lundi 11 mars 2024

Deux flageolets anglais de Bainbridge

 par José-Daniel Touroude


Comme la plupart des collectionneurs d’instruments à vent, j’ai des flageolets anglais et français et à chaque visite on me questionne sur ces instruments particuliers. Notre blog n’ayant pas d’articles consacrés à ces instruments, je devais amorcer la connaissance sur ces instruments oubliés et insolites. Il existe une variété incroyable de flageolets car il y a eu une mode pendant plusieurs siècles et je renvoie, à ceux qui veulent tout savoir sur cet instrument, aux nombreux sites et photos consacrés à cet instrument. Je vais me centrer sur mes deux flageolets anglais.

Edmé Collinet (1765-1851) spécialiste du flageolet.

D’abord un petit rappel sur l’histoire du flageolet :

Le flageolet est une flute ancienne pastorale déjà indiquée par Clément Marot sous François 1er et qu’on appelait aussi Larigot (qui est le nom de notre revue de collectionneurs de l’ACIM). Il y avait déjà des virtuoses de cet instrument qui jouaient à la cour de France au XVème siècle. Mersenne indique en 1636 que le flageolet pouvait faire deux octaves.



Le grand facteur Mahillon en 1874, dans son traité d’acoustique, le classe comme une variété de flûte à bec malgré son embout en ivoire. Au XVIIème siècle la mode du flageolet français se répand, il y a même des méthodes publiées à Londres avec des airs imprimés de divers auteurs et une méthode en 1700 à Paris. Il permet des petites mélodies simples et bien sûr il y a eu des virtuoses de cet instrument pourtant assez limité. Ainsi la méthode du spécialiste du flageolet Eugène Roy.











Dans la multiplicité des flageolets, certains servaient aussi à imiter les oiseaux et à leur apprendre à chanter. Ci-joint un bel exemple en ivoire au musée de la musique de Paris par un des premiers facteurs du XVIIIème siècle Charles Bizey.









Au XVIIIème le flageolet fait des apparitions à l’opéra chez Vivaldi, Haendel, Gluck… mais c’est au XIXème siècle qu’il connait son apogée avec le flageolet pour jouer des airs de danse notamment le quadrille pour les bals et se dote de clefs avec 3 puis 5 clés en maillechort, le buis remplaçant l’ébène. Ainsi la demande est importante sous Napoléon III pendant « la belle époque » où tous les orchestres de casinos dans les stations balnéaires avaient cet instrument.   

La mode de la flûte à bec pendant la période baroque a été remplacée par la flûte traversière mais le flageolet est resté populaire pendant tout le XIXème siècle. Par contre au début du XXème, il tombe dans l’oubli. Certains actuellement essaient de faire revivre ponctuellement le répertoire ancien.

Et puis quand même Berlioz enfant s’initia à cet instrument et découvrit la beauté des instruments à vent…



La plupart des facteurs (comme J. Thibouville Lamy) vont fabriquer des flageolets qui deviennent incontournables pour les fêtes populaires. Ces instruments sont fréquents dans tous les musées et des collections particulières.

Mais outre-manche le flageolet est aussi très prisé et va connaître celui qui va les magnifier : W. Brainbridge

Les flageolets anglais : inventés à la fin du XVIIIème siècle,  sont aussi à la mode. Ils sont plus simples à jouer et diffèrent du flageolet français. Ils possèdent 7 trous pour faire la gamme diatonique qui sont indiqués à chaque trou et on peut comme la flute à bec passer à l’octave supérieure avec les mêmes notes avec les mêmes doigtés (contrairement au flageolet français plus difficile). Cette simplicité va généraliser ce type de flageolet facile pour les amateurs. Le son est aigu et résonne bien.

William Brainbridge est né en 1768 décédé en 1831, est à la fois un musicien un hautboïste et flûtiste anglais mais aussi un tourneur sur bois et facteur d’instruments à vent qui a passé sa vie à perfectionner le flageolet. C’était aussi un inventeur créant de nombreux brevets (le 1er date de 1803) donnant au flageolet ses lettres de noblesse et l’améliorant sans cesse. Il créa des flageolets simples mais aussi doubles (création en 1805), triples (création en 1820) et fit de nombreux procès pour se protéger de ceux qui copiaient ses instruments car vu l’engouement pour cet instrument, de nombreux facteurs vont en fabriquer. Après les guerres napoléoniennes, il fit même breveter ses instruments en 1816 en France.  

