vendredi 9 février 2024

Histoire d’une lignée de facteurs d’instruments d'Augsbourg : Lindner père et Fils, Feneberg, Kraus, Smidt.

par José-Daniel Touroude.

(Merci à Albert RICE pour son aide)

Nous avons choisi la ville d’Augsbourg en Bavière, région où est née la clarinette à Nuremberg, comme exemple.
Augsbourg au XVIIIe siècle 
















A travers une clarinette en Ut à 5 clés rare d’Anton Kraus d’Augsbourg en Bavière au XIXème siècle, nous allons montrer l’importance d’une lignée de facteurs dans une ville moyenne de province de Bavière au XIXème siècle, soumise encore aux règles des corporations mais où se transmet, grâce à certains facteurs talentueux, un savoir-faire et une réputation qui font la joie des collectionneurs.

Il y avait des centres de production d’instruments comme Markneukirchen ou Neukirchen en Allemagne, ou la Couture Boussey en France qui regroupaient plusieurs familles de facteurs liés entre elles. Mais dans les villes moyennes de province, il y avait aussi des ateliers artisanaux de qualité qui émaillaient l’Europe et servaient d’étapes pour les compagnons dans leur tour pour améliorer leur savoir-faire.

(Dans le royaume de Bavière crée par Napoléon 1er depuis 1805, il y avait un facteur réputé dans la facture des instruments en bois nommé Stengel à Bayreuth, ville proche d’Augsbourg, qui a attiré les jeunes compagnons dans leurs tours. Pourquoi pas GA Lindner ? Ce qui supprimerait la question d’Ebner mais ce n’est qu’une hypothèse plausible.)  

Ainsi par exemple à Strasbourg on avait une filiation professionnelle entre KelleràBühneràDobneràRoth. 



Augsbourg est connue aussi pour être la ville d’origine des Mozart notamment Franz et Léopold Mozart. D’ailleurs le conservatoire de musique a accolé son nom au père de Wolgang. 

Léopold Mozart

Cette ville avait beaucoup de tourneurs sur bois excellents, et des facteurs d’instruments assez réputés comme Ebner et Bosch mais aussi Lindner père et fils ce dernier étant le maitre de Feneberg, lui-même maitre de Kraus.

Il est toujours intéressant de voir la filiation professionnelle car c’était à l’époque la principale transmission des savoir-faire de maître à apprentis et à compagnons.

A Augsbourg, nous avons un lien étroit de formation entre ces facteurs :

Lindner père à Lindner fils à Feneberg à Kraus à Schmidt.

Mais des savoir-faire nouveaux et des innovations étaient apprises aussi chez d’autres facteurs et cela permettait une diffusion assez rapide de la facture instrumentale. Les compagnons ainsi pouvaient, après leurs tours qui duraient plusieurs années, soumettre aux autorités et à leurs pairs de la corporation, la reconnaissance de leur talent et avoir la possibilité d’exercer.

Ainsi en Bavière, les chanteurs de Nuremberg parcouraient pendant des années comme chanteur itinérant afin de nourrir leurs improvisations avant de revenir et faire le concours de Maître chanteur à Nuremberg. 

(Pratique immortalisée par l’œuvre de R. Wagner).


Débutons par :

Johann George Lindner (ou Lintner):

(1766-1840)

Né en Autriche, à Tyrnau le  9 octobre 1766, il a fait son tour de compagnonnage en Italie et en France avant de devenir un facteur spécialiste des cuivres (trompettes et cors : Il en reste une dizaine dans les musées). Il se fixe et devient citoyen de la ville d’Augsbourg en 1793. Son atelier sera le lieu de départ d’une lignée de facteurs importants. Il se marie et a un fils en 1794 George Léonard qu’il formera. Il décède en 1840. 

