lundi 30 décembre 2024

Jacques NONON facteur de flûtes et de hautbois dans l'ombre du grand TULOU.

René PIERRE

Article parut dans le Larigot N°58 en octobre 2016.

Nous avions publié également un pré-article sur un de nos Blog

Nonon et Tulou

Introduction.

La vie et l'œuvre de Jean Louis TULOU (1786-1865), flûtiste virtuose, professeur au conservatoire de Paris de 1829 à 1856 et ardent opposant à la nouvelle flûte BOEHM, sont particulièrement bien documentées, notamment grâce à la thèse de Michelle TELLIER : "Jean Louis TULOU : flûtiste, professeur, facteur". Paris 1981 en deux volumes. (1) Thèse passionnante, très riche et qui se lit comme un roman...mais  «cachée» dans les réserves de la Médiathèque de la Cité de la musique à Paris. Cet ouvrage très documenté sur Tulou ne dit pas grand-chose de Jacques NONON et n'évoque que partiellement les instruments de ces deux personnages. Dans cet article nous souhaiterions aborder ces deux points.







Jean Louis Tulou par Henri Grévedon, entre 1830 et 1839. (Source BNF)






Qui était Jacques NONON ?

On ne savait pratiquement rien de Jacques NONON sinon qu'il était né à Metz en Moselle. En effet  il est né dans cette ville le premier mai 1802 et appartenait à une famille de tourneurs mosellans. Son père Gaspard NONON (1770-1836), son grand père Jean Louis NONON (1727-1813) étaient tourneurs à Metz.....Le premier tourneur connu de la famille était un arrière grand oncle, Jean Nicolas NONON (1687- ?) tourneur à Ranguevaux, berceau de la famille, petite commune de la vallée de la Fensch près de Joeuf (patrie de Platini.....le footballeur). 

Village de Ranguevaux en Moselle.






Jacques NONON avait deux frères et deux sœurs ; sa sœur aînée Marie Anne NONON né en 1797 à Metz avait épousée  Louis CHAMBILLE (1797-1845) mécanicien à Metz  et  fils d’un tourneur messin, Nicolas CHAMBILLE (1773-1849). Ce couple a eu trois enfants, dont Auguste François CHAMBILLE (1827-1881) né à Paris ; il sera facteur d’instruments de musique dans l’atelier de Jacques NONON, qu’il rachètera  le 11 juin 1856 à son oncle. Il collaborera à la fin de sa vie avec son ami Louis Ernest DEBONNEETBEAU de COUTELIER (1836- ?) avant que ce dernier ne rachète la Maison Lot dont il assurera la direction de 1882 à 1889. Le fils d’Auguste CHAMBILLE, Ernest Henri CHAMBILLE (1858-1922) sera contremaître chez Lot de 1882 à 1904, date à laquelle il succéda à E.BARAT et deviendra directeur de la Maison Lot.

En tête de la Maison Lot en 1906. (2)

Quel paradoxe de trouver à la tête de la prestigieuse Maison Lot, spécialisée dans la flûte Boehm, le petit neveu de Jacques NONON, contremaître de la Maison TULOU, ardant opposant à cette flûte Boehm. A la suite du décès d’Ernest CHAMBILLE en 1922, c’est sa fille Pauline Gabrielle CHAMBILLE (1887-1951) qui reprendra la direction de la société jusqu’à sa mort en 1951. (3)(4)

Voir remarque 1














Jacques NONON malgré l’éloignement entre Paris et Metz sera toujours, au cours de sa vie, très proche de sa famille et en particulier de ses trois neveux.

Première rencontre en 1828 entre Jacques NONON et Jean Louis TULOU.

Jacques NONON a été formé au métier de tourneur par son père et/ou par un membre de sa famille mais ce n'est pas en Moselle qu'il a pu être formé au métier de facteur d'instruments de musique. A-t-il fait un tour de France comme on le faisait à cette époque et comme Jean Daniel HOLTZAPFFEL, facteur natif de Strasbourg, exerçant à Paris nous le raconte dans ses mémoires ? (5)  Ou est-il "monté" directement à Paris ? Actuellement on ne sait rien de cette période. C'est en 1828 que l'on entend parler  pour la première fois de lui à Paris et de sa rencontre avec TULOU. Il lui présente une flûte à six clés en argent qui est conservée au musée de la musique à Paris.

