Ce Blog est destiné à favoriser la réalisation d'articles sur les facteurs, marchands de musique, luthiers, en mettant à disposition une collection de documents sur ces sujets.
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En revenant de la derniére vente de mai à Vichy où une flûte de Florentin Barbier a fait l'objet d'une belle bataille d'enchères entre plusieurs flutistes, j'ai souhaité me documenter sur ce facteur original et créatif ! Et bien je n'ai rien trouvé de bien complet sur le sujet.....Alors comme d'habitude je m'y suis collé.
Biographie :
Pierre Florentin Barbier est né à Paris 11ème le 13 novembre 1828 et a été baptisé à Saint- Sulpice deux jours plus tard. Son père Pierre François Barbier (1780-1854) né à Sauvillers-Mongival dans la Somme était artisan à Paris et sa mère Marie Victoire Demasy (1798-1852) était belge. Il avait un frère Victor Emile Barbier (1833-1864) né à Paris (10é) le 10 mars 1833 qui sera militaire (fusillier au 62 éme régiment d'infanterie) qui mourra du typhus le 21 décembre 1863, au Mexique à Pachuca au cours de l'expédition de la France dans ce pays.
Il avait également une soeur Pauline Célina Barbier né le 24 mars 1831 au 7 rue de Sévres à Paris.
Il avait épousé, à 24 ans le 10 février 1853 à Saint Sulpice Louise Souveraine Sicard âgée de 17 ans. A cette époque il habitait à la Villette et excerçait le métier de clétier. Avait-il suivi une formation de mécanicien ou de bijoutier? Nous ne pouvons le dire.
Etabli de finisseur d'instruments de musique (Musée de le Couture-Boussey)
Ce couple a eu au moins deux enfants dont Louise Eugénie Barbier née le 1 novembre 1855, qui épousera en 1874 un monteur en bronze parisien. L'épouse de Florentin Barbier exerçait le métier de sage-femme ; elle décéda en 1877 à l'âge de 37 ans.
Il se re-marria le 2 décembre 1879 à Paris avec Léonie Amélie Gillet (1848- ). Tous les deux habitaient 19 rue Lepic. Sont témoins à ce mariage : Le fils de Buffet Jeune (1789-1864), Louis Auguste Buffet (1816-1884) facteur d'instruments de musique 18 rue d'Orcel dans le 18éme, (pour en savoir plus cliquez sur le lien suivant)
Ernest Henri Chambille (1858-1922), facteur d'instruments de musique (futur contremaître et propriétaire de Louis Lot et qui à cette époque travaillait dans l'atelier Nonon que dirigeait son père Auguste François Chambille (1827-1881) jusqu'au décés de Jacques NONON en 1877. On peut donc supposé que l'atelier Nonon-Chambille arrétant son activité vers 1877-1878, Ernest Henri Chambille travaillait pour Barbier en attendant de rejoindre l'atelier Louis Lot vers 1882, période de reprise de l'atelier Lot, par Louis Ernest Debonneetbeau (1836-1891), ami et ancien ouvrier de l'atelier Nonon-Chambille.
Deux autres témoins sont présents : Félix Lenoir 25 ans mécanicien au 79 bd de Grenelle et Henri Varenne 33 ans sous chef de musique au 36éme ligne de Saint Cloud.
Florentin Barbier est décédé le 19 mars 1909 à Paris, 39 rue Saint Honoré ; il avait 80 ans et était rentier.
Sa vie professionnelle :
Annonce publicitaire vers 1900
Au cours des mouvements ouvriers de 1867, il est nommé membre du bureau électoral de la " corporation" des instruments de musique en bois, pour représenter, avec Rive et Auduard, les clétiers.
L' exposition de Paris de 1867 range les exposants en différentes classes selon la nature des produits qu'ils fabriquent et prévoit une classe spéciale pour " les travaux manuels qui ont le mieux résisté à la cocurrence de la machine " et récompense les métiers d'art et les petits artisans qui ont fait preuve "d'intelligence, de dextérité, de goût et d'excellence". Cinq artisants de la facture instrumentale en font partie, dont F. Barbier (ouvrier en flûtes, Chaussée du Maine, Montrouge) qui reçoit une médaille d'honneur pour des flûtes à clés.
Il obtient son premier brevet de 15 ans le 2 novembre 1869 pour " une flûte cylindro-plane, à perce ou colonne d'air unie et pour des dispositions dans le mécanisme des instruments à clés en général".
" Cette nouvelle flûte comme son nom l'indique a l'avantage d'offrir une perce de colonne d'air parfaitement homogéne dans toute son étendue, sans saillies et sans cavités aucunes".
Brevet N°87659, Florentin Barbier 100 Chaussée du Maine.
Flûte cylindro plane du National Museum of Américan History
Flûte Barbier vers 1875. Source EBay.
Il déposa et obtint un brevet de 15 ans pour "perfectionnement de la petite flûte Boehm par un nouveau système de clés sous le titre de petite flûte cylindrique F. Barbier". Brevet N°103 109 Pierre Joseph Barbier 100 Chaussée du Maine.
Shéma Brevet 103109. Source Inpi
"Frappé des observations que des flûtistes me faisaient souvent au sujet du peu de sonorité relatif de la petite flûte conique, surtout dans les graves, je résolus d'appliquer à cet instrument l'amélioration que Boehm avait en 1847 apporté à la grande flûte, c'est à dire de remplacer la forme conique du corps de la petite flûte par une forme cylindrique, la tête au contraire ayant la forme d'un cône tracé par une ligne courbe décrite par un segment de parabole".
Piccolo Barbier
Il continue et obtient un nouveau brevet de 15 ans le 18 janvier 1875 pour " Des perfectionnements dans le mécanisme de bouchage des trous de notes des instruments àvent et à clés ". N°106461 Florentin Barbier 100 Chaussée du Maine.
" Dans les instruments à clés pour obtenir certains effets un seul ou plusieurs doigts doit pouvoir ou doivent pouvoir fermer un plus ou moins grand nombre de trous. Il en résulte de grandes difficultés pour obtenir une concordance parfaite de bouchage. Je prends le cas le plus simple comme exemple, celui où par le moyen de la même clé, le même doigt doit boucher à la fois le trou qui correspond à cette clé et un trou correspondant à une seconde clé plus ou moins éloignée.
Pour que le bouchage des deux trous soit hermétique, il faut nécéssairement une très grande précision dans le montage des pièces, une même élasticité dans les deux tampons, aucune flexion dans les organes. Les difficultés augmentent en quelques sortes en progression géométrique lorsqu'il s'agit de faire concorder le bouchage d'un plus grands nombre de trous.
J'ai eu l'idée d'obvier à cet inconvénient en utilisant l'élasticité des doigts de l'éxecutant comme compensateur immédiat entre les clés, les communications de mouvements et des trous".
Schéma du brevet N°106461. (INPI)
Il travaille pour la société Couesnon et Cie de 1885 à 1898 et obtient avec eux deux brevets.
N°233531 du 19 octobre 1893 pour " une flûte perfectionnée avec clès additionnelles de résonnance et d'UT # ".
" l'addition de ces deux clés de résonnance et d'UT # peut être faite à toutes les flûtes du système Boehm proprement dit , c'est à dire à toutes les flûtes coniques en bois et à toutes les petites flûtes en bois et en métal. Elles ne changent en rien le doigté de la flûte système Boehm.
La clè de résonnance A correspond à la spatule ou touche A1 qui se prend avec le pouce de la main gauche. La clé d' UT # B correspond à la spatule ou touche B1 qui se prend avec l'index de la main droite".
N° 250955 DU 14 octobre 1895 : " Système de flûte et autres instruments à vent à perce carrée".
Brevet source Inpi
" La flûte cylindrique, telle qu'elle a été fabriquée jusqu'à ce jour, n'est pas absolument conforme aux données mathématiques des principes d'accoustique. En effet le corps sonore, c'est à dire le volume d'air du tube cylindtique est plus grand qu'il ne devrait être en raison des cheminées ou bagues sur lesquelles viennent tomber les tampons et que les fabricants ont été jusqu'ici obligés d'employer pour obtenir le bouchage régulier. En outre les cavités formées par chacune de ces bagues sont autant d'arréts sur lesquels l'air vient buter et empécher par cela même l'émission facile du son.
