Cet article est publié en 4 épisodes.
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Deuxième partie.
Par Touroude José–Daniel, Docteur en
sciences sociales.
Question N°4 : Pourquoi collectionne-t-on ?
quelles sont les motivations du collectionneur ?
Notre enquête montre une infinité de
causes et il est illusoire de chercher une explication causale unique sur le
désir de collectionner des objets, encore moins de porter un jugement sur leurs
motivations.
La collection est une satisfaction de besoins
Quelles sont les forces qui incitent un
individu à devenir collectionneur ? Dans toutes les sociétés et à toutes
les époques, le phénomène de collectionner est présent car il permet une
identification à quelque chose de positif, de plus grand que soi, d’intemporel.
Derrière l’objet, on voit transparaître
la fascination pour quelque chose. Pour nous collectionneurs d’instruments
de musique anciens, c’est souvent la musique et la musicologie, l’histoire, les
techniques… La collection est une satisfaction de besoins
La collection satisfait des besoins en se polarisant sur la consommation d’une catégorie d’objets qui comblent momentanément le désir. Freud, grand collectionneur de statuettes de l’antiquité, a montré que l'homme ne cesse de désirer consciemment ou inconsciemment. La collection comble momentanément le désir comme boire étanche la soif mais pour seulement un moment. Il en est de même pour tous les besoins. Le désir est précis et on ne peut le remplacer par un autre : manger au lieu de boire, acheter un objet à la place d’un autre convoité, fumer au lieu d’aimer… ne satisfait pas, au contraire. Les besoins du collectionneur ne dérogent pas à cette règle générale, car ils sont ciblés sur un objet précis particulier. Discuter avec un collectionneur renvoie rapidement à des explications sur ses motivations personnelles.
Le collectionneur fait souvent un transfert sur des objets
Pour certains, le choix de collectionner des jouets est étroitement lié aux souvenirs d’enfance, parfois parce qu’on n’a pas pu s’acheter les jouets tant désirés, ou au contraire pour essayer à travers des objets précis de se rappeler sa jeunesse heureuse et enfuie et garder une part de son âme d’enfant, les plaisirs passés. Dans notre enquête, nous avons bien sûr des musiciens professionnels ou de bon niveau mais aussi beaucoup de personnes qui auraient aimer devenir musiciens mais qui à défaut aiment s’entourer d’instruments de musique car ils sont beaux. Par le transfert sur leur collection, Ils connaissent mieux un instrument sous tous ses aspects que le professionnel qui en joue et qui ne maîtrise souvent que la composante technique apprise au conservatoire. Les motivations sont plurielles. Pour d’autres s’entourer d’objets, de substituts symboliques permet de survivre dans un monde considéré comme inamical, dangereux et décevant.
Le collectionneur est en fait un consommateur particulier beaucoup moins réactif que le consommateur basique car il n’achète pas sans réflexions et il profite de son dernier objet acquis plus longtemps que la plupart des consommateurs, avant de se précipiter pour en acheter un autre. En effet une fois l’objet acheté, briqué, classé, rangé et le désir comblé, il met cet objet désiré en perspective dans sa collection, lui trouvant sa place et en lui trouvant ce qui le lie aux autres objets, souvent après des recherches minutieuses voire une restauration. Dès que la sensation affective initiale, la joie, la fierté, la nouveauté se sont émoussées, d’autres désirs reviennent et deviennent essentiels et poussent le collectionneur à chercher, à acheter avec détermination voire impatience jusqu’au moment où il découvre le nouvel objet convoité. Ceci est un mécanisme banal de notre société de consommation que la publicité stimule en poussant à acheter rapidement une fois le désir et le plaisir d’acheter à peine réalisé. La motivation se renforce par cette insatisfaction et enclenche une activité et un dynamisme qui surprend l’entourage.
Le grand dilemme entre la passion et la raison est toujours présent pour le collectionneur.
Le désir et l’excitation intérieurs doivent-ils l’emporter ou bien faut-il renoncer à un objet au nom du bon sens ?
Tous indiquent qu’ils sont en fait assez raisonnables, ne dépassant rarement le prix maximum du marché, mais tous indiquent quand même que ponctuellement, ils se sont laissés embarquer dans une enchère enflammée car Il faut savoir parfois faire l’effort nécessaire pour avoir quelques pièces qui en valent la peine.
La collection n’est pas inerte, elle vit, se transforme, évolue, est toujours en mouvement.
Certains objets disparaissent, d’autres apparaissent, certains sont privilégiés et mis en valeur temporairement, d’autres ne sont plus admirés et sont relégués, voire échangés ou vendus car les goûts et les motivations peuvent se déplacer, les intérêts et les buts se modifier en cours de collection et ce qui nous enthousiasmait devient moins attirant.
