lundi 24 février 2014

Dupinophone, la clarinette pour tous : utopie républicaine.

Par José Daniel Touroude.
A la fin du XIXème siècle, la IIIème république apporte son idéal d'instruction généralisée du peuple. Les instituteurs, hussards noirs de la République, sous l'impulsion de Jules Ferry sont chargés d'éduquer le peuple rural en voie d'industrialisation et d'urbanisation mais aussi de le couper de l’influence de la "religion, des superstitions et croyances irrationnelles".
Un des nombreux buts était de faire accéder les savoirs de base au peuple mais certains ont inclus l’art également, notamment la culture musicale : savoir chanter (la marseillaise et chants patriotiques bien sûr) mais jouer si possible avec des instruments, des mélodies simples de la culture populaire en contradiction avec la «grande musique» savante et élitiste bourgeoise.


Enfant jouant du Mirliton. (Source Jean Luc MATTE)
Site de Jean Luc Matte
L’art devait être populaire et dans la rue. Le but poursuivi était de donner envie à tous de faire de la musique simple et accessible aussi bien sur les plans techniques que budgétaires.  Ces innovateurs, présentés comme philanthropiques, s'inscrivaient dans un projet de société égalitaire (le socialisme utopique de Proudhon) où l'accès à la culture et à la musique passent par une sensibilisation des capacités musicales du peuple. En effet la majeure partie du peuple, encore rural, ne peut ni apprendre la musique, ni exprimer ses dons, ni même écouter de la musique sauf en de rares occasions (à l’église avec des chants religieux, à l’armée avec les musiques militaires, avec l’orchestre de village pour danser).
C'est dans ce contexte que, modestement, certains inventeurs originaux  et utopistes apporteront leur contribution à l'éducation musicale du peuple, en créant d’autres instruments simples et novateurs voire simplistes et loufoques.

Dupin et autres facteurs utopistes :

Dupin voulait faire oeuvre pédagogique et républicaine. Il voulait participer à l'éducation des masses en fabriquant une sorte de clarinette minimaliste et simplifiée, pour non musiciens, reprenant les principes acoustiques de cet instrument, lui le spécialiste des tuyaux d'orgues.

Dupinophone (Jean Luc Matte)

Le dupinophone n'a pas la prétention de  concurrencer les instruments de l'orchestre mais d'initier à la musique ceux qui en sont privés.  Le dupinophone a un but humaniste «afin que l'élève puisse avoir un aperçu de ce qu'on appelle la musique, vocation qui de nos jours se trouve à la portée de tous...» (préface de la méthode de J Dupin qui accompagnait l’instrument)  
Dupin était républicain voire anarchisant sur les règles d'apprentissage de la musique. En effet il indique que «pour obtenir les notes chromatiques, c'est à la convenance de l'instrumentiste. (demi trous, doigtés fourchus, doigtés factices)... et que l'on peut faire à son idée.... »
Sa méthode de dupinophone laisse une liberté de doigtés pour jouer des petites mélodies car les possibilités pratiques de l'instrument sont réduites.

Collection J.M Renard.
C’est l’opposé de la méthode Klosé et des méthodes autoritaires et rationnelles de l'enseignement de la clarinette au conservatoire. La musique devient un jeu, producteur de sons, pour faire plaisir et se faire plaisir, s'initier aux mélodies et non un apprentissage pour devenir musicien diplômé. La pédagogie par la découverte, par le jeu et par essais - erreurs en somme. Ces instruments ont eu parfois du succès mais on ne sait pas si certaines vocations musicales ont été générées par la pratique de ces instruments populaires et ont donc atteint ce but. (A contrario, on sait que la pratique de la flute douce en école primaire depuis 50 ans a généré nombre de vocations pour les instruments à vent.)
L'embouchure.
F. Dupin, puis son fils Jules Dupin facteurs d'orgues et de boites de musique à Paris, ont fabriqués notamment des flutes à bas prix puis des pseudo clarinettes dans des tiges de bambou.

Un instrument de musique à la portée de toutes les bourses.
F. Dupin pour démocratiser la clarinette, va créer un instrument a un prix très bas et attractif.  A cette époque les catalogues des facteurs donnaient un éventail assez large et vendaient encore des 6 clés obsolètes en buis et des 13 clés à petits prix pour des musiciens amateurs et orchestres populaires de village. Certains comme Gautrot ou Thibouville inondaient le pays vendant à petit prix des instruments de qualité moyenne avec un petit profit mais en quantité, façon industrielle de s'enrichir.
Catalogue Thibouville de 1878 (extrait). (Collection Roland Terrier).