Flûte à 6 clés en argent de Jacques Nonon de 1828.
Musée de la musique de Paris






Cette flûte serait donc à l'origine du partenariat créé en 1831. Il n'y a pas de doute sur l'origine de cet instrument, puisque c'est NONON lui-même qui en a fait don au musée du conservatoire en 1872, en précisant sa qualité. Lors de sa rencontre avec Tulou, Nonon avait 26 ans et la flûte qu'il lui présente est caractéristique des flûtes de cette époque, dans sa facture, sa conception, sa réalisation......Elle pourrait provenir des ateliers de Bellissent, Godfroy, Triébert....mais elle montre surtout que Jacques NONON maîtrisait  la fabrication de flûtes et qu'il avait sans doute travaillé pour ou chez les grands facteurs de cette période ; il faudrait la jouer pour en apprécier les qualités musicales            .

Le nouveau catalogue du Conservatoire. Gustave Chouquet.


















Cette marque suggère que J. NONON avait un atelier en 1828 et a continué d'exercer seul jusqu'en 1831. Il ne figure, à notre connaissance sur aucun annuaire de cette époque et on ne connaît pas son adresse. Aucun autre instrument, portant cette marque n'est connu.














L’anecdote du rossignol adoptée par Tulou dans sa marque, en 1831 est bien connue. Notre flûtiste avait remporté un énorme succès de prestige lors de la première,   du « Rossignol », opéra de Lebrun en 1816. Son interprétation du solo de flûte avait fait l’unanimité du tout Paris et avait confirmé sa prééminence sur tous les autres flûtistes de cette époque.   

Quand TULOU  a-t-il commencé la fabrication de flûtes et pourquoi ?

"Comment J.L. TULOU, virtuose célèbre, s'improvisa-t-il facteur ? On ne sait, mais ce n'est pas à coup sûr, pour combattre la flûte Boehm, puisqu'elle ne parut qu'après 1832 et que nous le trouvons fabricant dès 1818....." (Constant PIERRE : Les facteurs d'instruments de musique). Affirmation discutable de Constant Pierre surtout pour les débuts de J.L. Tulou comme "facteur" dès 1818, cela est peu probable. Bien sûr il a du "collaborer" avec BELLISSENT pour l'amélioration de ses flûtes, puisque ce dernier dès 1820 annonçait dans l'annuaire Bottin : "Bellissent, facteur de flûte de l'école royale de musique et de Mr TULOU première flûte de l'opéra"....et  en 1830 ils étaient trois facteurs à s'annoncer comme "LE fournisseur" de TULOU dans le même annuaire. "BELLISSENT, flûtes, fournisseur de Tulou et de l'académie royale de musique". " GODFROY aîné (Clair), fabricant de flûtes, clarinettes, flageolets, facteur de l'académie royale de musique, de l'école royale et des principaux professeurs de la capitale....." " GODFROY jeune, facteur en tout genre, connu particulièrement pour la flûte, fournisseur de M. TULOU et autres artistes distingués....."

