mercredi 20 novembre 2024

La Méthode de Flûte de Jean Louis TULOU et sa flûte perfectionnée : datation.


Jean-Louis TULOU
Par Isabey

Nous avons publié plusieurs articles sur Jean-Louis Tulou flûtiste virtuose et professeur au conservatoire de Paris, notamment un article dans notre blog : 

Jacques NONON facteur de flûtes et de hautbois dans l'ombre du grand TULOU.

Article complété, par un deuxième dans le numéro 58 du Larigot d'octobre 2016. Pour écrire ces articles, en plus de nos recherches nous nous sommes appuyé sur la thése de Michelle Tellier : " Jean- Louis Tulou : flûtiste, professeur, facteur ". Paris 1981.

Thése de Michelle Tellier (Gallica-BNF)

Pour notre part en écrivant ces articles, notre but était de compléter cette thèse en mettant plus en lumiére la vie et le travail de  Jacques Nonon généralement oubliés dans les articles concernant le virtuose de la flûte. Depuis la parution de ces articles nous avons bien sûr découvert de nouvelles informations qui mériteraient de compléter nos articles principalement au niveau d'instruments portant la marque Tulou ou Nonon.

En revanche, il existe une polémique concernant la date d'introduction de la flûte perfectionnée : Système Tulou, mais également sur la date de parution de la méthode de Tulou. 

Si généralement 1850 était retenu pour l'introduction et la parution de ces deux éléments, (Thèse de Michelle Tellier notamment ), la parution de l'excellent ouvrage de Tula Giannini sur " les familles Lot et Godfroy"  apportait la contradiction sur cette hypothèse. En effet, une note (page 130) affirmait que cette méthode de Tulou serait parue en 1835 et que l'introduction de la flûte perfectionnée aurait eu lieu au début des années 1840.

Flûte perfectionnée de Tulou. Shéma de la méthode

Et cette remarque était reprise systématiquement dans tous les ouvrages de référence sur la flûte, comme celui d'Ardall Powell : " The Flute " ou celui de Nancy Toff " The Decelopment of the Modern Flute ". Dans nos articles, mais également lors d'un débat qui avait eu lieu sur facebook entre nos amis Michael Lynn et autres flûtistes et Johanne Favre-Engell qui elle même posait la question : Quelle chance! Une amie vient de m’offrir la première édition chez Chabal en 1835 (?) de la méthode de Tulou, signée à l’encre par Tulou! Je voulais partager ceci avec vous! ".

Je mettais engagé à étudier cette question et à revoir les arguments de Tula Giannini.

1° Partie : Vérification des arguments de Tula Giannini.

Quels sont ses arguments ?

" Tulou's Méthode de flûte is cited by George Kastner in his Traité d'instrumentation (Paris, Philipp et Cie,1836) which evidently refers to its first publication in 1835 " chez l'auteur ". A later edition adopted by the Conservatoire, c1842, contains an important introduction comparing the ordinary and Boehm flutes, an further, devotes a section to the flute with C-foot, and includes a diagram and fingering chart for the flûte perfectionnée. The letter establishing the Méthode's adoption by the Conservatoire is signed by Auber, President from 1842, and a letter from the Conservatoire to the Académie Royale de Lille, dated November 12th 1845 (AJ 37, 82.7e) states that Tulou's Méthode was being used in the Conservatoire classes. This information allows us to date the introduction of the flûte perfectionnée by the early 1840's ". (Tula Giannini-page 130-note 25-Great Flute Makers of France. The Lot & Godfroy Families. 1650-1900)

1) Premier argument : " Tulou's Méthode de flûte is cited by George Kastner in his Traité d'instrumentation (Paris, Philipp et Cie,1836) which evidently refers to its first publication in 1835 " chez l'auteur ". 

" La méthode de flûte de Tulou est citée dans le Traité d'instrumentation de George Kastner publié en 1836.....donc la méthode à été publié en 1835 ".

Traité Général d'Instrumentation de G. Kastner
1836

Et page 33 voici " la preuve de l'existance " de la parution de la Méthode de Flûte de Tulou en 1835 !!!



C'est un peu mince, un nom dans une liste sans aucune précision et qui se termine par  " et autres ": S'agit-il de Méthodes (Matérielles : livre, document) publiées ou de Méthodes d'enseignement (immatérielles) propres à des flûtistes célébres, et/ou professeurs de flûtes ? G. Kastner ce serait-il " emballé " en voulant montré le nombre très important de méthodes parues dans cette période. Dans son Traité, il cite pour chaque instrument évoqué, un grand nombre de noms. 

