi des cuivres quand les fils de Samuel, George et William quitteront Winchester après l’incendie des ateliers en 1850 pour Boston. Mais entrepreneur dans l’âme, il va recréer, avec ses enfants, l’entreprise à Boston en s’adjoignant après la guerre civile de sécession, de nouveaux partenaires (Gilmore, Wright, Esbach, Hartman) pour créer l’entreprise “Boston Musical Instrument Manufactory”. Une autre aventure entrepreneuriale, d’autres évolutions instrumentales et une diversification d’instruments à vent allaient continuer…
Outre les collections privées difficiles d’accès, les clarinettes Graves les plus belles sont à Vermillon au National Music Museum (Dakota du sud) et au Metropolitan Museum de NY. 

Pour conclure, admirons cette magnifique clarinette Mib Graves and C° à 13 clés faite vers 1845 se trouvant au musée de Vermillon (Dakota du Sud) absolument identique à la mienne en Ut.

Clarinette en Mi bémol du musée de Vermillon.
Pour l'anecdote nos deux clarinettes Graves and Co proviennent d’une réserve d’un musée américain qui les a vendu aux enchères.


 


mardi 5 février 2013

Quels bois à tourner pour faire une clarinette ?


Entretien José Daniel Touroude.
 
José Daniel TOUROUDE.
 
Les tourneurs sur bois pour fabriquer des instruments à vent avaient besoin de bois.
Si tous les bois se tournent, certains se fendent, se coupent mieux, se polissent mieux, certains éclatent… il faut donc choisir un bois dur, c’est à dire qui a une forte densité.
Et puis certains bois sonnent mieux que d’autres : les flûtes, chalumeaux, hautbois, bassons avaient ouvert la voie…
Dans tous les cas il fallait un bois dur.
Le bois dur a une densité de 0,80 en moyenne et le bois très dur autour de 1.
Cela veut dire que si on utilise par exemple de l’ébène bois très dur de densité 1,1  il sera lourd et pèsera 1100 kg pour 1 m3 et coulera dans l’eau (rappelons que 1m3 d’eau = 1000 kg)

 Le premier postulat du tourneur sur bois est : Plus le bois est dur donc de densité élevée, plus il se travaille facilement et tiendra longtemps.
Le deuxième postulat est qu’il faut que le bois tienne la fibre et donc sa texture est essentielle. Cela ne se mesure pas mais le professionnel du bois sait reconnaître la structure du bois avant de le travailler.
Le troisième postulat est le grain, la grosseur des pores du bois et l’espace entre les fibres d’automne et du printemps.

Ebéne.

L’ébène est un bois très dur de 1,1 ou 1,2 à texture fine, au grain serré tellement siliceux qui ne fera pas des copeaux comme les bois plus tendres mais de la sciure.
Cette qualité lui donnera la possibilité d’un excellent poli et d’une couleur homogène, et comme tous les bois très durs, il est facile à travailler, se fend surtout difficilement.
Toutes ces qualités en feront le bois de prédilection du tourneur de clarinette depuis un siècle et demi.

Palissandre.

Les palissandres d’Amérique (Dalbergia) : bois de rose, bois de violette, Cocobolo d’Amérique centrale, palissandre de Rio seront utilisés ponctuellement pour des clarinettes car ces bois vont avoir aussi de nombreuses qualités avec des veines très appréciées face à l’uniformité de couleur du buis ou de l’ébène.
Mais avant l’arrivée des bois exotiques, les tourneurs allemands, français ou anglais du 18ème siècle et de la première moitié du 19ème siècle avaient à leur disposition quelques bois indigènes durs :
Ces bois malgré leurs qualités ne seront pas utilisés par les tourneurs et facteurs :
Ainsi l’olivier, bois très dur de 1 à 1,2 de densité mais qui se fend, a trop de tanin huileux.
Le citronnier et l’oranger bois dur de 0,80 à grain serré mais qui se trouvaient en Espagne et Italie, pays où les tourneurs de clarinettes étaient rares.

