La vie et l'œuvre
de Jean Louis TULOU (1786-1865),
flûtiste virtuose, professeur au conservatoire de Paris de 1829 à 1856 et
ardent opposant à la nouvelle flûte BOEHM,
sont particulièrement bien documentées, notamment grâce à la thèse de Michelle TELLIER : "Jean
Louis TULOU : flûtiste, professeur, facteur". Paris 1981 en deux volumes. (1) Thèse passionnante, très riche et
qui se lit comme un roman...mais «cachée»
dans les réserves de la Médiathèque de la Cité de la musique à Paris. Cet
ouvrage très documenté sur Tulou ne dit pas grand-chose de Jacques NONON et n'évoque
que partiellement les instruments de ces deux personnages. Dans cet article
nous souhaiterions aborder ces deux points.
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Jean Louis Tulou par Henri Grévedon, entre 1830 et
1839. (Source BNF)
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Qui était Jacques NONON ?
On ne savait pratiquement rien de Jacques NONON sinon qu'il était né à Metz en Moselle. En effet il est né dans cette ville le premier mai 1802 et appartenait à une famille de tourneurs mosellans. Son père Gaspard NONON (1770-1836), son grand père Jean Louis NONON (1727-1813) étaient tourneurs à Metz.....Le premier tourneur connu de la famille était un arrière grand oncle, Jean Nicolas NONON (1687- ?) tourneur à Ranguevaux, berceau de la famille, petite commune de la vallée de la Fensch près de Joeuf (patrie de Platini.....le footballeur).
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Village de Ranguevaux en Moselle. |
Jacques NONON avait deux frères et deux sœurs ; sa sœur aînée Marie Anne NONON né en 1797 à Metz avait épousée Louis CHAMBILLE (1797-1845) mécanicien à Metz et fils d’un tourneur messin, Nicolas CHAMBILLE (1773-1849). Ce couple a eu trois enfants, dont Auguste François CHAMBILLE (1827-1881) né à Paris ; il sera facteur d’instruments de musique dans l’atelier de Jacques NONON, qu’il rachètera le 11 juin 1856 à son oncle. Il collaborera à la fin de sa vie avec son ami Louis Ernest DEBONNEETBEAU de COUTELIER (1836- ?) avant que ce dernier ne rachète la Maison Lot dont il assurera la direction de 1882 à 1889. Le fils d’Auguste CHAMBILLE, Ernest Henri CHAMBILLE (1858-1922) sera contremaître chez Lot de 1882 à 1904, date à laquelle il succéda à E.BARAT et deviendra directeur de la Maison Lot.
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En tête de la Maison Lot en 1906. (2) |
Quel paradoxe de
trouver à la tête de la prestigieuse Maison Lot, spécialisée dans la flûte
Boehm, le petit neveu de Jacques NONON, contremaître de la Maison TULOU, ardant
opposant à cette flûte Boehm. A la suite du décès d’Ernest CHAMBILLE en 1922,
c’est sa fille Pauline Gabrielle CHAMBILLE (1887-1951) qui reprendra la
direction de la société jusqu’à sa mort en 1951. (3)(4)
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Voir remarque 1 |
Jacques NONON malgré l’éloignement entre Paris et Metz sera toujours, au cours de sa vie, très proche de sa famille et en particulier de ses trois neveux.
Première rencontre en 1828 entre Jacques NONON et Jean Louis
TULOU.
Jacques NONON a été formé au métier de tourneur par son père et/ou par un membre de sa famille mais ce n'est pas en Moselle qu'il a pu être formé au métier de facteur d'instruments de musique. A-t-il fait un tour de France comme on le faisait à cette époque et comme Jean Daniel HOLTZAPFFEL, facteur natif de Strasbourg, exerçant à Paris nous le raconte dans ses mémoires ? (5) Ou est-il "monté" directement à Paris ? Actuellement on ne sait rien de cette période. C'est en 1828 que l'on entend parler pour la première fois de lui à Paris et de sa rencontre avec TULOU. Il lui présente une flûte à six clés en argent qui est conservée au musée de la musique à Paris.
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Flûte à 6 clés en argent de Jacques Nonon de 1828. Musée de la musique de Paris |
Cette flûte serait
donc à l'origine du partenariat créé en 1831. Il n'y a pas de doute sur
l'origine de cet instrument, puisque c'est NONON lui-même qui en a fait don au
musée du conservatoire en 1872, en précisant sa qualité. Lors de sa rencontre
avec Tulou, Nonon avait 26 ans et la flûte qu'il lui présente est
caractéristique des flûtes de cette époque, dans sa facture, sa conception, sa
réalisation......Elle pourrait provenir des ateliers de Bellissent, Godfroy,
Triébert....mais elle montre surtout que Jacques NONON maîtrisait la
fabrication de flûtes et qu'il avait sans doute travaillé pour ou chez les
grands facteurs de cette période ; il faudrait la jouer pour en apprécier les
qualités musicales .