De plus il existait certaines réactualisations de Méthodes, comme celle de Devienne revue par Ludovic Deplus complétée par des compositions de J.L. Tulou.

Ou celle de V. Bretonniére dont la couverture mentionnait Tulou.


En 1844, George Kastner avait lui même rédigé une méthode de flûte dans laquelle " il souhaite rassembler...les différents modéles de flûtes ". (Voir en dessous).....et là pas de flûte perfectionnée ?


 
2) Argument : A later edition adopted by the Conservatoire, c1842, contains an important introduction comparing the ordinary and Boehm flutes, an further, devotes a section to the flute with C-foot, and includes a diagram and fingering chart for the flûte perfectionnée. The letter establishing the Méthode's adoption by the Conservatoire is signed by Auber, Président from 1842....."

Vers 1842 " une nouvelle édition aurait été publiée avec l'ajout d'une importante introduction comparant la " flûte ordinaire " à la flûte Boehm....ainsi que la tablature de la " flûte perfectionnée ". Cette seconde édition confirmait en 1842 l'adoption de cette méthode Tulou par le conservatoire.

Pourquoi 1842 ? Parce que le rapport du Comité des études musicales du Conservatoire National de Musique  de Paris, est signé par Mr Auber, Président, Directeur du Conservatoire.

Daniel Auber (1782-1871)
 Effectivement Daniel Esprit François Auber fût Directeur du Conservatoire   de Paris de 1842.....à sa mort en 1871. Il aurait pu signer ce rapport en   1871 également !!! Donc remarque sans intérêt.

 3) Argument : "....and a letter from the conservatoire to the Académie Royale de Lille, dated November 12 th 1845 (AJ 37, 82. 7c) states that Tulou's méthode was being used in the conservatoire classes. "
 
 " une lettre du conservatoire de musique de Paris, en réponse à une question de l'Académie Royale de Lille datée 12 novembre 1845 concernant les méthodes utilisées au conservatoire, précise que la méthode de Tulou est utilisée dans ses classes ".

Nous avons effectivement trouvé ce document à la bibliothéque nationale de Paris.










































A notre avis, le seul argument qui pourrait étayer la thèse de Tula Giannini......Mais il y a toujours la confusion entre méthode publiée et " façon " de travailler du Maître Tulou. Est-ce que les élèves de Monsieur Tulou avaient besoin d'une méthode générale pour se perfectionner ? De plus ce document rédigé par qui ? sorte de brouillon fait en 1845 permet-il de conclure ? : " This information allow us to date the introduction of the flûte perfectionnée by the early 1840's ". and " the méthode de flûte .....refers to its first publication in 1835 ".

Pour notre part nous en doutons fortement. Alors nous avons continué nos recherches et avons trouvé des contre-arguments assez pertinents. (A vous d'en juger)

Alors réglons la date de l'introduction de la  " Flûte perfectionnée système Tulou ".

2° Partie : date d'intoduction de la Flûte perfectionnée système Tulou.

Nous parlons bien ici de cette flûte dite perfectionnée décrite dans la méthode et non des perfectionnements divers apportés à la flûte. (voir notre article sur Nonon : et l'article concernant les flûtes de Mr Tulou dans la Revue Musicale du 19 mars 1831 où il évoque les différents perfectionnement qu'il a apporté à la flûte.

Méthode de Tulou 1851







1) Cette flûte perfectionnée reçoit une médaille d'honneur à l'exposition de Londres de 1851.

Tableaux des expositions de 1798 à 1900. (Malou Haine avril 2008)








" Tulou 27 rue des Martyrs Paris :
Flûtes perfectionnées, avec patte d' Ut et avec d'importantes modifications. Les clés sont arrangées pour permettre aux flûtistes de jouer correctement et avec facilité certaines notes délicates à obtenir avec les flûtes classiques. Les ressorts sont en or, ce qui permet de les huiler moins souvent ". 
(rapport de l'exposition de Londres 1851)

2) Les premières publicités paraissent dans le Bottin de 1853.