Le dupinophone était vendu 5 fois moins cher que la clarinette à 6 clés ordinaire et 50 fois moins que la clarinette en ébène système Boehm, luxe réservé aux  clarinettistes professionnels ou confirmés.
Ces instruments étaient commercialisés différemment et pas dans les magasins de musique et revendeurs d’instruments habituels. En effet ils étaient vendus par des colporteurs et dans les épiceries de campagne. Le public - cible du Dupinophone est uniquement populaire, pauvre et/ou destiné aux jeunes, car l'instrument était petit, léger (100g) avec 9 trous et un espacement des trous rapprochés jouable pour une petite main.

Ainsi on peut noter aussi que Dupin n’était pas seul à cette époque à se lancer dans de nouveaux instruments. Certains facteurs vont démocratiser cet accès à la musique en fabricant des instruments à bon marché avec des matériaux simples :
Dupin fabrique flutes et clarinettes en roseau et zamak.
Moncharmon puis Algier font des flutes en carton bouilli,
Mathieu crée des flutes et clarinettes en métal fondu ou zamak,
Ullmann réalise des flutes en fer blanc,
Roda fait des flutes en terre cuite et en celluloïd,
Bigot et ses Bigophones,
Bigophone allemand.

Poussot et son Monocorde à clavier (possible à jouer «sans maitre, ni méthode» selon sa publicité : le slogan anarchiste ni dieu, ni maitre n’est pas loin),
Edmond De Vlaminck avec son Mélotétraphone sorte de violoncelle, alto ou violon  à clavier («simplifiant des instruments en supprimant les difficultés des instruments de musique... »).
Paul Jean Bordier et son Bordicor sorte de contrebasse de 2 mètres qui a notamment le son du cor ! et qui peut jouer les sonorités de différents instruments et qui a été présenté à l'exposition universelle de 1900.
Gustave Fuchs et son Fuxel Monocorde joué à plat.  
Varin et sa Varinette. etc.....

En fait ces instruments originaux novateurs n'ont pas permis un transfert d'innovations sur la facture instrumentale classique mais ont été parallèles. Leur but était de pallier la carence de l'éducation musicale du peuple et cela va s'estomper au fur et à mesure de la démocratisation de la musique classique qui débute dans les écoles avec la formation musicale rudimentaire dans les écoles normales d’ instituteurs,  avec la diffusion des instruments classiques et l’accroissement des professeurs dans les écoles de musiques municipales et privées, des musiciens pédagogues et souvent bénévoles des harmonies locales... Ces instruments originaux et simples deviendront alors des curiosités d’une époque pour collectionneurs.
Utopie actuelle pratique et créative.

Le dupinophone est-il une clarinette, un chalumeau ou un instrument à part entière ?

Certains le considèrent comme un jouet, un pipeau d'autres comme un avatar ridicule au moment où la clarinette devient moderne et aboutie. Dupin était un facteur d'orgues spécialiste des tuyaux, mais aussi un facteur de flutes et de clarinettes. Il vaut mieux voir son invention comme une résurgence des pré-clarinettes antiques et du chalumeau du moyen âge et d'ailleurs le son et les doigtés en sont proches. Certains pensent qu'il a réinventé la roue, à savoir le chalumeau.
Le dupinophone a vaguement le son et l'aspect d'une petite clarinette mais ce n'est pas une clarinette.
Concerto pour chalumeau.

Les caractéristiques du chalumeau ancêtre de la clarinette sont :

  1. une personne qui souffle dans un tuyau et crée une colonne d'air.
  2. un tuyau cylindrique muni à une extrémité d'un bec où se trouve ligaturée une anche simple battante qui vibre et génère le son.
  3. par le bec et l'anche, l'instrumentiste envoie seulement un mince filet d'air ce qui donne un son grave à cause de ce tuyau presque bouché. 
  4. Le tuyau est à perce cylindrique et percé de trous pour les doigts des deux mains ce qui permet en les bouchant de faire des sons différents donc des notes.
  5. le chalumeau héritier des pré-clarinettes antiques avaient 8 trous et jouaient une octave.
  6. certaines notes s'obtenaient avec des doigtés fourchus ou des demi trous bouchés et une gymnastique de l'embouchure de l'instrumentiste !
Le dupinophone reprend ces 6 caractéristiques et le pavillon du chalumeau et de la clarinette.
Cantigas de Santé Maria.