Nous avons deux flageolets de Brainbridge : un simple et un double.







Sur le flageolet simple daté entre 1803 et 1807, il y a les mentions Patent, inventor, teacher et la licorne label des instruments anglais avec son adresse à Londres au 35 Holborn Hill. Une des particularités de ces flageolets et de mettre les noms des notes (A, B, C …) et des picots en ivoire pour séparer les notes sur tous ces instruments. On peut faire toutes les notes et même quelques altérations # et b.














Sur le double flageolet, daté lors de son association avec le facteur John Wood de 1808 à 1812, il y a la couronne royale et les mêmes mentions d’inventeur. Outre la beauté de ces instruments en buis et ivoire, le double flageolet permettait de jouer d’une part la mélodie mais aussi d’autre part le bourdon ou un contrepoint. Bainbridge enseigna aussi le flageolet et joua de cet instrument en concert. A sa mort, sa femme continua l’atelier qui fut repris par son ancien ouvrier Henry Hastrick jusqu’en 1854. 















Analysons les diverses pièces constitutives de cet instrument :

Au sommet il y a un embout en ivoire ou en os aplati appelé bec qui permet de souffler un filet d’air par un petit trou et qui a l’aspect d’une anche double rigide.  
























Il y a aussi un barillet qui est large et qui sert de résonateur et conduit l’air vers le biseau.Ici il y a deux fentes sur les côtés car le flageolet est double. Le sifflet en biseau proche de la flute à bec qui permet le son.















Deux fentes pour le double, une pour le simple !   
Puis il y a un porte vent avec des bagues en ivoire pour mettre une éponge afin d’absorber la condensation et la vapeur de la salive. Le porte vent est conique. Le porte vent à un orifice d’insufflation identique à la flute à bec et on peut remarquer deux traits parallèles qui indiquent où se place à l’intérieur l’éponge. On peut remarquer que la fenêtre est identique à la flute à bec mais le flageolet double dispose d’une longue clé en argent dans les deux fenêtres afin de bloquer l’une des deux flûtes au choix ce qui permettait de faire à la fois des mélodies seules puis à deux voix.


















Pour le flageolet double, il y a deux tubes de perce conique se fixant sur le porte-vent, ici des flutes de mêmes hauteurs (mais certaines sont de tailles différentes) et finissant par une virole ou bague en ivoire. Il y a 7 trous pour faire les 7 notes de la gamme diatonique avec une tierce de différence. Les trous derrière l’instrument permettent de jouer à l’octave comme pour la flute à bec. Il y a 5 clés en argent dont une clé derrière.


Il est souvent accordé en La ou en Ré. Ses instruments sont en buis et ivoire et les clefs sont en argent car ce sont des instruments haut de gamme. Vu la popularité de cet instrument de nombreux facteurs vont réaliser des instruments en palissandre ou en ébène avec des clés en maillechort. 

Un excellent site d’un facteur de flageolets Philippe Bolton facteur de flageolets et être vigilant aux enchères à Vichy pour la vente d’instruments anciens.

Philippe Bolton

mardi 5 mars 2024

Emanuele MARCONI : Félicitations au nouveau Docteur en Musicologie


Emanuele MARCONI

Toutes nos félicitations au nouveau docteur en musicologie Emanuele Marconi, directeur du musée des instruments à vent de la Couture Boussey (en Normandie), après la soutenance de sa thèse le 4 mars 2024 à la Sorbonne devant un jury international.

Beaucoup de collectionneurs connaissent ce musée, où sont rassemblés de nombreux instruments à vent, surtout des bois, musée qui a pris une nouvelle dimension depuis 5 ans grâce à E. Marconi, qui est à la fois chercheur et responsable de ce musée.

Pour moi ce qui est intéressant, c’est sa vision transdisciplinaire qui a permis d’analyser sous plusieurs angles avec une recherche systématique de tous documents, parfois banals et souvent inédits, pour construire une monographie locale autour de la Couture Boussey avec toutes les évolutions de différentes natures depuis plus d’un siècle.

Ainsi la Couture- Boussey est l’exemple d’une proto-industrialisation, qu’ont connue d’autres régions rurales, faite par des paysans et paysannes pluriactifs dans des activités de travail à domicile. L’originalité de ce village est la spécialité de la facture d’instruments à vents.

 

C’est aussi, avec la demande militaire et populaire des instruments à vent et surtout avec l’exportation vers les USA, une organisation régionale autour de facteurs artisanaux, la plupart liés entre eux, afin de mobiliser toutes les forces de travail locales disponibles avant l’élaboration des manufactures d’instruments normés et industriels.