Car les motivations changent avec le temps : collection d’un type d’instrument, d’une région précise, d’un fabricant particulier, la restauration des instruments meurtris… Au fil du temps, on a envie de se spécialiser dans un sous - ensemble de sa collection ou au contraire l’élargir. Parfois on a même envie de changer de thème de collection. Tous reconnaissent avoir «évolué» avec la progression de leur collection car les critères changent.
Au départ, la quantité possède une importance pour tout collectionneur pour définir le sérieux de sa motivation. La quantité a souvent une fonction défensive, comme toute accumulation, pour se sécuriser et se positionner. Certains définissent leur collection sur la quantité d’instruments : « j’ai x objets ».
Puis on privilégie la rareté ou la qualité espérant dire un jour : j’ai l’exemplaire unique existant de cet objet et je le prête à telle exposition ou pour tel enregistrement sur instrument d’époque. La rareté, l’importance de l’objet se rattachent davantage à une représentation narcissique, la rareté des pièces augmentant la valeur des objets aux yeux de tous. La rareté tend à augmenter la valeur d’un objet, on s’attend alors à ce que les collectionneurs recherchent des pièces difficiles à trouver. Et pourtant, c’est souvent le contraire qui se produit car si l’offre est trop rare ou à des prix exorbitants, le collectionneur se désintéresse de sa collection, il ne peut plus jouer son jeu, sa quête et sa collection est bloquée.
Pour que le collectionneur ressente du plaisir, il faut un sujet de collection assez vaste pour qu’il puisse faire des achats réguliers d’objets accessibles à des prix abordables mais assez difficiles à trouver pour que la recherche du trésor soit ardue et jouissive afin de pouvoir compléter et enrichir sa collection.
Certains cherchent l’ancienneté et la provenance comme facteurs prédominants de l’intérêt d’un objet. Pour ces raisons, il fait des choix, revend ou échange les instruments devenus moins intéressants pour lui, se spécialise et la qualité, la rareté, la provenance, l’ancienneté, l’originalité deviennent des paramètres essentiels guidant le collectionneur. Mais ces paramètres sont souvent variables selon les collectionneurs et évoluent dans le temps.
Mais que recherche le collectionneur en fait ?
Ce qui importe c’est la quête, la recherche d’un trésor spécifique !
Le collectionneur est un chineur, un chercheur compétent, toujours en quête qui va hanter les ventes aux enchères, en pensant toujours aux objets qui lui manquent pour compléter sa collection. Apparemment le collectionneur est un accumulateur d’objets, mais en réalité ce qui prime c’est la recherche d’un trésor. C’est un chasseur d’objets.
La quête du trésor enfoui afin de trouver un objet intéressant qui va compléter sa collection, et que les autres n’ont pas vu grâce à son expertise et sa ténacité, est fondamental.
Le collectionneur de plus en plus connaît à l’avance ce qui va sortir sur le marché car il sait repérer les objets convoités, rechercher les informations en agitant son réseau de collectionneurs et de revendeurs.
Le collectionneur est donc en alerte permanente pour collecter des informations sur les études spécialisées, les mises aux enchères, les antiquaires, les sites internet de plusieurs pays, les ventes d’autres collectionneurs du réseau, les revues et livres afin de ne pas louper LA bonne affaire, surtout s’il en a les moyens matériels afin de ne pas être frustré.
Tous les collectionneurs sont excités mais ont peur d’avoir des concurrents aussi passionnés avec des ressources plus importantes. Ainsi ferré, le collectionneur est obligé de suivre, de participer à la vente, d’autant plus que tous les autres amis-concurrents sont là aux aguets !
Question N°5 : parmi les collectionneurs d’instruments de
musique à vent que vous avez interrogé pouvez vous dégager des profils de
collectionneurs d'instruments
de musique ?