C'est pour remédier à cet inconvénient que nous avons imaginé de fabriquer les flûtes avec une perce carrée".
Détails d'une flûte à perce carrée (Collection particulière)
Florentin Barbier fait partie des grands facteurs de flûtes français de la fin du XIXéme siécle au même titre que Lot, Rive, Bonneville, Lebret, Godfroy. Il laisse de très beaux instruments qui font plaisir aux flûtistes actuels.
Flûte à anneaux pleins et patte de Si b main gauche. DCM 1212
Merci à Michael Lynn ne nous faire entendre les deux belles flûtes Barbier de sa collection.
Flûte Barbier vers 1875. Collection M. Lynn (jouée au dessus)
Flûte cylindrique Boehm en palissandre de Barbier Collection M. Lynn
Avec la
participation d’Albert Rice (musicologue USA), de Théo Taillasson (restaurateur
du piano) de René Pierre et Bernard Duplaix (musiciens)
« Envoyez
des pianos à travers le monde, par terre, par mer ou par air » et c’est
ainsi que des pianos sont tombés du ciel ponctuellement en parachutes sur
la plage et dans différents endroits dans le monde (mais la plupart ont été
débarqués, il ne pleuvait pas des pianos quand même !)
Pourquoi cet
ordre incongru ? : pour entretenir le moral des armées :
Les troupes
américaines en 1944-45 se déployaient à travers le monde en guerre et la
musique était essentielle entre deux assauts.
Bien sûr il y
avait les fanfares et des brass band, parfois des harmonies (fanfare + les
bois) voire de véritables big bands de jazz en vogue dans les années 40 jouant
du jazz et du swing comme le Glen Miller Army Air Force Band omniprésent avec
son pianiste Mel Powell ou les Andrew Sisters avec leur tube Boogie Woogie Bugle
Band etc…
Une
anecdote : Le jeune Dave Brubeck sera dispensé de l’assaut meurtrier des
Ardennes à condition de constituer un orchestre et de jouer avec son piano
Victory dans tous les cantonnements, parfois attaqués, avec sa camionnette et
sa scène portative… Peut-être que Dave a été sauvé aussi grâce à un piano !
Mais pour
faire chanter toute la troupe avec des airs à la mode et retrouver l’ambiance
de chanter ensemble, l’incontournable Lily Marleene récupéré par la capitaine Marlène
Dietrich (armée de Patton) ou des chansons de Frank Sinatra, de Bing Crosby ou les
célèbres mélodies des Gershwin … il fallait des pianos pour ces moments de
détente.
Marléne Dietrich sur la scène de l'Olympia de Jarny en Lorraine le 10 novembre 1944 devant un parterre de soldats américains
Quel genre
de musique ? c’est avant tout du jazz
Bien sûr le
jazz avait quelques clubs et avait été amené par les militaires afro-américains
en 1917 puis entre les deux guerres mondiales (Josephine Baker, Sidney Bechet,
les Zazous etc…Django Reinhard et le hot club de France…) et ce fut la grande
époque du ragtime mais cela restait pour des initiés passionnés. En 1944-45 le
jazz plus swing était la musique américaine des vainqueurs.
Mais envoyer
des pianos sur les divers champs de bataille mouvants n’était pas aisé :
un piano normal envoyé sur le front en camion, bateau ou par avion se briserai. Donc il fallait
faire un piano adéquat, par un fabricant spécialisé, avec des caractéristiques spéciales précisées
dans un cahier des charges novateur où le bois solide serait le matériau
dominant.
·Une
caisse en bois adéquate renforcée protégeant le piano même parachuté ou
malmené par le transport.
·Un
piano qui utilise des matériaux solides donc lourd (250 kg), stable avec des pieds
adaptés, avec une qualité minimum mais à bas coût (moins de 500 $).
·Un
piano facile à transporter de longueur maximum d’1m 50, d’1m de haut, de 60 cm
de profondeur, avec 4 poignées pour le transporter (facilement ? par 4
soldats. Commentaires : avec la caisse chaque GI portait 100 kg quand même
!)
Usine de pianos Victory
Un piano
rustique en bois épais exotique dur pouvant résister aux chocs physiques,
thermiques et aux intempéries. (Le cylindre ou couvercle, qui protège le
clavier et les touches, doit être aussi en bois épais, un pupitre intégré bien
fixé….
Un piano
droit adéquat, facile à produire rapidement à la chaine, avec des matériaux
simples et solides : le clavier en bois avec des touches recouvertes de
plastique, des cordes en acier entouré de fer incassables et deux pédales.
La table
d’harmonie, la pièce délicate essentielle, qui est en bois et sert à amplifier
le son et corriger les harmoniques du son, doit être rustique mais avec une
certaine qualité minimum.
Des
couleurs militaires variées puisque le donneur d’ordre est l’armée : le piano Victory vertical est surtout vert
olive pour l’armée de terre, mais aussi gris pour la Navy, bleu pour les gardes
–côtes, noir ébène pour les officiers.
·Il doit
être livré avec kit d’accordage, des pièces de rechange et des partitions de
jazz ! (et quelques cantiques pour les cérémonies religieuses.
Transport d'un piano Victory dans sa caisse.
Qui
va relever le défi de la production de ces pianos ?
Un allemand nommé Henrich Steinweg émigré à New York était un fabricant de piano de qualité et important (un millier de salariés) américanisant son nom en
Steinway & sons. Il avait une usine à Hambourg en Allemagne (ville rasée
par les bombes incendiaires utilisant aussi le napalm) et une autre aux USA à
New York.
Pendant
la deuxième guerre mondiale, ce fabricant connait une pénurie de matières
premières, une demande très faible de piano de qualité donc Steinway est obligé
à une reconversion de ses activités en participant à l’économie de guerre en
faisant un peu de tout en bois (beaucoup de planeurs en bois, crosses de
fusils, avions leurres en bois, cercueils).
Planeur Waco CG4-A. Le savoir-faire de Steinway dans le domaine du bois
est mis à profit pour fabriquer les pièces complexes de l’appareil
L’armée
demanda à la firme « Steinway & sons » des pianos droits adaptés selon les
recommandations émises. Ce qui fut fait pour arriver à la production totale de
2436 pianos nommés Victory. Les croquis du piano « Military Victory » ont été
réalisés à partir de 1940, ceux du « Military-Regency Victory » en 1941 et «
Victory » en 1942. Le croquis sur lequel est basé le piano droit Steinway est
le croquis 1051a daté du 13 août 1942 pour le modèle Vertical 40 (« Victoire
militaire ») (référence sur les pianos Steinway, Roy F. Kehl et David R.
Kirkland, The Official Guide to Steinway Pianos, Montclair, NJ : Amadeus Press,
2011). Le numéro « Y » apparaît sur certains croquis de différents
modèles.
Malgré
leur robustesse, et leur dispersion à travers le monde, il en reste peu.
En
croisant nos sources, il n’y aurait plus que 6 pianos Victory référencés en
France : 1 au musée mémorial de Caen, 2 restaurés par les Ateliers Hanlet, 1
autre restauré par Gérard Fauvin, 1 restauré à Bourges, plus celui -ci par Théo
Taillasson, ce qui fait un total de 6 pianos Victory restaurés en France, donc
relativement rares pour des collectionneurs. Guy Laurent responsable des
enchères à Vichy, haut lieu de vente des instruments de musique au niveau
mondial, n’en n’a jamais vu !
Puis
vint l’armistice ! mais des pianos furent encore envoyés pour égayer le
quotidien des militaires qui avaient relevés les vétérans avec la mission de
protéger l’Europe pendant la guerre froide et qui s’ennuyaient parfois dans les
bases américaines.
La
musique « nous a empêché de devenir fous » diront les vétérans, « un soldat
ayant lemoral est un bon combattant » diront les gradés « la musique repousse
l’ennui du casernement et la dépression » diront la relève….
La
fascination pour l’Amérique
L’influence
culturelle et consommatrice des USA aussi bien sur les valeurs que sur les
produits américains (les jeans, les chewing-gum et coca cola distribués, les
sodas et l’alcool, les cigarettes blondes etc… ) est fondamentale.
