José-Daniel
Touroude
Le célèbre violoncelliste Maurice Maréchal (1892-1964) dans les tranchés avec son célèbre violoncelle le "Poilu" fait en bois de caisse. |
Après le
précédent article sur les problèmes de santé qui nuisent à la vie de musicien
et le recours à la médecine et à la pharmacie pour rester en forme car comme
toute personne sur scène (artistes divers, politiques…) il faut être
constamment au top, voici un des nombreux exemples qui permet de constater que la musique peut sauver des vies dans des
conditions peu supportables.
Les
conditions extrêmes sont des moments où l’homme est privé de liberté et est en
souffrance à cause des autres (par exemples les dangers de la guerre, l’exil,
la peur de la mort, la prison ou par un handicap physique ou psychique, l’hôpital
avec des maladies et traumatisme divers. La musique sert alors à s’échapper d’une vie
insupportable, un soutien dans les épreuves, un moyen salvateur contre la
dépression, la maladie psychique. Comment
organiser sa survie dans un environnement malsain ou absurde ? Les
exemples sont nombreux mais je choisirai puisque nous avons fêté le centenaire
de l’armistice de 1918 un exemple riche d’enseignements peu connu. Jusqu’au
moment de la célébration de l’armistice de 1918 et de l’enfer qu’ont vécu des
millions d’hommes, la vie des musiciens a été également bouleversée.
Militaires américains : Un moment de détente avant le prochain assaut. |
D’abord
de nombreux artistes sont morts et d’autres furent mutilés mais certains ont
réussi à survivre grâce à la musique. Ainsi quand le violoniste soliste
international Lucien Durosoir, célèbre avant la guerre, fut obligé de quitter
son Guarnérius pour la baïonnette dans les tranchées. Face à la mort qui l’attendait
la musique le sauva car il fut reconnu par son colonel qui l’avait entendu à
Pleyel 2 ans avant (comme nous l’indiqua son fils Luc Durosoir) et avec le
célèbre Caplet (1er prix de Rome devant Ravel ! et ami de
Debussy qui tenait l’alto), le jeune Marechal qui sauva sa vie aussi grâce à
ses talents de musicien et qui fut plus tard un des plus grands violoncellistes
et professeur au conservatoire de Paris (son violoncelle fabriqué sur le front avec
une caisse de munitions ! «dénommé le poilu» trône actuellement au musée
de la Villette) et le pianiste Magne
puis ponctuellement d’autres musiciens professionnels, ils montèrent un
orchestre… Beaucoup de musiciens devinrent ainsi brancardiers (ce qui était une
tradition depuis les armées royales pour les musiciens )
«Les
musiciens du général« furent protégés par le général Mangin qui lors des
moments de répit devaient organiser des concerts pour lui et son état major, parfois
pour la troupe (quoique les quatuors de Beethoven ou la musique contemporaine
française ne faisaient pas vibrer la troupe selon les lettres de Durosoir
et de Marechal !). La
musique de chambre «aristocratique et bourgeoise» pour les officiers, les
chansons à boire pour le peuple. («en jouant les tziganes« dira Caplet
(il était loin du Boston Symphony ou du Covent Garden de Londres !). Mais la
variété des styles de musique selon les classes sociales est un autre sujet. Une
question dérangeante: les musiciens moins talentueux ne furent pas épargnés
et les instruments à vents d’harmonies et de fanfare (même des prix de
conservatoires) n’eurent pas le même traitement que les instruments «nobles» de
la bourgeoisie…. A méditer.
Grâce à la musique ces musiciens d’exception en faisant la
guerre étaient privilégiés car pas considérés comme de la chair à canon et
purent sauver leurs vies . Et la musique transcendait la haine car près des tranchées il
jouait de la musique allemande du 18 et 19ème siècle du grand
répertoire. (malgré Caplet qui faisait découvrir à ses amis les harmonies
révolutionnaires françaises de Debussy, Ravel, Chausson, Satie etc.. ).
En face dans le camp allemand le grand compositeur Hindemith
(bien connu des clarinettistes chambristes) regroupera aussi des musiciens
professionnels et fera la même chose, c’est à dire des répétitions et des
concerts à chaque moment libre pour s’échapper de l’horreur et soutenir le
moral des autres.Tous élargissent et diversifient leur répertoire, avec une
rigueur de professionnels entre les bombardements, «la musique nous a désabrutis, c’est notre
protection pour ne pas revenir à l’état sauvage des autres combattants, la
guerre détruit l’âme et pour échapper à ce danger et à tous les dangers aux
découragements, à la promiscuité, à la faim, la soif, la boue, la violence …l’art
peut sauver, c’est l’oxygène de survie écriront –ils.
Les musiciens inversent aussi la hiérarchie militaire le
temps d’un concert. Le simple soldat-musicien assez méprisé par la hiérarchie devient
le musicien star–soldat que les gradés applaudissent ! La musique a permis de traverser les épreuves mais après la
guerre Durosoir ne put rejouer et composa. D’autres musiciens comme des millions d’hommes furent
handicapés : cf le concerto de Ravel pour la main gauche, certains
facteurs modifièrent les instruments.
Orchestre de musiciens invalides. |
Lors de la seconde guerre mondiale, les musiciens ont pu
s’échapper mentalement aussi des conditions atroces des camps de prisonniers
(rappelons Clara Askil rejouant les concertos de Mozart sur une planche
détournée en piano muet l en camps de concentration, ou Olivier Messiaen
composant le quatuor pour la fin du temps qui a fait transpirer nombre de
clarinettistes !) ou plus dramatiquement les musiciens du camp de Terezin.
(il y a eu un concert récemment en Israël avec des instruments restaurés à cordes tirés des camps de concentration).
Clarinette mi bémol de Zalud à Terezin
La musique permet aux musiciens de tenir, de s’échapper mentalement
mais aussi de donner de l’espoir aux autres. Nous pouvons le voir dans les
prisons (une expérience vraiment particulière) et en fait dans tous les lieux
où l’homme est privé de liberté et souffre, la musico thérapie en hôpital…Le musicien (comme l’intellectuel qui a une pensée
libre malgré les contraintes) peut s’échapper des contingences et s’ennuie
rarement car il possède la musique en permanence dans sa tête, et s’il est
enfermé ou vit dans des conditions extrêmes, il se remémore ou crée des
concerts, improvise, compose et dès qu’il peut rejouer son instrument, l’objet
aimé et une musique qu’il affectionne, l’environnement ne compte plus. Bien sûr
la musique est fondamentale pour sortir momentanément de l’handicap , pensons à
Ray Charles aveugle, à Beethoven sourd, mais aussi aux malades psychiques (Glen
Gould autiste) et à la musicothérapie désormais bien implantée dans la
psychiatrie moderne.