Cette activité a connu ses périodes d’expansion et de déclin avec les bouleversements de l’histoire comme la crise de 1929, les mouvements sociaux et la 2ème guerre mondiale.

C’est par devoir de mémoire et de conscience patrimoniale que la création d’un musée original a rendu hommage aux savoir-faire anciens de la population rurale encadrée par des facteurs compétents qui font désormais le bonheur des collectionneurs.

Nous espérons que le docteur Emanuele Marconi nous fera prochainement l’amitié de produire un article issu de sa thèse dans notre blog… en attendant voici le résumé officiel distribué. 

José-Daniel Touroude


Résumé́ de la thèse d’Emanuele Marconi :

Le Musée des instruments à vent de La Couture-Boussey (département de l’Eure, Normandie) a été fondé en 1888 par les membres de la « Chambre Syndicale des Ouvriers en Instruments de Musique (Finisseurs) ». Seul exemple de son époque de musée français dédié à la facture instrumentale, il fut fondé à la fois dans le mouvement d’un intérêt croissant vers les collections publiques d’instruments de musique qui prend forme au début de ce siècle, et dans le contexte des luttes ouvrières des années 1880.

Son objet est de valoriser et perpétuer le savoir-faire des facteurs du bassin couturiot, un ensemble d’une dizaine de villages aux alentours de La Couture-Boussey, épicentre de la manufacture d’instruments à vent en bois depuis le début du XVIIe siècle.

Son histoire, caractérisée par une alternance de périodes d’activités et d'abandon, reflet des dynamiques socio-économiques du village, peut être lue au travers des principaux événements du XXe siècle : les deux guerres mondiales, la crise des années 1930, le boom économique des années 1950 et 1960 et, enfin, la globalisation du marché et la fermeture des entreprises.

Atelier de facteurs d'instruments de musique


Élaborée à partir de nombreuses sources d’archives rassemblées et pour la plupart inconnues à ce jour, cette thèse aborde successivement, avec une approche et des résultats inédits, l’histoire de la facture d’instruments à vent à La Couture-Boussey, la déconstruction des mythes de ses origines, les grèves à l’origine de la création du Syndicat, l’histoire du Musée, et celle de ses collections d’instruments et d’outils, de sa bibliothèque, tout en soulignant son rôle de premier plan au niveau européen, en cette fin du XIXe siècle, dans la réalisation de copies d’instruments de musique anciens (facsimilés) qui constituent une partie fondatrice de sa collection.



lundi 19 février 2024

L'histoire d'une flûte strasbourgeoise de Jean Chrétien Roth

L'un des plaisirs du collectionneur d'instruments de musique est qu'après avoir regardé l'instrument sous toutes ses coutures pour déterminer sa facture, son diapason, l'atelier qui l'a fabriqué.......c'est de connaître ses propriétaires, les artistes qui l'ont joué.

Encore mieux s'il a appartenu à un personnage prestigieux, où un célèbre musicien, comme c'est le cas pour cette pochette de Maître à danser réalisée par le luthier parisien Romain Cheron en 1681 pour Nicolas Varin Maître à danser des pages de la Grande Ecurie de Louis XIV, qui sera en vente à Vichy le 13 avril de cette année.






C'est également le cas pour une flûte de ma collection reçue par le lauréat d'un premier prix de flûte en 1844, Gustave LEMOUX (1828-1875) éléve de Jean Louis Tulou.
             



Portrait de Gustave Lemoux (propriété de B.Duplaix)

Cette flûte restaurée par Charles Henri SUN, a pu retrouver vie grace à Anne PUSTLAUK qui interprète le morceau de concours : "Tulou 10ème Grand solo op. 92" que G. Lemoux a joué en 1844 pour son premier prix de flûte du conservatoire de Paris.

 
Et puis il y a d'autres instruments plus modestes, sans grand intérêt organologique qui ont appartenu à des personnes plus modestes.......mais qui peuvent dévoiler une histoire passionnante. 

C'est le cas de notre petite flûte en buis de Jean Chrétien ROTH (1816-1881) installé au 18 place Kléber à Strasbourg.


Même si elle est très sympathique, en parfait état, faite dans un beau buis ondé et très bien fabriquée, jouant bien, on ne peut pas "s'extasier ", crier à "l'exceptionnel ".
Alors pourquoi s'intéresser à cet instrument?