L’exportation
de la culture américaine envahit la jeunesse européenne, l'American way of
life, les sports américains, les bandes dessinées comics, les films, les
westerns, le plastique, la littérature, les médias avec la radio et la
télévision naissante, la publicité, l’art…
Le
jazz circule dans des voitures avec hauts parleurs à travers la France,
véritable acculturation et découverte pour la majorité du peuple français,
symbole aussi du renouveau culturel pour la jeunesse soucieuse du progrès et de
l’avenir. La plupart des variétés, musiques de film français, fêtes, bals,
boites sont imprégnées de la culture jazzy.
Le
jazz est déversé dans les radios américaines en continu, des milliers de
vinyles créent la musique de l’émancipation, du modernisme, de la victoire et
sera une des constituantes de l’impérialisme culturel, du soft power américain.
Symbole
de la libération, l’inondation des V discs gratuits de tous les jazzmen seront
détruits après la guerre pour les vendre ! les USA pays du business aussi….
C’est
ainsi qu’après la guerre, pour l’environnement des bases américaines
stationnées en Europe, la musique, avec le jazz puis le rock en roll, devenait
incontournable. Quelques pianos Victory du front ont survécu dans un état
pitoyable et d’autres neufs en stock ont été acheminés pour les bases
américaines jusqu’en 1954. En 1967 les bases américaines partirent de France,
les GI emmenant de bons souvenirs et beaucoup de jeunes françaises (dont ma
cousine !)
Interpellons
les souvenirs de témoins qui ont connu cette époque
Par
les bases américaines, ils ont découvert le jazz et cela a changé leurs
vies.
Bernie
nous raconte : Pour notre génération, gamin nous allions écouter les formations
de jazz à CHAB (Chateauroux Air Base) qui avait un big band de qualité dirigé
par le saxophoniste ténor Billy Harper. Quel choc ! Elève au conservatoire,
j’étais fasciné par la culture américaine. Les musiciens étaient talentueux et
accessibles et j’ai rapidement joué avec eux. Et
puis que de concerts avec des géants du jazz qui faisaient les tours des bases
américaines comme Art Farmer, Benny Golson, Bud Powell, Dexter Gordon, Chet
Baker…
On
avait constitué notre orchestre de jeunes jouant du New Orléans et Dixieland
dans les boites et bals, puis suivant l’évolution du jazz et des disques qu’on
écoutait sans cesse comme Cannonball Adderley, Miles Davis, Phil Woods avec qui
je jouerai plus tard aussi, John Coltrane, Bill Evans, Eric Dolphy etc… j’ai changé de style mais cela a surtout
changé ma vie … Après
le conservatoire de Paris, je devins musicien professionnel où sur scène, en
studio d’enregistrement ou en enseignant, le jazz sera souvent présent.
René Pierre autre
témoin : " Je suis né à Nancy, en Lorraine après
la guerre et à l'adolescence nous avons fait connaissance avec le jazz et avec quelques amis nous avons créé
un orchestre " les Jazz Brownies ". C'était l'époque des Yéyés et de
l'émission célèbre de Franck Ténot et Daniel Filipacchi "pour ceux qui
aiment le jazz ", ou cette musique venant
des States était populaire et surtout faite pour danser. De plus la Lorraine est la région française qui a
accueilli le plus grand nombre de bases. Elle possédait 6 bases aériennes
principales permanentes : deux réservées aux forces canadiennes, les 4 autres à
l'US Air Force. De plus s'y ajoutaient des bases aériennes secondaires de
dispersion, utilisables temporairement par les différentes forces alliées de
l'OTAN sans préférence.
Nous avons découvert par hasard la " Red Cross "
de l'armée américaine dans une grande villa de Nancy, et là on nous prêtait des
instruments, les militaires US jouaient et nous invitaient à les rejoindre pour
jammer ; c'est bien là que notre "carrière de musicien amateur" est
né. Tout cela dans un environnement favorable des sixties, des bals
universitaires où toutes les vedettes du jazz étaient invitées à se produire :
Memphis Slim, Guy Lafitte, Stéphane Grappelli, Lou Bennet, Kenny Clark, René
Thomas, Claude Nougaro, Eddy Louis, Claude Luter, Maxime Saury, Marc Laferrière, Cris Barber…et les bases
américaines où on venait nous chercher pour animer des soirées à Toul, Verdun,
Etain…dans les foyers des bases, où nous croissions sur scène Chet Baker ,
Johnny Griffin…et les clubs de Jazz, comme le Roxy à Nancy, le 4 cats club de
Metz, l'Aubette de Strasbourg, fréquentés par tous les militaires américains et
d'excellents musiciens ricains qui nous prenaient sous leurs ailes "
Little Frenchies "….Une période magique où nous n'avions aucun complexe,
même si on ne maitrisait pas bien les II V I.mais juste on avait de la feuille .....et en plus on nous payait".
Autre
souvenir personnel :
Dans
un Royan bombardé à 85%, ma mère Gisèle Touroude résistante et jeune professeur
de musique après-guerre a réussi à avoir un piano victory de couleur
indéfinissable « un gris bleupisseux » provenant d’une base (je crois vers la
Rochelle où étaient réfugiés mes grand parents) Ma mère était pratiquement une
des rares accompagnatrices des chanteurs et autres musiciens en tournées en
Charente Maritime. Ce piano était une vraie « casserole », un piano de saloon
(mais un Steinway quand même disait ma mère !) mais qui fut utile car il a
permis de débuter avec ses premiers élèves avant d’en louer un plus correct à
Saintes (17). Ce piano américain a fini en bois de chauffage pendant l’hiver
glacial de 1947 vu l’état de la maison et l’absence de chauffage à Royan à
cette époque ! je sais cela fait mal ! surtout au prix actuel proposé par des
musées et collectionneurs.
Mais
en voilà un, qui lui renait …
L’histoire singulière du
piano Victory restauré en Charente Maritime.
Un
Victory Vertical sur la plage. Photo National Archives
Le
Victory Vertical de Steinway & sons n’est pas arrivé à Rochefort (17) en
parachute comme certains mais a été retrouvé par Théo Taillasson, historien
d’art, intéressé par la facture instrumentale qui travaille chez Remy Babiaud à
Rochefort (17) entreprise qui fabrique et restaure des pianos. Théo Taillasson en voulait un…il lance une bouteille à la mer (normal pour
un habitant de l’ile d'Oléron !) et poste une annonce sur internet et en
Décembre 2023 un vendeur italien de Rome le contacte : il a un Victory Vertical
à vendre en Italie qui fut de couleur vert olive de l’armée. Après une
visioconférence, Théo fonce en Italie et après 30 heures de route, revient à
Rochefort.
Ce
piano n’est pas une épave, il n’a pas fait le débarquement en Sicile (1943-44)
mais est arrivé pour fêter la libération (25 avril 1945) d’où son bon état
relatif. Les forces américaines sont restées en Italie. Il fut restauré une
première fois à Rome et parait jouable.
Etiquette de restauration (CP TT)
Le
piano vertical Victory ou modèle droit, modèle 40, a été fabriqué par Steinway
du 27 juillet 1939 au 5 mai 1954. Ce
piano est un Steinway droit modèle Victory n° de série : 317874, la table
d’harmonie Y 369 et le cadre Y 285n en vert olive a été produit début 1945 à
New York.
Ce
piano a été livré aussitôt à l'armée américaine et arrive pendant l'été 1945, à
la fin de la guerre en Italie. Ces dates sont toujours indiquées dans les
livres de stock de Steinway. Kehl et Kirkland décrivent également ce modèle
page 223 : « Une ligne de production spéciale était celle du piano de campagne
GI [General Issue], pour les contrats militaires en temps de guerre : Victory,
croquis 1051a (1942-1946, 1948-1953) et Regency Victory, croquis 1071a
(1942-1943). Les pianos de campagne GI étaient fabriqués à partir de modèles de
caisses artistiques reconnus portant les mêmes numéros de croquis, mais étaient
renforcés pour un usage militaire intensif par des cales et des fixations sous
les touches pour le transport. De nombreux pianos de campagne GI étaient de
couleur vert olive. Certains surplus de caisses 1051a, de couleurs non
militaires, ont été achevés jusqu'en 1954 »
Théo Taillasson et José-Daniel Touroude
Parole au restaurateur de ce piano.