Alors pourquoi la flûte perfectionnée à cette date (Voir notre article du Larigot ) : " 1852 fut la période charnière pour l'évolution de la flûte en France. T. Boehm venait d'obtenir le 9 octobre 1847 à Paris son brevet pour sa nouvelle flûte qui résolvait une grande partie des problèmes  rencontrès avec son modèle de 1832. L'exposition de Paris de 1849 n'avait pas encore consacré la flûte Boehm et avait confirmé la médaille d'argent obtenue par Tulou en 1844. Cette nouvelle flûte perfectionnée arrivait opportunément pour " Continuer la lutte ".

3° Une dernière découverte qui clos de débat de la date d'introduction de la flûte perfectionnée modéle Tulou.

Depuis 1831 Tulou et le conservatoire de Paris recompensaient les premiers prix de flûte d'un instrument fourni par l'atelier de Tulou/Nonon.
Ces instruments réapparaissent réguliérement ; c'est le cas d'une flûte de notre collection qui a été donnée à Gustave Lemoux pour son premier prix en 1844.


Il s'agit d'une flûte à 6 clés dont le "perfectionnement" de la clé de Tulou.
Coll RP
Un nouvel instrument de ce type vient d'être retrouvé. Il s'agit d'une flûte perfectionnée datée de 1849 et donnée à Jules Herman (1830-1911) pour son premier prix de flûte.


Collection particulière

Cette flûte faite en 1849, porte le N° 2, c'est à dire l'une des toutes premières flûtes perfectionnées réalisées par l'atelier Tulou/Nonon. 

Cet instrument permet de modifier, une hypothèse que nous avions émise dans nos articles : " ...les flûtes de Tulou numérotées auraient été réalisées par l'atelier de Gautrot..."

Nous pouvons dire aujourd'hui que la flûte perfectionnée, système Tulou a été introduite en 1849 et les premiers instruments ont été fabriqués par l'atelier Tulou / Nonon avant la période de séparation des 2 protagonistes.

Jules Herman ou Hermant (1830-1911) est né à Douai et décédé à Lille. Il fait d'abord carrière à Paris comme flûtiste au théâtre national et aux concerts du Jardin d'hiver. En 1852 il s'installe à Lille et dirige de 1854 à 1902 la classe de flûte du conservatoire de Lille.

Jules Herman par A. D. Collette.
(Tula Giannini)

3° Partie : Date de parution de la méthode de Tulou.

Tulou a publié deux méthodes, celle dont nous recherchons la date de parution, mais également une petite méthode simplifiée parue en 1859 et éditée en France par Chabal. Nous évoquerons que la première

Petite méthode de Flûte de Tulou parue 
en 1859 et éditée par Chabal.

Concernant cette parution en 1835 de la Méthode de J.L. Tulou, il n'y a pratiquement rien qui pourrait permettre de valider cette date, les arguments suggérés par Tula Giannini sont très approximatifs.

Mais imaginons que cet hypothése soit retenue......une telle méthode éditée et écrite par le plus grand flûtiste de l'époque devrait pouvoir se trouver chez les collectionneurs, musiciens etc....surtout qu'elle aurait vu son usage couvrir une période de plus de 14 ans (de 1835 à 1859 date de retraite de J.L. Tulou). Bien sûr cet ouvrage ne devrait pas comporter de partie sur la flûte perfectionnée système Tulou, puisque celle-ci a été introduite entre 1848 et 1849. De plus quand on connaît J.L. Tulou et son état d'esprit, il serait surprenant qu'il n'ai pas essayer d'en tirer profit, notamment au niveau de sa publicité. Hors, la première annonce sur ce sujet est faite dans le Bottin en 1853 (voir ci-dessus) en même temps qu'apparaît sa flûte perfectionnée......alors si nous suivons la théorie de Tula Giannini  suggérant une seconde édition, où seraient rajoutés les éléments sur la flûte perfectionnée. J.L. Tulou aurait fait plus de publicité sur une seconde édition, que lors de la sortie de la méthode en 1835.....période beaucoup plus favorable à la défense de la flûte classique ? Celà n'est pas du grande logique.

Nous avons essayé de répertorier les différents types d' exemplaires qui auraient pu être édités dans cette période (1835-1851). Pour notre part, nous avons trouvé 3 modèles pour la France et une édition en Allemagne. (Cette méthode a été publiée également en Italie et en Espagne).

Toutes ces éditions sont identiques et abordent la flûte perfectionnée.

Bien sûr si vous possédez, connaissez, etc...des exemplaires différents, par exemple avec les mêmes éditeurs, mais avec des adresses différentes, sans mention de flûte perfectionnée... n'hésitez pas à nous contacter.