Marques de Christophe Delusse (a1781-p1789), 

Vinnen Cadet (c.1820-1837), 

Un article intéressant, paru dans « La France Musicale » le 18 novembre 1855, donne une explication sur cette création d'atelier en 1831: " WUNDERLICH, maître de Tulou et de tous les flûtistes célèbres en France dans la première moitié de notre siècle, fut le premier à se servir chez nous de la flûte à plus d'une clef. Le premier nom français qu'il y ait à citer dans cette industrie est celui de DELUSSE, fabricant établi à Paris à l'époque de la première révolution. Ses instruments étaient appréciés ; ils avaient autant de justesse qu'il était possible de leur en donner à cette époque, et possédaient surtout une belle qualité de son.....Au fabricant Delusse succédèrent les frères WINNEN(Père et Fils selon Langwill) également établis à Paris. Le premier se servait d'une perce très large qui donnait de la puissance aux notes graves, mais qui empêchait les notes élevées de sortir avec facilité ; le second avait fait l'acquisition des perces de Delusse, et obtenait quelquefois, grâce à cette circonstance, d'assez bons résultats. Ce fut chez lui que Tulou acheta la flûte avec laquelle il fit sa réputation de virtuose. Un peu plus tard, ayant découvert un ouvrier intelligent, nommé GODEFROY, il lui donna sa flûte pour modèle, essaya ses instruments, et lui prodigua les plus sages conseils. Tous deux parvinrent à corriger les défauts de justesse qu'on rencontrait trop souvent sur les flûtes de cette époque. Il suffisait à Tulou de patronner un facteur pour lui assurer une clientèle. La maison GODEFROY aîné acquit bientôt une grande vogue ; mais à mesure qu'elle multipliait ses produits et leur trouvait de nouveaux débouchés, on se montrait moins disposé à faire des essais. C'est alors que Tulou conçut l'idée de monter lui-même un atelier. La première flûte qu'il construisit fut trouvée parfaite de tous points ; chacun voulut en avoir une semblable. Et c'est ainsi que, de succès en succès, de commandes en commandes, l'éminent artiste devint fabricant. L'exposition universelle nous fournit naturellement l'occasion d'apprécier ses travaux, leurs résultats et leur porté".

Cette article publicitaire, écrit à la suite de l’exposition de Paris en 1855, nous donne des informations intéressantes sur les flûtes jouées par TULOU, mais  essaie, également de faire de TULOU le conseiller des facteurs qui les a propulsés vers la réussite....Et NONON ? Oublié ? Mais l'on était en 1855 c’est-à-dire après la rupture entre les deux partenaires.

Pierre Godfroy (1779-1845), 

Clair Godfroy aîné (1774-1841),

Jacques Eléonore Bellissent (1783-1841).

Le premier document mentionnant la fabrication de flûtes par TULOU date du 19 mars 1831. C'est un article de la revue musicale qui commence par analyser les faiblesses de la flûte : justesse, égalité des sons graves et de l'aiguë..."Il appartenait à un professeur dont la longue expérience et le talent fini avaient su apprécier toutes ces imperfections, de faire les recherches nécessaires sur les  moyens propres à obvier à d'aussi graves inconvénients. M. Tulou a donc entrepris cette tâche dans l'espoir qu'il pourrait faciliter les progrès des amateurs en leur offrant des instruments dont ils n'auraient pas à combattre sans cesse les défauts, et qui, par leur état perfectionné, seconderaient leur habileté dans l'exécution au lieu d'y mettre obstacle".

"Mr Tulou a cherché à faire disparaître l'inconvénient des corps de rechange, et surtout celui de la pompe". A cette époque la plupart des facteurs utilisaient un barillet comme pompe d'accord qui présentait un inconvénient majeur selon lui, c'est pour cette raison que toutes les flûtes Tulou n'ont pas de pompe d'accord.

Il préconise le système des anneaux pour ajustés la tonalité, système qui aurait été imaginé par NONON, qui placés "aux emboîtures et allongeaient l'instrument d'un demi ton ou d'un quart de ton, suivant leur grosseur". (C. PIERRE)

"M. Tulou s'est aussi attaché à trouver des formes simples et élégantes dans les clés, et en a surtout diminué le volume, qui donnait à l'instrument de la lourdeur sans utilité. Ces avantages seront appréciés par les amateurs et les artistes et ne peuvent manquer d'influer sur les progrès de la flûte. Le nom de Mr Tulou les recommande suffisamment. Aucun instrument ne sort des ateliers de ce professeur célèbre sans avoir été essayé et reconnu bon par lui. On peut s'adresser directement à M. Tulou, à Paris, N°18 rue Bleue".



Tous ces éléments nous permettent de dire que J.L. TULOU a commencé  à fabriquer des flûtes en 1831 au début de sa collaboration avec Jacques NONON, même s’il avait collaboré auparavant avec d’autres facteurs comme Pierre GODFROY (Jeune) et son  frère aîné Clair GODFROY. Il est fréquent d’entendre que ce même Pierre GODFROY aurait fabriqué des flûtes portant la marque de Tulou, parce que certaines clés en argent sont poinçonnées avec une marque d’orfèvre avec des initiales « P.G.». Grace à Peter SPOHR nous avons résolu cette énigme mais nous en reparlerons lorsque nous évoquerons la flûte perfectionnée de TULOU. 