George Léonard Lindner

(1794-1859)

Il travaille donc dans l’atelier paternel comme apprenti puis compagnon fabricant surtout les instruments en cuivre. On ne sait pas où il a acquis sa maitrise concernant les bois (question de son contemporain J. Ebner) mais il est vraisemblable que lui aussi conformément à la tradition de compagnonnage, voyagea d’atelier en atelier afin de mieux se professionnaliser, avant de montrer son savoir-faire et demander aux autorités de se mettre à son compte avec son estampille.

En 1819 il obtient la licence de facteur d’instruments en cuivre et en bois et peut se marier une première fois. Il continue l’atelier de son père et diversifie les instruments. Il devient un spécialiste des bois notamment des flûtes (il existe une dizaine de flutes dans les musées). Il a comme apprenti et compagnon Feneberg.

Puis en 1834 il se marie une seconde fois avec Barbara Staudenmair qui continuera l’atelier au décès de son mari en 1859 et cela jusqu’en 1864.

Taille de hautbois de G.L. Lindner. Musée de Paris E 606

Johan Martin Feneberg

(1774-1841)

J.M. Feneberg fait donc son apprentissage chez le facteur Georg Léonhard Lindner et reçoit son certificat en 1827 puis devient compagnon et en 1834 devenir maître à son tour. Mais régulation des ateliers oblige, pour éviter trop de concurrence (entre autres avec son ancien patron), il ne peut s’installer à son compte que plus tard en 1836 où il reçoit sa licence pour s’installer et se marier.

Ainsi nous voyons la survivance des corporations à Augsbourg et son organisation politique omnipotente du Conseil de la ville. Mais Feneberg mourut rapidement en 1841 à 35 ans.

En conséquence il n’y a pratiquement pas d’instruments existants encore (une flûte au musée de Munich et un basson connu).

Anton Kraus

(1813-1901)

Anton Kraus est né à Eger en 1813 (ville proche de Carlsbad et de Graslitz, haut lieu de la facture bohémienne d’instruments à vent, qui appartenait à l’époque à l’empire autrichien. Eger est une vieille ville médiévale, actuellement appelée Cheb en Tchéquie près de la frontière allemande.

Kraus fait son apprentissage à Eger de 1826 à 1830 chez un facteur de clarinettes W. Horak qui lui décerne un certificat élogieux. Il travaille à Prague et fait son tour de compagnonnage pour améliorer son savoir-faire et intègre comme compagnon l’atelier de Johann Martin Feneberg à Augsbourg.

Mais après le décès précoce de son patron, A. Kraus va continuer l’entreprise avec la veuve Khatarina Feneberg à Augsbourg de 1841 à 1847. Donc en 1848, Anton Kraus obtient les licences à la fois pour devenir citoyen d’Augsbourg, facteur d’instrument à son compte et épouser la veuve Katharina Feneberg. Il devient rapidement un facteur réputé de 1848 à 1864 et collègue-concurrent du maître de son maître G.L. Lindner.

Il fait de nombreux instruments à vent à son nom et nombre de ses instruments sont de qualité et dans les musées du monde : actuellement il reste : 2 piccolos, 6 flûtes, 2 cors de basset, 2 trompettes, 1 hautbois alto, 1 Czakan et 8 clarinettes. (Database Waterhouse/Langwill selon Tremmel et A. Rice).

A. Kraus aura un prix à une exposition à Augsbourg en 1852 avec deux clarinettes en La à 17 clés en argent. Ainsi reconnu, il exportera ses instruments à l’étranger en Europe et aux USA puisque suite à l’immigration d’Europe notamment allemande, il y aura une demande d’instruments que les clarinettes anglaises, et les clarinettes américaines ne suffisent pas à couvrir.  

J.B. Schmidt :

En 1865 A. Kraus s’associe avec son gendre J.B. Schmidt (estampille Kraus et Schmidt) jusqu’en 1883. Après cette date, Schmidt continuera l’atelier seul. En1870, la Bavière, royaume voulu par Napoléon 1er puis dirigé par le fantasque Louis II, protecteur de R. Wagner, sera intégrée à l’empire allemand par Bismark.