Concernant
la traçabilité du piano, en 2023 le piano est racheté par un revendeur Italien
à Rome (personne à qui je l'ai racheté à la fin de l'année 2023). Il est passé
par un atelier romain (connu grâce à l'étiquette), c'est certainement ici qu'il
a été démilitarisé. Le 88ème marteau a également été changé, tout comme
quelques cordes graves (celles en cuivre). Concernant le reste des opérations
réalisées sur le piano à ce moment m'est inconnu. Je ne sais malheureusement
pas, dans quelle base américaine en Italie il a joué.
Théo
Taillasson de retour d’Italie avec le Victory Vertical. Maintenant au travail….
Concernant
les différentes étapes de la restauration :
La
restauration a commencé par une phase d'archivage avec un état des lieux du
piano au moment où je l'ai récupéré. Après avoir photographié toutes les pièces
et décrit toutes les singularités remarquées, j'ai pu commencer la
restauration. Cette dernière sera régie par le fait de changer le moins de
pièces possibles.
Après
avoir pris toutes les mesures nécessaires, j'ai changé les cordes basses. Dans
le respect historique de l'instrument, j'ai choisi de remettre des cordes
filées en fer, tel qu'à l'origine. C'est le seul changement effectué sur la
structure harmonique.
Pour
la mécanique, j'ai changé les marteaux. Cette étape implique de démonter les
marteaux du montant de mécanique, seulement en effectuant ce geste technique
les lanières, trop fragiles, se sont désagrégées alors j'ai également dû les
changer. Enfin, pour restituer toute sa mobilité à la mécanique, j'ai changé
les axes des marteaux, des chevalets et des bâtons d'échappement.
Concernant
le clavier, j'ai choisi de conserver le revêtement de clavier d'origine, en
effet, il présente des singularités. Premièrement sa matière, issue d'un
plastique que l'on ne produit plus aujourd'hui (celluloïd imitant l'ivoire).
Secondement ce revêtement englobe toute la partie avant de la touche et est
pointé sur la touche pour assurer une robustesse à toute épreuve. Comme pour la
mécanique, les seuls changements, nécessaires au bon fonctionnement du piano,
sont au niveau du clavier : les casimirs de mortaises.
Pour
la restauration du meuble, je l'ai entièrement poncé afin de retirer le vernis
qui a servi à le démilitariser puis je l'ai repeint dans le but qu'il retrouve
sa couleur d'origine. Avec l'aide d'une amie artiste nous avons également
repeint la marque car elle était trop abîmée. J'ai choisi de conserver les éclats
et arrachements présents sur le meuble, ils sont les symboles de l'histoire de
ce piano. J'ai choisi des fournisseurs reconnus afin d'avoir les meilleures
pièces possibles (Heller pour les cordes et Abel pour les marteaux).
À
propos du temps passé et des coûts, il est difficile de fournir des chiffres
précis, cela se compte en centaines d'heures de travail sans compter tous les
travaux de recherche et d'archives, le coût se chiffre en milliers d'euros. En
définitive les changements se résument aux cordes basses, aux marteaux, aux
lanières et à la peinture du meuble. Le reste des changements sont minimes qui
servent à rendre le piano de nouveau jouable.
Par
le concert du 12 avril 2025 qui fut un succès, les jeunes élèves du
conservatoire de Royan ont prouvé qu’il assurait de nouveau. Royan
vient de faire une exposition sur cette histoire et une bande dessinée a été
créée (interlude) en plus des quelques articles dans les journaux saluant la
renaissance de ce piano Victory.(cf
association : mel : unpianotombeduciel@gmail.com)
JDT : Nous avons la
chance d’interviewer Alain Declert, l’ancien directeur des programmes d’une
académie d’été américaine réputée internationalement, située à Round Top au
Texas, qui s’est spécialisée dans le perfectionnement d’étudiants pour les
orchestres et qui a un festival renommé. Comment a débuté ce projet ?
AD : Ce projet commence il y a
50 ans avec James Dick, un pianiste concertiste formé à Austin puis à Londres
par deux élèves d’Arthur Schnabel, Dalies Frantz et Clifford Curzon. Il obtient
des récompenses aux Concours Tchaïkovsky et Busoni et fut invité par Miss Ima
Hogg (fondatrice du Houston Symphony) à donner un récital près de Round Top.
James Dick eut alors l’idée de créer une académie dans ce lieu, en plus de sa
vie de concertiste. Round Top n’était alors qu’un hameau en dehors des axes
routiers avec un seul café-épicerie. Aujourd’hui c’est un lieu incontournable
du circuit des Antiquités attirant deux fois par an des milliers de chineurs et
collectionneurs et des milliers de mélomanes !
JDT : Cette idée peut
paraître bizarre, vu la qualité à cette époque des orchestres symphoniques américains
qui étaient parmi les meilleurs du monde.
AD : Les “Big Five” (New York,
Boston, Chicago, Cleveland et Philadelphie) étaient composés la plupart du
temps par des émigrés et peu par des musiciens américains. Pour former les
nouvelles générations d’après-guerre, les conservatoires ont dû hausser leurs
niveaux (Juilliard School, Manhattan School, Mannes School, Eastman School,
Cleveland Institute, Oberlin, San Francisco Conservatory, Colburn School, USC
Thornton School, UCLA, New England Conservatory, De Paul University, The Shepherd School of Music, Northwestern
University, Bloomington, Denton…) mais aussi créer des académies d’été pour professionnaliser
de jeunes américains prometteurs afin de garder l’exigence d’excellence.
JDT : Les académies
répondaient donc à un besoin de perfectionnement de la relève des anciens, vu
la concurrence mondiale accrue entre les orchestres symphoniques ?
AD : En effet ce besoin
d’excellence, complété par les académies d’été, était essentiel pour tous les
pays et notamment aux USA, mais celles ci étaient rares. On peut citer
Tanglewood fondé en 1940 par Serge Koussevitzky, Aspen fondé par un homme
d’affaires de Chicago en1949, Marlboro fondé par Adolph Busch et Rudolf Serkin
en1950 et Academy of the Westavecla présence de la célèbre soprano allemande
Lotte Lehmann. Plusieurs académies d’été vont donc se créer pour pallier à
cette insuffisance et le Festival Institute de Round Top entre dans ce cadre,
avec en ligne rouge un programme éducatif de niveau supérieur complet et
exigeant qui permettra, comme les autres académies, le perfectionnement des
musiciens d’orchestres symphoniques avec, toutefois, quelques différences entre
elles. D’autres
académies d’été ont aussi vu le jour telles que le National Repertory Orchestra
(Colorado), le National Orchestra Institute (Maryland), le Brevard Music Center
(Caroline du Nord)
qui sont nos concurrents. Signalons aussi des centres de formation permanente
comme le New World Symphony créé par Michael Tilson Thomas à Miami, en 1987
avec l’aide financière de “Carnaval Cruise Lines” (Stéphane Deneve prend la
direction artistique en 2022) ou Orchestra Now fondé par Leon Botstein à Bard
Collège en 2015. Les étudiants américains vont aussi dans d’autres pays se
perfectionner. (notamment Verbier en Suisse crée par James Levine et
l’orchestre du Metropolitan Opéra ou Pacific Festival crée par Leonard Bernstein au Japon).
JDT : Alain tu viens de
prendre enfin ta retraite à 84 ans ! et j’aimerais que tu retraces ton
parcours dans cet établissement pendant 40 ans avec les différentes étapes et
coulisses de ton métier dans cette académie. Comment un ingénieur
électromécanicien français et excellent pianiste, avec qui j’ai joué si
souvent, arrive à gérer et développer aux USA un centre culturel musical
reconnu qui dure et qui regroupe chaque année une pépinière de jeunes étudiants
issus des conservatoires de musique .