La boite d'origine !!!! comporte des noms : sur le couvercle " Amann chef de Section à Longjumeau "


Et sur l'intérieur du couvercle : " CHRISTOPHEL Alphonse N 136 "
" Mais qui c'est ces mecs là ? "

Alors c'est là que commence le plaisir DU CHERCHEUR....ou plutôt du fouineur. C'est mieux qu'un Agatha Christie ou un James Hadley Chase. Mais il faut trouver.....tant pis si le Président Macron explique sa politique à la télé.
Première étape, les sites de généalogie préférés Généanet, Filae. Une chance le nom n'est pas Martin ou Lefèvre ......j'ai déjà donné. Alors je cherche avec Alphonse Christophel, qui n'est pas courant et bingo.

Alphonse Xavier Christophel né le 28 2 1860 à Haguenau dans le Bas-Rhin, sergent au 1er régiment étranger. Mort en 1883 à Hué au Vietnam. Et en plus sa mère s'appelait Anne Catherine Amann (1827-1875). 
Il suffit alors de "tirer le fil ".......et puis voici l'Histoire.

Notre flûte a sans doute été achetée chez Roth à Strasbourg vers 1860 par Bernard Auguste AMANN, né à Haguenau dans le Bas Rhin le 5 juin 1839. Toute sa famille était de Haguenau. 
Magasin C. ROTH en 1868 au 18 place Kléber à Strasbourg.
(Col. RP)


B. A. AMANN était conducteur de travaux aux ponts et chaussées et c'est la raison pour laquelle lorsque la guerre fût déclarée entre la France et l'Allemagne en 1870, on le retrouve comme employé aux travaux de génie de la place de Belfort à partir  du 1 octobre 1870 jusqu'au 18 février 1871 date d'évacuation de Belfort, attaché depuis le bombardement au service du fort de Bellevue.
La rédition du siége de Belfort en 1871


Auguste AMANN a été blessé à la tête par un éclat d'obus, c'est la raison pour laquelle il fût décoré de la légion d'honneur en avril 1872. 
A fin de la guerre il est nommé par les ponts et chaussées à Rethel dans les Ardennes et choisi de rester français 30 septembre 1872. Il épouse en novembre 1872 Marie Louise CHRISTOPHEL née elle aussi à Haguenau en 1849, sans doute une cousine et soeur d'Alphonse Xavier CHRISTOPHEL.
Leur fille Gabrielle AMANN est né à Longjumeau le 25 septembre 1876, Auguste AMANN étant alors conducteur de travaux, chef de section au chemin de fer dit de la grande ceinture. (voir le libellé du couvercle de la boîte de flûte)

Bernard Auguste AMANN fit une brillante carrière dans les Ponts et Chaussées. Après Longjumeau, ce fût Mauriac, Brive et Limoges. Il décéda le 14 juillet 1909, date prédestinée pour ce patriote.

Son beau frère Alphonse Xavier CHRISTOPHEL, qui hérita de la flûte, à son adolescence, pour s'essayer à la musique était beaucoup plus jeune (21 ans de différence) puisqu'il était né le 28 février 1860 lui aussi à Haguenau. Il eu un destin beaucoup plus tragique, puisque engagé dans la légion étrangère (sergent au premier régiment étranger, il fût tué en 1883, à 23 ans au cours du siège de Hué.














 B.A. AMANN avait un frère aîné luis aussi né à Haguenau, patriote et musicien : Henri AMANN (1835-1900). Engagé dans l'armée dès l'age de 12 ans.(il devait avoir admirer les beaux militaires du 7éme régiment de cavalerie qui étaient en garnison à Haguenau dans les années 1845) Trompette au 7éme régiment de chasseur il participa aux campagnes d'Algérie (1858-1859), à l'armée d'Italie 1868-1869, à la guerre contre les allemand de 1870-1871 et fut libéré en 1874 après 27 ans de bons et loyaux services qui lui  valurent d'être décoré de la médaille militaire en 1868 et d'être fait chevalier de la légion d'honneur en 1871.
Trompette du 7éme régiment de chasseur à cheval.
A côté de sa carrière militaire il obtint un premier prix de sax horn au Conservatoire Impérial de Paris en 1863.
  
















Alors elle pourrait en dire cette petite flûte de Roth !!!!!!!

vendredi 9 février 2024

Histoire d’une lignée de facteurs d’instruments d'Augsbourg : Lindner père et Fils, Feneberg, Kraus, Smidt.

par José-Daniel Touroude.