A.Kraus décédera à Augsbourg en 1901.

La clarinette A. Kraus en Ut à 5 clés :


L’intérêt de cette clarinette est qu’apparemment c’est la seule connue à 5 clés, Anton Kraus réalisant rapidement des clarinettes ayant plus de clés. On peut donc la dater vers 1848 -1850 ce qui est assez tardif d’ailleurs pour une 5 clés classique (buis teinté avec des blocs en bois de fixation dont deux anneaux dans le corps du haut et un bulbe dans le corps du bas, bagues en corne de bovin, clés en laiton, pavillon monoxyle, bec en ébène strié de rainures pour fixer l'anche avec de la ficelle…)

Estampille :

Une pomme de pin surmontant un chapiteau (symbole de la ville d’Augsbourg) des petites croix de Malte (symbole protestant, ce qui n’est pas surprenant dans la ville de la confession d’Augsbourg de Martin Luther, texte fondateur du protestantisme)



La marque A. Kraus est visible sur toutes les parties de la clarinette y compris le barillet avec la mention de la ville Augsbourg. Enfin en dessous C sur les 5 parties indique la tonalité d’UT.

Traçabilité : cette clarinette provient d’un collectionneur d’Augsbourg, son état est excellent et séduit toujours : la preuve !














2 commentaires:

  1. Bonjour José-Daniel,

    Je lis toujours avec grand intérêt vos écrits, particulièrement sur le site de René Pierre. Vous avez publié dernièrement un texte sur les facteurs augsbourgeois qui m’a beaucoup intéressé et retenu toute mon attention.

    J’ai acquis, il y a quelques années, une belle flûte d’Anton Kraus et, souhaitant partager cette découverte, je vous envoie la fiche faite à ce moment là. Elle se trouvait à Neuchâtel, chez une personne d’environ 70 ans qui la tenait de sa grand-mère, sans savoir exactement qui l’avait jouée. Neuchâtel se trouve dans la partie francophone de la Suisse. Je note au passage que presque systématiquement, mes instruments allemands ont été déniché en Suisse Allemande et les français, en Suisse Romande, ce qui n’est pas le cas cette fois…

    Le mois passé, j’ai eu l’occasion de passer quelques jours à Augsburg. Cette ville m’a enchanté, pour son architecture et son histoire principalement. Avec ma femme, nous avons bien sûr visité la maison où a vécu Léopold Mozart. Concernant les instruments, j’ai vu une belle série de flûtes à bec et douçaines dans un musée. Je crois savoir que Erich Tremmel habite cette ville, mais je ne le connais pas. Je sais aussi qu’il a écrit sur les facteurs augsbourgeois, mais n’ai pas lu son livre. Pour ma fiche Kraus, je me suis servi du livre sur les flûtes (Peter Thalheilmer) acheté à Markneukirchen, édité par le musée. C’est là que j’y ai trouvé le plus de renseignements sur Feneberg et Kraus.


    Cordialement.



    Michel Pfefferlé

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  2. Bonjour,

    Est-ce que votre flute est incluse dans la base de données incontournable et mondiale du grand spécialiste et ami Albert Rice aux USA ?
    Voici son Mel
    Albert Rice
    Tout dépend quand et où vous l’avez acheté je crois qu’il n’y a que 6 flutes existantes de Krauss ... ? Peut est-elle répertoriée ou est-ce une découverte ?

    Nous allons si vous êtes d’accord indiquer votre instrument dans notre article.
    Malheureusement je n’ai pas la documentation des 2 experts allemands qui ont écrit sur Krauss, ne comprenant pas l’allemand mais la grande famille des collectionneurs donnent des informations et des extraits de traduction ….
    Merci

    Puisque vous êtes suisse avec mon ami René Pierre, nous sommes intéressés par toutes informations Felchlin car nous avons des instruments de lui et de son association avec Dobner
    (Cf article sur le blog ) mais si vous voulez faire un article sur la facture suisse nous sommes preneurs.

    Cordialement . José

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