Le dupinophone ne peut pas jouer toutes les notes chromatiques facilement, comme le chalumeau d'ailleurs, sauf par un instrumentiste talentueux.  Dupin indique dans sa méthode qu'il y a 36 façons de faire des demi-tons ! La justesse est approximative et ce n'est pas pour lui l'essentiel ... le dupinophone n'est pas destiné à jouer avec un quatuor à cordes !

En voici la preuve........

 
En fait le dupinophone ressemble à une clarinette, mais ce n'est pas une clarinette. En effet si la clarinette reprend toutes les caractéristiques de son ancêtre le chalumeau, sa spécificité principale, inventée par Denner, est la clé de douzième qui permet de quintoyer, et d'avoir une tessiture de 3 octaves, ce que ne fait pas le dupinophone. Le chalumeau ayant été oublié, et la clarinette étant en plein essor notamment dans les harmonies et la musique militaire, Dupin appellera son dupinophone «nouvelle clarinette - dupinophone» et déposera une marque afin de protéger cette appellation.

Son estampille en relief indique : système F. Dupin Paris et sur le pavillon une lyre est entourée d'une couronne de lauriers, marque fabrique déposée. (Apparemment c'est une marque qui est déposée protégeant le nom de l'instrument et non un brevet protégeant sa conception originale peut être à cause de la parenté avec le chalumeau)


Pour se rapprocher de la clarinette, Dupin noircira le roseau pour accentuer l'illusion de l'ébène de la clarinette ! Le bec, la ligature réduite à un anneau de serrage et le pavillon sont moulés en métal fondu particulier : le zamak. Mais qu’est-ce ce matériau ? Le zamak est un alliage de zinc, d'aluminium, de magnésium et de cuivre. Son nom est un acronyme des noms allemands des métaux qui le composent: Z pour Zink (zinc), A pour Aluminium, MA pour Magnesium (magnésium) et K pour Kupfer (cuivre). Les proportions moyennes pour la réalisation de l'alliage sont de 95% de zinc, de 4% d'aluminium, de 1% de cuivre et d'environ 0,03% de magnésium. Son point de fusion est d'environ 400° C. C'est un alliage résistant et facile à travailler. Il ne s'oxyde pas et est idéal pour le moulage sous pression car il est très fluide. Avant l'ère du plastique, il a été beaucoup utilisé dans la petite construction mécanique et l'industrie du jouet...La note la plus grave est Mi 4 et la tessiture monte jusqu'au Sol 3.  Il existe plusieurs types de dupinophones en plusieurs tons : Certains collectionneurs de l'ACIMV en ont de différentes tailles en Mi comme celui ci mais aussi en Ré ou en Ut plus long (30 cm). Il en existe apparemment aussi en Fa et en Sol.
Il n’y a que 9 trous et aucune clé (si on reprend les grandes étapes de l'évolution de la clarinette : le chalumeau de la renaissance a 8 trous, la clarinette à 5 clés du temps de Mozart a 13 trous, la clarinette romantique de 1830 a 13 clés et 20 trous, et la clarinette moderne système Boehm a 17 clés et 24 trous). On voit bien le simplisme technique du dupinophone par rapport à la clarinette mais Dupin avait, nous l’avons vu, un but uniquement humaniste d’éducation musicale.


dimanche 16 février 2014

Numéro Spécial du Larigot consacré à notre collection d'instruments à vent anciens.

Le catalogue Larigot N° XXV spécial, consacré à notre collection d'instruments à vent anciens est disponible.
 
 
L'association des collectionneurs d'instruments de musique à vent (ACIMV) vient de publier, en couleur et au format A4 le catalogue de notre collection. C'est une première car tous les catalogues réalisés jusqu'à présent par notre association étaient en noir et blanc et en plus petit format.
 
Nous avons essayé dans ce catalogue de décrire en 96 pages, avec le minimum de texte et le maximum de photos 138 instruments, principalement des flûtes et des clarinettes.
 
Bien sur pour ceux qui connaissent notre intérêt pour les instruments de l'est de la France, on y trouvera une cinquantaine d'instruments alsaciens, principalement de Strasbourg avec quatre pages consacrées à l'histoire des facteurs de Strasbourg : KELLER, BÜHNER & KELLER, Frères KELLER, DOBNER & FELKLIN, Consort, Chrétien ROTH, BÜRGER......
Nous profitons de cet article pour remercier tous ceux qui nous aident et nous soutiennent dans notre travail de recherche, nos amis collectionneurs, marchands, restaurateurs, musiciens, historiens, amateurs...et en particulier : Denis WATEL, José Daniel TOUROUDE, Bruno KAMPMANN.
 