Nous avons essayé en questionnant des collectionneurs
qui se sont prêtés au jeu de l’introspection, de cerner des éléments qui permettent
de mieux caractériser la passion du collectionneur mais nous avons vu aussi en
fait une grande variété de profils.Tous les collectionneurs n’ont pas la
même histoire et donc le même degré dans la passion et celle ci est mouvante
avec le temps. Tous les collectionneurs n’ont pas le
même engouement, les mêmes symptômes. Cette diversité est essentielle. On voit bien que nous partageons peu ou
prou des caractéristiques communes exposées dans notre synthèse mais entre nous
lorsqu’on parle de ce sujet le discours est
bien différent avec les alibis exposés aux autres. C’est trop personnel. L’intérêt de cet article est de montrer
les différentes idées exprimées dans la confiance entre amis qui au fur et à
mesure s’étoffent, se diversifient, s’approfondissent sur des non dits que l’on
croit très personnels et pourtant souvent partagés par d’autres en sachant
qu’il y a des zones d’ombre non indiquées. S’il est difficile de catégoriser
finement les différents collectionneurs, on peut toutefois cerner deux grands types de
collectionneurs d'instruments à vent :1°) Le collectionneur musicien professionnel ou amateur. Il accumule des instruments avec lesquels il a un lien particulier. Il s'y intéresse depuis longtemps, il joue de cet instrument, devient même un expert de la pratique et des connaissances liées à cet instrument. Il ne collectionne que son instrument. Plusieurs instruments de sa collection sont en état de marche et il les fait sonner régulièrement pour le plaisir voire pour des prestations. Il est toujours aussi fasciné par l'aspect esthétique des différentes formes que prend son instrument, par des caractéristiques d'une évolution technique de son instrument, ou par différents modèles historiques des principaux facteurs, voire par des instruments insolites, prototypes de son instrument. Il collectionne aussi parfois ce qui est périphérique, tout ce qui se rattache à son instrument (objets divers, bibelots, affiches, livres, catalogues....). Sa collection s'agrandit régulièrement, et il cherche des instruments précis pour compléter sa collection. Le collectionneur est forcément attiré par la restauration de ses instruments car les instruments sont souvent en mauvais état et les restaurateurs professionnels chers et rares. Il commence un parcours complexe de la restauration en amateur puis se professionnalisme rapidement. Certains en viennent même à ne rechercher que des instruments à sauver et à restaurer pour les exposer en bon état.
Sa motivation et son plaisir est de redonner vie à un instrument délabré, de le restaurer comme s’il avait comme mission de défendre le patrimoine instrumental de son instrument. Il démonte, entretient, astique ses instruments qui sont impeccables et qui sont mis en valeur dans une vitrine ou en exposition permanente chez lui. Il a du mal à s'en séparer, de faire des échanges, sauf si ses objectifs de sa collection changent (spécialisation sur telle époque, tel facteur, tel pays...). Il a un profil de spécialiste et s'intéresse assez peu aux instruments éloignés du sien. Lancé sur son sujet, vous avez le droit à une conférence passionnée et une visite guidée parmi ses trésors !
2°) Le collectionneur antiquaire qui achète beaucoup d'instruments divers, mais qui a pour objectif aussi de revendre avec bénéfice. C’est un expert, qui hante les enchères et les brocantes car ce qui aime avant tout c'est chiner, dégotter l'instrument oublié et pas cher, l'instrument atypique ou esthétique d'un facteur connu qu'il va pouvoir restaurer et mettre en vente. En conséquence il s’attache moins aux objets mais c’est aussi un passionné. Il connaît ses clients potentiels collectionneurs et sait à qui et à quel prix il pourra revendre. Il maîtrise parfaitement le marché et toutes les sources où se procurer les objets intéressants. Parfois il suit et sait même où se trouve de nombreux objets dans les collections privées. Sa motivation est de redonner vie aussi à un instrument délabré, de le restaurer comme le collectionneur musicien mais l’objectif est différent car le but de la restauration est de le revendre avec profit car souvent c’est son métier mais c’est aussi un collectionneur qui garde des trésors pour lui. Certains collectionneurs accumulent des vieux instruments et certaines collections ressemblent à des magasins d'antiquaires ! Si vous montrez votre intérêt, vous avez droit aussi à une visite guidée parmi ses trésors éclectiques ! Mais sa collection tourne, se renouvelle en permanence et presque tous les objets sont potentiellement vendables, si le prix est intéressant. Chaque vente permet en fait à acheter d’autres instruments. Il a un profil de généraliste, connaissant l’essentiel de chaque instrument.
Cette bipolarisation est évidemment schématique, la plupart des collectionneurs mixent avec des proportions diverses les deux profils énoncés et changent parfois d'optique avec le temps et leur budget.
Question N° 6: Passionné et s’investissant énormément, le collectionneur devient –il en fait un spécialiste, un expert parfois plus compétent que beaucoup de professionnels ?
Si certains collectionneurs sont
généralistes et accumulent toutes sortes d’objets apparemment hétéroclites (mais
qui ont un lien entre eux parfois pas évident à découvrir), le plus souvent le
collectionneur est ou aspire à devenir un spécialiste, un expert du thème
d’analyse de sa collection.