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Le nouveau catalogue du Conservatoire. Gustave Chouquet. |
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Cette marque
suggère que J. NONON avait un atelier en 1828 et a continué d'exercer seul
jusqu'en 1831. Il ne figure, à notre connaissance sur aucun annuaire de cette
époque et on ne connaît pas son adresse. Aucun autre instrument, portant cette marque n'est connu.
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L’anecdote du
rossignol adoptée par Tulou dans sa marque, en 1831 est bien connue. Notre
flûtiste avait remporté un énorme succès de prestige lors de la première, du « Rossignol », opéra de Lebrun
en 1816. Son interprétation du solo de flûte avait fait l’unanimité du tout
Paris et avait confirmé sa prééminence sur tous les autres flûtistes de cette
époque.
Quand TULOU a-t-il commencé la fabrication de flûtes et pourquoi ?
"Comment
J.L. TULOU, virtuose célèbre, s'improvisa-t-il facteur ? On ne sait, mais ce
n'est pas à coup sûr, pour combattre la flûte Boehm, puisqu'elle ne parut
qu'après 1832 et que nous le trouvons fabricant dès 1818....." (Constant PIERRE :
Les facteurs d'instruments de musique). Affirmation discutable de Constant Pierre surtout
pour les débuts de J.L. Tulou comme "facteur" dès 1818, cela est peu
probable. Bien sûr il a du "collaborer" avec BELLISSENT pour l'amélioration de
ses flûtes, puisque ce dernier dès 1820 annonçait dans l'annuaire Bottin
: "Bellissent, facteur de flûte de l'école royale de musique et de
Mr TULOU première flûte de l'opéra"....et en 1830 ils étaient
trois facteurs à s'annoncer comme "LE
fournisseur" de TULOU dans le même annuaire. "BELLISSENT, flûtes, fournisseur de Tulou
et de l'académie royale de musique". " GODFROY aîné
(Clair), fabricant de
flûtes, clarinettes, flageolets, facteur de l'académie royale de musique, de
l'école royale et des principaux professeurs de la
capitale....." " GODFROY jeune, facteur en tout genre,
connu particulièrement pour la flûte, fournisseur de M. TULOU et autres artistes
distingués....."
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Marques de Christophe Delusse (a1781-p1789), |
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Vinnen Cadet (c.1820-1837), |
Cette article publicitaire, écrit à la suite de l’exposition de Paris
en 1855, nous donne des informations intéressantes sur les flûtes jouées par
TULOU, mais essaie, également de faire
de TULOU le conseiller des facteurs qui les a propulsés vers la réussite....Et
NONON ? Oublié ? Mais l'on était en 1855 c’est-à-dire après la rupture entre
les deux partenaires.
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Pierre Godfroy (1779-1845), |
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Clair Godfroy aîné (1774-1841), |
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Jacques Eléonore
Bellissent (1783-1841).
Le premier document mentionnant la fabrication de flûtes par TULOU date du 19 mars 1831. C'est un article de la revue musicale qui commence par analyser les faiblesses de la flûte : justesse, égalité des sons graves et de l'aiguë..."Il appartenait à un professeur dont la longue expérience et le talent fini avaient su apprécier toutes ces imperfections, de faire les recherches nécessaires sur les moyens propres à obvier à d'aussi graves inconvénients. M. Tulou a donc entrepris cette tâche dans l'espoir qu'il pourrait faciliter les progrès des amateurs en leur offrant des instruments dont ils n'auraient pas à combattre sans cesse les défauts, et qui, par leur état perfectionné, seconderaient leur habileté dans l'exécution au lieu d'y mettre obstacle".
"Mr Tulou
a cherché à faire disparaître l'inconvénient des corps de rechange, et surtout
celui de la pompe". A cette époque la plupart des facteurs utilisaient
un barillet comme pompe d'accord qui présentait un inconvénient majeur selon
lui, c'est pour cette raison que toutes les flûtes Tulou n'ont pas de pompe
d'accord.
Il préconise le système des anneaux pour ajustés la tonalité, système qui aurait été imaginé par NONON, qui placés "aux emboîtures et allongeaient l'instrument d'un demi ton ou d'un quart de ton, suivant leur grosseur". (C. PIERRE)
"M. Tulou
s'est aussi attaché à trouver des formes simples et élégantes dans les clés, et
en a surtout diminué le volume, qui donnait à l'instrument de la lourdeur sans
utilité. Ces avantages seront appréciés par les amateurs et les artistes et ne
peuvent manquer d'influer sur les progrès de la flûte. Le nom de Mr Tulou les
recommande suffisamment. Aucun instrument ne sort des ateliers de ce professeur
célèbre sans avoir été essayé et reconnu bon par lui. On peut s'adresser
directement à M. Tulou, à Paris, N°18 rue Bleue".