Voyons ces trois éditions différentes pour cette période :

Edition Brandus et Cie : 103 rue Richelieu et Chez  l'auteur 27 rue des Martyrs : 1851

L'exemplaire que nous avons observé, est conservé à la BNF et est daté de 1851.

Edition Brandus 1851 (source BNF)









C'est cette édition que les Editions Minkoff de Genéve ont décidé de rééditer en 1979.
Copyright de Minkoff






" Brandus et Cie est une maison française d'édition musicale fondée le 14 janvier 1846 à Paris par Louis Brandus et Ernest Deschamps d'Hannecourt. La maison jouissait d'une belle réputation et constituait l'une des premières maisons d'édition musicale française1. Cette réputation était basée par l'importance et la qualité des œuvres constituant le fonds, le réseau de diffusion et un système d'abonnement, le soutien de sa revue, une promotion dynamique auprès des directeurs de théâtre ou de salles de concerts, et le recours aux techniques nouvelles d'impression permettant d'obtenir des publications à prix compétitifs" . (Source Wikipédia)

De nombreuses œuvres de Jean-Louis Tulou ont été publiées chez cet éditeur.

Les différentes adresses permettent de confirmer la date de l'édition de 1851 : 

de 1846 à 1849 : 87 rue de Richelieu, 

de 1849 à 1851 : 97 rue de Richelieu, 

de 1851 à 1887 : 103 rue de Richelieu.

De plus, la couverture comporte deux mentions importantes : " Milan : Ricordi, " les droits de la méthode de Tulou ont été vendus en 1851 à la maison d'édition musicale  " Casa Ricordi  " fondée en 1808 par Giovanni Ricordi (1785-1853), comme nous le verrons  plus tard dans cet article.

Et une deuxième mention : Mayence : Schott
















mardi 29 octobre 2024

Instruments de musique à vent en ivoire : de l’Olifant européen à la trompe traversière africaine.

 

par José-Daniel Touroude

Souffler dans quelque chose pour produire un son a toujours été quasiment naturel pour l’homme. Puisque notre blog est surtout axé sur les instruments à vent, on ne pouvait faire l’impasse sur un des plus anciens et partagés de toutes les civilisations du monde : la trompe.

Dès la préhistoire, les hommes pour communiquer entre eux et faire des sons ont utilisé des instruments, notamment à vent sommaires en utilisant des végétaux (roseaux, bambous, calebasses…), des os d’animaux évidés comme la célèbre flûte en os de 40 000 ans, l’instrument le plus vieux trouvé, des sifflets en os voire en terre cuite, des cornes et des coquillages notamment les conques, percées sur la pointe pour produire un ou plusieurs sons. 

Morceau de flute préhistorique de Divje Babe en slovénie 

(wikimédia commons)  

Hibou précolombien en poterie pouvant
faire avec les trous des yeux et trous latéraux, plusieurs sons. (coll particulière)


 




Conque de Marsoulas du Magdalénien
(musée de Toulouse ) 18000 ans


Flute en mammouth (Musée d’archéologie nationale

 château de Saint Germain en Laye)






















Description des différents types de trompes

Le terme générique est trompe mais on trouve en fait plusieurs dénominations : Trompes ou cornes ou cors caractérisées par une embouchure située dans le bout étroit et dans des matériaux variés mais pas en ivoire. C’est souvent une petite corne d’animal souvent d’ovin ou de bovin appelée petite trompe. Par exemple les hébreux l’ont intégré dans leurs cultes religieux (le shofar est une corne de bélier)

Shofar Trompe (Corne de bélier)

·         Le nom d’olifant est utilisé seulement si la petite trompe est en ivoire souvent d’éléphant (d’où son nom et ancienne écriture oliphant).    

 

    Olifant du 11ème siècle dit de Roland (Musée Paul Dupuy à Toulouse)

L’olifant a une forme d’entonnoir naturel avec une perce conique qui permet de souffler par le bout étroit formant une embouchure en contact avec les lèvres qui vibrent et qui permet au musicien d’obtenir un seul son mais fort voire assourdissant. Par contre ce son peut varier dans la durée avec un son bref ou répété, court ou long selon la qualité du musicien. Cela permettait de transmettre une information ou un ordre par un signal sonore particuliers, une sorte de code. (Exemple l’hallali pour la chasse) L’olifant eut son apogée au Moyen Age en Europe (grâce à la chanson de Roland) et au Proche- Orient (notamment dans l'art islamique du Califat Fatimide).  L’olifant fut magnifié par des sculptures d’ivoiriers italiens et devint essentiel dans la panoplie du chevalier. L'olifant existait en fait un peu partout dans le monde avec des variantes, notamment en Inde et en Afrique, où il y avait de l'ivoire ou dans les pays riches qui pouvaient en importer. chevalier.