Si vous êtes membres de l'ACIMV et que vous êtes à jour de votre cotisation vous avez du le recevoir....Pour ceux qui souhaiteraient l'acquérir il suffit d'adhérer à l'association en cliquant sur ce lien : Adhésion ACIMV
 
N'hésitez pas à me contacter. rene.pierre23@gmail.com
 
Do not hesitate to contact me.
Zögern Sie nicht, mit mir zu kontaktieren
No vacile en ponerse en contacto conmigo
 



lundi 3 février 2014

Un mystérieux fabricant d'instruments de musique à Lyon : Jean Baptiste Magdeleine MANGEAN (1820-c1883).


Dans le catalogue d’instruments à vent que nous publions dans le numéro spécial N°XXV du Larigot, figurent plusieurs instruments d’un facteur lyonnais inconnu et mystérieux : MANGEAN. Pourtant ses instruments sont d’une grande originalité par leur facture, portant des marques MANGEAN ou MANGEANT à Lyon. Donc avec l’aide de Denis WATEL nous avons essayé de mieux le connaître.
Mais si vous avez des informations ou des instruments n’hésitez pas à nous contacter.
Marque sur une clarinette Mi b.
Collection J.D. Touroude.
Jean Baptiste Magdeleine MANGEAN est né le 2 janvier 1820 à Lyon ; son frère jumeau avait été dénommé également Jean Baptiste. Leur père Jean Claude MANGEAN (1765-1835) était quincaillier  rue du Confort à Lyon. Son frère jumeau Jean Baptiste MANGEAN est resté célibataire, cordonnier il est décédé à 30 ans le 11 septembre 1850 à l'hôpital de l'Antiquaille.
Signature de Jean Baptiste Magdeleine MANGEAN en 1844.
J.B.M. MANGEAN épouse le 1 février 1844 à Chatillon d'Azergues, Marie Antoinette Adéle PONS (1816-1865). A son mariage il est déjà facteur d'instruments de musique à vent et s'installe en mars 1844 au passage de l' Hôtel Dieu au numéro 8.

Flûte à système Boehm 1832 en érable et clétage en laiton.
Collection R. PIERRE
 Marque de la flûte précédente avec Mangean sans T.

On ne sait rien de sa formation, mais ses instruments sont originaux, par exemple il utilise pour la flûte l'érable (exemplaire ci-dessus) bois très rarement utilisé pour les instruments à vent, à cette époque (basson, hautbois). Pendant sa période d'activité lyonnaise de 1844 à 1856, il fabriquait des flûtes "à la pointe du progrès"....comme des systèmes Boehm système 1832, des flûtes système Tulou à 12 clés...instruments fabriqués seulement par les facteurs parisiens comme Godefroy, Buffet Jeune, Buffet Crampon....Tulou etc... mais très exceptionnellement en province, ce qui montre qu'il recherchait l'innovation plutôt qu'une production de masse. 

Hautbois en érable  à  10 clés. (ventes Vichy 2010)

Hautbois pastorale à 12 clés. (Ventes de Vichy 2010)

Cor anglais (Ventes de Vichy 2010)
Il fabriqua principalement des flûtes, des hautbois, des clarinettes. S'il ne déposa pas de brevet, il chercha à améliorer ses flûtes grâce  à des systèmes de correspondances au niveau du clétage comme le montre deux flûtes de notre collection.
Flûte à 12 clés. (collection R. PIERRE) 

Il a eu plusieurs enfants dont quatre garçons : Emmanuel né en 1847, Jules Emmanuel né en 1849, Claude né en 1851, Louis Emmanuel né en 1853. De 1844 à 1854 il habitait au 8 passage de l'Hôtel Dieu où il avait une pièce d'habitation et un magasin. 
Passage de l'Hôtel Dieu à Lyon vers 1890.

En 1855 il déménage pour la galerie de l'Argue et participe à l'exposition de Paris. Un autre facteur/marchand de musique exerçait dans cette galerie, Michel RIVET (a1838-1871).