Alors pourquoi avoir créé cet atelier ?

Pour comprendre les motivations de Monsieur Tulou dans la fondation de cet atelier, il faut lire la thèse de Michelle TELLIER qui cerne parfaitement le caractère de cet artiste. Pour notre part nous voudrions mettre l'accent sur une des motivations, à notre sens essentielle : c'est le besoin de s'assurer des revenus complémentaires. Il faut comprendre qu'après sa disgrâce politique de 1821 quand Joseph GUILLOU (1787-1853) lui avait été préféré pour le poste de professeur au conservatoire de Paris et  après sa démission de l'opéra de Paris, le "grand" TULOU avait dû connaître une période délicate dans tous les domaines.

Christophe ROSTANG dans le n° spécial du Larigot concerné  à F.G.A. DAUVERNE, explique bien la nécessité pour ces artistes musiciens, dont les appointements de l'opéra et du Conservatoire n'étaient pas suffisants pour leurs assurer un train de vie de grand bourgeois digne de leur renommée, étaient contraints de trouver des ressources complémentaires. TULOU avait trouvé dans son association avec NONON une opportunité pour s'assurer des moyens confortables. Ce n'était pas, bien sur sa seule motivation mais ..... 

G. HEQUET flûtiste écrivant un article nécrologique sur TULOU, mentionne :" .....Il (Tulou) réussit mieux dans la fabrication des flûtes (que dans la peinture, une de ses passions), dont il s'occupa longtemps, et à laquelle il a dû probablement une grande partie de l'aisance dont il a joui...."

A. LAVIGNAC, dans son Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire, est encore plus dur et sans doute très injuste dans son jugement : ....Il (Tulou) garda longtemps son poste au conservatoire, s'associa entre temps avec NONON pour la fabrication des flûtes, n'apportant guère à l'association que l'immense prestige de son nom. Cette exploitation lui laissa de fort beaux bénéfices...."

Essai de classement chronologique des flûtes signées TULOU. (Remarque 2)

La marque « TULOU au rossignol » a été utilisée depuis la création de l’atelier en 1831 jusque vers les années 1930 par la Maison COUESNON. Aussi  peut-on rencontrer une grande variété de flûtes et de hautbois portant cette marque. Nous allons essayer de définir  les éléments qui permettront de classer chronologiquement les flûtes de la période de l’atelier TULOU-NONON. Vous avez été nombreux à nous faire parvenir des photos et des renseignements, il reste encore de nombreux points à étudie notamment sur la perce des instruments, sur les embouchures….Nous reviendrons donc régulièrement sur cet article pour faire des mises au point. N’hésitez pas à nous consulter pour nous donner votre avis sur ce sujet. Nous avons répertorié plus d'une centaine de flûtes de cette période. Tulou et Nonon ont produit de 1831 à 1850 des flûtes plutôt  à 5 clés ou 6 clés de très belle qualité qui furent régulièrement récompensées aux expositions de 1834, 1839, 1844, 1849.

Flûtes de la première période (1831-1838).

Il existe quelques flûtes baguées ivoire, parfois en buis sans doute du début de l’atelier. 

Tête de flûte Tulou en buis et bague ivoire. (Vente Vichy)


Flûte Tulou à 4 clés argent baguée large. (Collection Sigal)

Flûte Tulou en buis à 4 clés. (Collection R. Charbit)

Flûte Tulou à 5 clés à bagues larges et anneaux d'accord. (Vente Vichy)

Flûte Tulou à 5 clés laiton en buis (Vente Vichy)

Mais  elles sont généralement baguées en métal  (argent principalement), avec des bagues  larges, jamais de pompe d'accord et les clés sont fines, fixées à des tourillons soudés à des plaques vissées dans le bois. Lorsqu’elles sont en argent, ces clés comportent le poinçon « tête de lièvre » de petite garantie de Paris (1819-1838) et le poinçon « P # B » de Paul Nicolas BELORGEY mécanicien: " Belorgey Aîné, facteur de clefs d'instruments de musique, fabrique tout ce qui a rapport aux garnitures intérieures et extérieures des instruments ; tire toute espèce de tubes à l'usage des facteurs, 32 rue du Petit Carreau". (Bottin 1840)(Remarque 3)




















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