Parfois on introduisait dans l’embouchure une pièce en biseau, (comme pour des flûtes à bec) ou on fixait un roseau insérant une paille sorte de double anche (comme pour les chalémies…), ce qui permettait de produire des sons différents, avec moins de souffle, réduisant la colonne d’air donc plus aisé à jouer.

Le nom de Trompe - olifant lui est réservé si la trompe est grande et si le matériau est en ivoire. Elle est la plupart du temps traversière avec une embouchure décalée voire latérale. La Trompe - olifant traversière a existé surtout en Afrique.  

Trompe – olifant traversière en ivoire de 91 cm

 à embouchure latérale, ornée de gravures (musée de la musique de Paris)°

La colonne d’air de la trompe traversière à embouchure latérale est très différente puisque le souffle produit est décalé et possède ses spécificités pour toutes les caractéristiques du son (force en Décibels, hauteur en Hertz et harmoniques du timbre sont particuliers). En attendant ce n’est pas aisé à jouer avec car jouer de l’olifant ou de la trompe nécessite du souffle, d’être un musicien sportif !  

Embouchure de la trompe-olifant traversière.  

Sculpture : Guerrier à olifant de Lucien Gibert (antiquaire grenier d’Augustine)


Cliquer pour lire l'article sur le son et la musique

Ces cornes, trompes et olifants ont ainsi évolué permettant la création de beaucoup d’instruments de musique à travers le temps. Par exemple au Moyen Age et à la Renaissance, le célèbre cornet à bouquin, qui était une trompe avec des trous, rarement en ivoire mais souvent en bois recouvert de peau et qui a été très utilisé par les plus grands compositeurs comme Monteverdi et J.S. Bach. 
Cornet (de corne) à bouquins (de boca =bouche) italien
du 17ème siècle Musée de la musique Paris.  


Serpent de Baudouin collection Charbit

La trompe était aussi en Bronze comme chez les étrusques (le Lur) et donnera naissance plus tard à la famille des cors que Lully, Mozart et bien d’autres utiliseront.  La trompe sera souvent l’ancêtre d’autres instruments en cuivre. Le cornet-basse donnera le Serpent. 

Cliquer pour lire l'article sur le serpent

Ces cornes utilisées depuis toujours ont beaucoup évoluées surtout en utilisant d’autres matériaux comme le métal en Asie (par exemple les fameuses trompes en métal d’Angkor), ou en Bronze (exemple au Bénin), voire en terre cuite (exemple les ocarinas globulaires d’Amérique Latine), et en bois évidemment… Les diverses trompes sont communes a beaucoup de civilisations.

Trompes en métal. cf lien sur le beau site : Sound Angkor

Les principaux usages des olifants et trompes sont très divers mais communs :

D’abord elles ont eu une fonction utilitaire pour communiquer et/ou signaler sa présence

Les trompes par leur sonorité puissante servaient à communiquer un ordre ou une information importante.  Elles pouvaient montrer par exemple l’arrivée d’un chef, le signal pour la chasse (les futures trompes de chasse), pour donner des ordres comme l’entrée en guerre ou la retraite, pour prévenir d’un danger (guetteur) et se réfugier (déclenchant le tocsin). Mais elles servaient aussi pendant la chasse ou la guerre pour prévenir du lieu où on se situait, procéder à un appel pour rallier les troupes dispersées (la célèbre chanson de geste concernant l’olifant de Roland à Roncevaux).

Ce fut (par exemple les Vikings) et c’est encore un instrument maritime incontournable de signalisation sonore, utile par temps de brouillard mais aussi utilisé par tous les marins actuels pour signaler sa présence ou un obstacle dangereux. Dorénavant il est obligatoire d’avoir une corne de brume pour toute embarcation. (Elles ne sont plus en corne mais en métal mais le nom est resté.)

Pour montrer son pouvoir par un symbole d’autorité

Les différentes trompes ont été utilisées partout comme un instrument de pouvoir, rare surtout s’il est finement travaillé, symbole de commandement et de dignité, utilisée dans les moments importants et faisant partie des attributs des chefs. Par exemple l’ouverture officielle d’une audience est utilisée encore ponctuellement en Afrique noire par les chefs traditionnels.