Tous ces éléments nous permettent de dire que J.L. TULOU a
commencé à fabriquer des flûtes en 1831
au début de sa collaboration avec Jacques NONON, même s’il avait collaboré auparavant
avec d’autres facteurs comme Pierre GODFROY (Jeune) et son frère aîné Clair GODFROY. Il est fréquent d’entendre
que ce même Pierre GODFROY aurait fabriqué des flûtes portant la marque de
Tulou, parce que certaines clés en argent sont poinçonnées avec une marque d’orfèvre
avec des initiales « P.G.». Grace à Peter SPOHR nous avons résolu cette
énigme mais nous en reparlerons lorsque nous évoquerons la flûte perfectionnée
de TULOU.
Alors pourquoi avoir créé cet atelier ?
Pour comprendre les motivations de Monsieur Tulou dans la fondation de cet atelier, il faut lire la thèse de Michelle TELLIER qui cerne parfaitement le caractère de cet artiste. Pour notre part nous voudrions mettre l'accent sur une des motivations, à notre sens essentielle : c'est le besoin de s'assurer des revenus complémentaires. Il faut comprendre qu'après sa disgrâce politique de 1821 quand Joseph GUILLOU (1787-1853) lui avait été préféré pour le poste de professeur au conservatoire de Paris et après sa démission de l'opéra de Paris, le "grand" TULOU avait dû connaître une période délicate dans tous les domaines.
Christophe ROSTANG dans
le n° spécial du Larigot concerné à F.G.A. DAUVERNE, explique bien la nécessité pour ces artistes
musiciens, dont les appointements de l'opéra et du Conservatoire n'étaient pas
suffisants pour leurs assurer un train de vie de grand bourgeois digne de leur
renommée, étaient contraints de trouver des ressources complémentaires. TULOU
avait trouvé dans son association avec NONON une opportunité pour s'assurer des
moyens confortables. Ce n'était pas, bien sur sa seule motivation mais
.....
G. HEQUET flûtiste
écrivant un article nécrologique sur TULOU, mentionne :" .....Il
(Tulou) réussit mieux dans la fabrication des flûtes (que dans la peinture, une
de ses passions), dont il s'occupa longtemps, et à laquelle il a dû
probablement une grande partie de l'aisance dont il a joui...."
A. LAVIGNAC, dans son Encyclopédie
de la musique et dictionnaire du Conservatoire, est encore plus dur et sans
doute très injuste dans son jugement : ....Il (Tulou) garda longtemps
son poste au conservatoire, s'associa entre temps avec NONON pour la
fabrication des flûtes, n'apportant guère à l'association que l'immense
prestige de son nom. Cette exploitation lui laissa de fort beaux
bénéfices...."
Essai
de classement chronologique des flûtes signées TULOU. (Remarque 2)
La marque « TULOU au rossignol » a été utilisée depuis la création de l’atelier en 1831 jusque vers les années 1930 par la Maison COUESNON. Aussi peut-on rencontrer une grande variété de flûtes et de hautbois portant cette marque. Nous allons essayer de définir les éléments qui permettront de classer chronologiquement les flûtes de la période de l’atelier TULOU-NONON. Vous avez été nombreux à nous faire parvenir des photos et des renseignements, il reste encore de nombreux points à étudie notamment sur la perce des instruments, sur les embouchures….Nous reviendrons donc régulièrement sur cet article pour faire des mises au point. N’hésitez pas à nous consulter pour nous donner votre avis sur ce sujet. Nous avons répertorié plus d'une centaine de flûtes de cette période. Tulou et Nonon ont produit de 1831 à 1850 des flûtes plutôt à 5 clés ou 6 clés de très belle qualité qui furent régulièrement récompensées aux expositions de 1834, 1839, 1844, 1849.
Flûtes de la première période (1831-1838).
Il existe quelques flûtes baguées ivoire, parfois en buis sans doute du début de
l’atelier.
Tête de flûte Tulou en buis et bague ivoire. (Vente Vichy) |
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Flûte Tulou à 4 clés argent baguée large. (Collection Sigal) |
Flûte Tulou en buis à 4 clés. (Collection R. Charbit) |
Flûte Tulou à 5 clés à bagues larges et anneaux d'accord. (Vente Vichy) |
Flûte Tulou à 5 clés laiton en buis (Vente Vichy) |
Mais elles sont généralement baguées
en métal (argent principalement), avec
des bagues larges, jamais de pompe d'accord
et les clés sont fines, fixées à des tourillons soudés à des plaques vissées
dans le bois. Lorsqu’elles sont en argent, ces clés comportent le poinçon « tête
de lièvre » de petite garantie de Paris (1819-1838) et le poinçon « P
# B » de Paul Nicolas BELORGEY mécanicien: " Belorgey
Aîné, facteur de clefs d'instruments de musique, fabrique tout ce qui a rapport
aux garnitures intérieures et extérieures des instruments ; tire toute espèce
de tubes à l'usage des facteurs, 32 rue du Petit Carreau". (Bottin
1840)(Remarque 3)