par José- Daniel Touroude.
Notre blog est principalement axé sur les instruments à vent et comme la Catalogne
est sous les feux de l’actualité, nous avons eu envie d’analyser deux
instruments régionaux typiques que vous avez sans doute entendu mais qui sont
assez méconnus.
J’ai eu la chance de rencontrer récemment lors du séminaire résidentiel de
l’ACIMV (Synthése des trois jours ACIMV) la compositrice catalane Nuria Bonet spécialiste de ces
instruments, ce qui m’a donné l’idée de faire un petit article sur notre blog. Ces
instruments sont la TÉNORA et le TIBLE.
A gauche la Ténora, à droite le Tible.
(source http://www.music-ceret.com/)
Description : La TÉNORA et le TIBLE catalans sont le
plus souvent en bois de jujubier (utilisé en ébénisterie appelé «acajou
d’Afrique» produisant des fruits savoureux jujubes ou «dattes chinoises» qui
poussent dans les pays tropicaux mais aussi en Catalogne). La TÉNORA et le TIBLE français sont fabriqués eux, en buis puis en ébène (comme
les clarinettes). La TÉNORA est en si bémol a une longueur d’environ 86 cm et un pavillon
métallique qui réduit un peu son poids et comme le hautbois, il se joue avec
une anche double. Le TIBLE est en Fa et fait environ 55 cm avec un pavillon en bois qui comporte
souvent quatre trous de résonance et reste un des rares hautbois traditionnels
chromatiques. Il produit un son plus aigu que la ténora.
Origine :
Ces instruments régionaux de la Catalogne des deux côtés des Pyrénées proviennent
d’un vieil instrument qui a fait les beaux jours du moyen âge et qui a perduré
dans de nombreux pays en évoluant : il s’agit de la famille des chalémies.
Ces instruments à anche double vont aussi bien donner notamment la Ghaïta
nord africaine (que l’on trouve encore dans la Fantasia vu sa sonorité
puissante), que le hautbois en Europe.
Utilisation :
La TÉNORA et le TIBLE sont des instruments incontournables dans un type
d’orchestre particulier : la Cobla. Celle ci se compose de 11 musiciens dont les instruments sont en Sib,
Fa, et Ut. Le Flaviol (flûte à bec en Fa, très aigu proche du Galoubet provençal qui
se joue de la main gauche alors que la droite tape sur le tambourin). Le
tambourin donne le rythme et avec le flaviol, ils débutent très souvent la
sardane. Les Tibles I et II et les Ténoras I et II. Les Trompettes I et II, (cornets au départ remplacés par la trompette à
pistons en Sib plus sonores car la cobla joue en plein air). Le Trombone (à pistons en Ut). Les Fiscorn I et II (bugles à 3 pistons rotatifs en Ut font les mélodies et les basses du rythme). La Contrebasse (à 3 cordes accordées en quarte font les pizzicati en basses)
.
Sardane de Ricard Viladesau (appelé le prince de la
ténora !
à qui appartenait la ténora de Paul Carré.
La Cobla accompagne et joue pratiquement
que pour les danseurs de sardanes. La sardane fait partie des danses anciennes en cercle fermé (affectionnée
par des Ibères selon les grecs anciens) qui
se danse alternant souvent hommes et femmes et qui a été popularisée et normalisée par Pep Ventura
. Elle est composée d’une alternance d’une partie de pas courts et une autre de
pas longs. On danse la sardane à chaque occasion et fêtes et a été interdite
sous Franco ! cette danse est devenue alors une manifestation de la
résistance identitaire catalane républicaine. Elle reste très vivante et il y a
une multitude de compositions de sardanes et on en compose toujours
actuellement. On en trouve parfois dans la musique classique comme par exemple dans un
opéra (héliogabale) de Déodat de Séverac ou l’oratorio « la crèche » de
Pablo Casals.