Ils ont fait partie aussi des trésors des églises, en signe de piété et de remords, donné par des chevaliers et utilisé parfois comme reliquaire. Par exemple cet Olifant du 11ème siècle de l’église de saint Arnoul à Metz dit « olifant de Charlemagne »

Pour faire de la musique pour danser

Si le son émis est particulièrement fort et strident, il ouvrait souvent les cérémonies mais pouvait aussi être utilisé comme instrument de musique. Ainsi la trompe, faisant office de bourdon, était une composante dans un orchestre, accompagnée de tambours et percussions diverses, voire des instruments à cordes pendant des festivités. Les sons essayaient de reproduire le langage parlé, parfois même pouvant faire varier les sons avec la main ou en utilisant la flexibilité de l’embouchure du musicien (comme pour les cors naturels).

Plus rarement, il a même existé des orchestres de plusieurs trompes de longueurs différentes calibrées pour réaliser plusieurs sons ou des inflexions de notes qui permettaient d’accompagner les chants de femmes et les danses lors des fêtes dans une certaine polyphonie en Afrique. Pendant les fêtes, en bouchant l’orifice, elle a servi aussi de corne à boire ! Un avatar moderne : la Vuvuzela de la coupe du monde de football en 2010 jouée par les supporters, est une trompe au bruit assourdissant et perturbant interdite désormais.

Pour des cérémonies profanes ou religieuses pour souligner des événements et des rituels importants.

Ainsi les juifs ont la corne de bélier appelé shofar, qui peut produire plusieurs sons selon les fêtes et rituels religieux. La plupart des religions et des armées, dans leurs processions et parades, l’ont aussi utilisé, notamment en France avec le Serpent.

Pour faire une œuvre d’art esthétique

Le magnifique et célèbre olifant en ivoire d’éléphant des moines de la chartreuse de Portes exposé au cabinet des médailles de la BNF à Paris. Elle d’origine italienne du 11ème siècle, car plusieurs villes d’Italie du Sud étaient spécialisées dans l’art de la sculpture sur ivoire pour faire des olifants pour les chevaliers du moyen âge, les croisés et les arabes fatimides.

Mais plusieurs musées ont des olifants finement sculptés d’origine italienne avec des belles décorations diverses.

Les longues trompes-olifants africaines en ivoire

1

2
Détails d’une trompe-olifant traversière africaine sculptée (collection particulière). 

                                           3  Grande embouchure 

Sur cette trompe traversière africaine en ivoire (de 58 cm et 900 g) on remarque les deux types de trompes : photo 1 la trompe-olifant en ivoire (montrant une petite défense d’éléphant) jouée par un serviteur en pagne et photo 2 la trompe – olifant traversière en ivoire (montrant une défense moyenne d’éléphant) mais jouée par un musicien(e) richement habillé(e) avec de multiples symboles. Il y a différence de statut entre les musiciens.

Ces trompes reprenant des défenses d’éléphants sont parfois imposantes et commencèrent à être connues lorsque les portugais, descendirent au 15ème siècle les côtes africaines en faisant du troc. Rapidement ces objets étranges étaient rapportés comme curiosités. Ainsi par exemple le trésor des Médicis à Florence possédait 2 trompes- olifants en ivoire vers 1550. 

Vu le succès et la demande européenne, d’autres objets en ivoire furent produits par des ivoiriers locaux sur les côtes africaines notamment au Bénin, en Sierra Leone avec des commandes spécifiques pour intégrer une iconographie plus européenne. Les portugais firent exécuter aux ivoiriers africains dès le 16ème siècle des trompes - olifants en ivoire sculptés pour les cabinets de curiosités car l’exotisme était en vogue en Europe (cf les Sapis en Sierra Léone ou les Binis au Bénin). Les grandes trompes-olifants devenaient alors des œuvres d’art finement sculptées en ivoire comme les olifants du moyen âge en utilisant l’art africain avec souvent un mélange culturel avec l’Europe (objets métis qui eurent beaucoup de succès).