Le houx de densité de 0,80 à grain fin mais pas utilisé malgré sa facilité de tournage peut être à cause des diamètres insuffisants dans les forêts.
Le charme avec une densité de 0,85 et avec un veinage tourmenté se travaille bien et est utilisé pour les jouets mais pas pour les instruments.

L’acacia ou robinier de densité 0,80 siliceux, facile à travailler mais difficile à creuser.
Le chêne le roi des bois pour les ébénistes, est peu utilisé par les tourneurs malgré sa densité dure de 0,80 car peut être il a tendance à éclater.

Poirier.

Le poirier parmi les fruitiers est le bois le plus dur à 0,75 de densité avec de belles veines et facile à travailler avec un grain très serré et une couleur brun - rosé qui se polit très bien.
Certaines clarinettes seront en poirier.  

Buis

Mais le bois qui sera choisi pour ses qualités sera le buis.
En effet il a une densité très dure de 0,9 à 1,1.
Il est facile à tourner et à creuser, se coupe bien, a un grain serré, ne se fend pas facilement, a un beau poli.
Il a une couleur homogène quoique parfois il peut être ondé avec des veines en vague très appréciées et ce bois est réservé pour les clarinettes de haute gamme.
Le buis n’a pas d’odeur et a la possibilité de se colorer avec des cires, acides et vernis…
Il sera pendant un siècle (avant que les bois exotiques notamment l’ébène et accessoirement les palissandres le supplantent) pratiquement le seul bois employé pour les clarinettes.

Carrelets ébène, palissandre pour fabriquer des clarinettes.

Le règne de la clarinette en buis

 Tourneur et facteur constituaient, au 18ème siècle, 2 métiers complémentaires mais différenciés.

Clarinette en Buis de Gardet à Besançon.

 
Le tourneur sur bois :
Au départ, les clarinettes étaient faites par des tourneurs sur bois et menuisiers qui faisaient le même gabarit que pour des pieds de chaise ou de table avec le même «tour en l'air» à pédale
Tour en l’air.

Ils devaient préparer le bois : d'abord trouver un bon buis assez gros puis le faire sécher 5 ans minimum ! puis le scier en évitant les nœuds pour en faire des carrelets.
Enfin réaliser un perçage d'ébauche et une immersion dans l'huile de lin chaude pendant 24 heures minimum. Il faut laisser sécher un an ! Alors on peut tourner une clarinette.



Le facteur de clarinette :

Le facteur intervenait au finissage et ne devait pas tourner ! Il y a eu des conflits importants avec les corporations des tourneurs pour la répartition des rôles !
Clarinette encyclopédie de Diderot.



Ce qui est délicat, c'est la qualité de la perce et des trous et c'était le travail du facteur.
Les trous ralentissent les vibrations et les sons sortent plus bas que prévus.
En conséquence, le facteur a dû remonter les trous vers la tête de l'instrument pour avoir les sons justes et de diamètres plus petits car les trous étaient gros et les doigts les bouchaient mal avec des fuites d'air.
Le morceau de bois était transpercé en un cylindre sur toute sa longueur pour en faire une clarinette par le maître ouvrier qui perçait aussi les trous dans ce tuyau de bois.
Au départ on creusait les trous en fonction de l'écartement des doigts du futur instrumentiste ou du maître ouvrier !

Avec Iwan Muller et sa 13 clés, ces trous furent normalisés pour faire des clarinettes plus justes afin que toute la colonne d'air s'échappe.
Les trous seront préparés pour améliorer l'adhérence des tampons.