AD : J’ai fait des études supérieures parallèles,
comme toi, et j’ai travaillé le piano, la musique de chambre et l’orgue avec
d’excellents professeurs, qui m’ont donné aussi l’envie de lire et d’écouter
énormément de musique. Parallèlement à ma carrière d’ingénieur, je jouais donc
en concert régulièrement avec différents musiciens professionnels ou
d'excellents amateurs, ce qui m’a permis d’étendre mon répertoire de musique de
chambre, d’analyser nombre de partitions et d’accompagner donc de connaître la
plupart des instruments. Puis je décidai de m’installer à Houston au Texas et
de changer de carrière en me reconvertissant dans un des métiers de la
musique qui est et qui demeure ma passion. C’est ainsi que je devins
organisateur de concerts en invitant des artistes français avec l’objectif de
mieux faire connaitre la musique française aux USA. Mon projet était
ambitieux et j’ai dû apprendre toutes les facettes de ce métier :
réservation de salles, markéting, sélection des musiciens, choix des
programmes, contrat avec les agents de musiciens …. et surtout comment
attirer le public avec Ravel ou le groupe des six, ce qui n’était pas évident
et en fait peu rentable…. et c’est ainsi que j’ai découvert une jeune équipe
passionnée à Round Top qui débutait leur académie et ce fut un coup de cœur !
JDT : Mais qu’est que
vous vouliez construire ? Un projet pédagogique pour étudiants comme
beaucoup d’académies dans chaque pays comme Salzbourg, Assisi, Prades, Sion
etc…avec les concerts de fin de stages ou alors un vivier plus élitiste de
musiciens talentueux qui désirent passer leurs vacances dans un stage difficile
et beaucoup plus exigeant pour leur permettre d’accéder à une carrière musicale
professionnelle ? Qu’est-ce qui fait l’originalité de Round Top et comment
expliquer son évolution et son rayonnement international ?
AD : Notre objectif était
et demeure de former des bons musiciens d’orchestres. Matériellement le
démarrage fut modeste. A sa création, la superficie du campus s’étendait sur
2,5 hectares avec deux bâtiments à savoir une ancienne école et une maison en
bois à un étage datant du 19eme siècle, propriété d’une famille devenant
d’ailleurs une des premières à aider financièrement le projet de James Dick.
JDT : Comme dans tous les
démarrages de projet, il faut tout faire à la fois et avoir la foi ?
AD : Oh oui ! Nous
étions peu nombreux mais motivés. Les concerts de musique de chambre se
donnaient dans la cour de cette maison mais avec des invités de qualité comme
le Tokyo Quartet, le Cleveland Quartet, Lili Krauss, Maureen Forrester, le
jeune Yo-Yo Ma… En 1977, sous l’impulsion de Leon Fleisher, un orchestre se
créait avec des professionnels comme Isidore Saslav, premier violon du
Baltimore Symphony, ou Frank Cohen première clarinette du Cleveland Orchestra entre
autres avec des étudiants curieux qui venaient de tous les USA pour participer
à cette expérience. Nous avions récupéré une scène mobile qui avait été
utilisée par le New York Symphony pour ses concerts au Central Park à New York
et qui rouillait dans le Minnesota et qui permit de faire des concerts en plein
air avec ses aléas (bruits divers d’animaux, orages) mais le public texan
répondait présent malgré tout.
Concert en
plein air avec musiciens et public motivés et orages menaçants. Yo-Yo Ma à Round Top en 1977
JDT :
Au départ l’équipe étant réduite, je suppose que vous avez dû faire autre chose
que de la musique ?
AD : En effet, je me rappelle
que nous étions mobilisés sur beaucoup d’actions nécessaires au fonctionnement:
maintenir et developper la bibliothèque musicale, location des partitions,
contrats d’engagement, transports des stagiaires, des chefs d’orchestre, des
professeurs, remplacement de musiciens empêchés pour des raisons diverses, sans
oublier les accidents et les courses aux services d’urgence hospitaliers… Il fallait
être de véritables couteaux suisses ! J’ai même participé aux cuisines …
JDT : C’était l’époque
héroïque et peu connue de la construction de ce projet ! et maintenant ?
AD : Aujourd’hui le campus
compte plus de 80 hectares avec plusieurs constructions pour accueillir les
chefs d’orchestres (7 par saison), les professeurs (environ 40 par saison) et
les étudiants participants (entre 90 et 95), des salles de répétition
nombreuses, une chapelle (transportée d’une ville voisine) pour les cours de
maitres et les concerts intimes (capacité 150 places) et surtout une salle de
concert de 1 000 places : le Festival Concert Halldont l’élaboration et la
construction démarrée en 1982 s’est étalée sur une trentaine d’années. Celui ci
est recouvert entièrement
à l’intérieur de panneaux de bois décorés de motifs gothiques entre autres, et a
été salué par la presse internationale comme une réussite acoustique de premier
ordre. Pendant la saison estivale, en semaine, le public peut assister à la
répétition quotidienne de 2 heures et demie de l’orchestre, puis suivre et profiter
d’une master-class à la chapelle et revenir le samedi pour apprécier le travail
fini avec deux concerts de musique de chambre puis écouter le concert avec
l’orchestre. La formation du public est aussi notre objectif et nous parait
indispensable, si on veut sortir des programmes habituels
JDT : Cela est original !
former des étudiants futurs professionnels est une chose mais former aussi le
public en est une autre et c’est intéressant. Le public connaissant peu ou prou
la partition avec les différentes voix et difficultés des instrumentistes,
demandant au final une interprétation de qualité, c’est formidable mais assez
stressant pour le musicien. La moindre imperfection devient visible ! Round top
est devenu une belle réussite qui s’est construite peu à peu avec beaucoup d‘efforts
pour devenir incontournable. Quel bel écrin pour les étudiants musiciens !
AD : Dès le départ nous étions exigeants, la “master-class cool" pendant les vacances n’était pas notre objectif. Nous voulions constituer une académie de jeunes diplômés des meilleurs conservatoires américains, asiatiques et européens et qui voulaient construire une expérience en orchestre. En conséquence, nous avons répliqué l’emploi du temps hebdomadaire d’un musicien d’orchestre symphonique.
JDT : C’est un véritable stage
de professionnalisation complet mais quel est le déroulement précis ?
AD : En 6 semaines, nous
réalisons ce que les conservatoires font en une année d’études. Les journées sont intenses.
Après le petit déjeuner servi à 8 heures, la 1ère étape commence par la pratique
individuelle de l’instrument (exercices et études des oeuvres programmées.) De
plus des cours privés d’une heure par semaine sont offerts à chaque participant
pour cerner les difficultés et pallier les faiblesses. La 2ème étape débute à 11 heures
avec un partiel c’est à dire une répétition par pupitre (violons, altos,
violoncelles, contrebasses, bois, cuivres en différents lieux de travail sous
la responsabilité de professeurs), puis déjeuner à midi. La 3ème
étape est une classe de maître à 13h30. Si certains instrumentistes sont non
mobilisés, ils doivent néanmoins assister aux leçons des autres instruments car
un violoniste peut apprendre d’un professeur de clarinette, la respiration dans
la musique etc…) et il est impératif de savoir ce que font leurs collègues. La
4ème étape est une répétition en tutti de l’orchestre de 15h30 à 18h des
oeuvres fixées au programme hebdomadaire. Après le diner à 18h, la 5ème étape
est le travail de musique de chambre de19h00 à 22h00 car tous les participants doivent
jouer au moins à une oeuvre de musique de chambre majeure (quatuors à cordes, quintettes
à vent, orchestre de chambre). Les dimanches sont supposés libres (bien que beaucoup
d’étudiants répètent en groupes ou essayent d’obtenir un cours privé supplémentaire…)
Tout le campus baigne dans la musique non stop pendant 6 semaines. Les dimanches sont supposés
libres (bien que beaucoup d’étudiants répètent en groupes ou essayent d’obtenir
un cours privé supplémentaire…) Tout le campus baigne dans la musique non stop pendant 6 semaines.
Master class par Regis Pasquier (June 2022)
JDT : C’est une tension et une
rigueur vraiment intense et sous les yeux permanents des professeurs, des
commentaires plus ou moins critiques des autres musiciens… il faut être
vraiment motivé et je comprends aussi qu’avec ce rythme, on arrive à progresser
rapidement.! Mais les professeurs sont
aussi fortement sollicités ?