L’ivoire fragile et pas rare n’était pas si prisé par les africains sauf des défenses monumentales. Les européens en développant le commerce d’objets sculptés artistiques vont développer la préciosité de ces objets. Les chefs locaux vont alors imiter les nouveaux puissants colonisateurs puisque ces objets étaient considérés comme les symboles d’autorité et de pouvoir aussi dans d’autres civilisations. (J’ai vu certains responsables africains qui en ont encore dans leurs lieux de pouvoir actuellement).

Mais en Afrique, c’est l’utilisation de la trompe-olifant traversière plus grande qui est la plus emblématique et qui sera utilisée pendant des siècles surtout en Afrique de l’ouest et centrale.

Trompe -olifant en ivoire (Château d’Ecouen)   

Trompe Sapi (Sierra Léone -Portugal) en ivoire (Musée Branly)

On peut noter que s’il existe des encoches pour accrocher c’est surtout réserver à un être un objet de curiosité accroché exporté en Europe alors qu’un intrument de musique n’a pas en principe de cordon, ni d’encoches.

Toutes les trompes et olifants sculptés présentent une iconographie qui montrent des symboles, des animaux réels ou fantastiques qui peuvent indiquer en fait leurs origines, leurs influences, voire leur datation.

La trompe peut être en corne d’éléphant en ivoire, plus ou moins ouvragée, avec simplement un trou latéral d’où son nom de traversière, pour jouer. Mais elle est souvent faite avec d’autres matériaux, surtout en bois gainé de cuir cousu comme chez les Sénoufos voire en bronze comme au Bénin.

Corne de grand koudou ?      

Joueur de trompe en bronze du Benin

 (histoire de l’art n°14 Afrique (Figaro)



Voir le film d’Aurelien Gaborit qui analyse cette belle Trompe du 16ème siècle sculptée à embouchure latérale provenant de Sierra Leone exposée au musée Chirac quai Branly à Paris. Et puis cet ivoire matériau rare et de prestige va être utilisé par des facteurs d’instruments de musique européens. Ainsi de nombreuses incrustations chez les luthiers (touches de piano, archets de cordes, guitares etc…).

Certains vont même faire des instruments entièrement en ivoire : flûtes, flageolets, hautbois, clarinettes. Ce matériau n’amène rien de sensationnel sur le plan musical (car les harmoniques dépendent de la perce et des trous et clés) mais donne une singularité, une rareté comme la flûte en or de Rampal, la trompette en or de G.Jouvin, comme les flûtes en cristal de Laurent etc...

Albert Rice a écrit un article sur les clarinettes en ivoire et en a dénombré une vingtaine faites dans ce matériau la plupart en Europe. Les plus grands facteurs se sont essayés comme G.H.Scherer un des premiers facteurs en 1740, celle d’Isaac Keller de Strasbourg en 1800 avec corps de rechange en La, Louis Lefevre de Paris en 1825 , Charles Sax de Bruxelles en 1830 (le père d’Adolphe), J. Pfaff de Philadelphie en 1865, G.J.Bertold de Speyer de 1875, à T.Berteling de New York en 1880. 



Clarinette en ivoire et clés en argent vermeillé
de C. SAX ( Met NYC museum)

Crédit photo : Jean-Marc Anglès / Musée de la musique.  Hautbois en ivoire

Le travail de sculpture sur ivoire en Europe est ancien et deviendra par exemple en France la spécialité de la ville de Dieppe.

Baguette en ivoire de Klosé (collection particulière Thicam ) 
Cliquez pour lire article sur la baguette en ivoire de Klosé

Dès qu’on mentionne un objet ayant de l’ivoire il faut étudier la législation internationale et européenne qui se durcit de plus en plus. Si l’intention est louable de protéger éléphants, rhinocéros et autres espèces que recherchent des braconniers et des trafiquants, chaque état, instance supranationale ou instance internationale va en rajouter et enserrer dans des textes toujours plus restrictifs le commerce des objets où il y a de l’ivoire et d’autres espèces menacées. Ainsi les instruments de musique sont touchés et pour les professionnels liés à la musique c’est une vraie galère et de plus assez opaque.

J’ai voulu finir cet article sur ce sujet mais vu la complexité bureaucratique, j’y renonce.

Ce qui est sûr c’est que vous devez être muni de plusieurs certificats différents et que vous avez intérêt à choisir un bon professionnel pour vous conseiller, si vous êtes, vendeurs, restaurateurs, collectionneurs ou musiciens car chacun a des contraintes différentes et des documents administratifs variés et nouveaux et si vous voulez sortir votre instrument de chez vous et hors des frontières, vous êtes alors sans doute masochiste !