On créa plus tard les tampons qui reproduisait la texture de la pulpe du doigt avec du feutre et de la baudruche, du cuir de chevreau.
Chaque facteur avait son gabarit, ses secrets de fabrication pour positionner ses trous, qui était un compromis entre la justesse et la possibilité de boucher les trous sans faire des contorsions pour jouer. Ce compromis a été fait pas tâtonnements.
Pour augmenter la solidité de l'instrument et son esthétisme, on garnissait de viroles

·         d'ivoire (éléphant, phacochère, hippopotame, os..) pour les instruments de prestige,

·         de corne d'animaux africains (buffle, antilope, zébu...) pour les instruments de qualité,

·         de laiton pour les instruments populaires.


Pavillon de clarinette en buis avec des bagues d’ivoire.

Puis le facteur devint tourneur de ses clarinettes et utilisa le tour à perche ou tour en l'air.
Les clarinettes pendant un siècle et demi seront en buis, voire en bois fruitier, en cèdre.
La couleur miel des clarinettes anciennes en buis (qui est blanc) vient simplement par le vieillissement et la cire. Pour des teintes plus foncées dans les rouges ou les bruns, les teintes se faisaient à l'acide, comme actuellement pour les copies d'instruments. 
Le buis sera supplanté par l'ébène, bois tropical dense et résistant dès 1828.
En effet le buis se fendait souvent, sensible aux écarts de températures et à l'hygrométrie.
La dimension de la perce, qui est essentielle, était aussi difficile à maintenir.

Et puis la mode était à la clarinette en ébène, symbole de l'instrument moderne et abouti, contrairement à celles en buis qui montraient l'évolution historique de cet instrument.



Le règne de la clarinette en ébène

 
L'ébène (dalbergia melanoxylon) d'Afrique tropicale ou grenadille est un bois dur, qui dispose de qualités qui entraînera rapidement le remplacement du buis  voire du palissandre (qui est un bois d'Amérique) voire les arbres fruitiers.



L'ébène dispose de certaines qualités supérieures aux autres bois :

* il est dur, dense, peu poreux et pourtant facile à travailler ne se fendant pas facilement.

* Il est résistant aux variations de température et hygrométriques et à l'acidité de la salive.

* il est peu sujet aux fissures 

* c'est est un bois précieux doté d'une esthétique appréciée une fois cirée et d'une sonorité douce et chaude.
Vernir le bois est uniquement esthétique et ne joue pas sur la sonorité comme on le pense souvent, ce qui compte c'est la qualité de la perce avant tout et avec l'ébène la perce ne varie pas et ne se creuse pas avec les nettoyages.

Les inconvénients de l'ébène sont :

* un prix plus élevé. En conséquence, la clarinette en buis sera réservée pendant longtemps encore aux musiciens populaires jusqu’en 1914.
L'ébène avec les clarinettes Muller puis Boehm seront réservées aux militaires et aux bons musiciens amateurs et professionnels.
La marque du facteur permettra de positionner la richesse de l'instrumentiste voire sa valeur.

* un poids plus lourd que le buis.
La clarinette en bois dense et dur comme l'ébène avec l'adjonction en plus des clés et des anneaux en maillechort avec Boehm est plus lourde (1/3 de plus soit de 400 à 600 g) et va entraîner obligatoirement la fixation d'un support pour le pouce droit que l'on avait déjà inventé auparavant déjà pour quelques clarinettes en buis de luxe.

 Mais il y a ébène et ébène :

L'ébène commun ou ébony en anglais (diospyros spp.) provient de Madagascar, de Tanzanie, du Gabon. Il produit des instruments très moyens à cause de la porosité du bois qui est assez importante et à sa sensibilité à l'acidité de la salive.
L'ébène des clarinettes des grands facteurs provient exclusivement du Mozambique (dalbergia melanoxylon) et ce sont des ébènes de grande qualité, très denses et serrés qui entraînent une absence de porosité.
Maintenant le Mopane (colophospermum) est une autre espèce d'ébène de qualité utilisé.
Les billes de bois sont dégrossies, séchées à l'étuve, puis tournées pour fixer la place des cheminées, les tenons et les emboîtures puis les trous sont percés.
Une fois poncée, on dispose des viroles, on vernit le bois, on met les clés....