AD : Oui ils sont constamment
mobilisés, vivant sur place et partageant leurs repas avec les étudiants. La
plupart des professeurs assistent aux répétitions d’orchestre pour assimiler
l’interprétation des chefs d’orchestre, apprécier le niveau sonore de chaque
instrument et rectifier le tir à la partielle du jour suivant. C’est vraiment
du travail de professionnel comme en orchestre symphonique. Pour éviter de
perdre du temps en partiel, je demande aux professeurs de rencontrer le chef
d’orchestre après la première répétition en tutti afin de déterminer les
passages à travailler plus spécialement et non de répéter intégralement
l’oeuvre, analyser ce que font les autres parties instrumentales (cf le livre
éclairant de Hermann Scherchen “Manuel du chef d’Orchestre”). Ce programme bien
organisé permet de transformer un groupe d’individualités en UN Instrument:
l’Orchestre.
JDT : Comment recrutez-vous
tous ces jeunes instrumentistes, car ce stage est quand même élitiste.
AD : Pas tellement en fait.
Round top est axé sur la formation de bons musiciens d’orchestres pouvant être
ponctuellement solistes, pas des solistes internationaux…. Parce que là c’est
vraiment encore plus dur ! Donc j’ai unetâche essentielle, celle de ratisser
largement et systématiquement tous les talents.
Ainsi je visite d’abord sur
internet les 250 départements de musique existants chaque année, et les quelques
5.500 enseignants aux Etats Unis, Canada et Mexique. Puis je trie et je
contacte alors certains professeurs choisis pour avoir les meilleurs de leurs
classes. Avec le temps, j’ai fait ma sélection des bons professeurs, ayant
principalement une longue expérience de musiciens d’orchestre, et des
conservatoires qui ont envoyé des personnes motivées et performantes. Puis nous
fixons le répertoire des auditions (environ 10 minutes par instrument)
comportant des extraits orchestraux imposés pour chaque instrument, publié sur
notre site internet début Octobre. La date de clôture des inscriptions est
généralement mi-Février et les auditions (vidéos anonymes) sont chargées par les inscrits sur notre site
internet.
JDT : Un bon musicien, c’est
10 000 heures de formation et de travail minimum (soit environ 9 à 10 ans de
pratique), pour maitriser son instrument (10h/semaine pour 1er cycle de 3 ans,
20h/s pour le 2ème cycle, 30 h/ s pour le 3eme cycle) et accéder au niveau
supérieur et se préparer au perfectionnement. Évidemment certains vont moins
vite ou ont d’autres objectifs musicaux, la maitrise instrumentale étant alors
plus ludique, une source de plaisir et non un futur métier et c’est très bien
aussi. Mais pour devenir de vrais
professionnels d’orchestres, il faut en plus des milliers d’heures de
perfectionnement (comme d’ailleurs dans les autres études supérieures d’autres
matières) car la concurrence est de plus en plus mondiale. On le voit lors les
concours internationaux et dans les orchestres où les femmes et les étudiants
étrangers, qui étaient absents à mon époque, sont de plus en plus présents.
AD : Lorsqu’une position est
ouverte dans un orchestre de classe internationale, les candidatures se
comptent par centaines ! Je recommande le très intéressant documentaire réalisé
par John Beder (un alumnus de Round Top): “Composed”.
AD : Il faut noter que les dates du
festival (début Juin- mi Juillet) ne sont pas favorables au recrutement en
Europe où les examens de fin d’année scolaire sont début Juin, mais nous avons
des élèves européens et asiatiques ayant fini les conservatoires nationaux et
commençant leur carrière et qui veulent avoir « fait » Round Top pour
leur CV. Désormais, mais il fallu du temps et beaucoup d’efforts, il est facile
d'attirer des jeunes talents du monde avides de se perfectionner et qui
constitueront l’élite musicale classique, car Round Top est devenu une référence.
JDT : Mais gérer une
centaine d’étudiants (es) qu’il faut nourrir et héberger dans un campus avec un
rythme de travail intense sous la tutelle de professeurs exigeants et
enfermé(es) 6 semaines avec des concerts à réaliser ne doit pas être facile à
organiser ? Comment cela se passe concrètement pour toi ?
AD : D’abord j’établis le
programme des concerts symphoniques incluant les chefs d’orchestres et les solistes
choisis parmi le corps professoral. Nous invitons peu de stars. Nous avons peu
à peu monté en puissance. Au départ, le programme orchestral était de 3
semaines sous la direction d’Heiichiro Ohyama (assistant de Carlo Maria Giulini
à Los Angeles et fondateur du Festival de Musique de Chambre de Santa Fé) En
1991, nous ajoutâmes une semaine supplémentaire en invitant Pascal Verrot
(alors jeune assistant de Seiji Ozawa à Boston et Tanglewood et devenu un
habitué de Round Top pendant 22 ans !). De 1992 a 1999, nous invitions 4 chefs
par saison. En 1999, vu notre extension matérielle aussi, nous sommes passés à
6 semaines et 6 chefs.
JDT : C’est très important
pour la formation de pouvoir s’adapter à différentes conceptions d’une oeuvre,
de tempo, mais aussi à plusieurs chefs qui ont des manières différentes de
diriger.
AD : Bien sûr mais nous
travaillons aussi différentes dispositions d’orchestres. Je demandais toujours
aux chefs invités de me dire le placement, en particulier, des cordes. Le
public ne comprend pas toujours cet important détail en fonction du répertoire !
Au cours de ma carrière, nous avons invité plus de 50 chefs d’orchestre de
nationalités diverses (Américains, Canadiens, Anglais, Portugais, Français,
Autrichiens, Hongrois, Tchèques, Polonais, Russes, Japonais, Chinois,
Brésiliens, Argentins, Péruviens, Colombiens, Vénézuéliens…) Chacun a une
vision de la musique ou d’une oeuvre et les échanges sont passionnants.
JDT : Mais comme responsable, tu
dois proposer la saison autour d’un thème et recevoir l’approbation des chefs d’orchestre
pour les programmes que tu as suggérés. Peux tu nous donner des exemples?
AD : Nous avons inscrit de
2009 à 2013 à raison d’un programme chaque saison, la musique des Grands
Ballets Russes de Diaghilev pour fêter le centenaire de cet unique événement
culturel donnant naissance à des chefs d’oeuvre signés Stravinsky, Ravel,
Debussy, Rimsky-Korsakov, Richard Strauss… Un anniversaire important peut donc être
le point de départ (1999 le centenaire de la naissance de Francis Poulenc, 2000
le centenaire d’Aaron Copland, 2017 le 80ème anniversaire de la disparition de
Maurice Ravel, 2020 les 80 ans de Joan Tower…)
Nous avons également présenté
en version de concert “Pelléas et Mélisande” de Claude Debussy pour célébrer le
centenaire de sa création en 1902 (à ma stupéfaction, non seulement nous
réalisions la première texane de l’ouvrage mais aussi le seul endroit aux USA à
le présenter en 2002… on a fait salle comble devant une audience venant de tout
les USA avec une fort belle distribution contractée 2 ans en avance et avec deux
répétitions par jour en une semaine ! Les jeunes participants ne le rejoueront
probablement plus dans leur vie … En dehors des programmes symphoniques, nous
programmons des oeuvres pour orchestre de chambre (Arnold Shoenberg op. 9,
Bohuslav Martinu Double Concerto pour cordes, piano et timpani, Bela Bartok
Musique pour cordes, percussion et célesta, Aaron Copland Appalachian Springs,
Francis Poulenc Aubade….)
JDT : Quelles expériences pour
ces étudiants ! On sort des sentiers battus et c’est varié mais les étudiants
ne connaissent pas toutes ces oeuvres et ils doivent bien déchiffrer et
travailler en amont.
AD : En effet, les
participants doivent pouvoir jouer les oeuvres dès la première répétition
d’orchestre. Le premier lundi du stage, la matinée est réservée aux auditions
des stagiaires par le corps professoral afin de fixer les positions dans
l’orchestre. Ils ont dû donc travailler techniquement en amont du stage. Il est
de règle à Round Top de faire jouer les premiers pupitres à tout le monde
durant le stage. Donc, au cours du même concert, le ou la première clarinette
d’une des oeuvres inscrites au programme peut se retrouver troisième clarinette
dans une autre oeuvre du même programme. Les stagiaires expérimentent toutes
les positions possibles. Ajoutons que les professeurs ne jouent pas en principe
dans l’orchestre, afin de le renforcer, à la différence d’autres académies
d’été… le challenge est ainsi plus élevé.
