Par José-Daniel Touroude
Le thème de la dernière visite de ma collection a porté notamment sur la
facture
anglaise entre 1820-1840. A travers 4 clarinettes anciennes anglaises :
une Wrede à 5
clés, une Metzler 6 clés, une Dawkins 10 clés, et une Key 12 clés nous avons
construit notre propos autour de 2 questions.
1° Quand
est apparue la clarinette en Angleterre ?
En 1751, Jean Chrétien BACH (un
des fils du grand Jean Sébastien) introduisit la clarinette allemande en
Angleterre. HAENDEL (le grand rival
saxon de JS Bach), a été aussi été un des premiers compositeurs à utiliser et à
faire connaître à Londres cet instrument pourtant très approximatif et imparfait.
Avec ces deux parrains prestigieux, la clarinette en Angleterre va faire son
entrée dans la musique. Avec un son pastoral plus rond différent du hautbois
(perce cylindrique et non conique du hautbois), se mariant bien avec les bassons
et les cors, la clarinette va peu à peu se répandre dans les musiques classique
et populaire anglaise.
Jean Chrétien BACH peint par Thomas Gainsborough. |
Les grands musiciens anglais du 17ème comme DOWLAND et PURCELL d’une part, les
nombreuses mélodies tirées d’un riche répertoire populaire des différents
peuples des îles britanniques d’autre part, vont créer un répertoire national. Il
faut aussi ajouter l’importance de la musique sacrée qui passera du grégorien à la polyphonie comme le
reste de l’Europe et la présence de JC Bach, Haendel, Porpora et ses castrats dont Farinelli
etc.. qui feront de Londres une des capitales de la musique. Enfin un public anglais très réceptif aux différentes musiques vont
entraîner l’utilisation variée d’abord du chalumeau (ancêtre de la clarinette)
puis de la clarinette.
John DOWLAND. |
Pourquoi la célèbre facture anglaise a t-elle disparue à la fin du XIXème ? La facture
anglaise de la 1ère partie du XIXème siècle est originale et s’est
rapidement démarquée de la facture allemande (qui ne l’oublions pas a crée la
clarinette). A cette époque en fait, il y avait deux sources d’innovations et de
modifications d’instruments. Des innovations externes : L’Angleterre n’était pas du tout isolée
et faisait même partie du parcours des cours royales et aristocratiques de tout
musicien de talent voulant être reconnu.
Les musiciens se promenaient à travers l’Europe avec leurs répertoires,
les dernières nouveautés de leurs instruments, certains facteurs anglais
voyagèrent sur le continent et inversement certains facteurs émigrèrent en
Angleterre. Il faut se rappeler que la 1ère moitié du XIXème siècle est
d’une créativité incroyable dans la facture d’instrument. En quelques décennies
la clarinette 5 clés connue par Mozart (où il fallait être virtuose pour jouer
correctement) est passée à 6 clés puis avec Iwan Müller à 13 clés. D’un
instrument approximatif qui ne faisait pas toutes les notes et justes, on
arriva en quelques décennies à un instrument abouti, fiable, avec un doigté
facile permettant de la vélocité et parfaitement intégré dans tous les
orchestres qu’ils soient militaires, symphoniques ou populaires.
Mais il y avait aussi des innovations internes. En effet le monde des
facteurs était limité, organisé en corporations et imbriqué (apprentissages, compagnonnages
et mariages entre eux). En conséquence, les innovations dans ce réseau
restreint se diffusaient relativement vite, la notion de brevet (lettre de
patente ou patent en anglais) existait mais était d’une protection très relative
pour les instruments de musique. D’autre part la clarinette a évolué parallèlement
aux autres instruments à vent.
Clarinette à 5 clés, en Ut de WREDE à Londres. (Collection José TOUROUDE) |
Les facteurs de clarinettes faisaient aussi des flûtes, des hautbois
voire des bassons et chaque innovation sur un instrument était transférée sur
les autres instruments à vent. Cela dura jusqu’au système Boehm où celui ci appliqua
les bouleversements de ce qu’il avait réalisé sur la flûte, au hautbois et à la
clarinette.
Ainsi la clarinette se généralisa et la demande d’instruments va croître
rapidement.
Clarinette en Bb et à 6 clés de METZLER à Londres. Collection José TOUROUDE) |
L'Angleterre, qui avait de bons tourneurs sur bois, commença à avoir des
facteurs d’instruments réputés comme Wood,
Cramer, Gutteridge, Clementi, Metzler, Goulding, Key, Miller, Astor, Gerock, Dawkins,
Bilton, Monzani, Milhouse, Wrede, Wolf, d’Almaine….