(Merci à Albert RICE pour son aide)

Nous avons choisi la ville d’Augsbourg en Bavière, région où est née la clarinette à Nuremberg, comme exemple.
Augsbourg au XVIIIe siècle 
















A travers une clarinette en Ut à 5 clés rare d’Anton Kraus d’Augsbourg en Bavière au XIXème siècle, nous allons montrer l’importance d’une lignée de facteurs dans une ville moyenne de province de Bavière au XIXème siècle, soumise encore aux règles des corporations mais où se transmet, grâce à certains facteurs talentueux, un savoir-faire et une réputation qui font la joie des collectionneurs.

Il y avait des centres de production d’instruments comme Markneukirchen ou Neukirchen en Allemagne, ou la Couture Boussey en France qui regroupaient plusieurs familles de facteurs liés entre elles. Mais dans les villes moyennes de province, il y avait aussi des ateliers artisanaux de qualité qui émaillaient l’Europe et servaient d’étapes pour les compagnons dans leur tour pour améliorer leur savoir-faire.

(Dans le royaume de Bavière crée par Napoléon 1er depuis 1805, il y avait un facteur réputé dans la facture des instruments en bois nommé Stengel à Bayreuth, ville proche d’Augsbourg, qui a attiré les jeunes compagnons dans leurs tours. Pourquoi pas GA Lindner ? Ce qui supprimerait la question d’Ebner mais ce n’est qu’une hypothèse plausible.)  

Ainsi par exemple à Strasbourg on avait une filiation professionnelle entre KelleràBühneràDobneràRoth. 



Augsbourg est connue aussi pour être la ville d’origine des Mozart notamment Franz et Léopold Mozart. D’ailleurs le conservatoire de musique a accolé son nom au père de Wolgang. 

Léopold Mozart

Cette ville avait beaucoup de tourneurs sur bois excellents, et des facteurs d’instruments assez réputés comme Ebner et Bosch mais aussi Lindner père et fils ce dernier étant le maitre de Feneberg, lui-même maitre de Kraus.

Il est toujours intéressant de voir la filiation professionnelle car c’était à l’époque la principale transmission des savoir-faire de maître à apprentis et à compagnons.

A Augsbourg, nous avons un lien étroit de formation entre ces facteurs :

Lindner père à Lindner fils à Feneberg à Kraus à Schmidt.

Mais des savoir-faire nouveaux et des innovations étaient apprises aussi chez d’autres facteurs et cela permettait une diffusion assez rapide de la facture instrumentale. Les compagnons ainsi pouvaient, après leurs tours qui duraient plusieurs années, soumettre aux autorités et à leurs pairs de la corporation, la reconnaissance de leur talent et avoir la possibilité d’exercer.

Ainsi en Bavière, les chanteurs de Nuremberg parcouraient pendant des années comme chanteur itinérant afin de nourrir leurs improvisations avant de revenir et faire le concours de Maître chanteur à Nuremberg. 

(Pratique immortalisée par l’œuvre de R. Wagner).


Débutons par :

Johann George Lindner (ou Lintner):

(1766-1840)

Né en Autriche, à Tyrnau le  9 octobre 1766, il a fait son tour de compagnonnage en Italie et en France avant de devenir un facteur spécialiste des cuivres (trompettes et cors : Il en reste une dizaine dans les musées). Il se fixe et devient citoyen de la ville d’Augsbourg en 1793. Son atelier sera le lieu de départ d’une lignée de facteurs importants. Il se marie et a un fils en 1794 George Léonard qu’il formera. Il décède en 1840. 

George Léonard Lindner

(1794-1859)

Il travaille donc dans l’atelier paternel comme apprenti puis compagnon fabricant surtout les instruments en cuivre. On ne sait pas où il a acquis sa maitrise concernant les bois (question de son contemporain J. Ebner) mais il est vraisemblable que lui aussi conformément à la tradition de compagnonnage, voyagea d’atelier en atelier afin de mieux se professionnaliser, avant de montrer son savoir-faire et demander aux autorités de se mettre à son compte avec son estampille.

En 1819 il obtient la licence de facteur d’instruments en cuivre et en bois et peut se marier une première fois. Il continue l’atelier de son père et diversifie les instruments. Il devient un spécialiste des bois notamment des flûtes (il existe une dizaine de flutes dans les musées). Il a comme apprenti et compagnon Feneberg.

Puis en 1834 il se marie une seconde fois avec Barbara Staudenmair qui continuera l’atelier au décès de son mari en 1859 et cela jusqu’en 1864.