JDT : Mais comment choisis-tutes professeurs ?recruter
des musiciens professionnels qui sont libres, qui veulent et qui peuvent venir
passer plusieurs semaines pour enseigner ne doit pas être évident ?.
AD : C’est une des
facettes de ce métier de convaincre des solistes et des professeurs de
conservatoires prestigieux de venir enseigner et jouer entre eux bien sûr mais
aussi répéter avec des étudiants et au départ ce n’était pas facile. Depuis le
festival est connu internationalement, les demandes affluent. Nous recherchons des
professeurs reconnus pour leur expérience de chefs de pupitre de sections de
l’orchestre. Nous avons désormais d’anciens
élèves de l’académie qui ont fait leurs chemins (en 2022,13 professeurs sur 40, ravis de revenir)Les professeurs doivent
résider au moins une semaine. Je crois que nous sommes peu nombreux parmi les
festivals concurrents à offrir aux jeunes stagiaires la présence permanente
d’un enseignant pour chaque instrument. Chaque semaine nous accueillons au
moins 17 enseignants (flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trompette,
trombone, tuba, percussion, harpe, piano, violon, alto, violoncelle,
contrebasse). Les programmes de musique de chambre que nous leur proposons sont
rarement des duos avec piano mais plutôt trios, quatuors … jusqu’au dixtuors
(quintette à cordes + quintette a vents) avec ou sans la participation des
étudiants.
JDT : Donc une fois le
programme fixé, le corps professoral choisi, les étudiants avertis ayant envoyé
leurs CV et enregistrements, que se passe t-il ? Toute la vie de musiciens se
passe par des sélections, concours, prestations.
AD : Les professeurs les
écoutent, les jugent et nous font parvenir leurs choix (475 auditions en 2022)
avec plusieurs
critères dont le rythme, l’intonation, et l’articulation musicale. Avec de l’expérience, on peut
juger en quelques minutes. Une fois la sélection effectuée, nous envoyons des
invitations aux étudiants choisis à suivre le stage. Certains ne les acceptent
pas, ayant été invites à une autre académie ou pour des raisons financières. On
peut, le cas échant, donner la chance à une liste d’attente existante pour
chaque instrument.
JDT : Tu mentionnes “les
raisons financières.” Peux-tu nous dire ce que doit débourser un stagiaire?
AD : Les frais d’inscription du
dossier et audition sont de $80. Une fois l’invitation reçue et acceptée, le
stagiaire doit régler l’enregistrement de sa position soit $250 non
remboursable (une sorte d’assurance de sa bonne foi) et, plus tard, la
participation aux frais de logement et de cantine ($1,100 en 2023). Nous
offrons environ une quinzaine de “workstudies” (positions de marqueurs de coups
d’archet sur les parties de cordes et préparation de la scène de la salle de
concert, constamment utilisée dans diverses utilisations) estimées à la moitié
des frais de logement et de cantine.
JDT : A part la musique
baroque très spécialisée avec les instruments d’époque que d’autres académies
font, vous avez programmé pratiquement la majeure partie du répertoire
classique, romantique, moderne et avec même des créations mondiales de musique
contemporaine.
AD : Oui notamment de Dan
Welcher, Shiva’s Drum (piano et orchestre), Malcom Hawkins, Rasmandala (piano
et orchestre), Chinary Ung, Rising Light (piano, choeurs et orchestre), Christophe
Looten, Kammerkonzert (orchestre) et The Book of Angels (violon, alto et
orchestre), Frank Ticheli, Concerto pour clarinette et orchestre, Jonathan
Leshnof, Concerto pour orchestre et 2 percussionnistes, Gregory Vajda Duevoe,
pour piano et orchestre …. et de nombreuses oeuvres de musique de chambre.
JDT :
Faire un festival une fois qui marche avec des têtes d’affiches et de la
musique connue c’est relativement facile si on a les financements. Mais durer
dans la qualité avec des oeuvres peu connues c’est autre chose.
AD : Qu’appelle-ton
“têtes d’affiche”? Le même menu servi jusqu’à satiété. Il faut être créatif
dans les programmes, les enseignements, les professeurs et developper la
curiosité. Le Domaine Musical de Pierre Boulez et le Festival de Royan (cf ton
article) ont donné au public des occasions de rencontres avec une musique
différente de leur éducation et leur milieu sociétal. Pour les musiciens, il
est nécessaire de poser des questions à la partition pour qu’elle livre ses
secrets. Trop souvent, le jeune musicien se réfère à ce qu’il entendu ou à la
tradition, “l’illusion de la permanence” fait dire à l’un de ses personnages
l’imaginatif Woody Allen.
Ainsi
par exemple, pendant 5 ans, nous avons présenté chaque année un concert consacré
à la seconde école viennoise (Schönberg, Berg et Webern). La première année la salle
était clairsemée et dubitative, peu habituée à entendre ce genre de musique
mais la dernière année plus de 500 personnes étaient au rendez-vous !
JDT : Il y a aussi un autre
défi : Round Top est en pleine campagne, il faut faire venir le public et donc
avoir un markéting important. Peux tu nous préciser ton action ?
AD : Nous avons plusieurs contraintes : d’abord géographique
car nous sommes quasiment au centre du Texas (plus grand que la France) à
mi-chemin entre Austin et Houston, et notre public n’hésite pas à franchir 300
km (on ne fait rien au Texas sans voiture). Puis une contrainte culturelle car
le pourcentage du public intéressé par la musique dite classique est d’à peine
1% aux USA. Il est donc impératif de cibler les médias spécialisés qui sont de
plus en plus rares en plus. En 40 ans, l’arrivée d’internet (depuis 2001), les
grandes villes texanes ont réduit leurs journaux et surtout ce qui est
fondamental pour nous, iIs se sont séparés de tous leurs critiques musicaux.
Il n’y en a plus qu’une petite
vingtaine dans tous les USA ! Certains ont des “blogs” qui font peu de compte
rendus de concerts mais plutôt des annonces publicitaires ! Il reste bien sûr
quelques magazines mensuels spécialisés assez confidentiels. Les réseaux
sociaux annoncent toutes sortes de concerts et de musiques aussi… Tout ceci
amène un peu de visiteurs mais en fait, ce qui compte le plus, demeure la liste
des anciens visiteurs et des amis de l’académie qui font du « bouche à
oreille ». Nous avons ainsi réussi à fidéliser des auditeurs. Et puis il y
a Youtube. J’ai créé un canal en Janvier 2006. Il a fallu16 ans pour atteindre
2 millions de visiteurs ! Le programme radiodiffusé quotidiennement
“Performance Today” par American Public Media basé à St. Paul, Minnesota (2
heures de concerts enregistrés quotidiennement) relayé par 220 radios aux Etats
Unis (il y en avait 480 en 1994!) prétend être entendu par 2 millions
d’auditeurs aux USA (population 380 millions.) Nos concerts sont tous enregistrés
et je leur fait parvenir les plus réussis musicalement depuis 1994. En 2022, 22
oeuvres enregistrées à Round Top ont été programmées, ce qui est une bonne
promotion mais c’est un combat permanent pour nous imposer dans notre niche de
la musique classique etcontemporaine. (https://www.yourclassical.org/performance-today)
JDT : Comment composes tu un programme? Es
tu libre ou as tu des suggestions de ton conseil d’administration ?