A partir de cette date il quitte Lyon pour Paris abandonnant sa famille et son activité. Que sait il passé ? Faillite ? Rencontre parisienne pendant sa participation à l'exposition ? C'est encore un mystère que nous devons résoudre. Nous le retrouvons en 1866 à Paris pour son remariage avec Delphine Marie VALLEE née en 1838. Il se déclare dessinateur et habite 36 passage du Ponceau dans le deuxième arrondissement de Paris.
Flûte à 8 clés de MANGEANT. (Collection René PIERRE)
 Sa première épouse Adèle PONS était décédée le 17 février 1865 à Lyon chez son frère Antoine Jules PONS chocolatier qui l'avait recueillie.
Marque de la flûte précédente.
 J.B.M MANGEAN assiste le 30 septembre 1876 à Paris au mariage de son fils Claude MANGEAN cartonnier à Paris ; assiste également à ce mariage un deuxième fils : Jules Emmanuel MANGEAN feuillagiste à Paris. A cette date J.B.M MANGEAN se déclare agent d'affaires et habite au 168 rue Saint Antoine à Paris.

Clarinette en mi bémol de MANGEANT. (collection J.D. TOUROUDE)
Voir la marque en début d'article.

Lors du mariage de son dernier fils Louis Emmanuel MANGEAN le 21 août 1880 à Lyon, ce dernier fait établir un acte notarié déclarant que son père est : " facteur  d'instruments de musique dont on ignore l'existence et le domicile depuis 1856 ..." On peut penser qu'il y avait deux clans familiaux, l'un à Paris l'autre à Lyon.

Clarinette de MANGEAN en Mi bémol. (collection W. ROUSSELET)


Marque de la clarinette précédente.

Il assiste aux obsèques de son fils Jules Emmanuel MANGEAN le 9 novembre 1883 à Paris. Nous n'avons pas trouvé la date et lieu du décès de notre facteur.

Marques des instruments : MANGEANT, MANGEAN ?





jeudi 23 janvier 2014

Quelques questions et réflexions sur les petites clarinettes

Interview de Jose-Daniel Touroude
par René Pierre
 
(Tous nos remerciements à Denis Watel pour la relecture de cette réflexion et de nous avoir montré sa superbe collection de petites clarinettes qui mérite un autre article)

Quel est l’historique des petites clarinettes ?
La clarinette a été inventée par Denner vers 1700 à Nuremberg en perfectionnant le chalumeau. Il existait plusieurs sortes de chalumeaux, de longueurs et de tonalités différentes, qui étaient utilisés par la musique populaire mais aussi par les compositeurs comme Vivaldi, Telemann, Graupner, Haendel, RameauCes musiciens et bien d’autres après vont utiliser la clarinette qui apparaît dans les orchestres dès 1710. Les chalumeaux ont continués à coexister avec ce nouvel instrument qu’était la clarinette puis vont disparaître, au fur et à mesure du perfectionnement de la clarinette.
 chalumeaux aux tonalités différentes copies de chalumeaux anciens du facteur et clarinettiste
Gilles Thomé
qui joue dans des orchestres baroques
Comme les mêmes facteurs fabriquaient les chalumeaux et les clarinettes, il a été logique qu’ils créent des clarinettes de longueurs et de tonalités différentes notamment la clarinette en Ut pour jouer avec les autres instruments qui sont souvent de cette tonalité et la petite clarinette en Ré qui fut aussi rapidement réalisée à cause de son timbre aigu et qui remplaçait la trompette en Ré fort utilisée (d’où le nom de clarinette : clarino = petite trompette). Les facteurs de cette époque étaient rares et sont localisés en Allemagne : Denner père et fils, Scherer, Oberlender, Zencker…, Rottenburg en Belgique, Boekhout  aux Pays Bas, Friderich à Prague … puis la facture de clarinette va s’étendre plus tard vers l’Autriche, l’Angleterre et la France.
La clarinette, malgré ses imperfections, va rapidement trouver sa place dans l’orchestre vu son timbre nouveau et particulier, mais aussi comme instrument soliste avec les premiers concertos (Rathgeber en 1728, Paganelli en 1733… ) et les premiers virtuoses qui commencent à sillonner l’Europe. La clarinette va aussi s‘implanter dans la musique de chambre prisée par les aristocrates et les bourgeois (par exemple les trios de Kölbel avant bien sûr Stamitz et l’influence de l’orchestre de Mannheim qui a eu tant d’impact sur le jeune Mozart).
 