Le facteur de clarinette utilisa le tour à perche ou tour en l'air, lui même remplacé par le tour de précision avec l'ère industrielle avec des machines mû par l'électricité ou la vapeur, ce qui permettait un travail plus rapide et plus précis.
 
 

Désormais le règne de la clarinette moulée.

Au lieu de tourner des bois, l’ère industrielle permettra de faire des moules et de couler différentes matières pour faire des becs puis des clarinettes entières ce qui abaissera les coûts et fera des instruments d’étude ou de bas gamme permettant une démocratisation de cet instrument dans le monde entier.



A part quelques matériaux expérimentaux, les clarinettes en plastique de couleur variée actuellement ou pour mémoire la clarinette au musée de Markneukirchen en plexiglas !  des clarinettes en métal vont être utilisées.
Mais les réussites seront les becs en verre-cristal notamment de Pomarico, les clarinettes métal notamment américaines entre les deux guerres mondiales et le règne de l’ébonite.
Jeu de clarinettes en métal.
 

Bec cristal.

Certains becs en ébonite avaient fait leur apparition dans les années 1850 et avaient montré leurs qualités jamais démenties puisque la plupart des becs sont encore en ébonite (sonorité, facilité de fabrication, coût peu élevé) Mais d’où vient l’ébonite ?
 
Charles Goodyear (1800-1860) inventeur génial et malheureux ayant dédié sa vie au caoutchouc va inventer après bien des déboires la vulcanisation du caoutchouc pour en faire un matériau essentiel au monde moderne.
Il mélange le latex de l’hévéa connu depuis des siècles par les indiens d’Amérique et essaie de donner de la cohésion à ce liquide en ajoutant du soufre (20 à 40%) 
 
Mais selon la température, le caoutchouc se ramollit ou devient dur et pour cela il est pratiquement abandonné.
En 1842, Goodyear va le stabiliser en le mettant sous un jet de vapeur à 270° Fahrenheit et ce procédé s’appellera la vulcanisation (de Vulcain dieu du feu) et comme le caoutchouc vulcanisé sera noir comme l’ébène, il sera appelé ébonite.
Avec peu de soufre, le caoutchouc est souple pour les pneumatiques mais avec beaucoup de soufre, il sera dur comme l’ébonite.
Les applications sont nombreuses : vêtements imperméables, isolants électriques, canots de sauvetage et combinaison de plongée…
Rapidement Goodyear fera des applications (1844 à 1860) sur des instruments de musique et tuyaux de pipe montrant que l’ébonite est un magnifique substitut du bois.
A l’exposition universelle de Paris dans les années 1850, Goodyear érigea un pavillon où tout était en caoutchouc, habillé de la cravate à ses chaussures avec tous ses vêtements utilisant du caoutchouc, il fut décoré de la légion d’honneur par Napoléon III puis ira en prison pour dettes ! Grandeur et misère de l’inventeur génial mais peu pragmatique.
Mais, inventeur avant tout, Goodyear n’est pas vigilant pour déposer ses brevets et se fera piller toutes ses inventions et mourra dans la misère et les dettes.
En 1870 des usines de caoutchouc vulcanisé s’implantent en Europe.
En 1888 Dunlop lance ses fameux pneumatiques et Macintosh ses vêtements imperméables….et les becs en clarinette puis les clarinettes vont se fabriquer.
Le caoutchouc vulcanisé sera l’ancêtre des résines artificielles qui entourent notre vie.
Aujourd’hui il y a 1 hévéa pour 2 personnes sur terre même si le caoutchouc artificiel synthétique est aussi utilisé. Il est partout autour de nous.
A noter que la multinationale qui a pris le nom prestigieux de Goodyear n’a rien à voir avec lui. Même son nom lui a été piqué ! ou est-ce un hommage ?
Toute collection possède les différents matériaux montrant l’évolution aussi de la clarinette à travers le temps.