Clarinette en Ut et à 10 clés de DAWKINS à Londres. (Collection José TOUROUDE) |
Clarinette en Bb et à 12 clés de KEY à Londres. (Collection José TOUROUDE) |
2°
Quelles sont les spécificités de la facture anglaise ?
La facture anglaise possède des caractéristiques spécifiques et
originales permettant de la reconnaître de suite :
·
Le bec est original: court
disposant d'un tenon très long entrant dans le barillet et qui permet en le
tirant de s'accorder. Le diapason en Angleterre à cette époque est mouvant bien
sûr mais assez élevé autour de La à 440 (contre souvent La à 430 ou
435 Hz sur le continent), ce qui permet à de nombreux musiciens actuels,
voulant jouer sur des instruments d’époque avec un diapason La= 440 Hz, de
jouer avec les clarinettes anglaises. La clarinette Key que nous présentons, a un bec encore plus
original : il est inversé.
·
Le barillet est aussi original et
reconnaissable car il est creusé au centre et renflé à l'extrémité
et non renflé au milieu comme les barillets continentaux. C’est une caractéristique
des tourneurs de clarinettes anglaises. Ceci est purement esthétique et n’a
aucune incidence sur le son, la perce étant la même. Si les barillets
continentaux ont deux bagues plates et étroites, la clarinette anglaise a, au
contraire, deux bagues en ivoire plus larges (l’ivoire des éléphants de l’Inde
ne manquait pas à l’empereur puis à Victoria impératrice des Indes !) . Ceci
est une caractéristique esthétique des clarinettes anglaises.
·
La sixième clé est une clé
particulière et traditionnelle de la facture anglaise :
La
création à la fin du 18ème siècle de la 6ème clé par Lefèvre
et Baumann pour faire le do#/sol# avec
le petit doigt main gauche (G4) avec un
patin, boule, charnière et vis en laiton va se généraliser dans le monde . Mais
les facteurs allemands s’ils adoptent de suite cette 6ème clé au même endroit,
resteront fidèles aux blocs en bois avec un axe laiton pour fixer la clé.
Les
facteurs anglais à la même époque feront eux une 6ème clé mais totalement
différente, longitudinale sur le corps du haut servant pour les trilles.
Plus
tard l’Angleterre intégrera la clé G4 de sol# / do# (exemple la Dawkins à 10 clés et la Key à 12
clés)
Détail de la sixième clé sur la clarinette de Metzler. |
Même partie d'une clarinette française à six clés, de la même époque. |
·
Les anneaux et blocs : Les
clés sont montées sur des blocs tournés dans la masse du buis qui
permettent
de fixer les clés mais ceux ci sont raccourcis et allégés comme on peut voir sur les deux photos ci-dessus.
Le
corps du bas possède aussi un renflement plus allégé : le bulbe renforcement caractéristique des
clarinettes anciennes est ici coupé en deux, contrairement aux clarinettes de
la même époque allemandes et françaises où le bulbe est entier et constitue un
bloc.
Comparaison des bulbes : de gauche à droite, deux clarinettes françaises avec le bulbe complet et les deux anglaises avec des demis bulbes. |
·
Le montage des clés se font sur des blocs sculptés dans la
masse en buis y compris les guides des clés et non avec des
pièces métalliques rajoutées comme les autres clarinettes.
·
Pour éviter les cliquetis
et améliorer le bouchage des trous par le tampons, le bois est creusé en dessous des clés
transversales que ce soit pour les clés
carrées ou pour les clés rondes comme la Dawkins ou la Key.
· Les trous fermés par les clés sont chemisés pour améliorer
l'adhérence des tampons. C’est une innovation anglaise de James Wood qui sera repris par
tous. (chemiser l’ «âme» c’est à dire le trou de douzième pour éviter le bouchage par la
condensation et la salive (chemisage en ivoire, en laiton, en maillechort…). En
France seuls les facteurs lyonnais faisaient de même (Simiot, Sautermeister,
Tabard).