Taille de hautbois de G.L. Lindner. Musée de Paris E 606

Johan Martin Feneberg

(1774-1841)

J.M. Feneberg fait donc son apprentissage chez le facteur Georg Léonhard Lindner et reçoit son certificat en 1827 puis devient compagnon et en 1834 devenir maître à son tour. Mais régulation des ateliers oblige, pour éviter trop de concurrence (entre autres avec son ancien patron), il ne peut s’installer à son compte que plus tard en 1836 où il reçoit sa licence pour s’installer et se marier.

Ainsi nous voyons la survivance des corporations à Augsbourg et son organisation politique omnipotente du Conseil de la ville. Mais Feneberg mourut rapidement en 1841 à 35 ans.

En conséquence il n’y a pratiquement pas d’instruments existants encore (une flûte au musée de Munich et un basson connu).

Anton Kraus

(1813-1901)

Anton Kraus est né à Eger en 1813 (ville proche de Carlsbad et de Graslitz, haut lieu de la facture bohémienne d’instruments à vent, qui appartenait à l’époque à l’empire autrichien. Eger est une vieille ville médiévale, actuellement appelée Cheb en Tchéquie près de la frontière allemande.

Kraus fait son apprentissage à Eger de 1826 à 1830 chez un facteur de clarinettes W. Horak qui lui décerne un certificat élogieux. Il travaille à Prague et fait son tour de compagnonnage pour améliorer son savoir-faire et intègre comme compagnon l’atelier de Johann Martin Feneberg à Augsbourg.

Mais après le décès précoce de son patron, A. Kraus va continuer l’entreprise avec la veuve Khatarina Feneberg à Augsbourg de 1841 à 1847. Donc en 1848, Anton Kraus obtient les licences à la fois pour devenir citoyen d’Augsbourg, facteur d’instrument à son compte et épouser la veuve Katharina Feneberg. Il devient rapidement un facteur réputé de 1848 à 1864 et collègue-concurrent du maître de son maître G.L. Lindner.

Il fait de nombreux instruments à vent à son nom et nombre de ses instruments sont de qualité et dans les musées du monde : actuellement il reste : 2 piccolos, 6 flûtes, 2 cors de basset, 2 trompettes, 1 hautbois alto, 1 Czakan et 8 clarinettes. (Database Waterhouse/Langwill selon Tremmel et A. Rice).

A. Kraus aura un prix à une exposition à Augsbourg en 1852 avec deux clarinettes en La à 17 clés en argent. Ainsi reconnu, il exportera ses instruments à l’étranger en Europe et aux USA puisque suite à l’immigration d’Europe notamment allemande, il y aura une demande d’instruments que les clarinettes anglaises, et les clarinettes américaines ne suffisent pas à couvrir.  

J.B. Schmidt :

En 1865 A. Kraus s’associe avec son gendre J.B. Schmidt (estampille Kraus et Schmidt) jusqu’en 1883. Après cette date, Schmidt continuera l’atelier seul. En1870, la Bavière, royaume voulu par Napoléon 1er puis dirigé par le fantasque Louis II, protecteur de R. Wagner, sera intégrée à l’empire allemand par Bismark.

A.Kraus décédera à Augsbourg en 1901.

La clarinette A. Kraus en Ut à 5 clés :


L’intérêt de cette clarinette est qu’apparemment c’est la seule connue à 5 clés, Anton Kraus réalisant rapidement des clarinettes ayant plus de clés. On peut donc la dater vers 1848 -1850 ce qui est assez tardif d’ailleurs pour une 5 clés classique (buis teinté avec des blocs en bois de fixation dont deux anneaux dans le corps du haut et un bulbe dans le corps du bas, bagues en corne de bovin, clés en laiton, pavillon monoxyle, bec en ébène strié de rainures pour fixer l'anche avec de la ficelle…)

Estampille :

Une pomme de pin surmontant un chapiteau (symbole de la ville d’Augsbourg) des petites croix de Malte (symbole protestant, ce qui n’est pas surprenant dans la ville de la confession d’Augsbourg de Martin Luther, texte fondateur du protestantisme)



La marque A. Kraus est visible sur toutes les parties de la clarinette y compris le barillet avec la mention de la ville Augsbourg. Enfin en dessous C sur les 5 parties indique la tonalité d’UT.

Traçabilité : cette clarinette provient d’un collectionneur d’Augsbourg, son état est excellent et séduit toujours : la preuve !