L’entrée de la petite clarinette dans le répertoire musical a débuté par des traits en orchestres avant une consécration car entre 1745 et 1755, J.M. Molter écrit 6 concertos pour clarinette en Ré sur le modèle des concertos grosso de Vivaldi et ce sont parmi les premiers concertos pour clarinette, toujours joués actuellement. Mais la clarinette va devenir rapidement aussi un instrument pour les musiques des armées et ceci va entraîner sa diffusion à travers les pays vu les guerres incessantes en Europe.
Avec les démobilisations des clarinettistes survivants, les orchestres villageois vont s’enrichir de ce nouvel instrument.

Quel est le rôle des petites clarinettes dans la musique militaire ?

Son rôle est essentiel. La musique militaire l’utilise abondamment mais il faut revenir à un point d’histoire fondamental.  La guerre de Sept Ans (1756-1763) est une guerre mondiale qui a ravagé l’Europe, l‘Amérique du nord et l’Asie et qui a modifié l’équilibre géopolitique des pays concernés.
La connaître est essentiel pour comprendre l’histoire postérieure du monde mais aussi pour la clarinette ! En effet pour entraîner les armées aux combats incessants et meurtriers, la musique militaire devient incontournable. Il faut savoir que les musiciens des régiments étaient souvent des gagistes, c’est à dire des contractuels qui passaient de régiments en régiments selon la solde et quelque soit le pays ! (il n’était pas rare de trouver des collègues et amis dans les musiques de tel régiment, se trouver plus tard ennemis face à face au combat ! ) De plus le renversement des alliances de cette guerre et la multiplicité des batailles dans de nombreux pays va diffuser la clarinette à travers l’Europe.
 
 
Après la guerre, vu la ruine de tous les pays belligérants, les musiciens et les facteurs d’instruments vont émigrer à la recherche de travail. Or la France, malgré la guerre ruineuse est un grand pays, le centre culturel mondial aux ressources importantes et la France est curieuse de ce nouvel instrument. Ceci va entraîner l’afflux de musiciens, civils et militaires, et de facteurs allemands notamment de clarinettistes. Cet instrument va être copié par les facteurs français puis se généraliser rapidement dans les armées françaises, dans les orchestres villageois, dans les orchestres symphoniques. A la fin du 18ème siècle lors de la révolution française et de l’empire, la France comptera énormément de clarinettistes (Napoléon 1er et les 1000 clarinettistes de son armée !)

 
Collection Jean Luc Matte.


 
Et dans la musique populaire ?
 
Dans certains orchestres populaires (harmonies, bandas … ) la petite clarinette trouve aussi sa place notamment dans la musique bretonne, la musique italienne surtout à Venise.
La facture française va aussi exporter beaucoup en Espagne et en Amérique du sud la petite clarinette Mib qui sera appelée «Requinto» utilisé par les « piteros » dans la musique folklorique et qui privilégie le registre aigu et qui est toujours accompagné d’une caisse claire.
Piteros espagnols.
 
Collection D. Watel.
 
Quelle est la définition des petites clarinettes, les différentes tonalités ?  
 
Dans le Lavignac par exemple, les clarinettes de La à Mib sont des clarinettes "sopranos" et celles de Fa à Lab aigu comme clarinette "piccolos". Au 18ème siècle, les clarinettistes avaient plusieurs clarinettes dans des tonalités différentes et les premières méthodes du milieu du 18ème siècle pour clarinettes font des longs développement sur les utilisations des clarinettes en usage. D’ailleurs au fil du temps certaines tonalités de clarinettes vont disparaître des méthodes et des orchestres (Si, Mi, Sol, Sib aigu et Ut aigu) alors que d’autres vont apparaître (Fa, Si b, Mi b, La b). Le clarinettiste pouvait jouer dans toutes tonalités et les méthodes du 18ème siècle (Blasius, Van der Hagen, Yost, Vanderbrock, Francoeur…etc ) prouvaient qu’en changeant de clarinettes, on pouvait jouer qu’en tonalités faciles soit Ut, Fa et Sol et éviter de transposer, ce rappel historique est surprenant pour l’instrument transpositeur par excellence actuel !