Histoire :
Au 19ème siècle tous les instruments à vent (flûte, clarinette, hautbois,
basson) évoluent avec un nombre de trous et de clés supplémentaires afin de
jouer la musique romantique nécessitant plus de chromatismes et de virtuosité. Actuellement
les ténoras ont souvent 13 clés. En Catalogne les chalémies vont donc suivre le mouvement et se doter de clés
également donnant la TÉNORA et le TIBLE modernes. La TÉNORA et le TIBLE sont
récents et sont dotées de clés vers la moitié du 19ème siècle.
Originaires de Perpignan vers la moitié du 19ème siècle, ces
instruments ont été perfectionnés par Andreu TORON (1815-1886) qui conçoit La
TÉNORA comme un instrument militaire au son puissant qu’il appelle hautbois ténor.
Il n’aura pas beaucoup de succès. Par contre le clarinettiste catalan Pep Ventura (1817-1875) s’empare de
l’instrument de TORON et en devient un virtuose dans son orchestre à Figueres,
de l’autre côté des Pyrénées. Par imitation, il fera de nombreux adeptes dans les coblas catalanes pour
jouer des sardanes. Il aura une grande influence sur cette musique et sur cette
danse qui deviendront emblématiques de la Catalogne. Actuellement il existe plus
de 150 coblas en Catalogne et une dizaine en France (Roussillon). Avec
l’influence de Ventura et de ses émules, La TÉNORA au son chaud et puissant, plus
lyrique devint souvent l’instrument soliste de la cobla au détriment du TIBLE.
Pep Ventura. |
Qui a fabriqué
les TÉNORAS et TIBLES ?
C’est là que les recherches universitaires de Nuria de répertorier et
d’analyser tous les tenoras et tibles des musées et des collections privées
sont essentielles. Logiquement les facteurs de ces instruments sont catalans (catalogne espagnole
et catalogne française notamment du Roussillon) avec des constructions
similaires mais dans les 25 ténoras recensées
dans un article du Galpin society journal, on note que ¼ de ces instruments
typiquement catalans étaient produits à la Couture-Boussey ! (Normandie)
haut lieu de la facture d’instruments à vent. Ainsi les TÉNORAS françaises sont des instruments construits par les
facteurs Jérome Thibouville-Lamy, Thibouville Aîné et Bercioux . On les retrouve au Musée des Instruments (Céret), au Palais Lascaris
(Nice), au Musée Casa Pairal (Perpignan), au Musée des civilisations de
l’Europe et de la Méditerranée (Marseille) et au Musée des Instruments à vent
(La Couture-Boussey) mais aussi dans des collections privées ( F.
Camboulive, B. Kampman…) indique Nuria. Dans la littérature à ce sujet, seul le ténoriste Albert Manyach en
parle (Notice sur les instruments catalans) «Les instruments français ont
un clétage supérieur mais un son inférieur à cause de leur bois. En effet, ces
instruments sont en ébène au lieu du jujube utilisé en Catalogne. Ils ont
souvent moins de clés, par exemple souvent sans clé d’octave qui cause des
problèmes d’intonation.» En analysant les collections privées de notre association (ACIMV), Nuria a
pu découvrir des nouvelles Ténoras mais surtout des Tibles français inconnus et
particuliers qui vont dynamiser ses recherches….
Tible (gauche) et Ténora (droite) français (Collection Thicam)
A suivre et pour vos vacances dans le sud, apprenez à danser la
sardane !
De
Nuria Bonet : « j’ai écrit il y a quelques mois une pièce pour
percussion qui reprend le thème de sardana le plus fameux (à mon avis) «
La Santa Espina ». La pièce est un ‘remix’ de thème, le titre est donc un
anagramme de la Santa Espina, Satan Nasal Pie.
Bonne idée que cet article. Je ne sais si vous vous y êtes référé mais il me semble indispensable de citer l'ouvrage de référence d'Enric Frances "Andreu Toron i la tenora 1815-1886 - Historia de la musica dels joglars a Catalunya-Nord al segle XIX" édition bilingue catalan-français, IMPEM/FSR Cotlliure 1986.
RépondreSupprimerJL Matte