·
Les clés
sont en laiton : Les clés sont plates parfois carrées mais souvent rondes, de forme
classique, en laiton. Les ressorts sont en laiton et rivetés sur les clés. Celles
ci sont articulées par des axes en laiton à travers des blocs en bois tournés
dans la masse pour fixer les clés. Rien
d’original. Par contre la grande clé main gauche de fa# grave est en zig
zag, formant un angle caractéristique et n'est pas droite comme ses semblables
provenant d'autres pays et ceci est aussi une spécificité anglaise. (Mais avec
la Key à 12 clés plus tardive, cette spécificité disparaît .)
Clé de Fa# grave en Zig Zag. |
La clé du petit doigt droit D4 a une petite pointe rentrante
comme beaucoup de clarinettes anglaises (sauf la Wrede 5 clés à gauche qui a
une clé traditionnelle).
Clé du petit doigt à spatule comportant des encoches. |
Dans la 1ère moitié du
XIXème siècle, pour jouer de la musique
romantique qui demandait de plus en plus de la vélocité pour les
clarinettistes, les facteurs vont creuser des trous supplémentaires et mettre
des clés pour les boucher. Ainsi en quelques années la clarinette à 13
trous et 5 clés va devenir la clarinette à 20 trous et 13 clés. Ces 4 clarinettes montrent l’époque de transition passant de 5 à 6
clés, puis rapidement à 10 et 12 clés. Ces clarinettes permettent de faire
toutes les notes mais avec des doigtés spécifiques peu commodes et à la
justesse relative.
·
La couleur
des clarinettes anglaises est aussi
caractéristique et un ami chimiste et collectionneur m’a indiqué que le buis était
poli, passé à l’huile de lin et à l’acide nitrique puis au vernis glaçant. Cela
donne une couleur spécifique qui est très différente des clarinettes en buis
françaises qui sont surtout cirées et allemandes teintes et vernies.
· L’estampille a souvent une tête
de licorne : cette marque est courante et typique des facteurs anglais (cf le musée d’Edimbourg) mais on ne sait pas si c’est un label de qualité officiel, la
marque d’une corporation de facteurs ou une mode qui a du sens ?) surtout que certains mettent la couronne royale (Dawkins) ou
rien du tout (Metzler). Il y a aussi le nom
du facteur (ce qui n’est pas original ) mais aussi son adresse (ce qui l’est plus),
pour les réclamations et pour la publicité. Il y a aussi souvent la tonalité (A, B, C…) marques
habituelles sur la plupart des clarinettes.
Parfois il y a aussi des chiffres : souvent le n°2. D’après un
courrier sur ce sujet que j’ai reçu du spécialiste anglais A. Rice, il y a deux
explications. Le plus
souvent il y a le numéro 2 : le facteur faisait une paire de clarinettes
identiques : 2 en Ut, 2 cors de basset, 2 clarinettes d’amour car elles
devaient jouer ensemble (avec 2 cors, 2 bassons…). Mais souvent
il y a d’autres numéros et là c’est différent ; en fait c’est une mention
de la hauteur du diapason : John Cramer le facteur anglais mais aussi
Thomas Key mettaient des chiffres de 1 à 6 ( 1 étant le
plus diapason le plus bas et 6 le plus élevé), car à cette époque le diapason
était mouvant selon les lieux, les orchestres. Ainsi la Key est marqué 4 et le
barillet 5 (il devait en avoir un autre 4 à l’origine).
D’ailleurs c’est un anglais qui
fixera le diapason international utilisé par tous actuellement..
·
La facture anglaise est raffinée et a connu un grand succès
et elle sera un exemple pour la facture américaine.
Mais l'influence grandissante des clarinettes allemandes et
françaises puis enfin l'adoption de la clarinette 13 clés de Müller puis le
système Boehm feront péricliter les spécificités des clarinettes anglaises à la
fin du 19ème siècle, la clarinette moderne (Boehm ou Oehler) devenant la norme
dans le monde.
En revanche, si la facture anglaise s’est évanouie, Il y a eu
toujours de bons connaisseurs et d’excellents clarinettistes anglais (cf les 2
livres Pamela Weston « clarinet virtuosi of the past » ainsi Brymer,
Pay, P. Weston, G. Dobrée et un de mes maitres Gervase de Peyer of course…., mais
aussi de grands collectionneurs (Bingham, Schakleton etc…) et auteurs de livres
spécialisés (cf les livres de Rice …)
La clarinette deviendra populaire dans les armées comme dans
le reste du monde mais aussi dans les orchestres de village où malheureusement
souvent mal jouée elle aura une image négative. Les « joke » et illustrations anglaises sont
nombreuses.
Intéressant article, je n'avais jamais entendu parler de l'orfica, jolis sons
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