Petites clarinettes (Gauche à droite) : Ré à 12 clés de Kayser à Hambourg, anonyme Mi bémol à 10 clés, Mib à 6 clés de Noblet, Fa à 12 clés anonymes de Markneukirchen.
(Collection J.D. Touroude)
La clarinette en Fa : La petite clarinette en Fa joue à la quarte avec la clarinette en Ut dans les harmonies et musiques militaires (traits aigus et puissants). Au 18ème siècle la clarinette était souvent associée au cor ou basson en duos (le cor étant en Fa, la clarinette était de la même tonalité pour éviter de transposer).
Les clarinettes en Sib aigu et Ut aigu : elles sont très rares.  
La clarinette Lab : elle est plus tardive et on trouve la petite clarinette Lab aigu dans certaines harmonies surtout les bandas en Italie.  Il y a aussi du répertoire dans les musiques militaires anglaises et italiennes. C’est la clarinette la plus aigûe et la plus petite et jouer avec n’est pas aisé vu la grosseur des trous et des clés !  

Pourquoi l’hégémonie de la clarinette en Mib ?

La clarinette Mib : aigüe, brillante, projetant plus le son que sa sœur en Ré est née au début du XIXème siècle et se répandra surtout dans les musiques militaires et les harmonies en Allemagne puis en France.
Clarinette en Ré # (DIS) de Dobner et Felklin à Strasbourg
(Collection R. Pierre)
Quand la clarinette en Sib va remplacer peu à peu la clarinette en Ut, la petite clarinette qui joue à la quarte au dessus va passer logiquement de Fa à Mib pour respecter les concordances entre les clarinettes. Elle sera fabriquée en France ponctuellement mais c’est vers 1830 que les facteurs vont commencer à l’inclure dans leurs productions. A partir de 1850, elle va se généraliser dans les musiques militaires, dans les orchestres symphoniques et les harmonies surtout quand elle aura 13 clés et la possibilité de faire toute la gamme chromatique.  
Registre de la clarinette Mib.
Avec le système Boehm, elle pourra effectuer des traits de virtuosité au même titre que les petites flutes. Dans les orchestres surtout militaires et les harmonies avec les clarinettes Sib et les saxos en sib et Mib, la petite clarinette sera exclusivement en Mib.
 
Quelle est l’utilisation des clarinettes en Ré et Mib dans l’orchestre symphonique et pour quel répertoire. ?
 
Le succès de la clarinette en Ut à 5 clés puis celle en Sib avec une palette sonore plus grande va éclipser la petite clarinette puis la cantonner plus tard dans l’orchestre symphonique à réaliser des traits aigus, voire satirique. La symphonie fantastique de Berlioz en 1830 l’utilisera pour la première fois dans l’orchestre symphonique. Ainsi en 1870, Wagner, avec Tannhäuser puis la chevauchée des Walkyries, réutilisera la clarinette en Ré. D’autres l’utiliseront ponctuellement dans l’orchestre symphonique mais elle tombera en désuétude peu à peu. Ainsi le Sacre du Printemps et Till l'espiègle, les partitions d'origines sont écrites pour clarinette en Ré mais transposées pour clarinette en Mib.
 
Aujourd’hui personne n’écrit plus pour clarinette en Ré. Les grands compositeurs l’utiliseront dans leurs orchestrations. Citons par exemple : Ravel dans le Boléro et Daphnis et Chloé, Mahler dans sa symphonie Titan, Stravinsky dans le sacre du printemps et l’oiseau de feu, Richard Strauss dans Till l’espiègle, Bartok dans le mandarin merveilleux, Britten dans le prince des pagodes, Copland, Janacek, Messiaen, Dallapiccola, Bério et nombre de compositeurs contemporains.
 
On peut écouter des clarinettistes comme Arrignon, Merrer etc… et la Garde Républicaine pour se rendre compte des possibilités et de la beauté de la clarinette Mib. La petite clarinette Mib devient un instrument à part entière avec sa vélocité, son suraigu, sa couleur spécifique pour toute orchestration et remplace peu ou prou les autres petites clarinettes.
 
Quels étaient les grands facteurs de petites clarinettes (allemands, français…) ?
 
Souvent les mêmes facteurs que les clarinettes en Ut et Sib car il n’y a pas de spécificités techniques particulières à réaliser une clarinette en Mib . Elles sont les copies conformes des clarinettes en Ut et Sib mais en plus petites. La composition est la même : bec, barillet, corps du haut, corps central, corps inférieur, pavillon. Les matériaux sont les mêmes : d’abord le buis puis l’ébène pour le bois avant l’ébonite voire le métal. Les clés sont d’abord en laiton puis en maillechort. Les formes des clés sont les mêmes que les autres clarinettes selon les facteurs, les pays et les époques. Les viroles ou bagues sont en corne ou en ivoire puis en laiton et en maillechort comme les autres clarinettes.
 