AD: Plusieurs composantes non musicales
existent : d’abord remplir les salles, l’aspect financier étant essentiel donc
jouer de la musique accessible, les oeuvres connues du public, les grands
compositeurs enfin le grand répertoire…. et la facilité ! et tous les festivals
font cela. Moi j’ai cherché en plus, et c’est ce qui fait notre originalité, l’éclectisme
dans les programmes des concerts. J’ai bien sûr fait la part belle à la musique
française, j’ai programmé des compositeurs peu connus (Albert Roussel, Florent
Schmitt, André Jolivet, Guillaume Lekeu, Jean Cras, Adolphe Blanc, Jean
Cartan…) qui me semblaient importants dans le répertoire. Mais le maître mot
est innover sans cesse et se démarquer des autres mais avec une exigence de
qualité. Rappelons nous le dicton célèbre «La maitrise du métier sans
innovation et l’innovation sans maitrise du métier sont sans avenir ! » Mais j’ai encore un double défi : tenir
compte de la capacité d’absorption et de répétition des stagiaires d’une part et
d’autre part maintenir l’attention du public donc ne pas dépasser 1h20 de
musique par concert. Je dois avouer avoir reçu constamment l’appui
de James Dick, pourtant occupé par sa carrière, l’administration financière et
le développement du campus.
JDT : Moi je pense à certains (es) qui ont
à la fois le métier et l’innovation… Mais l’innovation en musique, c’est une
prise de risques avec l’objectif voire l’obligation de remplir une salle de
1000 places !
AD : Oui il y a des prises de risques voire
des transgressions. Ainsi j’ai programmé le Concerto pour Orchestre de
Lutoslawski alors que l’oeuvre était interdite de séjour à Austin par le
conseil d’administration de l’orchestre symphonique local qui ne connaissait
pas le compositeur… mais succès à Round Top ! et nous l’avons programmé trois
fois. Tous répertoires orchestraux confondus, le Round Top Festival Institute a
programmé environ 500 oeuvres différentes. Autre exemple : Il faut aussi trouver des
oeuvres ou des événements que les autres académies et festivals n’ont pas car
les USA vivent dans la concurrence permanente ! c’est à la fois stimulant mais
stressant. Ainsi nous avons invité Walter Thompson, résident en Suède, créateur
du ‘soundpainting’ dont tu es un partisan et que tu m’avais décrit comme ayant un
certain succès en Europe. Peu connu et accepté aux USA, pays pourtant créateur
du free jazz et des improvisations collectives, nous avons pu éviter la cacophonie
et ensemble réaliser avec de bons musiciens classiques avec une palette de sons
inspirantes un vrai concert soundpainting de qualité car j’avais pris 20
stagiaires motivés pour participer à ce programme (15 jours de répétitions
avant le concert qui fut très bien reçu par les participants et le public. Tu
aurais adoré faire cette expérience ! Malheureusement, mon successeur ne réinvitera
pas Walter pour des raisons financières (environ coût : $8,000)
Mais si parfois on accepte mes transgressions
et innovations, il faut revenir à d’autres choses plus rentables ! Ainsi le
conseil d’administration du festival m’a aussi fortement suggéré de programmer
de la “pop music”. Hormis quelques 5 ou 6 orchestres aux USA, qui refusent tenant
à la qualité de leur “son”, les autres orchestres programment ce type de
musique car cela remplit les salles. Ainsi j’ai donc démarré en Juillet 2001 (mois
anniversaire de l’indépendance américaine) des programmes incluant en première
partie de la musique américaine de grands compositeurs américains (Copland,
Barber, Joan Tower, Gershwin, Bernstein, McDowell, Heggie, Corigliano, Morton
Gould, Howard Hanson… ) cela c’est pour l’aspect culturel
« classique » et après l’entracte une collection d’arrangements de
musique « populaire » américaine en face d’un public vêtu de couleurs
nationales et brandissant des drapeaux US et texans. Salle comble…. et en plus
des panneaux publicitaires, le public etait invité après le concert à déguster
les crèmes glacées locales de Blue Bell Icecreams, concoctées dans l’usine près
de Round Top.
La grande flutiste Carol Wincenc se préparant au piccolo “Stars and Stripes
Forever” de John Philip Sousa
Concert sound painting avec Walter
Thomson à Round Top (appuyez sur la photo pour écouter)
Alain Declert avec James Dick et
le violoniste Chen Zhao (ancien alumnus et devenu enseignant au San Francisco
Conservatory of Music et membre du San Francisco Symphony) (Juillet 2022)
JDT : Avez vous des injonctions politiques
car vous vivez actuellement dans un climat idéologique et culturel nouveau qui
arrive aussi chez nous.
AD : Oui et cela entraine encore une
complexification de notre métier. Ainsi par exemple la Ligue des Orchestres Américains
demandent fortement l’application de « Equity, Diversity, and Inclusion
in Artistic Planning ». Nous devons nous plier aux exigences
actuelles et à cette polyvalence : il faut donc concilier à la fois former des
étudiants vers l’excellence et donc avec un certain niveau professionnel
forcément élitiste mais en même temps suivre des quotas sur des critères
politiques et sociologiques.
JDT : C’est un sujet politique actuel pour
beaucoup de pays : équité ou égalité donc obligation de la discrimination
positive ce qui est nécessaire si on ne veut pas reproduire les ghettos sociaux
mais forger une véritable culture transversale et nationale en empruntant
plusieurs cultures musicales. C’est difficile car chaque communauté baigne dans
sa musique et souvent, une fois leur formation technique réalisée, des jeunes
musiciens talentueux ont une propension à aller vers des master-class qui les
concernent plus culturellement (jazz, latino, klezmer, country, musiques
populaires etc…). Je sais qu’en jazz certaines académies sont prisées et de
haut niveau aux USA et certains saxophonistes que je connais en rêvent ! Tu as mentionné le sponsor de ce concert «patriotique».
Qu’en est-il des autres concerts? Comment arrive-t-on financièrement à
maintenir une organisation comme le Festival Institute à Round Top ? Ce qui
m’impressionne, c’est la montée en puissance qualitative régulière pendant si
longtemps. Faire durer un festival et une master class internationale sans
subvention des états. Les spectacles sont payants mais génèrent peu de
bénéfices. Quelles sont vos sources financières ? tout ceci coûte une fortune,
il faut trouver des fonds et trouver des sponsors fidèles pour durer ! Qui
s’occupe de la recherche des financements ?
AD : Le budget annuel dépasse les 2 millions
de $. L’entretien des installations et leur coût de fonctionnement représentent
plus de 60% du total. Les aides financières parviennent des fondations privées
ou des compagnies dans des secteurs très variés (industries, assurances,
banques, tourisme,…) Nous avons aussi l’aide gouvernementale qui s’effectue
nationalement à partir de Washington (National Endowment for the Arts) et dans chaque
état (Arts Councils) mais qui subventionnent que 2% du budget ! Donc ce sont
les entreprises et les fondations privées qui nous permettent de continuer
difficilement car l’argent pour le style de musique pratiqué à Round Top
n’attire pas facilement les foules, ni les supports financiers.
JDT : Peux tu préciser ? Qui va à la
recherche des financements ?
AD : Les fondations privées à buts
charitables sont créées par de riches familles américaines et associations
charitables. Chaque année, je fournis des documents appropriés à présenter dans
les demandes de fonds, questionnaires, paperasses….mais je m’en occupe peu personnellement
car c’est un job à temps complet.
JDT : Et puis vous faites aussi beaucoup d’enregistrements.
La salle de concert et la chapelle sont de
merveilleux studios d’enregistrement. Nous les louons fréquemment à des
solistes ou ensembles variés. Nos archives sonores des concerts remontent à
1983. Elles contiennent quelques joyaux!
Conclusion : tu as consacré
une grande partie de ta vie à l’élaboration d’une structure essentielle et tu
as répondu à la question d’un de mes précédents articles sur ce blog : qu’as tu
fait de tes talents musicaux ? Nous avons la réponse. Merci Alain et bonne
retraite (en sachant que tu resteras consultant, habitant toujours sur le
campus !)
Souvenirs, souvenirs …..José Daniel Touroude (jouant le
quintette de Brahms) et Alain Declert à l’orgue jouant Bach …au siècle dernier
!
Si vous vous intéressez aux instruments de musique anciens, donc aux facteurs d'instruments à vent, de pianos, d'orgues ou aux luthiers, aux marchands de musique....vous voulez mieux les connaître. Ce blog met à votre disposition des données qui vous permettront d'illustrer vos articles, dossiers, documentation. L'idée est d'échanger, de partager...les connaissances. Si vous avez des infos, des documents....faites des blogs, des sites, des articles.....ou communiquez les nous pour les publier sur ce blog.