Le collectionneur devient souvent un expert.
Une fois sa cible thématique identifiée, qui peut d’ailleurs
changer avec le temps, il se lance dans une démarche de professionnel de
recherche et de connaissance en profondeur de son thème. On retrouve ici la recherche de
spécialité dans un créneau bien spécifique, si courante dans la vie
professionnelle, où on est connu et reconnu pour le sérieux que l’on possède
pour aborder un sujet, pour sa compétence et son expertise. C’est pour cela que
de nombreux retraités prolongent cette mentalité dans une collection avec le
même souci d’expertise.La collection est en fait un support fabuleux pour cette quête et oblige à découvrir des livres, des lieux, des personnes, des techniques inconnues, de surfer sur internet pour y faire des découvertes...
En devenant savant sur un sujet spécifique, le collectionneur se valorise à ses yeux d’abord puis aux yeux des autres surtout s’il est reconnu comme un expert dans son domaine.
Il veut souvent faire partager son savoir et sa passion, commence à écrire des articles spécialisés ou faire des conférences en faisant visiter sa collection et se faire reconnaître comme un collectionneur – expert. Si vous posez une question sur sa collection vous avez droit aussitôt à un exposé, tellement que le collectionneur est investi par son sujet et vit sa passion.
Le collectionneur ne se contente pas de former et d‘éblouir les autres, il cherche aussi sans cesse d’autres experts, collectionneurs ou non, pour approfondir sa recherche ce qui l’entraine à aborder les multiples facettes induites par sa collection et cela dans une vision transdisciplinaire.
Il peut même arriver à s’intéresser à la psychologie du collectionneur !
Certains collectionneurs se cantonnent à un seul domaine très spécialisé mais avec des collections secondaires liées au sujet principal.
Notre enquête étudiait les
collectionneurs d’instruments de musique, or la plupart avaient aussi plus ou
moins des photos, des partitions, des méthodes, des disques, des figurines, des
affiches, des cartes, des médailles liées à leurs collections et ils
considéraient cela tout simplement comme de la documentation périphérique, peut
être secondaire, mais composante quand même de leurs collections.
La collection demande beaucoup de compétences et de qualités :
Le niveau intellectuel des
collectionneurs est assez élevé, d’une part vu l’argent engagé souvent
important montrant qu’ils sont d’un certain niveau social mais aussi d’autre
part par la démarche intellectuelle de professionnel. Souvent les collectionneurs sont des
gens soigneux, curieux, chercheurs, leur intelligence toujours en éveil. Ils
ont le sens du détail, de l’organisation et du classement et peuvent créer des
stratégies parfois élaborées pour compléter leurs collections. Ils terminent ce
qu'ils entreprennent, sont tenaces et patients.
Le collectionneur doit forcément avoir
une excellente mémoire à court et long terme pour se souvenir
des caractéristiques de chacun de ses objets, de ses contacts … Il paraît se souvenir de faits
marquants, d’objets, de noms, de détails, de prix exacts.La collection n’est alors qu’une porte d’entrée sur un monde apparemment circonscrit mais en fait transdisciplinaire qui prend beaucoup de temps mais qui est formateur.
Beaucoup de collectionneurs possède un catalogue où tout est référencé et qui demande un temps important. Cela peut être le support d’une conférence, un dictionnaire de facteurs, un catalogue où chaque instrument possède une fiche détaillée avec photos ou un livre en préparation. Mais ce qui importe c’est dès la découverte d’un élément nouveau, il est retranscris aussitôt dans les fiches qui ainsi se complètent régulièrement. Le collectionneur commence vraiment à connaître son sujet et devenir compétent sur les objets de sa collection et cherche à découvrir ses alter ego (autres collectionneurs, professionnels).
La compétence d’un collectionneur s’acquiert avec le temps. D’abord le collectionneur n’est jamais pressé car une collection en devenir se déguste lentement acquisition-plaisir après acquisition, d’autre part il n’y a pas beaucoup d’ouvrages spécialisés et les rechercher et les consulter est un vrai travail d’historien et demande du temps et de la patience et enfin il n’existe pas de formations qui vous forment rapidement à devenir collectionneur. Pratiquement tous indiquent l’intérêt de cette longue marche, où la compétence s’acquiert par petites touches en lisant, en voyant beaucoup de collections publiques et privées, en mémorisant et en créant des banques de données, en rencontrant des personnes et en étant aux bons endroits aux bons moments, en faisant aussi des erreurs d’analyse ou d’achat puis en synthétisant leurs connaissances dans des exposés lors d’expositions consacrées à leurs collections.
A Suivre......
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