Comment reconnait-on la tonalité des petites clarinettes : Ré, Ré#, Mib, Fa, Lab ?
 
Un doute existe quand on voit les petites clarinettes et que la tonalité n’est pas marquée.
Sont-elles en Ré, Mib ou Fa ? quels sont les critères d’analyse ?
 
Au milieu de toutes ces clarinettes, une petite clarinette en Mib en métal à double parois.
(Photo de Peter Portner- Historical Museum Basel)

- La longueur est souvent un critère majeur pour catégoriser les clarinettes en Mib, en Ré ou en Fa.
En comparant la vingtaine de petites clarinettes de ma collection, nous pouvons avoir une différence de 5 cm (hors becs) entre 2 petites clarinettes en Mib.
On s‘aperçoit que les longueurs des becs, des barillets, des corps de l’instrument, des pavillons varient. Mais en fait ce critère nécessaire n’est pas suffisant et d’autres composantes doivent être analysées.
- La perce est un deuxième critère fondamental puisque c’est la forme cylindrique de celle ci et son diamètre qui crée le timbre particulier de la clarinette. Le matériau de la clarinette est secondaire. Dans notre collection les perces varient de 10 mm à 13 mm
- La grosseur des trous est un troisième critère. Les gros trous permettent de projeter le son plus fort mais la place des trous et leur grosseur sont essentiels pour la justesse et le diapason. Ils varient de 5,5 mm à 8,5 mm (corps central de clarinette en buis de la même époque). La perce et la grosseur des trous sont plus petits dans les petites clarinettes mais sont en proportion avec la grandeur des différents corps de la clarinette qui sont eux mêmes plus petits que les clarinettes en Ut et Sib.

Ainsi prenons un exemple :

la longueur du barillet qui en moyenne fait 40 mm pour la Mib et 44 mm pour la Ré, fera 50 mm pour la clarinette en Ut et 60 mm voire 63 mm pour la Sib et 65 mm pour la clarinette en La.
 
Clarinette anonyme en Ré et corps de Rê #. (Collection J.D Touroude)
Mais certains facteurs feront des barillets plus allongés d’autres plus courts s’adaptant aux autres corps de l’instrument. Par contre la forme extérieure, plus ou moins bombée du barillet selon les facteurs n’apporte strictement rien, sauf sur le plan esthétique. C’est la combinaison de ces 3 différents éléments (longueur, perce, trous) qui font la justesse et le diapason de la clarinette et nous montre par exemple si elle est en Mib ou en Ré. Le bec et l’anche interviendront surtout pour le son.
Mais faut-il savoir encore pour quel diapason l’instrument a été fabriqué car entre le 415 baroque du 18ème siècle et le diapason à 440 du 20ème siècle, il y a une différence pratiquement d’un demi ton !
Dans notre collection les diapasons varient de 425 à 440.

Pourquoi fabriquer des clarinettes en Ré au milieu du XIXème siècle et pourquoi fabriquer des cl en Ré# (DIS) :

Alors que l’hégémonie de la clarinette Mib s’ implante, certains facteurs continuent à fabriquer des clarinettes en Ré et Ré # . La clarinette en Ré ancienne, très populaire en Allemagne accompagnait souvent le violon au 18èmes siècle et au 19ème et avec l’émigration européenne aux USA cette tendance a continué. Ainsi Les facteurs Martin frères vers 1840 feront des clarinettes en Ré pour l’exportation aux USA souvent utilisés dans les bals villageois. Le diapason s’élevant de plus en plus, la clarinette exclusivement en Allemagne passa de Ré (D) à Ré # (marqué DIS) mais tombèrent rapidement en désuétude car certaines Mib font un son identique (toujours le diapason mouvant)
Le Schrammel quartet de Vienne et sa petite clarinette jouée par Georg Dänzer.
 
Comment passer de la clarinette Sib à la Mib ? Quelles sont les difficultés et les spécificités de jeu.

La clarinette étant plus petite (de 20 cm) la position habituelle des doigts est différente et cause nombre d’accidents et on entend en Mib et non plus en Sib ce qui est gênant. Puis il faut jouer avec le bout des doigts et ne pas avoir les doigts trop gros et changer les doigtés pour l’aigu et le suraigu par rapport aux doigtés appris sur la Sib. En fait il faut vraiment se spécialiser sur la petite clarinette pour bien en jouer.